dimanche 26 décembre 2021

MENTALITÉ (NOUVELLE) Encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure

 


Ce qui distingue le monde ou l'humanité individualiste anarchiste, c'est qu'il ne consacre pas l'avènement d'un parti – économique, politique, religieux – d une classe sociale ou intellectuelle – d'une aristocratie, d'une élite, d'une dictature. Ce monde, cette humanité n'existe qu'en fonction d'une mentalité nouvelle d'une conception autre que celle qui domine dans la société archiste, d'une façon différente de situer l'unité humaine dans le milieu humain. La grande, l'ineffaçable caractéristique de cette mentalité nouvelle, c'est la place qu'elle fait à l'unité humaine, considérée comme base de toute activité, de toute réalisation sociale – à la personne humaine envisagée dans toutes les situations comme intangible, comme inviolable. C'est l'impossibilité absolue pour le social d'opprimer ou de restreindre l'individuel. C'est, dans les rapports de toute nature qu'ils peuvent entretenir les uns avec les autres, la mise sur le même pied, à un niveau semblable, des collectivités et des isolés, des totalités et des unités. Autrement dit, l'assurance qu'aucun désavantage ou infériorité – en matière d'accords, de tractations, d'ententes, de contrats ou autres – ne pourra résulter pour la personne humaine du fait de vivre, agir, produire ou consommer isolément. Aucune humanité ne sera du goût de l'individualiste anarchiste si elle ne se fonde pas sur cette « mentalité nouvelle ». –

E. ARMAND

MENTALITÉ encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure

 

