dimanche 4 février 2024

Michel Surya : « Défense d’écrire »

 


 

« C’est affaire d’âge ou de génération sans doute : le communisme a toujours pour moi été mort ; si j’ose dire, politiquement mort, qui ne l’est donc pas devenu depuis,. Parce que l’Union Soviétique, bien sûr, avait eu tôt fait d’engloutir le bolchévisme, qui l’a tué dans l’œuf – mon adolescence a suffi pour que je le sache. Parce que mai 1968 ensuite –dont les années 70 ont eu si cruellement raison, je l’ai dit déjà. Et parce que la révolution chinoise n’aura pas eu le temps, en tout cas pour moi, de remplacer l’illusion bolchévique par l’illusion itérative ou substitutive dont on a tous toujours pauvrement besoin, pour ne pas rester sans illusion. Après que la grande politique a disparu, alors, du communisme donc, supposons-le puisque tu le demandes, mais j’aimerais mieux dire révolutionnaire (c’est-à-dire utopique ou anarchiste), le temps est tout de suite venu que la petite politique (progressiste dans le meilleur des cas) disparaisse aussi, à son tour, dans laquelle se sont tous tout aussitôt reconvertis les déçus de la grande. Les convertis de fraîche date, les repentis : époque sinistre ! L’encan généralisé ! C’est-à-dire le sauve-qui-peut des places ! S’il y a quelque chose dont le temps de mon travail a été contemporain, c’est de la disparition même de la petite politique, pas de la grande, puisque le peu qu’il restait de cette dernière s’était réfugié dans la petite, dont 1981 (ou si on préfère, 83) aura été l’illustration sinistre. Petite politique qui, pour les mieux lotis, n’existe plus depuis que sous les traits résiduels, amers, revanchards, de l’accomplissement narcissique et servile des mouvements prospérant de la domination de l’argent et, pour les plus mal lotis (mais parfois pour les mêmes tellement tout le monde semble perdu), du retour aux vieilleries violentes, identitaires, nationales, religieuses – tout le toutim de l’horreur des années trente en somme, même s’il n’y a pas encore besoin d’y mettre la même violence. »

Aucun commentaire: