vendredi 19 janvier 2024

Lignes N° 72 Article : « Les mouvements de sans-papiers : une nouvelle internationale » de Christiane Vollaire


1/         Une cosmopolitique inversant les subalternités

Dans un texte de 1997, publié à l’occasion de l’occupation de l’église Saint-Bernard à paris par un collectif de migrants et intitulé « Ce que nous devons aux sans-papiers », Balibar écrivait :

« Enfin nous leur devons d’avoir (avec d’autres – ainsi les grévistes de 1995) recréé parmi nous de la citoyenneté, en tant qu’elle n’est pas une institution ou un statut, mais une pratique collective. […] Ainsi les sans-papiers, « exclus » parmi les « exclus » (et certes ils ne sont pas les seuls), ont cessé de figurer simplement des victimes, pour devenir des acteurs de la politique démocratique. Ils nous aident puissamment, par leur résistance et leur imagination, à lui redonner vie ».

 

Ce texte joue un rôle fondateur, au sens où il inverse véritablement le rôle de l’ »étranger » subalternisé en en faisant non pas celui qui s’oppose au citoyen, mais celui qui oblige à refonder le concept de citoyenneté, à lui donner son sens le plus puissant en exigeant sa place comme acteur de la vie sociale commune. Celui qui fait de la citoyenneté non pas un simple acquis administratif, mais une véritable « praxis » en cours.

Et pourtant, il reste encore dans ce texte un « nous » qui, malgré tout, dissocie le détenteur effectif du titre de citoyenneté, du sans-papiers. Ce « nous » débiteur inverse opportunément le régime de l’aide, de la dette et de l’assistance, puisque c’est au citoyen attitré d’être en quelque sorte conceptuellement soutenu par celui dont l’action politique donne son sens le plus profond à ses propres acquis sociaux. Mais il n’inclut pas encore pour autant cet autre dans une cosmopolitique telle que la défendra en 2003 le philosophe Etienne Tassin dans « Un monde commun : pour une cosmopolitique des conflits :

« Il est possible que le seul monde commun auquel puissent prétendre les actions politiques qui se soucient de l’instauration d’un monde soit le « monde commun des étrangers ». Ou encore, qu’il faille se rendre à soi-même étranger pour honorer la pluralité sans laquelle aucun monde ne saurait être dit commun ».

 

Dans cette intention cosmopolitique, reprenant à nouveaux frais la thématique kantienne, il s’agit bel et bien d’un effacement des frontières non seulement physiques, mais subjectives, où c’est l’étrangeté elle-même qui fait commun. Une forme d’utopie qui vient en contrepoint des dystopies xénophobes servant de boussole à une large part des décideurs politiques contemporains, à leurs commanditaires économiques et aux médias de masse qui constituent leur police idéologique. »

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