Bienveillance
Par Jacob Rogozinski
« J’ai
une règle de vie, c’est la bienveillance. Je n’ai pas besoin, pour exister, de
dire du mal des autres ». C’est ce que répondait en 2016
Emmanuel Macron à un journaliste qui l’interrogeait sur « l’archaïsme »du PS. Il était alors ministre de François
Hollande et se préparait à « trahir
avec méthode » son mentor (Hollande dixit) . « Je crois en
la bienveillance dans le vie politique », déclarera-t-il un an plus tard,
alors qu’il avait fondé En Marche et
était entré en campagne. La bienveillance n’était plus seulement une « règle
de vie » personnelle, mais un des maitres mots de son projet politique.
Aujourd’hui, la bienveillance macronienne est devenue un leitmotiv invoqué en
toutes circonstances par le président – « J’ai vu le visage de la bienveillance », tweete-t-il après
avoir rencontré le dalaï-lama – comme par ses proches. C’est ainsi que son
épouse, aux obsèques de Michou, salue « la
bienveillance et l’extrême élégance » de cette figure du Paris by night. On aurait beau jeu d’ironiser
sur l’écart qui sépare les paroles et les actes en relevant que le « bienveillant »
président l’est surtout envers les plus riches et qu’il n’a pas fait preuve d’une
grande compassion envers les migrants ou les gilets jaunes blessés et mutilés
par centaines par sa police. Il serait
trop facile de rappeler son éloge d’une présidence « jupiterienne »
dont la passion triste réclame.
Mieux vaut chercher d’où provient cette notion et ce qu’elle nous révèle sur le
pouvoir macronien.
Au soir du premier tour,
lorsque ses partisans huaient les noms de Marine le Pen, et de François Fillon,
Macron les avait interrompus en leur demandant de les applaudir : « cela nous ressemble », avait-il
déclaré noblement. La politique de la bienveillance ne se connait pas d’ennemis,
à peine des adversaires, ou plutôt des concurrents comme c’est le cas dans le
mondes affaires. Dans cet espace politique pacifié, aucune position, aussi
extrême soit-elle, n’est en soi inacceptable ; aucun antagonisme ne doit plus
subsister. Au conflit obsolète entre « gauche » et « droite »,
se substitue la synthèse accueillante du en
même temps. A la confrontation des idées, aux affects violents de la lutte
des classes, s’oppose la vision idyllique d’un pays réconcilié autour d’idéaux
communs. La bienveillance macronienne est l’héritière de la gauche de consensus chère à Tony Blair
et à ses émules. Désireuse de désamorcer l’hostilité « archaïque »
des travailleurs envers le marché, la mondialisation et le grand capital, elle
fait la promotion d’une « société du care »
privilégiant l’empathie et le souci des autres sur toutes les formes de conflit
social.
Etre bienveillant, c’est étymologiquement
vouloir le bien. A moins d’être un
libertin sadien, qui oserait prétendre qu’il ne veut pas le bien, le sien et
celui des autres ? Qui oserait être malveillant envers la bienveillance ?
C’est l’atout majeur de la bienveillance en politique : elle disqualifie
par avance toute critique. S’y opposer relève d’une faute morale, voire d’une
pathologie. Pour un président qui se pique de philosophie, celle-ci porte un
nom spiniziste : ceux qui contestent sa politique sont mus par leurs passions tristes. Dans son livre
manifeste, intitulé par antiphrase Révolution,
il écrivait que les Français sont « recroquevillés
sur leurs passions tristes, la jalousie, la défiance, la désunion, une certaine
forme de mesquinerie, parfois de bassesses ». Recroquevillés sur leurs
passions tristes, la jalousie, la défiance, la désunion, une certaine forme de mesquinerie, parfois de
bassesses ». Protester contre la suppression de l’ISF, c’est être
jaloux des « premiers de cordée ». S’opposer à la réforme des
retraites, c’est s’affirmer comme un ennemi de la confiance de l’unité
nationale et de l’élévation morale.
