Les éléments d'un rêve ou d'une hallucination sont des transpositions; l'utilisation poétique du rêve revient à une consécration de la censure inconsciente, c'est-à-dire de la honte secrète et des lâchetés. la terreur des éléments "réels" de la séduction est d'ailleurs le noeud même de tous les mouvements qui composent l'existence psychologique, et il n'est pas étonnant de trouver de toutes parts des échappatoires: la poésie, dont le bon renom persiste dans tous les sens, est, dans la plupart des cas, l'échappatoire la plus dégradante. D'autre part, il ne peut être question que la séduction cesse d'être terrible, mais seulement que la séduction soit la plus forte, si épouvantable que soit la terreur.
Quel que soit le caractère insipide de la vie habituelle, où tous les efforts sont justement conjugués pour dissimuler, il se passe incessamment sur le sol terrestre de quoi provoquer sans fin l'épouvante spasmodique. N'importe quel corps recèle des possibilités de souffrance et d'horreur sanglante ou nauséabonde dont l'imagination la plus dépravée ne viendra jamais à bout. En général ce sont les religions qui permettent de déterminer les attitudes humaines à cet égard, car c'est seulement excédés par la mort et les cercueils que des hommes trouvent une inspiration qui emporte leur voix avec une violence prophétique. l'attitude équivoque dans les religions des sauvages - où l'attrait délirant alterne avec l'effroi - se décide dans le sens de l'effroi au cours de l'évolution représentée par les grandes religions qui consacrent pour la plupart l'émasculation spirituelle. le renoncement boudhique procédant de l'impossibilité de supporter le spectacle des douleurs est caractéristique, mais la méthode chétienne, où l'ascèse est directement liée à la méditation d'un supplice, ne l'est pas moins. A la longue, ces techniques religieuses perfectionnées se transforment dans l'ensemble en dissimulation mentale et en platitudes généralisées, le meilleur moyen d'éviter la pensée des souffrances étant le renoncement au goût même des joies excédentes. C'est seulement à une époque récente que s'est fait jour ouvertement l'attitude contraire, qui consiste à révéler que la crainte extrême de la pourriture et des mutilations sanglantes est liée à une séduction violente que tout le monde voudrait bien se dissimuler.
Après les révélations résultant de l'analyse des rêves, à laquelle est lié le nom de Sigmund Freud, nous avons été amenés à voir que la différentce entre des peuples aussi cruels que les Assyriens et les peuples contemporains était une différence superficielle, que les revendications scandaleuses du marquis de Sade étaient aussi naturelles que les fièvres des animaux quand ils ont soif. le sens des choses horribles qui ont lieu sur le sol terrestre consiste à séduire secrètement jusqu'à les rendre malades les plus délicats et les plus purs d'entre nous. Et chaque matin la foule des êtres humains que le soleil éveille dans une ville réclame la pâture d'horreur, qu'en dépit de l'étonnement et même des protestations des chroniqueurs moralistes, les grands quotidiens ne manquent pas de lui apporter, sans omettre aucun détail : car ce qu'il faut savoir avant toute autre chose c'est ce qui s'est passé d'atroce. Avant la guerre, une rubrique de "L'oeil de la police" s'appelait "La semaine sanglante": en dépit d'un effroi maladif , les faits qui étaient rapportés dans cette chronique, loin de rendre la vie odieuse et insurmontable, sont de ceux qui contribuent à l'agitation et à l'excitation générale et exaspérante d'une grande agglomération urbaine, spectacle en un certain sens incroyable.
En contraste avec cette grande palpitation populacière, "absolument saine" (les êtres moralement les plus robustes et les mieux adaptés à la vie sont peut-être les bouchers), et en dépit de la surdité relative des foules, le "garde-à-vous" proféré par tous les monuments publics et les uniformes retentit comme une imprécation incessante, contraignant en fin de compte et bon an mal an la foule à se tenir correctement dans la rue; "garde-à-vous" répété d'écho en écho et qui retentit amplifié autant qu'un coup de tonnerre aux oreilles de tous ceux qui cherchet à exprimer leur pensée; "garde-à-vous" déprimant et déconcertant qui les engage à se réfugier loinde tout bruit dans n'importe quelle nursery, réservée aux balbutiements poétiques et aux ébats des chevaux d'ombre. cependant la nuit , quand on n'entend plus rien, il y a de grands quartiers déserts où on rencontre seulement des rats, rats "réels" qu'on peut traverser de part en part et faire agoniser avec des épingles à chapeau..."
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