lundi 27 avril 2020

Le catéchisme révolutionnaire par Bakounine Michel Partie 2


Organisation sociale

Sans égalité politique point de liberté politique réelle mais l'égalité politique ne deviendra possible que lorsqu'il y aura égalité économique et sociale. L'égalité n'implique pas le nivellement des différences individuelles, ni l'identité intellectuelle, morale et physique des individus. Cette diversité des capacités et des forces, ces différences de races, de nations, de sexes, d'âges et d'individus, loin d'être un mal social, constituent au contraire la richesse de l'humanité. L'égalité économique et sociale n'implique pas non plus le nivellement des fortunes individuelles, en tant que produits de la capacité, de l'énergie productive et de l'économie de chacun. L'égalité et la justice réclament uniquement : une organisation de la société telle que tout individu humain naissant à la vie y trouve, en tant que cela dépendra non de la nature mais de la société, des moyens égaux pour le développement de son enfance et de son adolescence jusqu'à l'âge de sa virilité, pour son éducation et pour son instruction d'abord, et plus tard pour l'exercice des forces différentes que la nature aura mises en chacun pour le travail. Cette égalité de point de départ, que la justice réclame pour chacun, sera impossible tant qu'existera le droit de succession. La justice, autant que la dignité humaine exigent que chacun soit uniquement le fils de ses ouvres. Nous repoussons avec indignation le dogme du péché, de la honte et de la responsabilité héréditaires. Par la même conséquence nous devons rejeter l'hérédité fictive de la vertu, des honneurs et des droits ; celle de la fortune aussi. L'héritier d'une fortune quelconque n'est plus entièrement le fils de ses ouvres et, sous le rapport du point de départ, il est privilégié. Abolition du droit d'héritage. - Tant que ce droit existera la différence héréditaire des classes, des positions, des fortunes, l'inégalité sociale en un mot et le privilège subsisteront sinon en droit, du moins en fait. Mais l'inégalité de fait, par une loi inhérente à la société, produit toujours l'inégalité des droits : l'inégalité sociale devient nécessairement inégalité politique. Et sans égalité politique, avons-nous dit, point de liberté dans le sens universel, humain, vraiment démocratique de ce mot ; la société restera toujours divisée en deux parts inégales, dont l'une immense, comprenant toute la masse populaire, sera opprimée et exploitée par l'autre. Donc le droit de succession est contraire au triomphe de la liberté, et si la société veut devenir libre, elle doit l'abolir. Elle doit l'abolir parce que, reposant sur une fiction, ce droit est contraire au principe même de la liberté. Tous les droits individuels, politiques et sociaux, sont attachés à l'individu réel et vivant. Une fois mort il n'y a plus ni volonté fictive d'un individu qui n'est plus et qui, au nom de la mort, opprime les vivants. Si l'individu mort tient à l'exécution de sa volonté, qu'il vienne l'exécuter lui-même s'il le peut, mais il n'a pas le droit d'exiger que la société mettre toute sa puissance et son droit au service de sa non-existence. Le but légitime et sérieux du droit de succession a été toujours d'assurer aux générations à venir les moyens de se développer et de devenir des hommes. Par conséquent, seul le fonds d'éducation et d'instruction publique aura le droit d'hériter avec l'obligation de pourvoir également à l'entretien, à l'éducation et à l'instruction de tous les enfants depuis leur naissance jusqu'à l'âge de la majorité et de leur émancipation complète. De cette manière tous les parents seront également rassurés sur le sort de leurs enfants, et comme l'égalité de tous est une condition fondamentale de la moralité de chacun, et que tout privilège est une source d'immoralité, tous les parents sont l'amour pour leurs enfants est raisonnable et aspire non à leur vanité mais à leur humaine dignité, s'ils avaient même la possibilité de leur laisser un héritage qui les placerait dans une position privilégiée, préférant pour eux le régime de la plus complète égalité. L'inégalité résultant du droit de succession une fois abolie, restera toujours, quoique considérablement amoindrie, celle qui résultera de la différence des capacités, des forces et de l'énergie productive des individus, différence qui, à son tour, sans jamais disparaître entièrement, s'amoindrira toujours de plus en plus sous l'influence d'une éducation et qui d'ailleurs, une fois le droit de succession aboli, ne pèsera jamais sur les générations à venir. Le travail étant le seul producteur de richesse, chacun est libre sans doute soit de mourir de faim, soit d'aller vivre dans les déserts ou dans les forêts parmi les bêtes sauvages, mais quiconque veut vivre au milieu de la société doit gagner sa vie par son propre travail, au risque d'être considéré Catéchisme révolutionnaire comme un parasite, comme un exploiteur du bien, c'est-à-dire du travail d'autrui, comme un voleur. Le travail est la base fondamentale de la dignité et du droit humains. Car c'est uniquement par le travail libre et intelligent que l'homme, devenant créateur à son tour et conquérant, sur le monde extérieur et sur sa propre bestialité, son humanité et son droit, crée le monde civilisé. Le déshonneur qui, dans le monde antique, aussi bien que dans la société féodale, fut attaché à l'idée du travail, et qui en grande partie reste encore attaché aujourd'hui, malgré toutes les phrases que nous entendons répéter chaque jour sur sa dignité, ce mépris stupide du travail a deux sources : La première, c'est une conviction si caractéristique des anciens et qui même aujourd'hui compte encore tant de partisans secrets ; que pour donner à une portion quelconque de l'humaine société les moyens de s'humaniser par la science, par les arts, par la connaissance et pat l'exercice du droit, il faut qu'une autre portion, naturellement plus nombreuse, se voue au travail comme esclave. Ce principe fondamental de la civilisation antique fut la cause de sa ruine. La cité corrompue et désorganisée par le désœuvrement privilégié des citoyens, minée d'un autre côté par l'action imperceptible et lente mais constante de ce monde déshérité des esclaves, moralisés malgré l'esclavage et maintenus dans leur force primitive par l'action salutaire du travail même forcé, tomba sous les coups des peuples barbares, auxquels, par leur naissance, avaient appartenu en grande partie ces esclaves. Le christianisme, cette religion des esclaves, n'avait plus tard détruit l'antique irrégularité que pour en créer une nouvelle : le privilège de la grâce et de l'élection divine fondé sur l'inégalité produite naturellement par le droit de conquête, sépara de nouveau la société humaine en deux camps : la canaille et la noblesse, les serfs et les maîtres, en attribuant à ces derniers le noble métier des armes et du gouvernement et ne laissant aux serfs que le travail non seulement avili, mais encore maudit. La même cause produit nécessairement les mêmes effets ; le monde nobiliaire, énervé et démoralisé par le privilège du désœuvrement, tomba en 1789 sous les coups des serfs, travailleurs révoltés unis et puissants. Alors fut proclamée la liberté du travail, sa réhabilitation en droit. Mais seulement en droit, car de fait le travail reste encore déshonoré, asservi.
La première source de cet asservissement, nommément celle qui consistait dans le dogme de l'inégalité politique des hommes, ayant été supprimée par la grande Révolution, il faut attribuer le mépris actuel du travail à sa seconde, qui n'est autre que la séparation qui s'est faite et qui existe dans sa force encore aujourd'hui, entre le travail intellectuel et le travail manuel et qui, reproduisant sous une forme nouvelle l'antique inégalité, partage de nouveau le monde social en deux camps : la minorité privilégiée désormais non plus par la loi mais par le capital, et la majorité des travailleurs forcés, non plus par le droit unique du privilège légal, mais par la faim. En effet, aujourd'hui, la dignité du travail est déjà théoriquement reconnue et l'opinion publique admet qu'il est honteux de vivre sans travail. Seulement, comme le travail humain, considéré dans sa totalité, se divise en deux parts, dont l'une, tout intellectuelle et déclarée exclusivement noble, comprend les sciences, les arts, et dans l'industrie l'application des sciences et des arts, l'idée, la conception, l'invention, le calcul, le gouvernement et la direction générale ou subordonnée des forces ouvrières, et l'autre seulement l'exécution manuelle réduite à une action purement mécanique, sans intelligence, sans idée, par cette loi économique et sociale de la division du travail, les privilégiés du capital, sans excepter ceux qui y sont les moins autorisés par la mesure de leurs capacités individuelles, s'emparent de la première et laissent la seconde au peuple. Il en résulte trois grands maux : l'un pour ces privilégiés du capital ; l'autre, pour les masses populaires ; et le troisième, procédant de l'un et de l'autre, pour la production des richesses, pour le bien-être, pour la justice et pour le développement intellectuel et moral de la société tout entière. Le mal dont souffrent les classes privilégiées est celui-ci : en se faisant la belle part dans la répartition des fonctions sociales, elles s'en font une, de plus en plus mesquine, dans le monde intellectuel et moral. Il est parfaitement vrai qu'un certain degré de loisir est absolument nécessaire pour le développement de l'esprit, des sciences et des arts ; mais ce doit être un loisir gagné, succédant aux seines fatigues d'un travail journalier, un loisir juste et dont la possibilité, dépendant uniquement du plus ou du moins d'énergie, de capacité et de bonne volonté dans l'individu, serait socialement égale pour tout le monde. Tout loisir privilégié, au contraire, loin de fortifier l'esprit, l'énerve, le démoralise et le Catéchisme révolutionnaire tue. Toute l'histoire nous le prouve : à quelques exceptions, les classes privilégiées sous le rapport de la fortune et du sang, ont été toujours les moins productives sous e rapport de l'esprit, et les plus grandes découvertes dans la science, dans les arts et dans l'industrie, ont été faites pour la plupart du temps par des hommes qui, dans leur jeunesse, ont été forcé de gagner leur vie par un rude travail. L'humaine nature est ainsi faite, que la possibilité du mal en produit immanquablement et toujours la réalité, et que la moralité de l'individu dépend beaucoup plus des conditions de son existence et du milieu dans lequel il