Organisation
sociale
Sans
égalité politique point de liberté politique réelle mais
l'égalité politique ne deviendra possible que lorsqu'il y aura
égalité économique et sociale. L'égalité n'implique pas le
nivellement des différences individuelles, ni l'identité
intellectuelle, morale et physique des individus. Cette diversité
des capacités et des forces, ces différences de races, de nations,
de sexes, d'âges et d'individus, loin d'être un mal social,
constituent au contraire la richesse de l'humanité. L'égalité
économique et sociale n'implique pas non plus le nivellement des
fortunes individuelles, en tant que produits de la capacité, de
l'énergie productive et de l'économie de chacun. L'égalité et la
justice réclament uniquement : une organisation de la société
telle que tout individu humain naissant à la vie y trouve, en tant
que cela dépendra non de la nature mais de la société, des moyens
égaux pour le développement de son enfance et de son adolescence
jusqu'à l'âge de sa virilité, pour son éducation et pour son
instruction d'abord, et plus tard pour l'exercice des forces
différentes que la nature aura mises en chacun pour le travail.
Cette égalité de point de départ, que la justice réclame pour
chacun, sera impossible tant qu'existera le droit de succession. La
justice, autant que la dignité humaine exigent que chacun soit
uniquement le fils de ses ouvres. Nous repoussons avec indignation le
dogme du péché, de la honte et de la responsabilité héréditaires.
Par la même conséquence nous devons rejeter l'hérédité fictive
de la vertu, des honneurs et des droits ; celle de la fortune aussi.
L'héritier d'une fortune quelconque n'est plus entièrement le fils
de ses ouvres et, sous le rapport du point de départ, il est
privilégié. Abolition du droit d'héritage. - Tant que ce droit
existera la différence héréditaire des classes, des positions, des
fortunes, l'inégalité sociale en un mot et le privilège
subsisteront sinon en droit, du moins en fait. Mais l'inégalité de
fait, par une loi inhérente à la société, produit toujours
l'inégalité des droits : l'inégalité sociale devient
nécessairement inégalité politique. Et sans égalité politique,
avons-nous dit, point de liberté dans le sens universel, humain,
vraiment démocratique de ce mot ; la société restera toujours
divisée en deux parts inégales, dont l'une immense, comprenant
toute la masse populaire, sera opprimée et exploitée par l'autre.
Donc le droit de succession est contraire au triomphe de la liberté,
et si la société veut devenir libre, elle doit l'abolir. Elle doit
l'abolir parce que, reposant sur une fiction, ce droit est contraire
au principe même de la liberté. Tous les droits individuels,
politiques et sociaux, sont attachés à l'individu réel et vivant.
Une fois mort il n'y a plus ni volonté fictive d'un individu qui
n'est plus et qui, au nom de la mort, opprime les vivants. Si
l'individu mort tient à l'exécution de sa volonté, qu'il vienne
l'exécuter lui-même s'il le peut, mais il n'a pas le droit d'exiger
que la société mettre toute sa puissance et son droit au service de
sa non-existence. Le but légitime et sérieux du droit de succession
a été toujours d'assurer aux générations à venir les moyens de
se développer et de devenir des hommes. Par conséquent, seul le
fonds d'éducation et d'instruction publique aura le droit d'hériter
avec l'obligation de pourvoir également à l'entretien, à
l'éducation et à l'instruction de tous les enfants depuis leur
naissance jusqu'à l'âge de la majorité et de leur émancipation
complète. De cette manière tous les parents seront également
rassurés sur le sort de leurs enfants, et comme l'égalité de tous
est une condition fondamentale de la moralité de chacun, et que tout
privilège est une source d'immoralité, tous les parents sont
l'amour pour leurs enfants est raisonnable et aspire non à leur
vanité mais à leur humaine dignité, s'ils avaient même la
possibilité de leur laisser un héritage qui les placerait dans une
position privilégiée, préférant pour eux le régime de la plus
complète égalité. L'inégalité résultant du droit de succession
une fois abolie, restera toujours, quoique considérablement
amoindrie, celle qui résultera de la différence des capacités, des
forces et de l'énergie productive des individus, différence qui, à
son tour, sans jamais disparaître entièrement, s'amoindrira
toujours de plus en plus sous l'influence d'une éducation et qui
d'ailleurs, une fois le droit de succession aboli, ne pèsera jamais
sur les générations à venir. Le travail étant le seul producteur
de richesse, chacun est libre sans doute soit de mourir de faim, soit
d'aller vivre dans les déserts ou dans les forêts parmi les bêtes
sauvages, mais quiconque veut vivre au milieu de la société doit
gagner sa vie par son propre travail, au risque d'être considéré
Catéchisme révolutionnaire comme un parasite, comme un exploiteur
du bien, c'est-à-dire du travail d'autrui, comme un voleur. Le
travail est la base fondamentale de la dignité et du droit humains.
