samedi 5 mai 2018

Journal de la Commune


ITALIE

Le colonel-brigadier Stefano Canzio, ancien commandant de la 1re brigade de l’armée des Vosges, à qui l’on venait d’annoncer sa nomination de chevalier de la Légion d’honneur, a écrit au chef du gouvernement français la lettre que voici : Gênes, le 21 mars.


Monsieur le ministre,
Je lis mon nom parmi quelques nominations de chevalier de la Légion d’honneur faites dans l’armée des Vosges, et je m’empresse de vous annoncer que je n’accepte pas ces nobles insignes, Républicain accouru à la défense d’une république, il me suffit d’avoir la conscience d’avoir accompli un devoir. Je voudrais seulement qu’un plus grand accord de volontés, répudiant les périlleuses alliances des anciens instruments de tyrannie, eût pu rendre plus utile à la France une guerre qui n’a pas été sans gloire pour elle ni pour nous. Italien accouru pour défendre la cause d’un peuple frère, j’ai été largement indemnisé par les démonstrations de sympathie d’un grand peuple qui heureusement ne ressemble pas à ses représentants officiels.
Soldat de Garibaldi, je repousse les récompenses honorifiques d’un gouvernement tirant son autorité d’une assemblée au sein de laquelle a pu trouver accueil un Spartiate pour rire, rentré en ville ni vainqueur ni mort, l’un de ces hommes à la fatuité fanfaronne duquel la France doit ses malheurs actuels, le général Ducrot, en un mot, mentant à la vérité historique, aux premiers éléments de l’art militaire, à toute considération honnête, et colorant de stratégie les inventions d’un esprit dont je ne saurais dire s’il est plus bête que méchant.
Agréez, etc.
STEFANO CANZIO.
A. M. A. Thiers, président du conseil et chef du pouvoir exécutif de la République
française à Versailles.

Zdziechowski Marian Philosophe 1861 – 1938 Ukrainien




Le dualisme dans la pensée religieuse Russe



Soloviev Vladimir Philosophe Russe 1853 - 1900

« Nous naviguons, disait-il, vers le même rivage ; comment l’atteindre ? Les catholiques croient qu’il est plus sûr de traverser la mer ensemble dans un grand vaisseau éprouvé, conduit par un maître célèbre et gouverné par un pilote habile. Les protestants prétendent que chacun doit se fabriquer une nacelle à sa guise, pour voguer avec plus de liberté. Mais que dire des soi-disant orthodoxes, selon lesquels le vrai moyen d’arriver au port, c’est de s’imaginer qu’on y est déjà ?... »

C’est ainsi que le romantisme slavophile, rêvant d’une régénération de l’Europe par la Russie orthodoxe et tsariste, se déformait peu à peu entre les mains indignes des successeurs de Khomiakov, et aboutissait de nos jours à un nationalisme farouche et russificateur, qui avait pour mot d’ordre : « La Russie aux Russes », ce qui signifiait : « Écrasons tout ce qui n’est pas russe et orthodoxe ».

« Notre planète se rétrécit et nos désirs augmentent. Saurons-nous, demande Ferrero, « les limiter, ou nous laisserons-nous emporter par la soif de la puissance et de la richesse ? Marchons-nous vers l’unification du monde ou vers une rechute dans la barbarie ? »

Zdziechowski Marian

Qu’il finisse donc, ce cauchemar de l’existence, qu’elle disparaisse, cette terre régie par l’injustice, par la loi du meurtre, comme l’enseignait J. de Maistre, cette terre que le sang imbibe comme une rosée, où le fort massacre le faible, car s’il ne le massacrait pas, tous périraient, faibles et forts.


« « Je ne sais, se plaint Manfred, ni ce je que demande, ni ce que je cherche... ma vie me fait envisager l’immortalité avec effroi, comme un avenir calqué sur le passé... » -


Dostoiesky Fiodor , écrivain russe 1821 - 1881

« J’accepte Dieu, s’écrie le même Ivan Karamazov, je l’accepte avec toute sa sagesse, avec son but, qui nous est totalement in-connu ; je crois en l’ordre, en un sens de la vie, je crois en une harmonie éternelle, qui va, dit-on, nous unir un jour tous, tant que nous sommes, je crois au Verbe, qui est Dieu et vers lequel aspire tout ce qui vit — mais le monde créé par Dieu, celui-là je ne l’accepte pas. »

Zdziechowski Marian

« De même toutes nos sympathies sont pour Iridion, sa cause est sainte et si, marchant vers son but, il se sert de moyens que la conscience condamne, c’est parce que la faible n’a pas d’autre arme contre le fort : il fait ce que fait tout le monde, il suit la marche de l’histoire... »

