vendredi 2 août 2024

Considérations inactuelles II - études historiques Par Friedrich Nietzsche

 10.

En cet endroit, songeant à la jeunesse, je m’écrie : Terre ! Terre ! C’en est assez et plus qu’assez des recherches passionnées, des voyages à l’aventure, sur les mers sombres et étrangères ! Enfin la côte apparaît. Quelle que soit cette côte, c’est là qu’il faut atterrir, et le plus mauvais port de fortune vaut mieux que le retour dans l’infini sceptique et sans espoir. Tenons-nous-en toujours à la terre ferme ; plus tard nous trouverons déjà les ports hospitaliers et, à ceux qui viendront, nous faciliterons l’abordage. 

 Ce voyage a été dangereux et irritant. Combien nous sommes maintenant loin de la tranquille contemplation que nous mettions au début à regarder nos navires voguer vers le large ! Suivant à la piste les dangers de l’Histoire, nous avons été sans cesse exposés à en recevoir les coups. Nous-mêmes, nous portons les traces des souffrances qui ont accablé les hommes des temps modernes, par suite de l’excès des études historiques, et ce traité ci, avec sa critique immodérée, la verdeur de son humanité, ses sauts fréquents de l’ironie au cynisme, de la fierté au scepticisme, montre bien, je ne voudrais pas le cacher, qu’il porte l’empreinte moderne, le caractère de la personnalité faible. Et pourtant, j’ai confiance en la puissance inspiratrice qui, à défaut d’un génie, conduit ma barque, j’ai confiance en la jeunesse et je crois qu’elle m’a bien guidé en me poussant maintenant à écrire une protestation contre l’éducation historique que les hommes modernes donnent à la jeunesse. En protestant, j’exige que l’homme apprenne avant tout à vivre et qu’il n’utilise l’histoire qu’au service de la vie apprise. Il faut être jeune pour comprendre cette protestation, et, avec la tendance à grisonner trop tôt, qui est le propre de notre jeunesse actuelle, on saurait à peine être assez jeune pour sentir contre quoi ici l’on proteste en somme. 

 Pour mieux me faire comprendre, je veux me servir d’un exemple. En Allemagne, il y a à peine plus d’un siècle s’éveilla, chez quelques jeunes gens, l’instinct naturel de ce que l’on appelle la poésie. S’imagine-t-on peut-être que la génération qui précéda celle-ci ne parla pas du tout, en son temps, d’un art dont la compréhension lui manquait et qui lui était étranger ? On sait que ce fut tout le contraire. On réfléchissait, discutait et écrivait alors tant que l’on pouvait au sujet « de la poésie », mais ce n’étaient là que des mots, des mots, des mots, gaspillés pour parler de mots. Ce réveil d’un mot à la vie n’entraîna pas, de prime abord, la fin de ces faiseurs de mots ; en un certain sens ils vivent aujourd’hui encore. Car si, comme le dit Gibbon, il ne faut que du temps, mais beaucoup de temps, pour faire périr un mot, il ne faut également que du temps, mais beaucoup plus de temps encore, pour faire périr, en Allemagne, le « pays du peu à peu », une fausse conception. Quoi qu’il en soit, il y a peut-être actuellement cent hommes de plus qu’il y a cent ans qui savent ce que c’est que la poésie ; peut-être que dans cent ans il y en aura encore cent de plus qui, d’ici là, auront appris ce que c’est que la culture et qui sauront que jusqu’à présent les Allemands n’ont pas eu de culture, quoi qu’ils en disent et quelle que soit la fierté dont ils fassent parade. À ceux-là la satisfaction générale que cause aux Allemands leur Bildung paraîtra tout aussi incroyable et niaise qu’à nous la « classicité » autrefois reconnue à Gottsched [26] ou l’estime dont jouissait Ramler [27] que l’on qualifiait du titre de « Pindare allemand ». Ils jugeront peut-être que cette culture n’a été qu’une façon de science de la culture, et de plus une science très fausse superficielle, et très parce superficielle. que l’on supportait Fausse et la contradiction entre la science et la vie, parce que l’on ne s’apercevait même pas de ce qu’il y avait de caractéristique dans la civilisation des peuples qui possèdent véritablement une culture. La culture ne peut naître, croître et s’épanouir que dans la vie, tandis que, chez les Allemands, on l’épingle comme une fleur de papier, on s’en couvre, comme d’une couche de sucre, ce qui fait qu’elle reste toujours mensongère et inféconde. 

