Tout récit où l' histoire est déformée par la tradition peut être appelée légendaire, qu’il s'agisse de narrer des actions guerrières, les hauts faits d'un chef d'Etat, les vertus d'un prétendu saint ou les gestes d'un quelconque bipède que l'on trouve avantageux d'ériger en idole après sa mort. Par l'élément historique, parfois minime, parfois considérable, qu'elle comporte, la légende se distingue de la mythologie el de la fable dont Stephen Mac Say a donné une étude pénétrante. On sait combien néfastes les récits militaires qui déforment intentionnellement ce qui concerne la guerre, cette plaie hideuse du genre humain. Les généraux à la Foch, à la Joffre, à la Mangin, les gradés canailles qui cimentèrent leur gloire avec le sang du simple troupier, y deviennent des héros, des demi-dieux exempts des faiblesses ordinaires ; leurs fautes sont passées sous silence et leurs plus douteuses entreprises sont érigées en action d'éclat. Ce travail d'embellissement, poursuivi sous nos yeux par les écrivains patriotards, soucieux d'obtenir le ruban rouge ou un fauteuil à l'Académie, nous renseigne sur la sincérité des louanges décernées depuis des siècles à la vertu guerrière. Même remarque concernant les prétendus mérites des chefs d'Etat à la Napoléon ou à la Poincaré ; grâce à d'habiles subterfuges de style, ces criminels ambitieux passent pour des bienfaiteurs de leur époque. Mais c'est dans le domaine religieux que la légende revêt les proportions les plus fantastiques. Pour tromper les âmes simples, les prêtres ne reculent devant aucune exagération ; d'un malfaiteur public ils réussissent à faire un saint et dans les songes creux de malheureuses hystériques, ils trouvent moyen de découvrir le doigt de Dieu. Rien ne les arrête. Après avoir brûlé comme sorcière la pucelle d'Orléans, ils sont parvenus à faire admettre qu'elle était inspirée par le ciel. Parmi les saints du calendrier, soi-disant faiseurs de miracles, se trouvent des fous sanguinaires ; et pour édifier les dévots on fabrique miracles, grâces, faveurs célestes et l'on falsifie la vie du bienheureux devenu populaire. Saint François d'Assise s'est vu attribuer un pouvoir presque divin par des biographes dédaigneux de l'histoire et soucieux seulement de glorifier cette victime du mysticisme outré. Saint Martin de Tours devint célèbre grâce aux fables répandues à son sujet par les écrivains ecclésiastiques. On pourrait multiplier les exemples à l'infini, car dans les pays catholiques, chaque région, chaque bourgade possède sa relique de saint ou son lieu de pèlerinage. Au moyen âge surtout, alors que l'esprit critique n'existait plus, on se gargarisait des plus absurdes légendes ; les apparitions du diable ou de la Vierge étaient quotidiennes, les femmes se croyaient la proie des lutins, les moines conversaient avec des revenants ; entre la terre et l'au-delà les limites n'étaient pas nettes et les échanges étaient constants. Lorsque l'Eglise eut inventé le purgatoire et que le clergé vendit des messes à l'intention des défunts, les apparitions d'âmes qui réclamaient des prières devinrent nombreuses ; personne ne pourra dire quelle inestimable source de richesses, pour les moines, s'avéra cette innovation. Les Evangiles eux-mêmes sont d'ailleurs, pour le moins, des écrits légendaires. De nombreux exégètes ne voient plus en Jésus (voir ce mot), qu'un mythe, qu'une création subjective de l'esprit halluciné des premiers chrétiens. Même ceux qui admettent son existence réelle doivent convenir que les écrits sacrés du Nouveau Testament contiennent une multitude de fables ineptes et qu'il serait vain de vouloir identifier le Jésus de la légende avec le Jésus de l'histoire. Mais lues sur un ton doucereux, avec des allures dévotes, les mensongères légendes chrétiennes, qu'elles datent d'hier ou de plusieurs siècles, déforment les cerveaux enfantins et les obnubilent parfois pour le reste de leur existence. Travail d'autant plus facile que l'esprit qui s'ouvre, par atavisme sans doute, est naturellement avide de merveilleux, épris de fantastique. Les religions, qui répondent à l'enfance de l'humanité, sont adaptées à la faiblesse des jeunes cerveaux ; aussi l'Eglise veut-elle s’en emparer à tout prix avant que la réflexion devenue plus forte permette de contrôler ses affirmations. On connait le mot d'un prêtre, rapporté par L. Barbedette : « Donnezmoi l'enfant jusqu'à l'âge de sept ans, et il demeurera l'enfant de l'Eglise pour le reste de son existence ». C'est à l'aide de légendes et de mensonges que ce prêtre enfonçait dans l'âme de ses élèves, les idées et les tendances chères aux Serfs du Vatican, dont parle Bontemps. Et parmi les dévotes, qui passent leurs journées à marmotter des prières, beaucoup sont plus impressionnées par les récits d'apparitions ou les vies de saints que par l'explication théologique du credo. Nous ne nions pas que certaines légendes présentent un caractère poétique et littéraire marqué ; elles ne peuvent faire oublier les maux sans nombre causés par l'amas de récits frauduleux qui entretiennent la religion dans les cerveaux faibles et les imaginations ardentes. Quand les hommes auront déserté définitivement les temples, quand les prêtres ne trouveront plus à qui vendre leurs drogues empoisonnées, les légendes, rendues inoffensives, pourront, quelquefois, être lues avec intérêt. On le constate déjà lorsqu'il s'agit de religions disparues ou étrangères à nos contrées ; mais tant que l'idole est debout et que les adorateurs ne manquent pas, il convient d'attaquer sans ménagement les légendes dont elle se pare. Rendons cette justice à l'époque moderne que les démolisseurs de fausses gloires religieuses, guerrières et autres, sont plus nombreux qu'autrefois. « Diffuser l'esprit critique c'est contribuer au bonheur tant des collectivités que des individus ». Là git pour les hommes le grand moyen de libération.A côté des légendes intentionnellement fabriquées par les larbins de l'Eglise ou des classes possédantes, d'autres naissent spontanément de la naïveté populaire. Une déformation instinctive s'opère de toute action un peu lointaine dans le temps ou dans l'espace. Les vieillards voient leurs années d'enfance sous un aspect ensoleillé qu'elles n'eurent pas toujours et ceux qui reviennent de contrées perdues, dans un autre hémisphère, finissent aisément par imaginer qu'ils accomplirent là-bas des prouesses inégalées. On conçoit que l'exagération ne connaisse plus de limites lorsqu'il s'agit d'hommes morts depuis longtemps ou d'actions d'éclat qui s'accomplirent voici plusieurs siècles. Lorsqu'une nouvelle même véridique a passé par dix bouches, elle devient souvent méconnaissable ; comment un récit transmis de générations en générations, depuis un temps immémorial, pourrait-il contenir une forte dose d’exactitude! Les historiens savent combien il faut se méfier des traditions orales et des dires populaires ; impossible d'ordinaire d'en tirer quelque renseignement précis sur le héros ou l'action qu'ils prétendent l'appeler ; ils nous renseignent seulement sur la mentalité du milieu qui les vit éclore. Aussi ne peut-on faire état des légendes populaires lorsqu'il s'agit de vérité ; elles aussi sont menteuses, même lorsqu'elles paraissent touchantes et belles. - L. B.
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