Rozanov Vassili , écrivain Russe 1856 - 1919

« L’Ancien Testament, dit-il ailleurs, c’est aimer Dieu et son prochain ; le Nouveau Testament se résume en 1 sel commandement : fuyez la femme ! »



jeudi 3 mai 2018

Carlo Cafiero Anarchie et communisme



« « Pas d’intermédiaires, pas de représentants qui finissent toujours par ne représenter
qu’eux-mêmes ! Pas de modérateurs de l’égalité, pas davantage de modérateurs de la liberté ! Pas de nouveau gouvernement, pas de nouvel État, dut-il se dire populaire ou
démocrate, révolutionnaire ou provisoire. »

Anarchie et Communisme



Au congrès tenu à Paris par la région du Centre, un orateur, qui s’est distingué par son acharnement contre les anarchistes, disait : Communisme et anarchie hurlent de se trouver ensemble.
Un autre orateur qui parlait aussi contre les anarchistes, mais avec moins de violence, s’est écrié, en parlant d’égalité économique : Comment la liberté peut-elle être violée, lorsque l’égalité existe ?
Eh bien ! je pense que les deux orateurs avaient tort.
On peut parfaitement avoir l’égalité économique, sans avoir la moindre liberté. Certaines communautés religieuses en sont une preuve vivante, puisque la plus complète égalité y existe en même temps que le despotisme. La complète égalité, car le chef s’habille du même drap et mange à la même table que les autres ; il ne se distingue d’eux que par le droit de commander qu’il possède. Et les partisans de "l’État populaire" ? S’ils ne rencontraient pas d’obstacles de toute sorte, je suis sûr qu’ils finiraient par réaliser la parfaite égalité, mais, en même temps aussi le plus parfait despotisme, car, ne l’oublions pas, le despotisme de l’État actuel augmenterait du despotisme économique de tous les capitaux qui passeraient aux mains de l’État, et le tout serait multiplié par toute la centralisation nécessaire à ce nouvel État. Et c’est pour cela que nous, les anarchistes, amis de la liberté, nous nous proposons de les combattre à outrance.
Ainsi, contrairement à ce qui a été dit, on a parfaitement raison de craindre pour la liberté, lors même que l’égalité existe ; tandis qu’il ne peut y avoir aucune crainte pour l’égalité là où existe la vraie liberté, c’est-à-dire l’anarchie.
Enfin, anarchie et communisme, loin de hurler de se trouver ensemble, hurleraient de ne pas se trouver ensemble, car ces deux termes, synonymes de liberté et d’égalité, sont les deux termes nécessaires et indivisibles de la révolution.
Notre idéal révolutionnaire est très simple, on le voit : il se compose, comme celui de tous nos devanciers, de ces deux termes : liberté et égalité. Seulement il y a une petite différence.
Instruits par les escamotages que les réactionnaires de toute sorte et de tout temps ont faits de la liberté et de l’égalité, nous nous sommes avisés de mettre, à côté de ces deux termes, l’expression de leur valeur exacte. Ces deux monnaies précieuses ont été si souvent falsifiées, que nous tenons enfin à en connaître et à en mesurer la valeur exacte.
Nous plaçons donc, à côté de ces deux termes : liberté et égalité, deux équivalents dont la signification nette ne peut pas prêter à l’équivoque, et nous disons : "Nous voulons la liberté, c’est-à-dire l’anarchie, et l’égalité, c’est-à-dire le communisme."
Anarchie, aujourd’hui, c’est l’attaque, c’est la guerre à toute autorité, à tout pouvoir, à tout État. Dans la société future, l’anarchie sera la défense, l’empêchement apporté au rétablissement de toute autorité, de tout pouvoir, de tout État :
pleine et entière liberté de l’individu qui, librement et poussé seulement par ses besoins, par ses goûts et ses sympathies, se réunit à d’autres individus dans le groupe ou dans l’association ; libre développement de l’association qui se fédère avec d’autres dans la commune ou dans le quartier ; libre développement des communes qui se fédèrent dans la région – et ainsi de suite : les régions dans la nation ; les nations dans l’humanité.
Le communisme, la question qui nous occupe plus spécialement aujourd’hui, est le second point de notre idéal révolutionnaire.
Le communisme actuellement, c’est encore l’attaque ; ce n’est pas la destruction de l’autorité, mais c’est la prise de possession, au nom de toute l’humanité, de toute la richesse existant sur le globe. Dans la société future, le communisme sera la jouissance de toute la richesse existante, par tous les hommes et selon le principe : De chacun selon ses facultés, à chacun selon ses besoins, c’est-à-dire : De chacun et à chacun suivant sa volonté.
Il faut remarquer, – et ceci répond surtout à nos adversaires, les communistes autoritaires ou étatistes – que la prise de possession et la jouissance de toute la richesse existante doivent être, selon nous, le fait du peuple lui-même. Le peuple, l’humanité, n’étant pas des individus capables de saisir la richesse et la tenir dans leurs deux mains, on a voulu en conclure, il est vrai, qu’il faut, pour cette raison, instituer toute une classe de dirigeants, de représentants et de dépositaires de la richesse commune. Mais nous ne partageons pas cet avis. Pas d’intermédiaires, pas de représentants qui finissent toujours par ne représenter qu’eux-mêmes ! Pas de modérateurs de l’égalité, pas davantage de modérateurs de la liberté ! Pas de nouveau gouvernement, pas de nouvel État, dut-il se dire populaire ou démocrate, révolutionnaire ou provisoire.