 Mais l’éducation de la jeunesse en Allemagne part précisément de cette conception fausse et inféconde de la culture. Son but, si on l’imagine pur et élevé, n’est pas du tout l’homme cultivé et libre, mais le savant, l’homme scientifique, plus exactement l’homme scientifique qui se rend utile aussitôt que possible, qui reste en dehors de la vie, pour connaître très exactement la vie ; son résultat, si l’on se place au point de vue vulgaire et empirique, c’est le philistin cultivé, le philistin esthético-historique ; c’est le grand bavard vieux jeune et jeune vieux qui vaticine au sujet de l’État, de l’Église, de l’Art ; c’est un sensorium de mille impressions de seconde main ; c’est un estomac repu qui ne sait pas encore ce que c’est que d’avoir véritablement faim, véritablement soif. Qu’une pareille éducation, avec de semblables buts et de semblables résultats, est contre nature, celui-là seul peut le sentir qui n’est pas encore arrivé à la fin, qui possède encore l’instinct de la nature, mais que cette éducation brisera artificiellement et brutalement. Celui, cependant, qui, à son tour, voudra briser cette éducation, devra être le porte parole de la jeunesse, éclairer la répugnance inconsciente de celle-ci avec la lumière de ses conceptions et l’amener à une conscience qui parle haut et clair. Mais comment atteindre un but aussi étrange ? 

 Avant tout en détruisant une superstition, la croyance à la nécessité de cette éducation. Ne croirait on pas qu’il n’y a pas d’autre possibilité que notre fâcheuse réalité d’aujourd’hui ? Que l’on prenne donc la peine d’examiner les ouvrages pédagogiques employés dans l’enseignement supérieur durant les dix dernières années. On s’apercevra, avec étonnement et déplaisir, combien, malgré toutes les variations dans les programmes, malgré la violence des contradictions, les intentions générales de l’éducation sont uniformes, combien l'« homme cultivé », tel qu’on l’entend aujourd’hui, est considéré, sans hésitation, comme le fondement nécessaire et raisonnable de toute éducation future. Voici, à peu près, les termes de ce canon uniforme : le jeune homme commencera son éducation en apprenant ce que c’est que la culture, il n’apprendra pas ce que c’est que la vie, à plus forte raison, il ignorera l’expérience de la vie. Cette science de la culture sera infusée au jeune homme sous forme de science historique, c’est-à-dire que son cerveau sera rempli d’une quantité énorme de notions tirées de la connaissance très indirecte des époques passées et des peuples évanouis et non pas de l’expérience directe de la vie. Le désir du jeune homme d’apprendre quelque chose par lui-même et de faire grandir en lui un système vivant et complet d’expériences personnelles, un tel désir est assourdi et, en quelque sorte, grisé par la vision d’un mirage opulent, comme s’il était possible de résumer en soi, en peu d’années, les connaissances les plus sublimes et les plus merveilleuses de tous les temps et en particulier des plus grandes époques. C’est la même méthode extravagante qui conduit nos jeunes artistes dans les cabinets d’estampes et les galeries de tableaux, au lieu de les entraîner dans les ateliers des maîtres et avant tout dans le seul atelier du seul maître, la nature. Comme si, en promeneur hâtif dans les jardins de l’histoire, on pouvait apprendre des choses du passé, leurs procédés et leurs artifices, leur véritable revenu vital. Comme si la vie elle-même n’était pas un métier qu’il faut apprendre à fond, qu’il faut réapprendre sans cesse, qu’il faut exercer sans ménagement, si l’on ne veut pas qu’elle donne naissance à des mazettes et à des bavards ! 

 Platon tenait pour nécessaire que la première génération de sa nouvelle société (dans l’État parfait) fût élevée à l’aide d’un vigoureux mensonge pieux ; les enfants devaient apprendre à croire qu’ils avaient tous déjà vécu en rêve sous terre, pendant un certain temps, et qu’ils y avaient été pétris et formés par le maître de la nature. Impossible de s’insurger contre ce passé, impossible de l’opposer à l’œuvre des dieux. Une loi inviolable de la nature affirme que celui qui est né philosophe a de l’or dans son corps, s’il est né garde ce sera de l’argent, s’il est né ouvrier, du fer et de l’airain. De même qu’il n’est pas possible de mêler ces métaux, explique Platon, de même il serait à jamais impossible de renverser l’ordre des castes. La foi en la vérité éternelle de cet ordre est le fondement de la nouvelle éducation et par là du nouvel État. — De même, l’Allemand moderne croit en la vérité éternelle de son éducation et de sa façon de culture. Et pourtant cette croyance tombe en ruine, comme l’État platonicien serait tombé en ruine, quand on oppose au pieux mensonge une pieuse vérité, à savoir que l’Allemand n’a pas de culture parce que, en vertu de son éducation, il ne peut pas en avoir. Il veut la fleur sans la racine ni la tige ; c’est donc en vain qu’il la veut. C’est là la vérité pure, une vérité désagréable et brutale, une vraie vérité pieuse. 