 n. f. (radical mental, latin mentalis, de mens, esprit) Au sens étymologique, le terme mentalité désigne d'une façon spéciale, l'intelligence, la connaissance ; il exclut alors de sa compréhension vie sentimentale et vie active. Mais, d'ordinaire, il est pris dans un sens plus large et s'applique à la totalité de la vie psychologique ; il devient donc synonyme d'état d'esprit. En art, en morale, en science, etc. il résume l'ensemble des tendances et des idées qui guident un individu, qui caractérisent une collectivité, une époque, un milieu. Complexité, mobilité, continuité, voilà le triple aspect qu'offrent les phénomènes psychologiques, dont le déroulement ininterrompu constitue notre vie intérieure. Nous sommes en présence, non de faits isolés, séparables du tout, doués d'une vie indépendante, mais d'états qui se mêlent, se pénètrent, se colorent. Leur ensemble constitue une mosaïque compliquée, dont les éléments, impossibles à juxtaposer dans l'espace, subissent, à chaque instant, l'influence de tous les autres. À ma sensation actuelle s'incorporent des images, des souvenirs, des jugements, des idées, une nuance affective qui ne font qu'un avec les données primitives de ma perception ; une rage de dents, le bourdonnement d'une mouche suffiront à faire évanouir les plus sublimes idées ; et lorsqu'un gai soleil brille au dehors, la mélancolie s'attarde moins facilement dans les cœurs. Rien de stable, d'ailleurs ; les ondes fuyantes de la vie intérieure ne s'immobilisent jamais ; dans l'intimité secrète du moi, les phénomènes psychologiques jaillissent inlassablement. Avec raison l'on a comparé la conscience au cours d'un fleuve, dont les flots, sans cesse, changent et fuient ; un devenir perpétuel, telle est la loi de toute pensée. Mais ce devenir implique continuité, enrichissement ; aucun état n'apparaît radicalement nouveau, séparé par un infranchissable vide des états qui l'ont précédé. Une même coloration personnelle, la nuance toujours identique donnée par le moi profond, relient les eaux qui viennent aux eaux qui s'en vont. Sans doute, obéissant à un rythme, la vitesse du courant s'accélère et se ralentit tour à tour, mais grâce à la mémoire nul état psychologique ne s'évanouit définitivement ; dans le présent vécu par la conscience, toujours un lambeau du passé se retrouve. Le sommeil même, probablement, ne provoque point de rupture dans la trame de la vie intérieure, une série continue de rêves reliant le moi qui s'endort au moi qui s'éveille. Mais, pour la commodité des recherches scientifiques, nous décomposons par abstraction cette réalité complexe et changeante en larges groupes de phénomènes où l'on introduit ensuite des classes de plus en plus menues. Déjà Platon distinguait trois parties dans l'âme humaine : la raison qu'il plaçait dans la tête, le principe des inclinations généreuses qu'il situait dans le cœur, l'appétit inférieur, véritable hydre à cent têtes, qu'il logeait dans le ventre. Aristote, dont la doctrine sera reprise au moyen âge, admettait quatre puissances essentielles : la puissance végétative ou nutritive, la puissance sensitive, la puissance motrice, la puissance raisonnable. Descartes et beaucoup d'autres après lui réduiront ces facultés à deux ; l'entendement et la volonté ; dans la sensibilité ils ne verront qu'une forme inférieure de l'entendement. Aujourd'hui l'on distingue d'ordinaire la vie affective, la vie intellectuelle, la vie active, qui, dans le langage courant, répondent, d'une façon globale, aux termes de cœur, d'esprit, de volonté. Naturellement, la psychologue moderne, débarrassé des préjugés métaphysiques, ne voit dans ces trois facultés, comme aussi dans toutes les subdivisions dont elles sont susceptibles, que des aspects de l'activité mentale, des points de vue sur une même réalité intérieure, et non des puissances distinctes, des entités spirituelles comme l'admirent un trop grand nombre de philosophes anciens. Expression interne de l'unité de l'être, la conscience, qui demeure dans une étroite dépendance du système nerveux, ne peut former qu'une large synthèse dont les divers éléments ne sauraient vivre et subsister les uns sans les autres. Au-dessous d'un point central, comportant un maximum de clarté, la conscience psychologique se prolonge en zones marginales, dont la lumière s'atténue par degrés. Si j'écris à quelqu'un, j'aurai une connaissance précise et claire des nouvelles que je veux lui transmettre, des lettres que ma plume trace sur le papier ; mais du bruit fait par les voitures ou les piétons qui passent sous mes fenêtres, je n'aurai 'déjà qu'une conscience très atténuée ; et, pour sentir la température de ma chambre, le contact de mes habits, il faudra que mon attention soit attirée spécialement de ce côté-là. Sans être toujours conscients, les états, placés à l'extrême limite du côté lumineux de l'âme, restent d'ailleurs perceptibles aisément et continuent en général d'influencer la conscience ; que le tic-tac du moulin cesse et le meunier, rendu insensible au bruit par une longue habitude, remarquera cet arrêt aussitôt. Mais une analyse régressive, lorsqu'on la pousse assez loin, oblige à supposer qu'une large partie de l'esprit plonge dans une complète obscurité. La vie psychologique normale témoigne de l'existence d'états mentaux inconscients. Nos tendances, nos affections ne cessent pas d'être, quand elles cessent d'être senties ; et souvent la passion, avant d'éclater au grand jour, s'est développée lentement à l'insu de l'homme qu'elle consumera. Une mort, un départ vous révéleront brusquement la profondeur d'une affection que l'on croyait superficielle ; et c'est un événement fortuit qui, fréquemment, permettra de découvrir la force d'un amour resté jusque-là inconscient. Notre défaut d'attention, leur propre faiblesse ou leur continuité nous empêchent de percevoir maintes sensations. D'innombrables souvenirs subsistent en notre esprit qui ne viendront à la lumière que très rarement, si même ils y reviennent. C'est d'une secrète incubation de la pensée que résulte l'inspiration soudaine bien connue de l'artiste et du savant. Et, dans l'acte instinctif ou habituel, la conscience s'atténue au point de disparaître : on porte les mains en avant pour parer un coup sans attention préalable, et les doigts du pianiste continuent de jouer correctement même lorsque son esprit vagabonde au loin. L'automatisme psychologique, aux manifestations si diverses et si multiples, prouve à l'évidence que de larges pans d'ombre existent dans notre esprit. Les techniques psychanalytiques de Freud ont justement pour objet d'explorer ces régions obscures. Au médecin placé à son chevet, le malade dira tout ce qui lui passe par la tête, donnant libre cours aux images, aux idées, aux souvenirs qui naissent associativement dans son cerveau ; ou bien, avant toute réflexion, il débitera les phrases, énoncera les pensées que lui suggèrent des mots inducteurs prononcés à dessein. Oublis, lapsus, retards, méprises ou erreurs diverses auront une cause que le psychanalyste pourra découvrir ; des expressions inattendues, des termes révélateurs, l'émotion dont s'accompagnent certains aveux, le renseigneront sur le contenu de l'inconscient. Une interprétation méthodique des rêves permettra également de découvrir les désirs refoulés. En songe, l'enfant croit manger le sucre d'orge dont on le priva durant la journée. Mais un revêtement imaginatif, d'apparence absurde, défigure en général le souhait du dormeur ; d'où un symbolisme, dont il importe de détenir la clef pour découvrir le vrai sens des constructions oniriques. « Une malade rêve qu'elle n'arrive pas à donner à dîner à ses invités. La psychanalyse découvre qu'elle réalise en réalité un désir secret et inconscient qu'elle n'avait pas accusé au médecin : celui de ne pas donner à une de ses invitées (une amie maigre qui plaisait à son mari