Tableau 1 . Deux personnages, 1 et 2.
1 - Voir, c'est entrer dans le vrai...
2 - Mais alors, tout le monde est dans le vrai puisque tout le monde voit !
1 - Tenez-vous pour vrai tout ce que vous voyez ?
2 - Je sais que le regard n'est pas toujours égal tandis que le monde, lui, ne change pas.
1 - La vérité du monde est donc tantôt visible et tantôt invisible bien qu'en réalité elle ne change pas
2 - C'est l'évidence et c'est un mystère - mystère que chacun porte au sommet de son visage et qui se traduit par le fait qu'à l'instant où vous me fixez je ne sais pas ce que vous pensez.
1 - Le monde se moque de ce que nous pensons de lui, mais vous, auriez-vous peur que je ne vous considère pas selon votre vérité quand je vous regarde ?
2 - Oui, dans la mesure où ceux dont la présence nous devient habituelle cessent d'être vus.
1 - Est-il concevable que l'on s'habitue au point d'oublier la vérité de la présence ?
2 - J'imagine que la vérité de notre entourage devient pour ainsi dire ambiante tant il nous devient habituel de vivre en elle.
1 - Tout comme nous vivons dans le sommeil, n'est-ce pas?
2 - Ne respire-t-on pas sans y penser dans la veille aussi bien que dans le sommeil ?
1 - Vous avez raison tout comme vous aviez raison de dire que notre regard n'est pas égal : il arrive que l'on s'éveille dans l'éveil.
2 - Et maintenant, par voie de conséquence, vous allez me dire que cette double vue est indispensable pour apercevoir le vrai. Je déteste cette nécessité d'un regard supérieur parce qu'elle crée forcément un privilège. Je déteste que la vérité dépende d'une supériorité.
1 - Libre à vous, bien sûr, de plaider pour la banalité, et libre à moi de ressentir votre choix comme une violence.
2 - Je ne vous l'impose pas !
1 - Non, pas encore, mais en prenant le parti de la banalité, vous prenez le parti de l'aveuglement.
2 - La banalité est modeste et non pas aveugle.
1 - Elle sert à aveugler tous ceux qu'on y cantonne.
2 - C'est encore votre regard supérieur...
1 - On vous incite aujourd'hui à consommer la banalité avec plaisir, ce qui vous évite de la considérer d'un oeil critique.
2 - La critique finit toujours par déboucher sur la violence parce qu'elle exige qu'on tienne compte de son avis. La banalité se contente de nous satisfaire. Elle est en somme le territoire du présent. Connaissez-vous un autre lieu de vérité que le présent ?
1 - Je sais que ce lieu est instable, qu'il n'est pas séparé d'un avant qui l'influence et d'un après qui le menace.
2 - N'est-ce pas une raison suffisante pour désirer l'affermir et en protéger la nature ? Si le présent cesse d'être banal, il devient accidentel et donc dangereux.
1 - Bizarre écologie que la vôtre ! Le présent ne sera jamais un lieu ferme. Il est toujours déjà passé. Il a besoin d'un projet : c'est le seul moyen de faire souffler la chance à travers lui.
2 - La chance après la vérité, vous aimez décidément les qualités invisibles. Je crains qu'elles ne soient meurtrières à la longue.
1 - Vous êtes du côté du meurtre mental, et bien entendu, vous ne le savez même pas...Mais vous ne savez pas davantage ce qu'est la chance, elle qui a besoin de notre futur cadavre pour remonter de l'avenir vers le présent afin de nous faire danser sur notre abîme...
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