La richesse commune étant disséminée sur toute la terre, tout en appartenant de droit à l’humanité entière, ceux donc qui se trouvent à la portée de cette richesse et en mesure de l’utiliser l’utiliseront en commun. Les gens de tel pays utiliseront la terre, les machines, les ateliers, les maisons, etc., du pays et ils s’en serviront tous en commun. Partie de l’humanité, ils exerceront ici, de fait et directement, leur droit sur une part de la richesse humaine. Mais si un habitant de Pékin venait dans ce pays, il se trouverait avoir les mêmes droits que les autres ; il jouirait en commun avec les autres de toute la richesse du pays, de la même façon qu’il l’eût fait à Pékin.
Il s’est donc bien trompé, cet orateur qui a dénoncé les anarchistes comme voulant constituer la propriété des corporations. La belle affaire que l’on ferait, si l’on détruisait l’État pour le remplacer par une multitude de petits États ! Tuer le monstre à une tête pour entretenir le monstre à mille têtes !
Non ; nous l’avons dit, et nous ne cesserons de le répéter : point d’entremetteurs, point de courtiers et d’obligeants serviteurs qui finissent toujours par devenir les vrais maîtres : nous voulons que toute la richesse existante soit prise directement par le peuple lui-même, qu’elle soit gardée par ses mains puissantes, et qu’il décide lui-même de la meilleure manière d’en jouir, soit pour la production, soit pour la consommation.
Mais on nous demande : le communisme est-il applicable ? Aurions-nous assez de produits pour laisser à chacun le droit d’en prendre à sa volonté, sans réclamer des individus plus de travail qu’ils ne voudront en donner ?
Nous répondons : Oui. Certainement, on pourra appliquer ce principe : De chacun et à chacun suivant sa volonté, parce que, dans la société future, la production sera si abondante qu’il n’y aura nul besoin de limiter la consommation, ni de réclamer des hommes plus d’ouvrage qu’ils ne pourront ou ne voudront en donner.
Cette immense augmentation de production, dont on ne saurait même aujourd’hui se faire une juste idée, peut se deviner par l’examen des causes qui la provoqueront. Ces causes peuvent se réduire à trois principales :
1. L’harmonie de la coopération dans les diverses branches de l’activité humaine, substituée à la lutte actuelle qui se traduit dans la concurrence ;
2. L’introduction sur une immense échelle des machines de toutes sortes ; L’économie considérable des forces du travail, des instruments de travail et des matières premières, réalisée par la suppression de la production nuisible ou inutile.
La concurrence, la lutte est un des principes fondamentaux de la production capitaliste, qui a pour devise : Mors tua vita mea, ta mort est ma vie. La ruine de l’un fait la fortune de l’autre. Et cette lutte acharnée se fait de nation à nation, de région à région, d’individu à individu, entre travailleurs aussi bien qu’entre capitalistes.
C’est une guerre au couteau, un combat sous toutes les formes : corps à corps, par bandes, par escouades, par régiments, par corps d’armée. Un ouvrier trouve de l’ouvrage où un autre en perd ; une industrie ou plusieurs industries prospèrent, lorsque telles ou telles industries périclitent.
Eh bien ! imaginez-vous lorsque, dans la société future, ce principe individualiste de la production capitaliste, chacun pour soi et contre tous, et tous contre chacun, sera remplacé par le vrai principe de la sociabilité humaine : chacun pour tous et tous pour chacun – quel immense changement n’obtiendra-t-on pas dans les résultats de la production ? Imaginez-vous quelle sera l’augmentation de la production, lorsque chaque homme, loin d’avoir à lutter contre tous les autres, sera aidé par eux, quand il les aura, non plus comme ennemis, mais comme coopérateurs. Si le travail collectif de dix hommes atteint des résultats absolument impossibles pour un homme isolé, combien grands seront les résultats obtenus par la grande coopération de tous les hommes qui, aujourd’hui, travaillent hostilement les uns contre les autres ?
Et les machines ? L’apparition de ces puissants auxiliaires du travail, si grande qu’elle nous paraisse aujourd’hui, n’est que très minime en comparaison de ce qu’elle sera dans la société à venir.
La machine a contre elle, aujourd’hui, souvent l’ignorance du capitaliste, mais plus souvent encore son intérêt. Combien de machines restent inappliquées uniquement parce quelles ne rapportent pas un bénéfice immédiat au capitaliste ?
Est-ce qu’une compagnie houillère, par exemple, ira se mettre en frais pour sauvegarder les intérêts des ouvriers et construira de coûteux appareils pour descendre les mineurs dans les puits ? Est-ce que la municipalité introduira une machine pour casser les pierres, lorsque ce travail lui fournit le moyen de faire à bon
marché de l’aumône aux affamés ? Que de découvertes, que d’applications de la science restent lettre morte, uniquement parce qu’elles ne rapporteraient pas assez au capitaliste !