Car c'est uniquement par le travail libre et intelligent que l'homme,
devenant créateur à son tour et conquérant, sur le monde extérieur
et sur sa propre bestialité, son humanité et son droit, crée le
monde civilisé. Le déshonneur qui, dans le monde antique, aussi
bien que dans la société féodale, fut attaché à l'idée du
travail, et qui en grande partie reste encore attaché aujourd'hui,
malgré toutes les phrases que nous entendons répéter chaque jour
sur sa dignité, ce mépris stupide du travail a deux sources : La
première, c'est une conviction si caractéristique des anciens et
qui même aujourd'hui compte encore tant de partisans secrets ; que
pour donner à une portion quelconque de l'humaine société les
moyens de s'humaniser par la science, par les arts, par la
connaissance et pat l'exercice du droit, il faut qu'une autre
portion, naturellement plus nombreuse, se voue au travail comme
esclave. Ce principe fondamental de la civilisation antique fut la
cause de sa ruine. La cité corrompue et désorganisée par le
désœuvrement privilégié des citoyens, minée d'un autre côté
par l'action imperceptible et lente mais constante de ce monde
déshérité des esclaves, moralisés malgré l'esclavage et
maintenus dans leur force primitive par l'action salutaire du travail
même forcé, tomba sous les coups des peuples barbares, auxquels,
par leur naissance, avaient appartenu en grande partie ces esclaves.
Le christianisme, cette religion des esclaves, n'avait plus tard
détruit l'antique irrégularité que pour en créer une nouvelle :
le privilège de la grâce et de l'élection divine fondé sur
l'inégalité produite naturellement par le droit de conquête,
sépara de nouveau la société humaine en deux camps : la canaille
et la noblesse, les serfs et les maîtres, en attribuant à ces
derniers le noble métier des armes et du gouvernement et ne laissant
aux serfs que le travail non seulement avili, mais encore maudit. La
même cause produit nécessairement les mêmes effets ; le monde
nobiliaire, énervé et démoralisé par le privilège du
désœuvrement, tomba en 1789 sous les coups des serfs, travailleurs
révoltés unis et puissants. Alors fut proclamée la liberté du
travail, sa réhabilitation en droit. Mais seulement en droit, car de
fait le travail reste encore déshonoré, asservi.
La
première source de cet asservissement, nommément celle qui
consistait dans le dogme de l'inégalité politique des hommes, ayant
été supprimée par la grande Révolution, il faut attribuer le
mépris actuel du travail à sa seconde, qui n'est autre que la
séparation qui s'est faite et qui existe dans sa force encore
aujourd'hui, entre le travail intellectuel et le travail manuel et
qui, reproduisant sous une forme nouvelle l'antique inégalité,
partage de nouveau le monde social en deux camps : la minorité
privilégiée désormais non plus par la loi mais par le capital, et
la majorité des travailleurs forcés, non plus par le droit unique
du privilège légal, mais par la faim. En effet, aujourd'hui, la
dignité du travail est déjà théoriquement reconnue et l'opinion
publique admet qu'il est honteux de vivre sans travail. Seulement,
comme le travail humain, considéré dans sa totalité, se divise en
deux parts, dont l'une, tout intellectuelle et déclarée
exclusivement noble, comprend les sciences, les arts, et dans
l'industrie l'application des sciences et des arts, l'idée, la
conception, l'invention, le calcul, le gouvernement et la direction
générale ou subordonnée des forces ouvrières, et l'autre
seulement l'exécution manuelle réduite à une action purement
mécanique, sans intelligence, sans idée, par cette loi économique
et sociale de la division du travail, les privilégiés du capital,
sans excepter ceux qui y sont les moins autorisés par la mesure de
leurs capacités individuelles, s'emparent de la première et
laissent la seconde au peuple. Il en résulte trois grands maux :
l'un pour ces privilégiés du capital ; l'autre, pour les masses