et dont elle était jalouse) l'occasion de bien manger et d'engraisser... Un jeune homme, amant clandestin d'une jeune fille, rêve qu'il est arrêté pour infanticide ; il ne réalisait pas ainsi le désir de tuer l'enfant qui pouvait naître de ses amours coupables ; mais il avait depuis peu le souci d'avoir pu rendre sa maîtresse enceinte et se tranquillisait par ce rêve, en imaginant son enfant mort ». Freud exagère la portée de certaines observations ; sa symbolique, ses interprétations paraissent quelque peu arbitraires ; mais nul n'a mieux mis en relief le rôle joué par l'inconscient, tant dans les psychoses et névroses que dans la vie normale et courante. À notre activité mentale, consciente ou non, les spiritualistes ont donné pour support une entité métaphysique : l'âme. Et ce principe immatériel et simple, qu'utilise le cerveau durant la vie présente, continuerait de penser, vouloir et sentir, même après la mort. Prêtres et philosophes ont noirci d'innombrables pages pour étayer ce mensonge intéressé. Récemment Bergson dépensa beaucoup d'ingéniosité pour rajeunir cette doctrine absurde avec une virtuosité indéniable, il usa d'un vernis fait de science et de poésie pour masquer la vieille erreur spiritualiste, attaquée de toutes parts. Mais le vernis a craqué, et l'antique aberration dualiste, reparue, a précipité le déclin du bergsonisme. Sa faillite est si complète, si définitive qu'un disciple de Bergson, Jacques Chevalier, ose écrire de son maître : « Aujourd'hui, l'âge est venu, l'œuvre est inachevée ; et, autour de nous les fruits n'ont pas répondu à la promesse des fleurs... Des doctrines qu'on croyait mortes ont tiré de nouveau les intelligences vers le Mécanisme et la Matière ». Cet aveu a dû singulièrement coûter à son auteur un clérical militant, dont la république a trouvé bon 'de faire un professeur de Faculté ; il constate le discrédit qui atteint de nouveau les idées chrétiennes, du moins parmi ceux qui réfléchissent. « De même qu'un vêtement accroché à un clou déborde ce clou, de même dit Bergson, la conscience accrochée au cerveau déborde ce cerveau ». Et ce philosophe, qui a l'habitude de remplacer les arguments sérieux par de simples analogies, conclut que l'esprit décroché, libéré, continue de vivre lorsque disparaît le cerveau, « sans que je puisse toutefois promettre, ajoute-t-il avec un sérieux qui frise le comique, plus qu'une survivance temporaire, c'est-à-dire sans que je puisse promettre encore une survivance indéfiniment prolongée ou définitive ». En somme, il adopte les thèmes de la métaphysique judéo-chrétienne et se borne à modifier quelque peu les accords jugés inharmoniques aujourd'hui ; ce qu'il y a de neuf chez lui c'est le langage, non les solutions. L'art subtil du narrateur, l'agrément des périodes, une finesse d'observation indéniable ne pouvaient cacher indéfiniment la faiblesse de sa doctrine. Que les spiritualistes en prennent leur parti le charme est rompu du bergsonisme ; la raison a repris ses droits. Comment admettre l'existence d'un esprit distinct du corps, alors que le mental reste dans une dépendance si complète du physiologique ? Seule la communauté d'origine rend compte du prodigieux parallélisme qui fait coïncider, de façon minutieuse, les modifications cérébrales et les états psychologiques. Les expériences de Flourens ont démontré que l'animal décérébré n'était qu'une machine, un automate capable d'exécuter certains mouvements réflexes ou habituels, mais dépourvu d'intelligence et de besoins. Un pigeon se laissera mourir d'inanition devant un monceau de grains, toutefois il avalent les aliments que l'on placera dans son bec. Et l'ablation des hémisphères cérébraux aura des effets d'autant plus notables que l'on s'élèvera davantage dans la série des vertébrés ; tant il est vrai que le développement de la conscience est en raison directe de la perfection du système nerveux. Combien misérables aussi les élucubrations de Bergson touchant les maladies de la mémoire et ses jeux d'acrobate pour démontrer que les souvenirs ne se conservent point dans le cerveau. Sans doute la physiologique ignore beaucoup de choses touchant le système nerveux mais le mystère n'est pas plus grand de savoir pourquoi la régénération d'un tissu nerveux suffit a faire reparaître les images qu'il gardait en réserve, que de savoir pourquoi l'empreinte digitale revient rigoureusement identique après une brûlure profonde ou une plaie. Nous devons donc conclure que la base dernière de la mentalité psychologique c'est le cerveau. Alors que l'homme se croit le maître de l'univers, nous apprenons, par les récentes découvertes médicales, que lui-même obéit aux glandes endocrines. Ses vices, ses vertus, son caractère en découlent, de même que son tempérament physique et la nonchalance ou la vivacité de son intellect. Mais l'éducation reçue, le milieu où l'on vit, la profession que l'on exerce, influent également sur le contenu de l'esprit. Des hommes fort cultivés et par certains côtés très modernes ont été comme arrêtés dans leur développement par une formation qui retarde de plusieurs siècles. Ceci se remarque souvent parmi les anciens élèves de l'enseignement congréganiste. Pour eux, la scolastique représente le dernier cri de la sagesse ; ils ne lisent qu'avec des lunettes théologiques, n'ont que dédain pour l'art affranchi des préoccupations religieuses ou patriotiques et ne voient dans les soulèvements populaires que de diaboliques machinations. De même, la profession crée des habitudes, des préjugés, qui marquent l'individu de façon indélébile généralement ; d'où la mentalité sinistre du politicien, du juge, du militaire, du patron. Milieu physique et moral, opinions philosophiques ont une importance non moindre ; l'homme du nord se distingue aisément de l'homme du midi, et l'on sait combien efficace l'action de la publicité, de l'opinion, de l'exemple. Sans doute le tempérament contredit parfois les idées, mais toutes choses égales, un libertaire cherchera moins a tyranniser ses semblables qu'un partisan de l'autorité. Ajoutons, chez les esprits d élite un sentiment de révolte à l'égard des contraintes que la famille, la société, l'église prétendent leur imposer ; un besoin d'être soi-même, de se frayer sa propre voie, les détourne du conformisme traditionnel. Toute mentalité humaine comporte certains éléments identiques ; c'est en vertu des principes souverains de la raison que nos opérations logiques deviennent possibles ; leur disparition serait le signal d'une éclipse de la pensée. Néanmoins de prodigieuses différences sont observables, soit dans le temps soit dans l'espace, entre les manières de sentir et de juger des peuples comme des individus. La fiévreuse activité chère aux habitants d'Europe et d'Amérique contraste avec la passivité qu'affectionnent les orientaux ; un artiste original, un vrai savant passeront pour des anormaux aux yeux du petit-bourgeois apeuré ; le cerveau libéré des dogmes est aux antipodes de l'esprit grégaire. Avec l'âge, la mentalité se transforme souvent ; socialiste à vingt ans, le même individu, surtout s'il a fait fortune, pourra s'affirmer réactionnaire à cinquante ; l'inverse arrive aussi quelquefois. Une crise lente ou brusque, une révolution intellectuelle ou sentimentale surviennent fréquemment chez les jeunes, moins souvent chez l'homme mûr, provoquées par le travail de la réflexion interne ou par des circonstances extérieures. Méprisables lorsqu'elles n'ont d'autre guide que l'intérêt, de pareilles transformations imposent le respect, quand elles ne valent à l'individu que des injures et des persécutions. Assurément le nombre est restreint de ceux qu'attire le sentier abrupte, rocailleux, bordé de précipices, qui conduit vers les sommets de la pensée ; ils existent pourtant et nous devons les aider à se découvrir eux-mêmes, à trouver leur chemin, à s'orienter. –