Le travailleur lui-même est aujourd’hui l’ennemi des machines, et ceci avec raison, puisqu’elles sont vis-à-vis de lui le monstre qui vient le chasser de l’usine, l’affamer, le dégrader, le torturer, l’écraser. Et quel immense intérêt il aura, au contraire, à en augmenter le nombre lorsqu’il ne sera plus au service des machines ; au contraire, elles-mêmes seront à son service, l’aidant et travaillant pour son bien-être !
Enfin, il faut tenir compte de l’immense économie qui sera faite sur les trois éléments du travail : la force, les instruments et la matière, qui sont horriblement gaspillés aujourd’hui, puisqu’on les emploie à la production de choses absolument inutiles, quand elles ne sont pas nuisibles à l’humanité.
Combien de travailleurs, combien de matières et combien d’instruments de travail ne sont-ils pas employés aujourd’hui par l’armée de terre et de mer, pour construire les navires, les forteresses, les canons et tous ces arsenaux d’armes offensives et défensives ! Combien de ces forces sont usées à produire des objets de luxe qui ne servent qu’à satisfaire des besoins de vanité et de corruption !
Et lorsque toute cette force, toutes ces matières, tous ces instruments de travail seront employés à l’industrie, à la production d’objets qui eux-mêmes serviront à produire, quelle prodigieuse augmentation de la production ne verrons-nous pas surgir !
Oui, le communisme est applicable ! On pourra bien laisser à chacun prendre à volonté ce dont il aura besoin, puisqu’il y en aura assez pour tous. On n’aura plus besoin de demander plus de travail que chacun n’en voudra donner, parce qu’il y aura toujours assez de produits pour le lendemain.
Et c’est grâce à cette abondance que le travail perdra le caractère ignoble de l’asservissement, en lui laissant seulement le charme d’un besoin moral et physique, comme celui d’étudier, de vivre avec la nature.
Ce n’est pas tout d’affirmer que le communisme est chose possible nous pouvons affirmer qu’il est nécessaire. Non seulement on peut être communiste ; il faut l’être sous peine de manquer le but de la révolution.
En effet, après la mise en commun des instruments de travail et des matières premières, si nous conservions l’appropriation individuelle des produits du travail, nous nous trouverions forcés de conserver la monnaie, partant une accumulation de richesses plus ou moins grande, selon plus ou moins de mérite, ou plutôt d’adresse des individus. L’égalité aurait ainsi disparu, puisque celui qui parviendrait à posséder plus de richesses se serait déjà élevé par cela même au dessus du niveau des autres Il ne resterait plus qu’un pas à faire pour que les contre-révolutionnaires établissent le droit d’héritage. Et, en effet, j’ai entendu un socialiste de renom, soi-disant révolutionnaire, qui soutenait l’attribution individuelle des produits, finir par déclarer qu’il ne verrait pas d’inconvénients à ce que la société admît la transmission de ces produits en héritage : la chose selon lui, ne porterait pas à conséquence. Pour nous qui connaissons de près les résultats auxquels la société en est arrivée avec cette accumulation des richesses et leur transmission par héritage, il ne peut pas y avoir de doute à ce sujet.
Mais l’attribution individuelle des produits rétablirait non seulement l’inégalité parmi les hommes, elle rétablirait encore l’inégalité entre les différents genres de travail. Nous verrions reparaître immédiatement le travail "propre" et le travail "malpropre", le travail "noble" et le travail "ignoble" : le premier serait fait par les plus riches, le second serait l’attribution des plus pauvres. Alors ce ne serait plus la vocation et le goût personnel qui détermineraient l’homme à s’adonner à tel genre d’activité plutôt qu’à un autre : ce serait l’intérêt, l’espoir de gagner davantage dans telle profession. Ainsi renaîtraient la paresse et la diligence, le mérite et le démérite, le bien et le mal, le vice et la vertu, et, par conséquent, la "récompense", d’un côté, et la "punition", de l’autre, la loi, le juge, le sbire et la prison.
Il y a des socialistes qui persistent à soutenir cette idée de l’attribution individuelle des produits du travail en faisant valoir le sentiment de la justice. Etrange illusion ! Avec le travail collectif, que nous impose la nécessité de produire en grand et d’appliquer sur une large échelle les machines, avec cette tendance, toujours plus grande, du travail moderne à se servir du travail des générations précédentes, - comment pourra déterminer ce qui est la part du produit de l’un et la part du produit d’un autre ? C’est absolument impossible, et nos adversaires le reconnaissent si bien eux-mêmes, qu’ils finissent par dire : "Eh bien ! nous prendrons pour base de la répartition l’heure de travail" ; mais, en même temps, ils admettent eux-mêmes que ce serait injuste, puisque trois heures du travail de Pierre peuvent souvent valoir cinq heures du travail de Paul.
Autrefois nous nous disions "collectivistes", puisque c’était le mot qui nous distinguait des individualistes et des communistes autoritaires ; mais, au fond, nous étions tout bonnement communistes anti-autoritaires, et en nous disant "collectivistes", nous pensions exprimer par ce nom notre idée que tout doit être mis en commun, sans faire de différence entre les instruments et matières de travail et les produits du travail collectif.
