1/ Une cosmopolitique inversant les subalternités
Dans un texte de 1997,
publié à l’occasion de l’occupation de l’église Saint-Bernard à paris par un
collectif de migrants et intitulé « Ce que nous devons aux sans-papiers »,
Balibar écrivait :
« Enfin nous leur
devons d’avoir (avec d’autres – ainsi les grévistes de 1995) recréé parmi nous
de la citoyenneté, en tant qu’elle n’est pas une institution ou un statut, mais
une pratique collective. […] Ainsi les sans-papiers, « exclus » parmi
les « exclus » (et certes ils ne sont pas les seuls), ont cessé de
figurer simplement des victimes, pour devenir des acteurs de la politique
démocratique. Ils nous aident puissamment, par leur résistance et leur
imagination, à lui redonner vie ».
Ce texte joue un rôle
fondateur, au sens où il inverse véritablement le rôle de l’ »étranger »
subalternisé en en faisant non pas celui qui s’oppose au citoyen, mais celui
qui oblige à refonder le concept de citoyenneté, à lui donner son sens le plus
puissant en exigeant sa place comme acteur de la vie sociale commune. Celui qui
fait de la citoyenneté non pas un simple acquis administratif, mais une
véritable « praxis » en cours.
Et pourtant, il reste encore
dans ce texte un « nous » qui, malgré tout, dissocie le détenteur
effectif du titre de citoyenneté, du sans-papiers. Ce « nous »
débiteur inverse opportunément le régime de l’aide, de la dette et de l’assistance,
puisque c’est au citoyen attitré d’être en quelque sorte conceptuellement
soutenu par celui dont l’action politique donne son sens le plus profond à ses
propres acquis sociaux. Mais il n’inclut pas encore pour autant cet autre dans
une cosmopolitique telle que la défendra en 2003 le philosophe Etienne Tassin
dans « Un monde commun : pour une cosmopolitique des conflits :
« Il est possible que
le seul monde commun auquel puissent prétendre les actions politiques qui se
soucient de l’instauration d’un monde soit le « monde commun des étrangers ».
Ou encore, qu’il faille se rendre à soi-même étranger pour honorer la pluralité
sans laquelle aucun monde ne saurait être dit commun ».
Dans cette intention
cosmopolitique, reprenant à nouveaux frais la thématique kantienne, il s’agit
bel et bien d’un effacement des frontières non seulement physiques, mais
subjectives, où c’est l’étrangeté elle-même qui fait commun. Une forme d’utopie
qui vient en contrepoint des dystopies xénophobes servant de boussole à une
large part des décideurs politiques contemporains, à leurs commanditaires
économiques et aux médias de masse qui constituent leur police idéologique. »
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