L. BARBEDETTE.

MENSONGE (et ENFANT) encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure

 


Le jeune enfant ne se soucie pas de communiquer exactement sa pensée et de décrire objectivement les faits. Il distingue mal les produits de son imagination et les réalités et comble inconsciemment les lacunes de sa mémoire par de la fabulation. Les causes de ses erreurs sont nombreuses, il y a : 1° Les perceptions erronées, les erreurs des sens, qui sont d'autant plus fréquentes que l'individu est plus jeune ;

 2° L'imagination, moins vive que chez l'adulte mais moins bien contrôlée par l'esprit critique ;

3° La suggestibilité, « Montrons-nous circonspects, écrit Jonckheere, en posant des questions, car leur forme peut influencer la réponse et provoquer des erreurs de fait ». Quelqu'un vient de passer ; nous pouvons demander, par exemple : Comment la personne qui vient de passer était-elle coiffée ? La personne qui vient de passer était-elle coiffée ? La personne qui vient de passer était-elle coiffée d'un chapeau ou d'une casquette ? La personne qui est passée tout à l'heure n'avait-elle point un chapeau sur la tête ? Les premières de ces questions n'impliquent aucune suggestion mais il n'en est pas de même de la troisième et surtout de la quatrième.

4° Le manque de développement intellectuel ne permet pas le travail de l'autocritique. Le jeune enfant admet sans difficulté des données contraires.

5° L'affectivité est liée plus étroitement à tous les processus psychiques de l'enfant. *** Le jeune enfant ne ment pas et ne dissimule pas. Quand découvre-t-il le mensonge et commence-t-il à dissimuler ? La plupart des psychologues admettent que ce n'est que vers sept ans. À vrai dire il nous semble que des enfants plus jeunes altèrent sciemment la vérité, mais ils le font plutôt par jeu que dans l'intention de tromper. Comment l'enfant devient-il capable de mentir ? Peut-être, parce qu'il s'aperçoit qu'il avait commis une erreur et en avait tiré profit. Peut-être parce qu'il a surpris quelques mensonges de ses parents ou d'autres adultes. Peut-être parce que le mensonge lui apparaît comme un moyen de parvenir à ses fins. Pourquoi l'enfant ment-il ? Des enquêtes ont été faites à ce sujet ; elles sont loin d'être parfaitement concordantes ; cependant, il semble bien que la crainte soit l'une des principales causes du mensonge enfantin. Mentir est pour l'enfant un moyen de défense. Parfois aussi l'enfant ment par étourderie, par intérêt, par paresse, etc. II est aussi des mensonges qui ne s'expliquent que par des causes d'ordre pathologique ; on a observé des enfants qui obéissent à une impulsion presque irrésistible, qui s'accusent de délits ou de crimes qu'ils n'ont pas commis. *** De même que la fièvre est le plus souvent la conséquence et non la cause de la maladie, le mensonge nous apparaît comme un résultat. Si nous voulons corriger des enfants menteurs ou, mieux, éviter que nos enfants ne deviennent menteurs, il faut nous en prendre aux causes réelles du mensonge. Tout d'abord lorsque de jeunes enfants disent le contraire de la vérité, il convient de ne pas considérer leurs erreurs comme des mensonges. Il ne faut alors ni leur attribuer l'épithète de menteur, ni les punir mais s'efforcer d'attirer leur attention sur l'erreur commise et éveiller peu à peu leur esprit critique. Deuxième conseil : il ne faut pas donner aux enfants l'exemple du mensonge, ni surtout leur ordonner de commettre des mensonges. Combien de parents, par exemple, ont dit à leur fils ou à leur fille : « Va dire que je ne suis pas là. » Puis se sont indignés ensuite d'un mensonge du bambin. Troisième conseil : il faut avec les enfants pratiquer la politique de la confiance et paraître croire qu'ils sont incapables de dénaturer volontairement la vérité. Profitons de leur suggestibilité, feignons de croire qu'il y a erreur ou faiblesse passagère mais non mensonge. Ce conseil est d'autant plus important qu'il y a bien souvent malentendu ; de là un quatrième conseil : efforçons-nous de comprendre les enfants et de nous faire comprendre d'eux. Une anecdote toute récente viendra illustrer ce conseil. Nous avions donné à de jeunes enfants le problème suivant : « Il y avait 184 morceaux de sucre dans un sucrier mais la maman a pris 86 de ces morceaux. Combien y a-t-il encore de morceaux dans le sucrier ? » Un bambin, après quelques autres, nous présenta bientôt son travail. La réponse était exacte, mais, chose singulière, l'enfant dans sa soustraction, avait placé le plus grand nombre au-dessous. – « Tu as copié ? » – « Non, monsieur ». Avait-il copié et était-il un menteur ? Ceci paraissait probable et pourtant quelque doute subsistait dans notre esprit. « Comment as-tu donc fait ? » Question facile à poser pour nous, mais à laquelle il était difficile au bambin de répondre car les jeunes enfants n'expriment pas toujours facilement leurs idées, si bien qu'enfants et adultes se comprennent souvent fort mal. Cependant, en y mettant du temps, nous finîmes par comprendre ceci : dès la lecture du problème l'enfant avait été frappe par le rapprochement des nombres 84 et 86 et voici, par suite, comment il avait raisonné intuitivement (car il ne s'agit pas là d'un véritable raisonnement logique) : en retirant 84 morceaux des 184 il en restera 100 mais il faut que nous en retirions encore 2 morceaux (86-84). On devine le reste l'enfant intuitivement et mentalement avait trouvé la réponse sans avoir fait nul calcul écrit, cette réponse était pour lui l'essentiel il avait ensuite placé au petit bonheur les trois nombres 184, 86 et 98. Si nous nous étions fiés aux apparences, nous aurions accusé cet enfant d'un mensonge qu'il n'avait pas commis, nous aurions alors paru à ses yeux comme une personne incapable de distinguer un mensonge d'une vérité et à laquelle on peut mentir sans danger. Cinquième conseil : Évitons de poser aux enfants des questions qui peuvent les suggestionner par leur forme ou par leur ton. Ne les intimidons pas. Sixième conseil : Le mensonge étant presque toujours le résultat d'une faute antérieure (paresse, vol, gourmandise, .etc.) corrigeons l'enfant des défauts qui peuvent le conduire au mensonge. Dernier conseil : N'inspirons pas la crainte – cause principale du mensonge – et développons chez lui le sentiment du courage tout en lui faisant comprendre qu'il doit avouer ses fautes. –