populaires ; et le troisième, procédant de l'un et de l'autre, pour
la production des richesses, pour le bien-être, pour la justice et
pour le développement intellectuel et moral de la société tout
entière. Le mal dont souffrent les classes privilégiées est
celui-ci : en se faisant la belle part dans la répartition des
fonctions sociales, elles s'en font une, de plus en plus mesquine,
dans le monde intellectuel et moral. Il est parfaitement vrai qu'un
certain degré de loisir est absolument nécessaire pour le
développement de l'esprit, des sciences et des arts ; mais ce doit
être un loisir gagné, succédant aux seines fatigues d'un travail
journalier, un loisir juste et dont la possibilité, dépendant
uniquement du plus ou du moins d'énergie, de capacité et de bonne
volonté dans l'individu, serait socialement égale pour tout le
monde. Tout loisir privilégié, au contraire, loin de fortifier
l'esprit, l'énerve, le démoralise et le Catéchisme révolutionnaire
tue. Toute l'histoire nous le prouve : à quelques exceptions, les
classes privilégiées sous le rapport de la fortune et du sang, ont
été toujours les moins productives sous e rapport de l'esprit, et
les plus grandes découvertes dans la science, dans les arts et dans
l'industrie, ont été faites pour la plupart du temps par des hommes
qui, dans leur jeunesse, ont été forcé de gagner leur vie par un
rude travail. L'humaine nature est ainsi faite, que la possibilité
du mal en produit immanquablement et toujours la réalité, et que la
moralité de l'individu dépend beaucoup plus des conditions de son
existence et du milieu dans lequel il vit que de sa volonté propre.
Sous ce rapport ainsi que sous tous les autres, la loi de la
solidarité sociale est inexorable, de sorte que pour moraliser les
individus il ne faut pas tant s'occuper de leur conscience que de la
nature de leur existence sociale ; et il n'est point d'autre
moralisateur, ni pour la société ni pour l'individu, que la liberté
dans la plus parfaite égalité. Prenez le plus sincère démocrate
et mettez-le sur un trône quelconque ; s'il n'en descend aussitôt,
il deviendra immanquablement une canaille. Un homme né dans
l'aristocratie, si, par un heureux hasard, il ne prend pas en mépris
et en haine son sang, et s'il n'a pas honte de l'aristocratie, sera
nécessairement un homme aussi mal (sic) que vain, soupirant après
le passé, inutile dans le présent et adversaire passionné de
l'avenir. De même le bourgeois, enfant chéri du capital et du
loisir privilégie, fera tourner son loisir en désœuvrement, en
corruption, en débauche, ou bien s'en servira comme d'une arme
terrible pour asservir davantage les classes ouvrières et finira par
soulever contre lui une Révolution plus terrible que celle de 1793.
Le mal dont souffre le peuple est encore plus facile à déterminer :
il travaille pour autrui, et son travail, privé de liberté, de
loisir et d'intelligence, et par là même avili, le dégrade,
l'écrase et le tue. Il est forcé de travailler pour autrui, parce
que né dans la misère, et privé de toute instruction et de toute
éducation rationnelle, moralement esclave grâce aux influences
religieuses, il se voit jeté dans la vie désarmé, discrédité,
sans initiative et sans volonté propre. Forcé par la faim, dès sa
plus tendre enfance, à gagner sa triste vie, il doit vendre sa force
physique, son travail aux plus dures conditions sans avoir ni la
pensée, ni la faculté matérielle d'en exiger d'autres. Réduit au
désespoir par la misère, quelquefois il se révolte mais, manquant
de cette unité et de cette force que
donne
la pensée, mal conduit, le plus souvent trahi et vendu par ses
chefs, et ne sachant presque jamais à quoi s'en prendre des maux
qu'il endure, frappant le plus souvent à faux, il a, jusqu'à
présent du moins, échoué dans ses révoltes et, fatigué d'une
lutte stérile, il est toujours retombé sous l'antique esclavage.
