samedi 15 mars 2025

Appendice : Je ne parle plus qu’à celui qui part Par M.A. 15/03/25

 



On peut supposer qu’il a prévu sa mort ( ses obsèques) comme il a détruit sa vie méticuleusement, plus exactement, comme il a bâti la disparition de sa véritable histoire.


Vouloir mourir « suffisamment » ou « assez » (comme il a toujours dit), à répéter comme pour s’en convaincre ou se rassurer, pour n’en laisser de traces que ce que sa volonté aura créé.


« Lui » aura disparu (avant) quand sa créature sera décédée (plus tard).


Est ce parce que je pense à sa mort que je relis « Défiguration » ou le contraire ?


Que lui reste-t-il à détruire qu’il n’aura pas donné aux archives ? Ou détruit lui-même ? Sinon, le travail sera confié à qui que ce soit de fiable ? Peut-il l’imposer à celle qui, pour survivre, tentera de tout garder en mémoire ?


Donc, devons nous être seul pour rester maître de tout, même de sa mort


ou l’autre, par amour, doit-il tout accepter, même les conditions de sa volonté de mourir « assez » pour qu’il n’en reste rien ou si peu qui ne devienne des anecdotes?


D’ailleurs, les « souvenirs » ne sont que des anecdotes, une accumulation de choses éparses, sans suite, sans cohérence et, de fait, ne constituant aucunement un « souvenir » (une histoire), ni celle de la personne défunte.


Il est étrange que ta volonté soit de laisser des « archives » car que sont les archives ? Les traces de ta vie, de ton existence ? De ton œuvre ? De ce que tu veux cacher pour que l’on continue à chercher qui tu es vraiment donc, te faire vivre au-delà de la mort «suffisante» que tu dis vouloir.


Un auteur est celui qui peut se permettre de choisir de laisser des traces, de les sélectionner, et de faire en sorte que le reste ne soit pas visible. Mais alors, tu ne meurs pas « assez », tu meurs « différemment ».

Ou alors tout détruire…


Kafka voulut le faire mais son ami a trahi sa volonté. Qu’en penser ? Mal, bien, s’agit-il d’en avoir une appréciation morale ? Nous lecteurs, nous sommes comblés par cette trahison.


Tu imposes alors une mort (ou une disparition) à l’autre qu’elle ne veut pas. Doit-elle te quitter pour que tu puisses continuer à te penser mort « suffisamment » et elle lui permette pour vivre ou « sur-vivre » ? Vivre au-delà de ce qu’elle s’impose comme impossible.


Ou alors :


« Ne pas trahir aurait demandé : être cet anonymat que l’horreur voulait. C’est-à-dire, être soi-même son nom perdu...être soi-même son nom insupportable. L’anonymat d’un livre serait : qu’il soit de telle sorte qu’il ne supporte aucun nom ».


On ne le fait jamais « suffisamment » mais médiocrement pour, inconsciemment, satisfaire une légère pointe d’orgueil qui peut demander l’oubli total sans flancher ou céder un tant soit peu à un reste d’orgueil ?


« Que nul ne fut jamais assez anonyme pour que sa mort suffit ».


Accordons à ceux qui restent le droit de faire de cette cérémonie mortuaire ce qu’ils en veulent, de leur permettre de croire que le « souvenir » du disparu ne disparaîtra qu’avec eux-mêmes.


Hélas, les « souvenirs » ne peuvent s’accumuler, ils se superposent, à la limite, ou se remplacent. Les uns poussant les autres dans l’oubli. Finalement, le disparu voulant disparaître n’a qu’à laisser faire le temps.


Et alors, ne mourrait « assez » que celui qui n’a aucune exigence sur les conditions de sa « disparition ».

L’abandonner à ceux qui restent pour qu’ils s’obligent à l’exigence du souvenir.


« Sans pouvoir rien oublier. Oubliant cependant. Il n’y a rien ni personne dont on puisse se souvenir assez pour n’être pas accusable de lui avoir survécu. Que j’ai survécu m’accuse (que j’ai survécu assez pour que me souvenir n’est plus la même force affreuse). Si intolérable qu’ait été ce qu’il a fallu tolérer, si difficile qu’il ait été de ne pas mourir quand même n’était plus difficile – vivre a plus de réalité.

« Se souvenir est impossible. N’atteint pas le pire. Trahit. Mieux vaudrait l’oubli. Un complet oubli. Mais oublier aussi est impossible. On n’oublie pas plus qu’on se souvient. Se souvenir est impossible. Oublier l’est aussi. Seule la mort ne trahit pas. »



Se souvenir comme une dette que l’on doit à celui avec qui on a vécu et qui vient de disparaître.

Mais cela a une autre signification, cela veut dire que le disparu mérite que l’on s’impose la souffrance dans le souvenir.

Seuls ceux qui ne méritaient le souvenir tombent dans l’oubli, ou alors se force-t-on à les oublier réellement.








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