Mais, un beau jour, nous avons vu surgir encore une nouvelle nuance de socialistes qui, ressuscitant les errements du passé, se mirent à philosopher, à distinguer, à différencier sur cette question, et qui finirent par se faire les apôtres de la thèse suivante :
"Il existe – disent-ils – des valeurs d’usage et des valeurs de production. Les valeurs d’usage sont celles que nous employons à satisfaire nos besoins personnels : c’est la maison que nous habitons, les vivres que nous consommons, les vêtements, les livres, etc., tandis que les valeurs de production sont celles dont nous nous servons pour produire : c’est l’atelier, les hangars, l’étable, les magasins, les machines et les instruments de travail de toute sorte, le sol, matières de travail, etc. Les premières valeurs qui servent à satisfaire les besoins de l’individu – disent-ils – doivent être d’attribution individuelle, tandis que les secondes, celles qui servent à tous pour produire, doivent être d’attribution collective."
Telle fut la nouvelle théorie économique trouvée, ou plutôt renouvelée pour le besoin.
Mais je vous demande, à vous qui donnez l’aimable titre de valeur de production au charbon qui sert à alimenter la machine, à l’huile servant pour la graisser, à l’huile qui éclaire sa marche – pourquoi le refuserez-vous au pain et, à la viande dont je me nourris, à l’huile dont j’assaisonne ma salade, au gaz qui éclaire mon travail, à tout ce qui sert à faire vivre et marcher la plus parfaite de toutes les machines, le père de toutes les machines : l’homme ? Vous classez dans les valeurs de production la prairie et l’étable qui sert à abriter les boeufs et les chevaux et vous voulez en exclure les maisons et les jardins qui servent au plus noble de tous les animaux : l’homme ? Où est donc votre logique ?
D’ailleurs, vous-mêmes qui vous faites les apôtres de cette théorie, vous savez parfaitement que cette démarcation n’existe pas en réalité, et que, s’il est difficile de la tracer aujourd’hui, elle disparaîtra complètement le jour où tous seront producteurs
en même temps que consommateurs.
Ce n’est donc pas cette théorie, on le voit, qui aurait pu donner une force nouvelle aux partisans de l’attribution individuelle des produits du travail. Cette théorie n’a obtenu qu’un seul résultat : celui de démasquer le jeu de ces quelques socialistes qui voulaient atténuer la portée de l’idée révolutionnaire ; elle nous a ouvert les yeux et nous a montré la nécessité de nous déclarer tout carrément communistes.
Mais enfin abordons la seule et unique objection sérieuse que nos adversaires aient avancée contre le communisme.
Tous sont d’accord que nous allons nécessairement vers le communisme, mais on nous observe qu’au commencement, les produits n’étant pas assez abondants, il faudra établir le rationnement, le partage, et que le meilleur partage des produits du travail serait celui basé sur la quantité du travail que chacun aura faite.
A ceci nous répondons que, dans la société future, lors même que l’on serait obligé de faire le rationnement, on devrait rester communistes : c’est-à-dire le rationnement devrait se faire, non pas selon les mérites, mais selon les besoins. Prenons la famille, ce modèle du petit communisme (d’un communisme autoritaire plutôt qu’anarchiste, il est vrai, ce qui, d’ailleurs, dans notre exemple, ne change rien).
Dans la famille, le père apporte, supposons cent sous par jour, l’aîné trois francs, un garçon plus jeune, quarante sous, et le gamin seulement vingt sous par jour. Tous apportent l’argent à la mère qui tient la caisse et qui leur donne à manger. Tous apportent inégalement, mais au dîner chacun se sert à sa guise et selon son appétit ; il n’y a pas de rationnement. Mais viennent les mauvais jours, et la dèche force la mère à ne plus s’en remettre à l’appétit et au goût de chacun pour la distribution du dîner. Il faut faire un rationnement et, soit par l’initiative de la mère, soit par convention tacite de tous, les portions sont réduites. Mais voyez, cette répartition ne se fait pas suivant les mérites, car c’est le plus jeune garçon et le gamin surtout qui reçoivent la plus grosse part, et quant au morceau choisi, il est réservé pour la vieille qui ne rapporte rien du tout. Même pendant la disette, on applique dans la famille ce principe de rationnement selon les besoins. En serait-il autrement dans la grande famille humaine de l’avenir ? Il est évident qu’il y aurait à dire davantage sur ce sujet, si je ne le traitais pas devant des anarchistes.
On ne peut pas être anarchiste sans être communiste. En effet, la moindre idée de limitation contient déjà en elle-même les germes d’autoritarisme. Elle ne pourrait pas se manifester sans engendrer immédiatement la loi, le juge, le gendarme. Nous devons être communistes, car c’est dans le communisme que nous réaliserons la vraie égalité. Nous devons être communistes, parce que le peuple, qui ne comprend pas les sophismes collectivistes, comprend parfaitement le communisme comme les amis Reclus et Kropotkine l’ont déjà fait remarquer. Nous devons être communistes, parce que nous sommes des anarchistes, parce que l’anarchie et le communisme sont les deux termes nécessaires de la révolution.