Cet esclavage durera tant que le capital, restant en dehors de
l'action collective des forces ouvrières, l'exploitera, et tant que
l'instruction qui, dans une société bien organisée devrait être
également répartie sur tout le monde, ne développant que l'intérêt
d'une classe privilégiée, attribuera à cette dernière toute la
partie spirituelle du travail, et ne laissera au peuple que la
brutale application de ses forces physiques asservies et toujours
condamnées à exercer des idées qui ne sont pas les siennes. Par
cette injuste et funeste déviation, le travail du peuple, devenu un
travail purement mécanique et pareil à celui d'une bête de somme,
est déshonoré, méprisé, et, par une conséquence naturelle,
déshérité de tout droit. Il en résulte pour la société, sous le
rapport politique, intellectuel et moral, un mal immense. La minorité
jouissant du monopole et de la science, par l'effet même de ce
privilège, est frappée à la fois à l'intelligence et au cœur,
jusqu'au point de devenir stupide à force d'instruction, car rien
n'est aussi malfaisant et stérile que l'intelligence patentée et
privilégiée. D'au autre côté, le peuple, absolument dénué de
science, écrasé par un travail quotidien mécanique, capable
d'abrutir plutôt que de développer son intelligence naturelle,
privé de la lumière qui pourrait lui montrer la voie de sa
délivrance, se débat vainement dans son bouge forcé, et comme il a
toujours pour lui la force, que donne le nombre, il met toujours ne
péril l'existence même de la société. Il est donc nécessaire que
la division inique établie entre le travail intellectuel et le
travail manuel soit autrement établie. La production économique de
la société souffre elle-même considérablement, l'intelligence
séparée de l'action corporelle s'énerve, se dessèche, se flétrit,
tandis que la force corporelle de l'humanité, séparée de
l'intelligence s'abrutit et, dans cet état de séparation
artificielle, aucune de produit la moitié de ce qu'elle peut, de ce
qu'elle doit produire lorsque, réunies dans une nouvelle synthèse
sociale, elles ne formeront plus qu'une seule action productive.
Lorsque l'homme de science travaillera et l'homme du travail pensera,
le travail intelligent et libre sera considéré comme le plus beau
titre de gloire pour l'humanité, comme la base de sa dignité, de
son droit, comme la manifestation de son pouvoir humain sur la terre
; et l'humanité sera constituée. Le travail intelligent et libre
sera nécessairement un travail associé. Libre sera chacun de
s'associer ou de ne point s'associer pour le travail, mais il n'est
point de doute qu'à l'exception des travaux d'imagination et dont la
nature exige la concentration de l'intelligence individuelle en
elle-même, dans toutes les entreprises industrielles et même
scientifiques ou artistiques qui admettent par leur nature le travail
associé, l'association sera préférée par tout le monde, pour la
simple raison que l'association multiplie d'une manière merveilleuse
les forces productives de chacun, et que chacun devenant membre et
coopérateur d'une association productive, avec moins de temps et
beaucoup moins de peine, gagnera beaucoup plus. Lorsque les
associations productives et libres cessant d'être les esclaves, et
devenant à leur tour les maîtresses et les propriétaires du
capital qui leur sera nécessaire, comprendront dans leur sein, à
titre de membres coopérateurs à côté des forces ouvrières
émancipées par l'instruction générale, toutes les intelligences
spéciales réclamées par leur entreprise, lorsque, se combinant
entre elles, toujours librement, selon leurs besoins et selon leur
nature, dépassant tôt ou tard toutes les frontières nationales,
elles formeront une immense fédération économique, avec un
parlement éclairé par les données aussi larges que précises et
détaillées d'une statistique mondiale, telle qu'il n'en peut encore
exister aujourd'hui, et qu'ils combinent l'offre avec la demande pour
gouverner, déterminer et répartir entre différents pays la
production de l'industrie mondiale, de sorte qu'il n'y aura plus ou
presque plus de crises commerciales ou industrielles, de stagnation
forcée, de désastres, plus de peines ni de capitaux perdus, alors
le travail humain, émancipation de chacun et de tous, régénérera
le monde. La terre avec toutes ses richesses naturelles est la
propriété de tout le monde, mais elle ne sera possédée que par
ceux qui la cultiveront. La femme, différente de l'homme, mais non à
lui inférieure, intelligente, travailleuse et libre comme lui, est
déclarée son égale dans les droits comme dans toutes les fonctions
et devoirs politiques et sociaux.
De
la famille et de l'école
Abolition,
non de la famille naturelle, mais de la famille légale, fondée sur
le droit civil et sur la propriété. Le mariage religieux et civil
est remplacé par le mariage libre. Deux individus majeurs et de sexe
différent ont le droit de s'unir et de se séparer selon leur
volonté, leurs intérêts mutuels et les besoins de leur cœur, sans
que la société ait le droit, soit d'empêcher leur union, soit de
les y maintenir malgré eux. Le droit de succession étant aboli,
l'éducation de tous les enfants étant assurée par la société,
toutes les raisons qui ont été jusqu'à présent assignés pour la
consécration politique et civile de l'irrévocabilité du mariage
disparaissent, et l'union de deux sexes doit être rendue à son
entière liberté, qui ici, comme partout et toujours, est la
condition sine qua non de la sincère moralité. Dans le mariage
libre, l'homme et la femme doivent également jouir d'une liberté
absolue. Ni la violence de la passion, ni les droits librement
accordés dans le passé ne pourront servir d'excuse pour aucun
attentat de la part de l'un contre la liberté de l'autre, et chaque
attentat sera considéré comme un crime. Du moment qu'une femme
porte un enfant dans son sein, jusqu'à ce qu'elle l'ait mis au
monde, elle a droit à une subvention de la part de la société,
payée non pour le compte de la femme, mais pour celui de l'enfant.
Toute mère qui voudra nourrir et élever ses enfants recevra
également de la société tous les frais de leur entretien et de sa
peine [prodiguée] aux enfants. Les parents auront le droit de garder
près d'eux leurs enfants et de s'occuper de leur éducation, sous la
tutelle et sous le contrôle suprême de la société qui conservera
toujours le droit et le devoir de séparer les enfants de leurs
parents, toutes les fois que ceux-ci, soit par leur exemple, soit par
leurs préceptes ou traitement brutal, inhumain, pourront démoraliser
ou même entraver, le développement de leurs enfants. Les enfants
n'appartiennent ni à leurs parents, ni à la société, ils
s'appartiennent à eux-mêmes et à leur future liberté. Comme
enfant, jusqu'à l'âge de leur émancipation, ils ne sont libres
qu'en possibilité, et doivent se trouver par conséquent sous le
régime de l'autorité. Les parents sont leurs tuteurs naturels, il
est vrai, mais le tuteur légal et suprême, c'est la société, qui
a le droit et le devoir de s'en occuper, parce que son propre avenir
dépend de la direction intellectuelle et morale qu'on donnera aux
enfants. [La société] ne peut donner la liberté aux majeurs qu'à
condition de surveiller l'éducation des mineurs. L'école doit
remplacer l'Église avec l'immense différence que celle-ci, en
distribuant son éducation religieuse, n'a point d'autre but que
d'éterniser le régime de l'humaine naïveté et de l'autorité
soi-disant divine, tandis que l'éducation et l'instruction de
l'école, n'ayant, au contraire, d'autre fin que l'anticipation
réelle des enfants lorsqu'ils seront arrivés à l'âge de la
majorité, ne sera autre chose que leur initiation graduelle et
progressive à la liberté par le triple développement de leurs
forces physiques, de leur esprit et de leur volonté. La raison, la
vérité, la justice, le respect humain, la conscience de la dignité
personnelle, solidaire et inséparable de la dignité humaine dans
autrui, l'amour de la liberté pour soi-même et pour tous les
autres, le culte du travail comme base et condition de tout droit ;
le mépris de la déraison, du mensonge, de l'injustice, de la
lâcheté, de l'esclavage, du désœuvrement, telles devront être
les bases fondamentales de l'éducation publique. Elle doit former
des hommes, tout d'abord, ensuite des spécialités ouvrières et des
citoyens, et à mesure qu'elle avancera avec l'âge des enfants,
l'autorité devra naturellement faire de plus en plus place à la
liberté, afin que les adolescents, arrivés à l'âge de la
majorité, étant émancipés par la loi, puissent avoir oublié
comment, dans leur enfance, ils ont été gouvernés et conduits
autrement que par la liberté. Le respect humain, ce genre de la
liberté, doit être présent même dans les actes les plus sévères
et les plus absolus de l'autorité. Toute l'éducation morale est là
; inculquez ce respect aux enfants et vous en aurez fait des hommes.