E. DELAUNAY

MENSONGE encyclopedie anarchistye de Sébastien Faure

 


n. m. (du bas latin mentitionica de mentiri, mentir) On n'admet plus aujourd'hui que la religion soit une invention pure et simple des prêtres ; elle serait d'origine sociale et, parmi ses facteurs primitifs, comprendrait les tabous, l'animisme, le totémisme, la magie. Mais l'on oublie trop le rôle énorme joué par le caprice ou l'intérêt sacerdotal, dans l'établissement des dogmes, des rites, des prescriptions morales. Purgatoire et confession, pour ne citer que ces deux exemples, furent inventés par les théologiens catholiques, le premier pour extorquer l'argent des fidèles, la seconde pour renseigner le clergé sur les agissements secrets de ses adversaires. Pas un mot du purgatoire dans l'Évangile ; et c'est au XIème siècle seulement que les croyants se mirent à racheter les peines des morts en faisant de larges aumônes aux monastères. Dans la primitive Église, certains fidèles s'accusaient publiquement des fautes qu'ils avaient commises, par esprit d'humilité ; mais on ne trouve rien qui ressemble à la confession auriculaire d'aujourd'hui. C'est en 1215 seulement qu'elle fut rendue obligatoire par Innocent III, ce pape intrigant, qui rêvait d'asservir toute la chrétienté. Comme il fallait faire la cour aux grands et trouver pour eux des accommodements avec le ciel, les confesseurs inventèrent une science nouvelle, la casuistique, permettant de rendre bonnes, chez le maître, des actions qui, chez le valet, restaient mauvaises. Chose facile puisque l'Église allonge ou raccourcit, à volonté, la liste des fautes qui conduisent en enfer ou au purgatoire ; par contre il faut beaucoup d'ingéniosité pour masquer une contradiction si flagrante et lui donner une apparence de raison. Cette duplicité éclate avec une force spéciale lorsqu'il s'agit du mensonge. Mentir, dit le catéchisme, c'est parler contre sa pensée ; il ajoute que l'on ne doit jamais mentir. Les théologiens vous expliquent qu'en effet le mensonge est intrinsèquement mauvais, c'est-à-dire mauvais en soi ; Dieu a donné la parole à l'homme pour traduire sa pensée ; un accord permanent doit régner entre celle-ci et celle-là ; le rompre constitue une faute. Et ils ajoutent qu'au prix du plus petit mensonge il serait criminel de sauver toutes les âmes de l'enfer. Voilà ce qu'on enseigne au peuple et aux enfants. Mais aux grands l'on dit autre chose. Sans doute le mensonge est défendu, affirme le casuiste, mais tromper n'est pas mentir : la parole doit répondre à la pensée, seulement vous pouvez n'exprimer tout haut qu'une partie de la phrase et l'achever pour vous seul, de manière que personne ne l'entende. « Avez-vous vu Pierre tuer Paul ? » vous demandera-t-on. Vous l'avez vu ; pourtant vous pourrez répondre : « Non » sans mentir, à condition d'ajouter intérieurement : « du moins pas pour le dire ». Le prêtre qui vient d'extorquer l'héritage d'une mourante niera ou affirmera ce qui lui convient, en vertu du même principe ; sa conscience restera blanche, immaculée. C'est la restriction mentale, dont l'Église autorise l'usage dans tous les cas, même si l'on prononce un serment ; excepté bien entendu lorsqu'on parle à son confesseur et aux dignitaires ecclésiastiques. Admirez cette invention machiavélique qui permet d'esquiver la vengeance céleste, sans se priver néanmoins de mentir. Pour marcher dans de pareilles combinaisons, Dieu doit être un bien triste sire ! La raison heureusement ignore les fantaisies criminelles de la théologie. On recherche un homme innocent pour le massacrer, j'estimerai bon d'égarer ses persécuteurs. Mais, au voyageur perdu dans la montagne, je serais coupable d'indiquer un chemin sans issue. Un chef m'interroge, poussé par le désir d'utiliser ce qu'il apprendra contre moi ou contre mes amis, il ne saura point la vérité, n'y ayant nul droit ; je la dirai spontanément au malheureux que l'on trompe par intérêt. Si l'enfer existait, je mentirais avec plaisir pour arracher à leurs tortures les victimes de Jahveh ; et, ce faisant, je m'estimerais moralement supérieur à leur geôlier. Tout homme sensé m'approuvera ! Ainsi, dire ou non la vérité ne devient mauvais ou permis qu'en raison des conséquences et du but ; c'est en fonction d'une norme extrinsèque que chacun apprécie le mensonge. Peut-être les théologiens l'ont-ils compris ; la restriction mentale serait alors un moyen d'adoucir la règle primitive. Pourquoi ne pas reconnaître franchement sa caducité ? Ce serait plus honnête ; mais pour gouverner, prêtres et grands ont besoin d'être renseignés par ceux mêmes qu'ils exploitent. L'action secrète un peu large, voilà leur pire adversaire ; contre elle l'Église se devait de brandir la peine du feu éternel. À la base de la morale chrétienne, comme de toute morale théiste, gît d'ailleurs une insoluble difficulté. Pourquoi Dieu ordonne-t-il ceci, défend-il cela ? Bien et mal sont-ils une création arbitraire de sa volonté ou, supérieurs à Dieu même, s'imposent-ils à son intellect comme à celui des hommes ? Dans le premier cas vertus et vices dépendent des caprices du vouloir divin. Que Jahveh l'ordonne et tuer ses parents, calomnier, boire jusqu'à l'ivresse, deviendront des actes méritoires. Doctrine monstrueuse, dont l'immoralité révolte, mais qui s'impose si le bien résulte du commandement divin le mal de la défense divine. Dans le second cas Dieu cesse d'être tout-puissant, puisque la loi morale s'impose impérieusement à sa volonté. Et cette loi morale résulte de la nature des choses ; elle subsisterait donc intégralement en l'absence même de Dieu. Si Jahveh ordonne d'aimer ses parents, non parce qu'il le veut arbitrairement, mais parce que la chose est bonne en soi ; cette chose restera bonne en l'absence du vouloir divin. Le rôle du Père Éternel n'est plus que celui du gendarme, veillant sur des trésors qui ne lui appartiennent pas. On voit la naïveté de qui explique tout par l'existence de l'Être suprême, poubelle métaphysique où l'on entasse à plaisir d'incroyables contradictions. Ne nous étonnons plus si, après avoir condamné théoriquement le mensonge (exception faite pour la restriction mentale), l'Église, interprète de Jahveh, le catalogue ensuite parmi les vertus ; sous le nom d'humilité, de modestie, de politesse, etc. Volontiers le croyant s'accuse devant Dieu d'être un pêcheur digne de son courroux ; il se frappe la poitrine et s'écrie : « C'est ma faute, c'est ma très grande faute... pardonnez-moi Jésus ». Mais, dans la litanie des manquements qu'il énumère, il oublie les vices profonds ; il regrette d'avoir négligé la messe, mangé du lard le vendredi, nullement d'avoir volé ses ouvriers s'il est patron, extorqué les économies du pauvre s'il est financier. Infatué de sa personne, le dévot s'estime infiniment supérieur aux mécréants qui l'entourent. « Par moi-même je ne suis rien, dit le curé à ses ouailles, mais, en qualité de représentant de Dieu, il est indispensable que je sois obéi, respecté, que j'occupe toujours et partout la première place ». L'humilité du chrétien vise en général à donner le change sur son orgueil forcené. Comment ne pas se croire un personnage quand on est l'ami de Jésus et qu'une éternité de gloire vous attend ? Même remarque au sujet de la modestie, affectée par les prêtres et les nonnes ; sous des allures de chattemite, elle cache habituellement des désordres profonds. Séminaires et couvents sont des pépinières de choix pour les vices contre nature ; mais la façade peinte en blanc détourne les soupçons. Assurément la politesse a son utilité ; toute vie sociale deviendrait impossible si chacun blessait les autres sans ménagement. Et quel homme n'a rien à se faire pardonner ! Masquer une froide malveillance sous des formules hypocrites est bien différent ! Or de nos jours la politesse consiste trop souvent, à prononcer des phrases que l'esprit ne contresigne pas ; ce n'est plus la manifestation d'une sympathie fraternelle, c'est un moyen commode de tromper son prochain. Organisations politiques et religieuses, structure sociale et économique reposent sur le mensonge : il serait invraisemblable que les individus puissent échapper à l'emprise universelle de l'hypocrisie. Mais à l'homme d'État, au diplomate, à l'administrateur, au privilégié, on fait un mérite de tromper l'adversaire, de cacher ses desseins, alors qu'on appelle dangereux menteur le prolétaire qui en fait autant. –