 Mais, dans cette vérité pieuse, notre première génération doit être élevée [28]. Elle lui fera certainement endurer de grandes souffrances, car, par cette vérité, cette génération doit s’élever elle même, s’élever elle-même contre elle-même, vers une nouvelle habitude et une nouvelle nature, en sortant d’une première nature et d’une vieille habitude. En sorte qu’elle pourrait se répéter le proverbe espagnol : Defienda me Dios de mi : que Dieu me garde de moi-même, c’est-à-dire de ma nature inculquée. Il faut qu’elle absorbe cette vérité, goutte à  chaque individu de cette génération devra se surmonter pour porter sur lui-même un jugement qu’il supporterait plus aisément, s’il touchait d’une façon générale une époque toute entière : nous sommes sans éducation ; plus encore : nous sommes devenus inaptes à vivre, à voir et à entendre d’une façon simple et juste, à saisir avec bonheur ce qu’il y a de plus naturel, et jusqu’à présent nous ne possédons pas même la base d’une culture, parce que nous ne sommes pas persuadés qu’au fond de nous mêmes nous possédons une vie véritable. Émietté et éparpillé çà et là ; décomposé, en somme, presque mécaniquement, en une partie intérieure et une partie extérieure ; parsemé de concepts comme de dents de dragons, engendrant des dragons concepts ; souffrant de plus de la maladie des mots ; défiant de toute sensation personnelle qui n’a pas encore reçu l’estampille des mots ; fabrique inanimée, et pourtant étrangement active, de mots et de concepts, tel que je suis j’ai peut-être encore le droit de dire de moi : je pense, donc je suis, mais non point : je vis, donc je pense. L’« être » vide m’est garanti, non point la « vie » pleine et verdoyante. Ma sensation primitive me démontre seulement que je suis un être pensant, mais non point que je suis un être vivant, que je ne suis pas un animal, mais tout au plus un cogital. Donnez moi d’abord de la vie et je saurai vous en faire une culture ! — C’est le cri que poussera chaque individu de cette première génération. Et tous les individus se reconnaîtront les uns les autres à ce cri. Qui donc voudra leur donner cette vie ? 

 Ce ne sera ni un dieu ni un homme : mais seulement leur propre jeunesse. Déchaînez là et, par elle, vous aurez délivré la vie. Car la vie était seulement cachée et emprisonnée, elle n’est pas encore desséchée et flétrie — demandez le donc à vous-mêmes ! 

 Mais elle est malade, cette vie déchaînée, et il faut la guérir. Elle est minée par bien des maux et ce n’est pas seulement le souvenir de ses chaînes qui la fait souffrir. Elle souffre, et c’est là surtout ce qui nous regarde ici, elle souffre de la maladie historique. L’excès des études historiques a affaibli la force plastique de la vie, en sorte que celle-ci ne sait plus se servir du passé comme d’une nourriture substantielle. Le mal est terrible, et, pourtant, si la jeunesse ne possédait pas le don clairvoyant de la nature, personne ne saurait que c’est un mal et qu’un paradis de santé a été perdu. Mais cette même jeunesse devine aussi, avec l’instinct curatif de la même nature, comment ce paradis peut être reconquis. Elle connaît les baumes et les médicaments contre la maladie historique, contre l’excès des études historiques. Comment s’appellent donc ces baumes et ces médicaments ? 

 Eh bien ! Que l’on ne s’étonne pas s’ils ont des noms de poisons. Les contrepoisons pour ce qui est historique c’est le non-historique et le supra historique. Avec ces mots nous revenons aux débuts de notre considération et à son point d’appui. 

 Par le mot « non-historique », je désigne l’art et la force de pouvoir oublier et de s’enfermer dans un horizon limité. J’appelle « supra-historiques » les puissances qui détournent le regard du devenir, vers ce qui donne à l’existence le caractère de l’éternel et de l’identique, vers l’art et la religion. La science — car c’est elle qui parlerait de poisons — la science voit dans cette force, dans ces puissances, des puissances et des forces adverses, car elle considère seulement comme vrai et juste l’examen des choses, c’est-à-dire l’examen scientifique, qui voit partout un devenir, une évolution historique et non point un être, une éternité. Elle vit en contradiction intime avec les puissances éternisantes de l’art et de la religion, autant qu’elle déteste l’oubli, la mort du savoir, cherchant à supprimer les bornes de l’horizon, pour jeter l’homme dans la mer infinie et illimitée, la mer aux vagues lumineuses, du devenir reconnu. 

Si du moins il pouvait y vivre ! De même qu’un tremblement de terre dévaste et désole les villes, de sorte que c’est avec angoisse que les hommes édifient leur demeure sur le sol volcanique, de même la vie elle-même s’effondre, s’affaiblit et perd courage, quand le tremblement de concepts que produit la science enlève à l’homme la base de toute sa sécurité, de tout son calme, sa foi en tout ce qui est durable et éternel. Or, la vie doit-elle dominer la connaissance et la science, ou bien la connaissance doit-elle dominer la vie ? Laquelle des deux puissances est la puissance supérieure et déterminante ? Personne n’aura de doutes, la vie est la puissance supérieure et dominatrice, car la connaissance, en détruisant la vie, se serait en même temps détruite elle-même. La connaissance présuppose la vie, elle a donc, à la conservation de la vie, le même intérêt que tout être à sa propre continuation. Dès lors la connaissance a besoin d’une instance et d’une surveillance supérieures ; une thérapeutique de la vie devrait se placer immédiatement à côté de la science, et l’une des règles de cette thérapeutique devrait enseigner précisément : l’antihistorique et le supra-historiques sont les antidotes naturels contre l’envahissement de la vie par l’histoire, contre la maladie historique. Il est possible que nous qui sommes malades de l’histoire nous ayons aussi à souffrir des antidotes. Mais ce n’est pas là une preuve contre la justesse du traitement choisi. 

 Et ici je reconnais la mission de cette jeunesse, de cette première génération de lutteurs et de tueurs de serpents qui souhaite une culture et une humanité plus heureuses et plus belles, sans posséder plus qu’un pressentiment de ce bonheur futur, de cette beauté de l’avenir. Cette jeunesse souffrira à la fois du mal et de l’antidote. Et pourtant, elle croit pouvoir se vanter de posséder une santé plus vigoureuse et, en général, une nature plus naturelle, que la génération qui la précède, celle des « hommes » et des « vieillards » cultivés d’à présent. Mais sa mission, c’est d’ébranler les notions de « santé » et de « culture » que possède ce présent et d’engendrer la moquerie et la haine contre ce monstre de concept hybride. Le signe distinctif et annonciateur de sa propre santé vigoureuse, devra être précisément que cette jeunesse ne pourra se servir, pour déterminer sa nature, d’aucune conception, d’aucun terme de coterie en usage dans le langage courant d’aujourd’hui, mais qu’elle se contentera d’être persuadée de sa puissance active et combative, de sa puissance d’élimination de la vie, à toute heure plus intense. On peut contester que cette jeunesse possède déjà de la culture — mais pour quelle jeunesse ce serait-il là un reproche ? On peut lui reprocher de la rudesse et de l’intempérance, mais elle n’est pas encore assez vieille et sage pour se modérer. Avant tout, elle n’a pas besoin de feindre et de défendre une culture achevée et elle jouit de toutes les consolations et de tous les privilèges de la jeunesse, avant tout du privilège de la loyauté brave et téméraire et de la consolation enthousiasmée de l’espérance. 

 Ces jeunes gens qui espèrent, je sais qu’ils comprennent de près toutes ces généralités et que leurs propres expériences leur permettront de les traduire en une doctrine personnelle. Que les autres se contentent, en attendant, de n’apercevoir que des vases fermés qu’ils pourraient bien croire vides, jusqu’à ce qu’ils voient de leurs propres yeux surpris que ces vases sont pleins et que des haines, des revendications, des instincts vitaux, des passions étaient enclos et resserrés dans ces généralités et que ces sentiments ne pouvaient pas rester longtemps cachés. Renvoyant ces incrédules au temps qui fait tout venir au jour, je m’adresse pour conclure à cette société de ceux qui espèrent, pour leur raconter, en une parabole, la marche de leur guérison, leur délivrance de la maladie historique, et par là leur propre histoire jusqu’au moment où ils seront de nouveau assez bien portants pour pouvoir recommencer à faire de l’histoire, pour se servir du passé à ce triple point de vue, au point de vue monumental, antiquaire ou critique. Parvenus à ce moment, ils seront plus ignorants que les gens « cultivés » du présent, car ils auront beaucoup désappris et auront même perdu toute envie de jeter encore un regard vers ce que ces gens cultivés veulent savoir avant tout. Ce qui les distingue c’est précisément, si l’on se place au point de vue de ces gens cultivés, leur indocilité, leur indifférence, leur réserve à l’égard de bien des choses célèbres et même de certaines bonnes choses. Mais, arrivés à ce point final de leur guérison, ils seront redevenus des hommes et ils auront cessé d’être des agrégats qui ressemblent seulement à des hommes. Et c’est déjà quelque chose ! Voici encore des espoirs ! Votre cœur ne déborde-t-il pas de joie, vous qui espérez ? 

 Et comment arrivons nous à ce but ? Me demanderez vous. Le dieu delphique vous jette, dès le début de votre voyage vers ce but, sa sentence : « Connais toi toi-même ! » C’est une douce sentence, car ce dieu « ne cache point et ne proclame point, mais ne fait qu’indiquer », comme a dit Héraclite. Où donc vous conduit il ? 

 Il y a eu des siècles où les Grecs se trouvaient exposés à un danger analogue au nôtre, au danger d’être envahis par ce qui appartient à l’étranger et au passé, au danger de périr par l'« histoire ». Jamais ils n’ont vécu dans une fière exclusivité. Leur culture fut, tout au contraire, longtemps un chaos de formes et de conceptions exotiques, sémitiques, babyloniennes, lydiennes et égyptiennes, et leur religion une véritable guerre des dieux de tout l’Orient, de même qu’aujourd’hui la « culture allemande » et sa religion sont un chaos agité, dans une lutte perpétuelle, de tout l’étranger, de tout le passé. Or, malgré cela, la culture hellénique ne devint pas un agrégat, grâce à leur sentence apollinienne. Les Grecs apprirent peu à peu à organiser le Chaos, en se souvenant, conformément à la doctrine delphique, d’eux-mêmes, c’est-à-dire de leurs besoins véritables, en laissant dépérir les besoins apparents. C’est ainsi qu’ils rentrèrent en possession d’eux-mêmes. Ils ne restèrent pas longtemps les héritiers surchargés et les épigones de tout l’Orient ; ils devinrent, après une lutte difficile contre eux-mêmes, par l’interprétation pratique de cette sentence, les heureux héritiers de ce trésor, sachant l’augmenter et le faire fructifier, précurseurs et modèles de tous les peuples civilisés à venir. 