L'instruction primaire et secondaire une fois terminée, les enfants,
selon leurs capacités et leurs sympathies, conseillés, éclairés
mais non violentés par leurs supérieurs, choisiront une école
supérieure ou spéciale quelconque. En même temps chacun devra
s'appliquer à l'étude théorique et pratique de la branche
d'industrie qui lui plaira davantage et la somme qu'il aura gagné
par son travail durant son apprentissage lui sera remise à sa
majorité. Une fois l'âge de la majorité atteint, l'adolescent sera
proclamé libre et maître de ses actes. En échange des soins que la
société lui a prodigués durant son enfance, elle exigera de lui
trois choses : qu'il reste libre, qu'il vive de son travail et qu'il
respecte la liberté d'autrui. Et, comme les crimes et les vices dont
souffre la société actuelle sont uniquement le produit d'une
mauvaise organisation sociale, on pourra être certain qu'avec une
organisation et une éducation de la société basées sur la raison,
sur la justice, sur la liberté, sur le respect humain et sur la plus
complète égalité, le bien deviendra la règle et le mal une
maladive exception, qui diminuera de plus en plus sous l'influence
toute-puissante de l'opinion publique moralisée. Les vieillards, les
invalides, les malades, entourés de soins, de respect et jouissant
de tous les droits, tant publics que sociaux, seront traités et
entretenus avec profusion aux frais de la société.
Politique
révolutionnaire
C'est
notre conviction fondamentale que, toutes les libertés nationales
étant solidaires, les révolutions particulières dans tous les pays
doivent l'être aussi, que désormais en Europe comme dans tout le
monde civilisé, il n'y aura plus des révolutions, mais seulement la
Révolution universelle, comme il n'y a plus qu'une seule réaction
européenne et mondiale ; que, par conséquent, tous les intérêts
particuliers, toutes les vanités, prétentions, jalousies et
hostilités nationales doivent se fondre aujourd'hui dans l'unique
intérêt commun et universel de la Révolution, qui assurera la
liberté et l'indépendance de chaque nation, par la solidarité de
toutes ; que la Sainte Alliance de la [contre-] Révolution mondiale
et la conspiration des rois, du clergé, de la noblesse et de la
féodalité bourgeoise, appuyée sur d'énormes budgets, sur des
armées permanentes, sur une bureaucratie formidable, armés de tous
les terribles moyens que leur donne la centralisation moderne, avec
l'habitude et pour ainsi dire avec la routine de l'action et du droit
de conspirer et de tout faire à titre légal sont un fait immense,
menaçant, écrasant, et que, pour les combattre, pour lui opposer un
fait d'une égale puissance, pour le vaincre et de détruire, il ne
faut rien moins que l'alliance et l'action révolutionnaires
simultanées de tous les peuples du monde civilisé. Contre cette
réaction mondiale, la Révolution isolée d'aucun peuple ne saurait
réussir. Elle serait une folie, par conséquent une faute pour
lui-même et une trahison, un crime, contre toutes les autres
nations. Désormais, le soulèvement de chaque peuple doit se faire
non en vue de lui-même, mais en vue de tout le monde. Mais, pour
qu'une nation se soulève en vue et au nom de tout le monde, il faut
qu'elle ait le programme de tout le monde, assez large, assez
profond, assez vrai, assez humain en un mot, pour embrasser les
intérêts de tout le monde, et pour électriser les passions de
toutes les masses populaires de l'Europe, sans différence de
nationalité. Le programme ne peut être que celui que la Révolution
démocratique et sociale. L'objet de la Révolution démocratique et
sociale peut être défini en deux mots : Politiquement : c'est
l'abolition du droit historique, du droit de conquête et du droit
diplomatique. C'est l'émancipation complète des individus et des
associations du joug de l'autorité divine et humaine : c'est la
destruction absolue de toutes les unions et agglomérations forcées
des communes dans les provinces, des provinces et des pays conquis
dans l'État. Enfin, c'est la dissolution radicale de l'État
centraliste, tutélaire, autoritaire, avec toutes les institutions
militaires, bureaucratiques, gouvernementales, administratives,
judiciaires et civiles. C'est en un mot la liberté rendue à tout le
monde, aux individus, comme à tous les corps collectifs,
associations, communes, provinces, régions et nations, et la
garantie mutuelle de cette liberté par la fédération. Socialement
: c'est la confirmation de l'égalité politique par l'égalité
économique. C'est, au commencement de la carrière de chacun,
l'égalité du point de départ, égalité non naturelle mais sociale
pour chacun, c'est-à-dire égalité des moyens d'entretien,
d'éducation, d'instruction pour chaque enfant, garçon ou fille,
jusqu'à l'époque de sa majorité.
Michel
Bakounine
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