L. BARBEDETTE.

MENEUR(SE) (de mener) encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure

 


Subst. : Personne qui mène : Le meneur de la danse. Celui qui mène, qui conduit une femme par la main dans certaines cérémonies. Meneuse de nourrices, femme qui recrute des nourrices dans certains villages pour les conduire à Paris ou dans les grandes villes. Meneur d'ours, celui qui mène un ours dans les rues et qui gagne sa vie à lui faire faire des tours. Meneur de gens de guerre, se disait, dans l'ancienne hiérarchie militaire, des commissaires de guerres. Meneuse de table, ouvrière qui forme des jeux avec les cartes après qu'on les a coupées. Meneur de ciseaux, ouvrier cartier qui découpe des cartes. Au fig. et famil. Se dit de celui ,qui prend un ascendant sur les autres et les assujettit à sa volonté : les meneurs d'un parti. C'est plus particulièrement dans ce sens que le mot est employé, et le plus souvent par la classe bourgeoise qui se rend compte de l'influence de certains individus dans tous les mouvements de masses. Aussi quand la grande presse parle des meneurs révolutionnaires, elle y ajoute un sens péjoratif afin de disqualifier les militants susceptibles d'amener au succès un mouvement de revendication. Elle emploie ce terme également afin de cacher au prolétariat son véritable degré d'évolution. Elle lui dit : « bien sûr, tu réclames, tu protestes, tu te révoltes, mais tu n'en es pas moins un pauvre troupeau absolument incapable de te guider toi-même ; il te faut un chef, un meneur !... » Aujourd'hui encore, même quand il n'y a pas de meneur, même quand le mouvement est spontané, le peuple en vient néanmoins à croire qu'en effet, si tel et tel camarade n'étaient pas là, agissant comme chefs, comme meneurs, il eût été incapable d'action. Cette conviction entrée en lui, si on arrête « les meneurs », si on les emprisonne, l'ouvrier perd confiance en sa propre capacité, se décourage et cesse la lutte. Les partis politiques dits de gauche, et même les syndicats à tendances politiques, ont aussi besoin du meneur. Cet être hybride et sans conviction profonde, prêt à toutes les besognes, aux meilleures et aux pires, à la fois chef et valet, se hisse, à la force d'un coup de gueule, aux bonnes places pour manœuvrer le prolétariat dans un but personnel ou pour le service d'un parti. Le meneur est l'affirmation permanente de l'inconscience du peuple, de sa faiblesse et de son abandon. Autre chose est, par contre, le militant qui agit vigoureusement et intelligemment (seul ou dans le sein d'un mouvement quelconque) n'étant rien, ne voulant rien être qu'un homme libre qui sait ce qu'il veut, le veut bien, et essaie d'entraîner ses compagnons et non de se substituer à eux, de les mener... Le premier suppose un troupeau. Le second affirme des individus. ‒

A. LAPEYRE

MENDIER (latin mendicare) encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure

 


v. n. : demander l'aumône. v. a. : demander comme une aumône, mendier son pain. Par extension : rechercher avec bassesse : mendier des approbations, des protections. Action du gueux, de l'indigent, qui demande l'aumône, action du mendiant. Cette action, ou mendicité, est réglementée par des lois. Autrefois, la mendicité était tolérée. Il y avait même à Paris un quartier obscur, composé de rues étroites, tortueuses, sales, dont les maisons, mal bâties et d'apparence sordide, servaient de repaire à toute une armée de mendiants. Ce quartier s'appelait la Cour des Miracles. On l'avait ainsi nommé, parce que les pauvres qu'on voyait pendant le jour aux portes des églises, sur les places publiques ou dans les rues sollicitant la charité des passants, tous estropiés, mutilés ou couverts d'ulcères, n'étaient pas plus tôt rentrés dans leurs domiciles, que, jetant leurs béquilles, ils se redressaient sur leurs jambes, d'où, par suite du même miracle, les ulcères avaient disparu. La police finit par intervenir, et les mendiants, obligés de se disperser, renoncèrent à leur métier ou allèrent le continuer ailleurs. Ce quartier a été reconstruit depuis le commencement du XIXème siècle, et la « cour des miracles » ne présente aujourd'hui plus rien de son aspect de cette époque. Tous les mendiants, ne furent pas des gueux ; d'aucuns (et non des moins vils et avides d'aumônes) avaient érigé la mendicité en théorie de vie sainte ; ils constituèrent des compagnies, des associations de religieux ne voulant vivre que des aumônes, y réussissant fort bien et, quoique très nombreux, parvenant à enrichir leurs sociétés : ce furent les ordres mendiants. Comme d'autres gagnaient le ciel à conserver saintement leur crasse, ils le voulaient gagner en ne travaillant pas et en s'abaissant toute leur existence. Voici ce qu'en dit le dictionnaire Lachâtre : « Ordres mendiants : On comprend sous cette dénomination générale, non seulement les instituts religieux et monastiques qui reconnaissent saint François d'Assise pour fondateur, mais encore beaucoup d'ordres qui, nés à peu près vers la même époque, faisaient également vœu de pauvreté et ne vivaient que du fruit des aumônes qu'ils obtenaient des fidèles. Voici le dénombrement des institutions qui se glorifiaient de ce surnom : 1° les frères mineurs ou franciscains ; 2° le second ordre ou les clarisses instituées par sainte Claire, en l'année 1212 ; 3° le tiers-ordre ou les tertiaires, à qui le même fondateur donna une règle en 1221 ; 4° les capucins, l'un des ordres les plus nombreux de l'Église ; 5° les minimes, fondés par François de Paule ; 6° les frères prêcheurs ou dominicains, établis vers 1216, sous les auspices et la conduite de saint Dominique de Guzman : les religieux de cet ordre furent appelés Jacobins en France ; 7° les carmes, venus de la terre sainte en Occident, pendant le XIIIème siècle ; 8° les ermites de saint Augustin, dont l'institut fut mis au nombre des ordres mendiants par le pape Pie IV, en 1567 ; 9° les servites ou ermites de saint Paul, les hiérolymites, les cellites, etc. ; 10° enfin l'ordre du Sauveur et celui de la pénitence de la Madeleine. Tous ces instituts, qui avaient eux[1]mêmes des rejetons et des subdivisions, formaient ce qu'on appelait les quatre ordres mendiants dont les noms suivent par ordre de préséance : les franciscains, les dominicains, les carmes et les augustins ». Et ces gens-là vivaient à l'aise, si l'on en croit le dicton populaire (« gras comme un moine ») et amassaient des sommes considérables, tant il est vrai que la bêtise humaine est vraiment apte à donner une idée de l'infini. Qu'on en juge : Parlant des capucins le Larousse déclare : « Établis en France en 1573, ils y possédaient 400 maisons en 1790, lorsqu'ils furent supprimés ». Ce n'est déjà pas si mal, mais à propos de ces mêmes « capucins » dans un ouvrage publié en 1793, par G. Carlo Rabelli : « Mascarades monastiques et religieuses de toutes les nations du globe, etc... », on peut lire : « Quelqu'un qui n'aimait pas les capucins, disait : ils sont paresseux, ignorants et sanglés comme des ânes ; barbus, lascifs, sales et puants comme des boucs ; enfin ce sont les punaises de la chrétienté ». Cet ordre ainsi dégagé de toutes les entraves qui pouvaient nuire à sa propagation, vit augmenter ses recrues, et put bientôt marcher de pair avec les congrégations les plus étendues et les plus florissantes ; il a prodigieusement pullulé ; il est divisé en plus de cinquante provinces et trois custodies, où l'on compte plus de seize cents couvents, et 25.000 capucins ; non compris les missionnaires du Brésil, du Congo, de la Barbarie, de la Grèce, de la Syrie, de l'Égypte et de toutes les autres parties du monde où il y a des capucins missionnaires ». Actuellement, les ordres religieux, pratiquent tous la mendicité, en vivent grassement, mais lui donnent un autre nom : ils font des quêtes. Pour le vulgaire, la mendicité est défendue par la loi et il n'est pas rare de voir des communes qui s'enorgueillissent d'écriteaux ainsi rédigés et apposés aux coins des rues : « La mendicité est interdite sur le territoire de la commune ». Ici, sans doute, nous sommes en pays civilisé : cela se voit, cela se lit, ici, il n'y a pas de mendiants... Est-ce à dire qu'il n'y a pas de miséreux, pas de pauvres infirmes, de vieillards chenus et sans soutien ? que non pas ! cela signifie simplement, que le riche, le pourvu, le bien vêtu, le ventre plein, n'entend pas être dérangé quand il rumine. C'est pour le misérable, privé du nécessaire que ces lois sont faites et leurs injonctions sont formelles et le gendarme est sans pitié : Un décret du 7 juillet 1808, en déclarant que la mendicité était interdite dans toute la France, avait prescrit dans chaque département la création de « dépôts de mendicité », où devaient être conduits les mendiants n'ayant aucun moyen d'existence. Ce que sont ces dépôts de mendicité ? Des prisons ! Aussi les miséreux poussés à tendre la main, les craignent-ils plus que la faim, le froid, la prison ordinaire et même la mort solitaire dans quelque coin de bois. Le législateur ne pouvait ignorer ce qui allait nécessairement se produire et il a édicté les peines suivantes : (Art. 474 du code pénal) : « Tout individu qu'on a surpris mendiant est justiciable de la police correctionnelle. Si, dans le lieu où il a été arrêté, il existe un dépôt de mendicité, il peut être puni d'un emprisonnement de trois à six mois, et, après l'expiration de la peine, il doit être conduit au dépôt ; s'il n'y a pas d'établissement de ce genre, et si le mendiant est valide, l'emprisonnement ne sera que de un à trois mois. Si le mendiant a été arrêté hors du canton de sa résidence, l'emprisonnement sera de six mois au moins et de deux ans au plus. Si un mendiant use de menaces, ou s'il s'introduit sans l'aveu du propriétaire dans une maison d'habitation ou dans un enclos qui en dépende ; s'il a feint des infirmités ou des plaies ; s'il a mendié avec un autre individu, à moins que ce ne soit un aveugle et son conducteur, un père et son fils, un mari et sa femme, la peine est la même. Tout mendiant surpris travesti, porteur d'armes, etc., bien qu'il n'en ait pas fait usage, sera puni d'un emprisonnement de deux à cinq ans ; si on trouve en sa possession des objets d'une valeur excédant 100 francs, dont il ne peut justifier l'origine, il encourt la peine d'emprisonnement de six mois à deux ans. En cas de crime, le mendiant subit toujours une peine plus forte que l'accusé non mendiant. En cas de récidive, la peine sera au moins du maximum, et pourra même être portée au double ». Voilà la « justice » assise sur la pitié ! Ayant ainsi légiféré et éloigné de sa sensibilité humaine le choquant spectacle du pauvre quémandeur, le bourgeois délivré songe que « l'ordre règne à Varsovie » et qu'il n'y a plus de mendiants par les routes, donc plus de pauvres, plus d'affamés, plus rien que des bien nantis. Il sent alors son cœur s'amollir, une larme lui venir à l'œil ; rappelant une pitié désormais sans emploi, il rédige un second écriteau qui susurre ce conseil : « Soyez bons pour les animaux !... » Avec la mendicité, c'est toute la question sociale qui se pose ; en vain jouera la charité (V. ce mot), publique et privée, en vain se produiront des dévouements parfois sublimes, le mode d'appropriation du sol et des instruments de travail engendre nécessairement le paupérisme moral et matériel. La charité est impuissante à guérir les plaies purulentes qu'elle constate chaque jour parce qu'elle ne s'attaque pas aux causes, mais aux effets. Pour un individu qu'elle secourt, deux autres viennent grossir le bataillon des affamés. La mendicité est un véritable fléau par la pourriture morale qu'elle provoque ou amplifie. En effet, l'être qui demande l'aumône, qui mendie, qui tend la main, subit un abaissement de sa personnalité, toujours plus accentué. Scrupules, fierté s'émoussent et il tombe à n'être plus qu'un animal quêtant sa pitance. Les autres sentiments humains se ressentent évidemment de cette chute morale ; aussi, un anarchiste a-t-il pu dire que si le vol est plus dangereux que la mendicité il est du moins autrement honorable. Dans les pays où le chômage ne sévit pas encore comme un fléau, où les méthodes modernes de production rationalisée ne jettent pas encore à la porte de l'usine l'ouvrier à 45 ans, la mendicité l'emporte considérablement sur le vol, car tant qu'il peut travailler, gagner son pain sec, l'ouvrier ne songe pas à prendre ailleurs ce qui lui manque, et quand il ne gagne plus sa vie, infirme ou trop vieux, il manque de volonté, d'énergie, de ressort, pour oser autre chose que mendier. Dans les pays où la rationalisation industrielle jette sur le pavé des hommes encore jeunes, susceptibles de vouloir et d'oser, le vol l'emporte de beaucoup sur la mendicité. L'homme qui a conservé quelque ressort vital répugne à demander l'aumône et prétend se procurer ce qu'il considère comme devant lui appartenir, par des moyens plus dangereux certes, mais qui ne sont pas acceptation passive d'un sort inique et ne le livrent pas, rampant, à la merci du don. Il semble bien que dans la société actuelle, une partie de l'humanité doive nécessairement osciller du vol à la mendicité et de la mendicité au vol. Et il n'y a pas, absolument pas, d'autre remède que celui-ci : le peuple prenant conscience de son état de mendiant permanent et voleur audacieux, faisant rendre gorge aux profiteurs de son travail, détruisant l'État, et ne voulant plus produire que pour lui[1]même. ‒