Carlo Cafiero (1880)

Journal de la Commune


Quelques jours avant la révolution du 18 mars, l’Emancipation de Toulouse
publiait l’article suivant qui fait honneur au sens politique de son auteur :


« Les nouvelles de Paris sont de plus en plus graves.
Il y a un parti pris de compromettre la paix publique et de troubler la sûreté du pays.
Il y a un complot organisé pour exciter à la haine des citoyens les uns envers les autres, et pour faire succéder à la guerre contre l’étranger la hideuse guerre civile.
Les auteurs de cette criminelle tentative sont les drôles qui se gratifient indûment du titre de « défenseurs de l’ordre, de la famille et de la propriété. »
L’un des agents les plus actifs de ce complot contre la sûreté publique s’appelle Vinoy ; il est général, et il fut sénateur.
Lorsque Trochu, après avoir prêté publiquement serment de ne jamais livrer Paris, crut que le moment, depuis longtemps attendu par lui, d’ouvrir la grande ville aux Prussiens, était enfin venu, Trochu, par un procédé familier aux jésuites de toute robe, tint son serment en le violant. Il se démit de son titre de général en chef, et le passa aux vieux podagres que la bande décembriste avait jugé digne d’être un sénateur à sa discrétion.
Vinoy ne fit rien contre la Prusse, — au contraire. On ignore pas que Chanzy ayant déclaré que la résistance était possible, même après l’armistice, Vinoy déclara, en gémissant, qu’il protestait contre la reprise des hostilités, et que, plutôt que de la voir, il irait se constituer prisonnier en Prusse.
Mais les Prussiens sont partis ; les capitulards du gouvernement de la lâcheté nationale et de l’Assemblée rurale les renvoient avec force génuflexions, gorgés de l’or de la France, propriétaires de la Lorraine et de l’Alsace, nantis, en garantie, de tous les départements de l’est.
Changement de tableau.
Ces généraux, couards devant la Prusse, deviennent aussitôt des foudres de guerre contre les Français.
Oui, il y a une conspiration contre la République et contre le peuple ; Oui, le parti de l’ordre cherche à donner à cette conspiration une issue heureuse pour lui, prochaine et sanglante.
De toutes parts, l’ouvrier demande du travail, et des garanties de salaire. On lui répond en l’insultant ; et, en quelques endroits, — à Roubaix, par exemple, — les pêcheurs en eau trouble des comités démocratiques font chorus avec la réaction.
A Saint-Etienne, au Creuzot, à Marseille, même jeu, même comédie présente, même tragédie future.
Ne voilà-t-il pas que l’on déclare maintenir les lois stupides et odieuses édictées sous les monarchies contre la liberté de réunion et d’association ?…
Et, pour comble d’impudence, ne se permet-on pas de juger et de condamner les patriotes qui au 31 octobre, à Paris, ont voulu contraindre un pouvoir lâche et sans vergogne à se rappeler enfin qu’il était censé représenter non la Prusse, mais la France — et qu’il devait enfin tenter une sortie décisive, sous peine d’être reconnu coupable de haute trahison !
Au moment où le peuple de Paris vient de reconnaître par son vote que le plébiscite de novembre fut une grave erreur ; — au moment où des hommes graves comme Peyrat avouent que l’insurrection du 31 octobre, si elle eût réussi, pouvait seule sauver la patrie, — des hommes de guerre se réunissent, et sans hésiter, condamnent les Blanqui, les Flourens et autres à la peine de mort.
Il est vrai, très honorés seigneurs que Les gens que vous tuez se portent assez bien ; mais enfin, s’ils ne se sont pas fusillés, ce n’est pas votre faute, et nous nous hâtons de prendre acte de ce que, par vous, la peine de mort, en matière politique, est rétablie. C’est un précédent.


