Lignes N° 72 est sorti.
Enfin…
Accouchement difficile…Dans la douleur…
Il est le dernier, le dernier en date mais également le dernier de son existence…
Je vais vous laisser lire ce qu’en dit Michel Surya, créateur et directeur de la publication…
Lignes, je l’ai toujours dit, c’était une fenêtre, ouverte vers l’air frais, vers la réflexion hors des champs habituels, des propos que l’on n'entendait jamais…Jamais…Des constats durs, sans concession mais jamais aucune désespérance...
Aujourd’hui, Michel Surya a pris cette terrible décision de mettre un terme à cette revue de réflexion, maintenant, comme si…
Comme si il n’y avait plus d’espoir
Comme si jamais aucun argument ne fera changer les choses…
Comme si la route était tracée…
Michel Surya fait ce constat maintenant définitif car Lignes ne sortira plus jamais…
Comme il dit Lignes disparait...
C'est le terme "disparait" disparait comme disparait tout espoir...
Lignes était une fenêtre de lumières aussi
Des intellectuels d’une clairvoyance incroyable que l’on n’entend jamais, que l’on ne voit jamais…
Lignes était donc une fenêtre qui se ferme…définitivement
Finalement, c’était une fenêtre qui donnait sur la cours,
Ces fameuses cours dans lesquelles on retrouvait les corps des Communards en 1871 pendant des semaines,
Ces cours dans lesquelles on a également retrouvé les algériens de 1961,
Ces cours, sombres, lieux où se passent les pires horreurs…les exécutions sommaires...
"Lignes disparait".
je suis en deuil....
Voilà l’avant-propos :
« Commencement et fin.
Présentation.
« Ce qui vient » :
soit le titre de ce numéro de « Lignes », son soixante-douzième
numéro, depuis 2000 du moins, date du commencement de sa seconde série, mais le
cent dixième si l’on compte la première avec.
Pour autant, pas qu’un
numéro de plus, « le dernier »
Facile ni à décider ni à
dire, même y pensant depuis un moment, à fortiori quand rien n’y oblige.
D’autant moins facile à
décider et dire que ce numéro n’est pas le dernier d’une histoire courte, qui l’est
au contraire d’une histoire qui a commencé en 1987, il y a trente-sept ans, a
uni et unit encore des personnes auxquelles ne manquent, ou presque, que celles
qui ont hélas disparu (d’autres se sont dispersées que la surenchère aura
attiré, à leurs détriments). Histoire si ancienne, donc, que peu sont à l’avoir
connu toute, peu même à y avoir tout entière participé.
Décision que dicte quoi ?
Le temps qui passe, bien sûr, qui ne passe pas moins sur les œuvres (et une
revue est une œuvre aussi bien, et complexe, et fragile, parce que collective)
que sur les êtres, lesquelles ne vieillissent pas moins – de combien qui existent
encore peut-on le dire qui survivent poussivement aux raisons qui les ont fait
naitre ?
Que dicte aussi la
désaffection manifeste dont elles sont, et depuis longtemps déjà, l’objet. La
désaffection, surtout, des revues « papier », de moins en moins lues (comment
savoir si les revues « numériques » leur survivront mieux : un
clic ne fait pas une lecture, et n’est pas encore égal à un abonnement ou à un
achat en librairie). Le fait est que les tirages ont terriblement baissé au
long de toutes ces années. Durant les douze premières années de la revue, qui
sont aussi les douze dernières du XX siècle, il n’était pas rare que 1500
exemplaires d’un numéro aient été vite épuisés ; 25 ans plus tard, il est
rare qu’un tirage de 750 le soit, s’agissant de « Lignes » du moins (
très grande discrétion sur ces sujets-là dans le monde de l’édition, de toute
façon, l’un des plus pudibonds qui soit, quelque effort qu’il ait fait pour se
mettre à la page du commerce de gros – une escouade aura été formée de
vérificateurs des coûts et dépenses devant laquelle toute l’édition ou presque
aura dû fléchir le genou.
Il faut dire que la presse
écrite était considérable alors, qui ne doutait pas que se jouait dans les
revues d’idées l’essentiel de la pensée intellectuelle-politique vivante, qui y
renvoyait régulièrement. Des rubriques hebdomadaires existaient pour cela, qu’ont
tenues des Olivier Corpet, Pierre Lepape, Patrick Kéchichian, etc., dans les
plus lus des quotidiens, Maurice Nadeau, même. Plus rien de cela depuis de
longues années déjà.
Faits manifestes, massifs.
Plus décisif, assez décisif
pour en finir : l’impossibilité d’envisager que « Lignes »
continue de paraitre quand l’extrême droite et la droite unies (qui le sont
déjà de bien des façons) seront au pouvoir en France (comme de plus en plus
partout et tout proche, en Italie, en Espagne même, qui ont pourtant payé pour
savoir ce qu’il en était), alors que « Lignes » est très exactement
née contre cette hypothèse. Pour mémoire (pour celle de ceux qui en ont l’âge) :
le n°2 (1987), contre une révision dudit « code de la nationalité » ;
le n°4, « Les extrêmes droites en France et en Europe » (1988) ;
le n°15 : « vers le fascisme » (1992), etc. S’intercalant,
combien de numéros sur les exécrables capitula tions
des gauches successives ? S’intercalant aussi, pas moins importants :
« éloge de l’irréligion », en soutien à Salman Rushdie (écrivain
condamné à mort pour ses Versets sataniques), etc. Cette ligne (ces lignes – de
là le pluriel originaire), jamais « Lignes » n’y aura dérogé, au
risque même, parfois, de prendre à revers quiconque lui était acquis,
acquisition dont elle ne s’est jamais suffi, ne serait-ce que parce la pensée n’est
pas faite pour que tout ne soit pas à chaque instant toujours remis en jeu
(différence, essentielle, entre l’opinion et la pensée).
Rien ne se sera passé aussi
vite qu’on l’a craint, il faut le reconnaitre (l’histoire ne va pas toujours
aussi vite qu’elle le pourrait pourtant, et trente ans sont longs du point de
vue de la vie d’une revue, sinon de l’histoire). Rien ne se sera passé aussi
vite, mais on y est, nul n’en doute plus, les sondages y préparent et une
impatience se ressent : ce n’est pas l’insurrection qui sera venue, ni
viendra (laquelle d’ailleurs, et de quoi ?), comme candidement annoncée
par quelques abstracteurs idéalistes, mais la surréaction. La situation ne sera
pas, elle n’est pas et plus insurrectionnelle, elle est, elle sera
surréactionnelle : nationaliste, raciste, religieuse, antisémite, etc. Ce
qui s’ensuivra : une guerre de tous contre tous, en attaque, s’accusant
chacun de quoi, en défense de qui, se défendant comment, confuse en tous les
cas, à tous les points de vue. C’est tout une pandémie qu’il faut imaginer (l’époque
est à avoir celles-ci pour métaphores), à laquelle la pensée ne sera plus d’aucune
façon intéressée, à laquelle elle ne pourra plus prétendre prendre aucune part
réelle, encore moins efficace.
Ce que dit « ce qui
vient », ici, titre du énième numéro de « Lignes ». Qui dit
aussi que c’est par lui que « Lignes » disparait ».
Michel Surya.
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