 Ceci est une parabole pour chacun de nous. Il faut qu’il organise le chaos qui est en lui, en faisant un retour sur lui-même pour se rappeler ses véritables besoins. Sa loyauté, son caractère sérieux et véridique s’opposeront à ce que l’on se contente de répéter, de réapprendre et d’imiter. Il apprendra alors à comprendre que la culture peut être autre chose encore que la décoration de la vie, ce qui ne serait encore, au fond, que de la simulation et de l’hypocrisie. Car toute parure cache ce qui est paré. 

 Ainsi se révélera à ses yeux la conception grecque de la culture — en opposition à la culture romaine — la conception de la culture, comme d’une nouvelle nature, d’une nature améliorée, sans intérieur et extérieur, sans simulation et sans convention, de la culture comme d’une harmonie entre la vie et la pensée, l’apparence et la volonté. C’est ainsi qu’il apprendra, par sa propre expérience, que ce fut la force supérieure de la nature morale qui permit aux Grecs de vaincre toutes les autres cultures, et qu’il apprendra que toute augmentation de la véracité doit servir aussi à préparer et à activer la vraie civilisation, lors même que cette véracité pourrait nuire sérieusement à la discipline qui, dans le moment, jouit de l’estime générale, lors même qu’elle aiderait à renverser une culture purement décorative.

Capitalisme & Djihadisme : une guerre de religion par Michel Surya Partie 4

 &   C'est encore un point en commun qu'ont ces deux puritarismes, qu'il ne s'agit pas ici de renvoyer dos à dos mais de mettre face à face (appuyant l'hypothèse de leur spécularité : ce qui les oppose saute aux yeux, quand ce qui les fait se ressembler, est en partie inconscient). L'un s'entend à priver de toute jouissance ( les femmes, les homosexuels - les transsexuels bientôt). Tous les deux, chacun à sa façon, pour démontrer l'essentielle inanité qu'il y a à jouir. Chacun a raison; le premier suivant le modèle de la passion ascétique; le second suivant le modèle de la passion narcissique. Ce n'en sont pas moins deux religions. Qui ont comme telles partie liée à la mort. Qui sont comme telles deux nihilismes.

&  Il n'empêche que ce qui, au fond, leur est si essentiellement semblable, n'apparait à priori que comme ce qui serait irréconciliablement dissemblable. Entretenant l'illusion d'une adversité et d'un affrontement définitifs. Alors que ce sont deux mêmes mondes inconscients, à fronts renversés.

&  Comment croire en ce ca à l'alternative sans reste de la passion narcissique et de la passion ascétique? De la passion narcissique universaliste ( capitaliste) et de la passion ascétique identitaire (djihadiste, mais pas seulement - religieuse dans tous les cas)? Le croire est impossible : d'ailleurs, une tentation ascétique croissante (hygiéniste, par exemple) travaille même le capitalisme. Et une tentation narcissique travaille pareillement la jeunesse cultivée des pays à dominante islamique. Si bien qu'on pourrait avoir affaire, à terme, d'un côté à un puritanisme majoritairement narcissique, tolérant une minorité ascétique et, de l'autre, à un puritanisme majoritairement ascétique, entretenant des minorités narcissiques. La guerre, apparemment inévitable, ne se résorbera que dans cet équilibre aléatoire.

&  La passion ascétique identitaire (djihadiste dans ce cas, religieuse dans tous les cas) constitue apparemment une réaction à la passion narcissique universaliste (capitaliste) qu'elle conteste. Cependant, en tant qu'elle ne constitue qu'une réaction , elle conforte malgré elle la passion narcissique universaliste propre au capitalisme - la seule encore assez puissante pour d'avoir raison d'elle, qu'elle dévorera le moment venu où elle ne lui sera plus nécessaire.

&  On le déduirait à tort : la passion narcissique serait par le fait "progressiste", quand le puritanisme qui l'anime et la nourrit est réactif ou régressif aussi, comme l'est celui qui anime et nourrit la passion ascétique.

&  La passion narcissique n'est pas en soi moderne ni la passion ascétique archaïque, mais chacune l'un et l'autre. L'archaïsme de la passion narcissique n'apparait pas d'emblée, qu'on trient tout entière pour moderne. celui de la passion ascétique saute aux yeux, qu'on réduit à cela. Le même tort qu'eurent les années trente face au national-socialisme, lequel était loin de n'être qu'irrationnel ou barbare , comme le voulait ( comme on le dit aussi aujourd'hui du djihadisme). National-socialisme que Hans Meyer caractérise de deux mots - qu'il y réduit : la "hache" ( pour la décapitation, et la mise à mort archaïque) et la "chambre à gaz" (pour la mise à mort moderne); [...] ce n'était pas seulement un retour à la barbarie. Il ya avait aussi tout autre chose. D'un côté, l'exécution à la hache, de l'autre le perfectionnement de la chambre à gaz, à l'aide de la technologie moderne allemande."