Journal de la Commune


On lit dans la Commune :

« Les efforts tentés par M. Jules Favre, pour chercher dans l’intervention prussienne un point d’appui contre la Révolution du 18 mars, vont enfin être percés à jour. Interpellé, dans la séance nocturne du 23, sur la communication officielle du quartier général prussien au Gouvernement de l’Hôtel-de-Ville, le ministre de la capitulation n’a pu que se réfugier dernière des faux-fuyants pour faire concorder ce document avec celui dont il avait donné lecture la veille. A la déclaration si catégorique du commandant prussien, il n’a trouvé à opposer que deux dépêches de Berlin et de Rouen, dans lesquelles l’autorité prussienne se réserve le droit de réprimer l’émeute de Paris.
Ces réserves sont formulées en ces termes par la Gazette de l’Allemagne du Nord, organe officiel de M. de Bismarck : « IL EST DE LA PLUS GRANDE IMPORTANCE POUR NOUS QUE LE NOUVEAU GOUVERNEMENT DU COMITÉ CENTRAL DE PARIS AIT AUSSI L’INTENTION D’EXÉCUTER LE TRAITÉ DE PAIX.
« NOUS POURRONS DONC TRANQUILLEMENT ATTENDRE LA MARCHE ULTÉRIEURE DES CHOSES. »
Mais une révélation bien autrement grave nous est rapportée par un journal anglais, le Weekly Lloyd, que nous traduisons fidèlement pour l’édification de ceux qui, jusqu’à ce jour, ont eu des yeux pour ne point voir et des oreilles pour ne point entendre.
Voici ce que dit le journal anglais :
« Le comte de Bismarck en arrivant à Berlin s’entretint avec les notables qui sollicitaient l’autorisation de présenter leurs hommages au chef diplomatique de la campagne. A l’un, le chancelier fédéral affirmait que la Champagne ne serait pas longtemps occupée, attendu que la France payerait certainement l’indemnité aussi tôt que possible.
« À d’autres, M. de Bismarck confia que L’ASSEMBLÉE NATIONALE AURAIT PRÉFÉRÉ VOIR LA PRUSSE OCCUPER PARIS, DÉSARMER LA GARDE NATIONALE PLUTÔT QUE DE S’INCLINER DEVANT L’OPINION RÉPUBLICAINE. »
Ces lignes portent tout naturellement à croire que le gouvernement et l’Assemblée ont pu s’entendre avec M. de Bismarck pour étouffer la révolution et assassiner la République.
Le journal anglais nous donne lui-même à ce sujet tous les renseignements désirables.
Continuons :
« Nous sommes en mesure, écrit-il, d’affirmer, de façon à défier même un démenti de l’ambassadeur que M. Thiers s’est cru le devoir d’envoyer à Londres, que ce sont bien MM. Jules Favre et Thiers qui ont fait au comte de Bismarck L’OUVERTURE DONT IL EST QUESTION CI-DESSUS, c’est-à-dire de lui livrer Paris, en s’autorisant de l’opinion de la majorité de l’Assemblée nationale.
« Quant à la réponse de M. de Bismarck à ces attrayantes ouvertures, elle serait navrante pour M. Thiers. Il aurait, assure-t-on, répondu que les affaires intérieures de la France ne le regardent pas, que d’ailleurs les hommes du Comité central, Assi entre autres, n’ont trompé personne ; que lorsque MM. Jules Favre et Thiers ont accepté, — alors qu’on vantait leurs vertus, — ces hommes intègres, comme instruments de leur opposition à l’Empire, ils ne le faisaient qu’au point de vue de leurs intérêts personnels ou dynastiques. Que, dans ce cas, le Comité central est encore le pouvoir qui lui inspire le plus d’estime ; qu’à peine vainqueur, il parle de s’effacer, tandis que vaincus par le ridicule, après avoir été déshonorés par le crime, les hommes du 4 septembre s’obstinent à vouloir demeurer! »
Il résulte donc de l’opinion du journal anglais que le patriotisme de Versailles équivaut à un patriotisme monarchique. Le roi avant tout, même avec le Prussien, et meure la France si l’on peut crier Vive le roi !
Aujourd’hui, ils envoient l’amiral Saisset pour parlementer.
Méfions-nous d’un parlementaire qui se présente l’arme au poing. Cette concession cache une surprise, un piège ; ne nous y laissons pas prendre.

Journal de la Commune


Paris, le 25 mars 1871.

Certains gardes du 61e bataillon ont prétendu qu’ils avaient reçu, le 23 mars, un supplément de solde de un franc par garde ; après explications fournies par le citoyen délégué aux finances, il a été reconnu que cette assertion était fausse et de nature à tromper l’opinion publique sur l’honorabilité des officiers payeurs des autres bataillons, attendu que le ministère des finances n’a fourni que la solde individuelle et journalière de 1 fr. 50.
En conséquence, le Comité invite les gardes nationaux à rechercher d’où peut provenir ce supplément de solde, et à se tenir en garde contre les meneurs qui voudraient les détourner de leurs devoirs.
Paris, 24 mars 1871.
Le caissier principal,
G. DURAND.
Copie de la note ci-dessus a été délivrée aux officiers payeurs des 169e, 64e,
168e, 77e, 129e, 124e, 125e, 142e, 220e, 245e, et 74e bataillons.

Journal de la Commune


VILLE DE PARIS
MAIRIE DU XXE ARRONDISSEMENT

Citoyens du XXe arrondissement,
Nous venons de prendre à votre le poste auquel votre confiance nous avait appelés, et qui, jusqu’ici, avait été occupé par un commissaire provisoire.
L’admirable victoire qui a remis le peuple parisien en possession de son indépendance communale n’est encore qu’incomplète.
Il nous faut soutenir énergiquement notre droit à l’autonomie municipale, contre tous les empiétements arbitraires, illégaux, des pouvoirs politiques.
La majorité de nos collègues aux mairies de Paris et quelques députés de Paris prétendent que nous ne pouvons élire nos conseillers municipaux, sans que l’Assemblée de Versailles ait statué sur notre droit à faire des élections.
Cette prétention, insoutenable en bonne justice, est le fruit d’une erreur complète de principes et d’une confusion flagrante de pouvoirs. Le droit que possède chaque commune d’élire sa municipalité est imprescriptible et inaliénable. Ce droit, toutes les communes de France, excepté Paris, l’exercent, et il n’a pu vous être ravi que par l’abominable despotisme de l’Empire.
Paris a reconquis son droit de municipalité libre par sa dernière révolution ; malheur à qui essaierait de le lui reprendre !
Cette entreprise insensée, criminelle, serait le signal de la guerre civile. Nous ne voulons plus que notre sang coule dans des luttes fratricides entre Français.
C’est pourquoi nous ne voulons plus dans Paris d’autre armée que la garde nationale, d’autre municipalité que celle librement élue par le peuple.
Nous vous convoquons donc pour demain dimanche, 26 mars, à l’effet d’élire, dans le XXe arrondissement, quatre représentants au conseil municipal de Paris.
En même temps que cette affiche, en paraît une autre où nous vous indiquons le mode de votation et le lieu de vote pour chaque section de l’arrondissement.
Citoyens, les hommes que vous avez chargés de défendre provisoirement vos intérêts, et qui siègent en ce moment à l’Hôtel-de-Ville, vivent de leurs trente sous de gardes nationaux, eux et leurs familles.
C’est la première fois qu’un tel exemple de désintéressement se produit dans l’histoire.
Faites en sorte de nommer des hommes aussi dévoués, aussi honnêtes, et vous aurez sauvé la France.
Vive la république démocratique et sociale, universelle !
Paris, le 25 mars 1871.
Le maire
RANVIER
L’adjoint,
GUSTAVE FLOURENS