La politique de la
bienveillance dispose ainsi d’une parade efficace : lorsqu’on s’en prend à
elle, elle se replie sur le plan de la morale. Il est vrai que, longtemps avant
d’être récupérée par des politiciens, la bienveillance était désignée comme une
vertu éthique. Selon Aristote, elle s’apparente à l’amitié. Or, celle-ci
suppose l’égalité entre les amis et c’est pourquoi aucune amitié n’est possible
avec un animal ni avec un dieu. Il en va de même de la bienveillance éthique :
elle aussi implique l’égalité et la réciprocité. Ce n’est pas le cas de la
bienveillance macronienne ou du care qui
en est une variante. Selon ses apôtres, le paradigme du care est la relation de soin, de souci-pour-l’autre, qui est précisément
celle du soignant ou de la mère qui
prend soin de son enfant. Il s’agit d’une relation inégale, dissymétrique,
puisqu’elle met en rapport un bien-portant et un malade, un handicapé ou une
personne âgée, ou bien un adulte et un enfant. Les uns savent ce qui est bon
pour les autres et peuvent agir pour en prendre soin, alors que les autres en
sont incapables. Dans son essai Sur le
lien commun, Kant avait déjà dit l’essentiel sur cette politique de la
bienveillance qu’il juge « despotique »
et à l’opposé d’une politique républicaine. En effet, « un gouvernement fondé sur le principe de la
bienveillance envers le peuple » considère les citoyens comme « des enfants mineurs incapables de décider ce
qui leur est vraiment utile ou nuisible », si bien qu’ils sont obligés
« d’attendre uniquement du chef de l’état
la possibilité d’être heureux ».
Puisque l’idéologie de la
bienveillance trouve son modèle dans la relation entre l’adulte et l’enfant, l’on
ne s’étonnera pas si elle a souvent recours à la métaphore du pédagogue – « nous
avons manqué de pédagogie ! » se lamente la macronie lorsque le bon
peuple n’accepte pas docilement ses injonctions – si elle s’épanouit précisément
dans le domaine de la pédagogie. On sait que « la pédagogie de la
bienveillance » fondée sur la « confiance » et « l’empathie »
est aujourd’hui un mantra psalmodié par tous les réformateurs de l’école. « Excellence »
et « bienveillance » : tels sont les deux axes de la politique
éducative mise en œuvre par le ministre Blanquer. Tandis que l’objectif de l’excellence
justifie la sélection des « meilleurs » et ainsi l’accroissement des
inégalités scolaires, la référence obligée à la bienveillance a pour mission,
là encore, de désamorcer toute critique en assurant que les élèves « les
moins doués » seront l’objet de toute la sollicitude requise avant d’aller
s’inscrire à Pôle emploi.
A vrai dire, ce n’est ni la
relation pédagogique ni la relation de soin qui ont servi de matrice à l’idéologie
macronienne de la bienveillance : c’est le management. Dans la rhétorique managériale importée des USA, la
bienveillance des cadres envers leurs subordonnées est censée « maximiser
la performance » de l’entreprise. C’est la tâche des happiness officers (sic) d’améliorer la « qualité de vie au
travail » en proposant par exemple aux cadres guettés par le burn-out des séances de yoga ou de full conciousness meditation. Les
experts de la havard business review ont
calculé que cette attention accordée au bien-être des salariés permet d’accroître
leur productivité de 12%. Certains auteurs ont tenté d’appliquer les principes
du « management de la
bienveillance » à la politique, comme en témoigne un livre intitulé l’état en mode start-up, sous-titré le nouvel âge de l’action politique et
préfacé par Emmanuel Macron. Tel est l’idéal du macronisme : faire de la France
une start-up Nation, gérée par des
experts bienveillants qui savent mieux que le peuple ce qui est bon pour lui et
n’hésitent pas à lui infliger une douce violence afin d’en prendre soin. Ainsi,
les subalternes se soumettront sans résistance aux ordres de leurs dirigeants,
car ceux-ci ne veulent que leur bonheur. Que l’on ne s’y trompe pas : la
bienveillance managériale ne saurait se confondre avec le laxisme. Comme l’écrit
dans leur jargon inimitable l’un de ses théoriciens : « le feedback négatif
est tout autant un instrument de bienveillance que le feedback positif ». On n’hésitera donc pas à
punir un subordonné fautif, pourvu qu’il s’agisse d’une sanction « bienveillante »,
et des « licenciements bienveillants » (sic) pourront être envisagés.
Nous commençons à comprendre comment la bienveillance macronienne peut faire
bon ménage avec le mépris affiché envers « les gaulois réfractaires au changement « ; et pourquoi ce
mépris peut susciter en retour de la colère chez ceux qui ne supportent plus la
sollicitude condescendante du chief
happiness manager. Lorsque la révolte gronde chez les « gens qui ne sont rien », l’heure n’est
plus à la bienveillance et elle fait place aux LBO de la police.
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