Principes pour une littérature qui empeste par Michel Surya

 Rat, le mot "rat, dans le mot : "littérature.

Rat très présent chez Bataille. Toujours chez Guyotat. Dans les littératures de Bataille et de Guyotat.

(Qu'on entende un peu de littérature, tant de choses qui se font passer pour, surtout en ce moment, en toute inconvenance, qui n'en sont aucunement; que beaucoup sont d'autant plus contents de tenir pour telle, qui ne veulent rien avoir affaire avec vraiment, avec vraiment la littérature, qui effraie...Entre autres irritations intolérables de ce moment).

Bataille, donc, extrait d'"histoire de rats", dans "L'impossible":

...si maintenant je pense - en ce moment le plus lointain d'une défaillance, d'un dégoût physique et moral - à la queue rose d'un rat dans la neige, il me semble entrer dans l'intimité  de "ce qui est", un léger malaisée me crispe le cœur. Et certainement je sais de l'intimité de M., qui est morte, qu'elle était comme la queue d'un rat, "belle comme la queue d'un rat! Je le savais déjà que l'intimité des choses est la mort.

Du putain, vivant entre enchère et charogne, comme du rat, vivant-mourant de la faim du putain, si proches l'un de l'autre sans pourtant pouvoir faire qu'ils soient absolument les mêmes, Guyotat fait et dit qu'il est un "absolu" (on restera longtemps à tenter d'imaginer dans le temps insipide qui est déjà là et vient plus encore qu'un écrivain ait jamais dit que le putain n'est pas moins que Dieu, la beauté, l'amour, l'argent...un absolu). Explicitement : "quelque chose d'insituable entre Dieu, l'Histoire, et ce qu'on connait de l'humanité; et tout simplement [tout simplement, ni plus ni moins, dit la même phrase qui dit "pourquoi il l'aime"], parce que c'est un absolu [...] Absolu qu'il aime jusqu'à l'état nourrisson qui est le sien : "Le bébé-putain, c'est immédiatement de la charogne qu'il mange, enfin de la bouillie, de la bouillie de charogne de rat."

La littérature n'est grande qu'à la condition de (se) représenter une femme aimée belle et morte comme la queue d'un rat (Bataille); et le putain à l'état bébé chérissant la bouillie de charogne de rat dont on le nourrit (Guyotat). Toute autre littérature est de toujours déjà vendue au divertissement.

jeudi 1 août 2024

Capitalisme & Djihadisme : une guerre de religion Par Michel Surya Partie 3

 &  Dieu d'un côté, de l'autre l'argent : dans un cas comme dans l'autre le salut. Le capitalisme est en reste cependant, et qui le sait; qui sait qu'il n'a jamais à promettre que d'épisodiques et petits saluts, quand le djihadisme n'en promet qu'un, mais entier et éternel. Le bénéfice du capitalisme, en revanche : il sait faire valoir ses saluts immédiats, fussent=ils épisodiques et petits; le préjudice du djihadisme : il peine à faire valoir le sien, qui n'est pas moins lointain qu'éternel = delà, la précipitation dans l'exaucement par le martyre.

&  La passion ascétique est manifeste, qui se donne comme telle. la passion narcissique moins. Il s'y mêle tant de servitude connue qu'on hésite...A moins = et c'est le plus difficile = qu'il faille préciser que la passion narcissique à laquelle la passion ascétique s'opposerait terme à terme en trant que poassion de la délivrance.

&  Exemples inattendus de l'alternative ou de l'inversion de ces deux politiques 'alternative et inversion qui attestent de la réciprocité des passions en jeu) : la surenchère puritaine des cas de conversion. Lesquels témoignent sans conteste pour une réaffectation strictement religieuse du puritanism occidental, c'est=à=dire pour son surencherissement symbolique : entre deux servitudes, chisir celle qui affranchirait au moins de l'épuisement nauséeux de la satiété.

&  Parce que la satiété est insupportable. 'Jouis' est un commandement sans doute, jusqu'à un certain point cependant. Il n'y a personne qui ne veuille jouir, autant du moins que la capitalisme le promet, qui ne sache aussi : 

   1. que jouir autant que promis est impossible

   2.que la possibilité d'une telle jouissance, si elle était possible, serait insupportable.

   3. que le narcissisme lui=même s'y épuiserait épuisant par le fait le capital lui=même.


&  De ces dichotomies de principe, qui complètent les représentations autant qu'elle les opposent, celles=ci se déduisent :

= La guerre sainte est ensorcelante quand le capitalisme n'est qu'hypnotique.

=Jouir ne s'échange que contre la transe, quand tuer/mourir s'échange contre une délivrance (transe artificielle contre délivrance réelle).

=Dieu se mesure à l'amour (par principe immodéré) quand l'argent n'atteint tout au plus qu'au plaisir (par définition compté).

