dimanche 29 décembre 2024

0nze voies de fait: par Bernard Noël ( travail tiré de textes de Georges Bataille)

 Tableau 2.  Monologue.


L'ir-é-mé-di-able ! L'irrémédiable est très exactement le piège refermé, si bien refermé que rien ne saurait le rouvrir. Imaginez un homme enchainé et battu. Il ne peut parer aucun coup. Il doit subir, subir et subir. Pas d'issue. Pas la moindre marge. Aucun répit. Cet homme-là est encagé dans son propre corps. Encagé dans sa propre vie. Il sait que son existence est un emboîtement de prisons. Il a trop de peau. Trop d'organes. Trop de surfaces. Trop de points exposés. Trop d'individualité. Il n'en ressentait pas autrefois les limites parce qu'elles lui procuraient plus de jouissances que de restrictions. Il est à présent si à l'étroit qu'il étouffe. Non, il voudrait déchirer ce sac aussi oppressant que solide. Un seul moyen : mourir. La mort. Mais SA mort ne dépend pas de lui. Rien n'est de sa volonté. Rien. Ils ne veulent pas que je meure. Ils veulent me tuer lentement. Je le sais. Je sais qu'ils veulent que je le sache. Et que ce savoir soit une torture supplémentaire. Et qu'il m'enferme dans mon impuissance. Et que ma rage même menotte ma pensée. Pourquoi avons-nous besoin d'une situation excessive pour prendre conscience d'une affaire banale ? Prendre conscience que chacun est enfermé dans ce qu'il a d'ordinaire de plus précieux - enfermé dans ce qui le rend aimable, sa belle corporalité...ce corps d'habitude dangereusement mortel et, tout à coup, trop longuement vivant...trop irrémédiablement vivant.

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