A. LAPEYRE

MENCHEVISME encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure

 


n. m. Vers 1900, une divergence d'idées importante se manifesta au sein du Parti social démocrate Russe. Une partie de ses membres, se cramponnant au « programme minimum », estimait que la révolution russe, imminente, serait une révolution bourgeoise, assez modérée dans ses résultats. Ces socialistes ne croyaient pas à la possibilité de passer, d'un bond, de la monarchie féodale au régime socialiste. Une république démocratique mais bourgeoise, qui ouvrirait les portes à une rapide évolution capitaliste, telle était leur idée fondamentale. La « révolution sociale » en Russie était, à leur avis, chose impossible pour l'instant. Beaucoup de membres du parti avaient une opinion opposée. D'après eux, la révolution aurait toutes les chances de devenir une « révolution sociale », avec ses conséquences logiques. Les autres socialistes renoncèrent au « programme minimum », ils s'apprêtèrent à la conquête du pouvoir et à la lutte immédiate et définitive contre le capitalisme. Les leaders du premier courant furent : Plékhanoff, Martoff et autres. Le grand inspirateur du second fut Lénine. La scission définitive, irrémédiable, entre les deux camps eut lieu en 1903, au Congrès de Londres. Les social-démocrates de la tendance léniniste se trouvèrent en majorité. « Majorité » étant en russe bolchinstvo, on appela les partisans de cette tendance bolcheviki (en français : majoritaires). « Minorité » étant en russe menchinstro, on dénomma les autres mencheviki (en français : minoritaires). Et quant aux tendances elles-mêmes, l'une obtint le nom de bolchevisme (Voir ce mot), l'autre, celui de menchevisme (tendance de la minorité). Après la victoire des bolcheviki en 1917, Ils déclarèrent le menchevisme contre-révolutionnaire et l'écrasèrent