=Les emblèmes emphatiques de la vie qu'arbore l'une, contre l'autre ceux de la mort, qui ne sont pas cependant, à terme, en nature  sinon en dégré, l'une moins que l'autre mortifère.

=L'exubérance de la mort partout répandue, de l'une, cruelle à l'excès, contre la parcimonie pour finir de la jouissance, abrutissante de l'autre...(à ceci près qu'on ne suffit pas davantage à satisfaire l'irrassasiable appétit de consumation que de consommation).

=L'extase de l'instant, ici, contre la latence de la répétition, là , létales dans un cas comme dans 'autre ( à ceci près cette fois que la mort est sans commune mesure plus extasiante que la jouissance).

=Etc.

mercredi 31 juillet 2024

Principes pour une littérature qui empeste Par Michel Surya

 Marcel Moreau est l'un de ceux que le virus a tués (à la vérité, que le virus a fini de tuer, qui mourait déjà). Moreau, justement, qui a pris toute sa part de la saleté propre à l'écriture, qui a fait de ses "oeuvres" les "raclures de l'âme" dont Artaud disait être faites les siennes, qui l'a dit alors qu'elles n'existaient encore qu'à peine. Signe des temps : à peu près personne pour savoir qui Moreau aura été. Moins encore à l'avoir lu. S'il avait écrit moins, il est vrai, et avec moins de mots; s'il s'était montré plus affable, et sous un meilleur jour ( moins mauvais, hirsute, possédé), sous le jour de ceux qui semblent n'avoir écrit leurs livres - pas des "raclures", surtout pas de "l'âme" - que pour pouvoir parler partout d'un peu tout, surtout d'eux, ce qu'on voit tous faire, qui pensent pourtant en remontrer à l'ordre, qui le prétendent même, qui ajoutent juste au divertissement qui domine.

Génie des titres à Moreau, lesquels suffisent à faire penser à Artaud (pour quoi je pense à lui) : Quintes, Bannière de bave, La Terre infestée d'hommes, les arts viscéraux, discours contre les entraves, ados de dieu, corpus scripti etc.

Quintes, Bannière de bave, la terre infestée d'hommes ont paru, le premier en 1963, les deux autres en 1966. Un an avant, pour ces deux derniers, que parût Tombeau pour 500000 mille soldats de Pierre Guyotat.

Marcel Moreau est mort le 4 avril 2020, à l'âge de 86 ans, quand Pierre Guyotat est mort le 7 février 2020, à l'âge de 80. Aucun rapport? A l'évidence ( pas la même portée d'oeuvres, pas les mêmes conséquences d'art). Le plus grand cependant du point de vue de ce que "l'écriture" engagea pour quelqu'uns de cette génération, ou tenta d'engager, engagement auquel si peu se tiennent encore

Principes pour une littérature qui empeste Par Michel Surya

 Pourquoi je tourne sur les textes de Michel Surya?


Parce qu'il y a dans ces textes là la puissance de la réflexion sur la littérature et de la pensée. Penser en tout temps et sur tout. Sur tout ce qui ne se pense plus assez ou plus du tout. 

Ce qui nous amène vers ce qui vient..."Ce qui vient" numéro 72 ( ultime) du magazine Lignes. Ce qui vient et qui vient car personne n'a la volonté d'y mettre un terme. 

Nous n'avons plus la puissance et nous n'avons plus le réseau.

Les réseaux sont squattés par les pense petits, les égocentriques, les cloportes.

Malheureusement, malheureusement, ils sont nuisibles par leurs attitudes et leurs discours.

Alors la pensée, la littérature, le discours sont ce qui nous aident à respirer.

A respirer...A pleins poumons...

De là où nous sommes, nous regardons les pantins s'agiter sous les fils qui les dirigent, eux qui se croient libres, engoncés dans les dogmes ou les définitions faciles. .

Faciles comme des slogans, faciles à comprendre et à répéter jusqu'à plus soif.


Maintenant, lisons, respirons, aspirons, et pensons, apprenons, réfléchissons...et sourions...


"L'art jeune d'Artaud, en réalité, est moral, qui emprunte au moralisme surréaliste, que le moralisme surréaliste rassure, dans la proximité duquel il se tient encore, un temps. Moral est en effet, l'est à sa façon, une façon qui n'est pas que surréaliste , un art qui considère que "toute l'écriture est de la cochonnerie", et que tous ceux qui s'y adonnent "sont des cochons" (Le Pèse-nefs, 1925). Moral, parce qu'Artaud ne dit pas le disant, ou pas encore, ce qu'on croit ou veut croire (anticipant), que c'est ça qu'il faut qu'elle soit en effet, l'écriture : "de la cochonnerie". Ni ça qu'il faut, en effet, qu'ils soient, ceux qui écrivent : des "cochons". Il dit juste qu'écrire, l'écriture sont une cochonnerie; et ceux qui s'y adonnent des cochons.

Il changera donc, qui dira plus tard que c'est ça en effet qu'il faut que l'écriture soit, ni plus ni moins : une cochonnerie (convenant par là que c'est ce qu'est devenue la sienne, entre-temps). Cochonnerie, c'est-à-dire : qu'écrire et qui écrit aient "le sale en propre", ni plus ni moins (principe cette fois de toute littérature à venir, et leçon). Tout le sale : des linges (familiaux), du sexe (de la reproduction des noms), des affaires (de la propriété des biens), de l'argent (de l'exploitation des corps), des microbes ( de la syphilis en ces temps), des races ( la juive, il n'y en a qu'une alors à "empester" le sang franchement "français"), de la maladie, de la mort même -tout ce qui a droit à "sale" et qui doit ce droit à tout ce qui domine, et à tout ce que hait et exècre ce qui domine. Le sale, soit tout ce qu'un hygiénisme obsessionnel, morbide, s'emploie depuis Pasteur par tous les moyens à repousser partout, toujours, à éradiquer -avoir le sale en propre, c'est avoir l'expérience en propre.

Qu'écrire et qui écrit aient le sale ou l'exécration en propre, ne serait-ce que parce que le sale ou l'exécration est l'autre de chacun, qu'il est l'autre qu'à chacun, pour commencer, et que chacun cache, dont chacun souffre, étouffe à la fin, et meurt.. Que chacun chasse (expurge) partout, chez autrui, auquel il donne toutes les formes et les figures possibles d'autre chose et d'autrui pour n'avoir pas à le chasser de soi, pour n'être pas soi-même ce qu'il faut qu'il chasse - pour n'être pas soi-même rendu ou réduit à l'état de rebut.

N'ignorant pas cependant que le sale, le "crasseux" (Guyotat plus tard), comme le mal, inlassablement, reflue, retourne, revient, déborde, diffuse, qui s'empare des corps, de tous les corps, qui les dessaisit, les désempare, à strictement dire : les dés-organise, portant à la puissance deux "le corps sans organe" qu'annonce, qu'instruit Artaud dans la même conférence (pour en finir avec le jugement de Dieu). A la fin, qui les défait, les défunte, les éteint par abréaction.

Quelque chose comme ce que Bataille aura, en partie, appelé part maudite. La modernité ne les aura pas pour rien associés (Artaud & Bataille) dans les années soixante-dix; en tout cas aura-t-elle eu l'intuition du lien qu'il faut qu'on leur prête : ils auront représenté l'un et l'autre quelque chose d'analogue, en butte à quoi à peu près tout système de représentation reste.

Capitalisme & Djihadisme : une guerre de religion Par Michel Surya partie 2

 &  On peut en dire ceci cependant, et ce sera fait pour constituer une troisième hypothèse, inattendue ou contestable :'capitalisme et djihadisme sont l'un et l'autreune variante du puritanisme'; mieux : ils sont l'un comme l'autre une variante violente d'un même puritanisme à son stade terminal.

&   Puritains, en ceci qu'ils obéissent chacun à une 'passion' (il ne faut pas moins que la passion pour que le puritanisme s'exerce sans reste) : la 'passion ascétique' ( le djihadisme), la 'passion' narcissique' (le capitalisme).

&   Au contraire de ce qu'il semble en effet, le capitalisme est un puritanisme aussi, et violent, dont le commandement est : 'Joui_'. Pas de commandement plus violent, quand on sait que nul ne jouit, au juste, 'a fiotiori' aux conditions du capital.

&  'Jouis', sous=entendu: aux conditions de l'argent dont il dépend de la distribution du capital que chacun juisse ou non, pour son plus grand bénéfice ou pour son plus grand préjudice identificatoire ou narcissique (seul universel occidental manifeste). 'Ce qui demanderait d'établir par la suite l'équivalence stricte de la jouissance et du narcissisme; et de faire même de cette équivalence violente la formle accomplie et doncreligieuse du capital ayant enfin atteint au stade terminal du prutanisme').

&  Son identification au moins. Au plu, sa place dans la distribution inéquitable des jouissances permises par l'argent, par nature frustrantes et par avance toujours déjà perdues.

On notera qu'identification' ( à préférer ici, en revanche, à 'identié', ç quoi il prélude) constitue déjà une jouissance, quand chacun crie après la sienne, sinon déjà perdue du moins comme incessamment menacée.

&  Le commandement de la passion ascétique est : 'Meurs _'

Sous=entendu : aux conditions de Dieu dont il dépend que chacun jouisse de l'éternité, pour le rchat de son existence ( seul universel non=capitaliste fantasmable).

'Pour le rachat de son existence', que l'ascèse seule rachète en effet, qui ne promet la félicité aux fidèles qu'à la condition qu'ils accèdent à la mort par le moyen du martyre.

&  Dans un cas comme dans l'autre, si l'on va vite, que chacun ressuscite : ici bas sans relâche (la politique comme religion); au=delà  une fois pour toutes ( la religion comme politique).

&  Jouis est un commandement à peine moindre que 'Meurs', qui ne parait pas d'ailleurs qu'à peine moins comminatoire. Par lequel le salut des uns n'est pas davantage assuré que le narcissisme des autres est rassasié. Lesquels, par principe, leur échappe. Qui ne satisfont qu'à ceux qui leur commandent.