vit que de sa volonté propre. Sous ce rapport ainsi que sous tous les autres, la loi de la solidarité sociale est inexorable, de sorte que pour moraliser les individus il ne faut pas tant s'occuper de leur conscience que de la nature de leur existence sociale ; et il n'est point d'autre moralisateur, ni pour la société ni pour l'individu, que la liberté dans la plus parfaite égalité. Prenez le plus sincère démocrate et mettez-le sur un trône quelconque ; s'il n'en descend aussitôt, il deviendra immanquablement une canaille. Un homme né dans l'aristocratie, si, par un heureux hasard, il ne prend pas en mépris et en haine son sang, et s'il n'a pas honte de l'aristocratie, sera nécessairement un homme aussi mal (sic) que vain, soupirant après le passé, inutile dans le présent et adversaire passionné de l'avenir. De même le bourgeois, enfant chéri du capital et du loisir privilégie, fera tourner son loisir en désœuvrement, en corruption, en débauche, ou bien s'en servira comme d'une arme terrible pour asservir davantage les classes ouvrières et finira par soulever contre lui une Révolution plus terrible que celle de 1793. Le mal dont souffre le peuple est encore plus facile à déterminer : il travaille pour autrui, et son travail, privé de liberté, de loisir et d'intelligence, et par là même avili, le dégrade, l'écrase et le tue. Il est forcé de travailler pour autrui, parce que né dans la misère, et privé de toute instruction et de toute éducation rationnelle, moralement esclave grâce aux influences religieuses, il se voit jeté dans la vie désarmé, discrédité, sans initiative et sans volonté propre. Forcé par la faim, dès sa plus tendre enfance, à gagner sa triste vie, il doit vendre sa force physique, son travail aux plus dures conditions sans avoir ni la pensée, ni la faculté matérielle d'en exiger d'autres. Réduit au désespoir par la misère, quelquefois il se révolte mais, manquant de cette unité et de cette force que
donne la pensée, mal conduit, le plus souvent trahi et vendu par ses chefs, et ne sachant presque jamais à quoi s'en prendre des maux qu'il endure, frappant le plus souvent à faux, il a, jusqu'à présent du moins, échoué dans ses révoltes et, fatigué d'une lutte stérile, il est toujours retombé sous l'antique esclavage. Cet esclavage durera tant que le capital, restant en dehors de l'action collective des forces ouvrières, l'exploitera, et tant que l'instruction qui, dans une société bien organisée devrait être également répartie sur tout le monde, ne développant que l'intérêt d'une classe privilégiée, attribuera à cette dernière toute la partie spirituelle du travail, et ne laissera au peuple que la brutale application de ses forces physiques asservies et toujours condamnées à exercer des idées qui ne sont pas les siennes. Par cette injuste et funeste déviation, le travail du peuple, devenu un travail purement mécanique et pareil à celui d'une bête de somme, est déshonoré, méprisé, et, par une conséquence naturelle, déshérité de tout droit. Il en résulte pour la société, sous le rapport politique, intellectuel et moral, un mal immense. La minorité jouissant du monopole et de la science, par l'effet même de ce privilège, est frappée à la fois à l'intelligence et au cœur, jusqu'au point de devenir stupide à force d'instruction, car rien n'est aussi malfaisant et stérile que l'intelligence patentée et privilégiée. D'au autre côté, le peuple, absolument dénué de science, écrasé par un travail quotidien mécanique, capable d'abrutir plutôt que de développer son intelligence naturelle, privé de la lumière qui pourrait lui montrer la voie de sa délivrance, se débat vainement dans son bouge forcé, et comme il a toujours pour lui la force, que donne le nombre, il met toujours ne péril l'existence même de la société. Il est donc nécessaire que la division inique établie entre le travail intellectuel et le travail manuel soit autrement établie. La production économique de la société souffre elle-même considérablement, l'intelligence séparée de l'action corporelle s'énerve, se dessèche, se flétrit, tandis que la force corporelle de l'humanité, séparée de l'intelligence s'abrutit et, dans cet état de séparation artificielle, aucune de produit la moitié de ce qu'elle peut, de ce qu'elle doit produire lorsque, réunies dans une nouvelle synthèse sociale, elles ne formeront plus qu'une seule action productive. Lorsque l'homme de science travaillera et l'homme du travail pensera, le travail intelligent et libre sera considéré comme le plus beau titre de gloire pour l'humanité, comme la base de sa dignité, de son droit, comme la manifestation de son pouvoir humain sur la terre ; et l'humanité sera constituée. Le travail intelligent et libre sera nécessairement un travail associé. Libre sera chacun de s'associer ou de ne point s'associer pour le travail, mais il n'est point de doute qu'à l'exception des travaux d'imagination et dont la nature exige la concentration de l'intelligence individuelle en elle-même, dans toutes les entreprises industrielles et même scientifiques ou artistiques qui admettent par leur nature le travail associé, l'association sera préférée par tout le monde, pour la simple raison que l'association multiplie d'une manière merveilleuse les forces productives de chacun, et que chacun devenant membre et coopérateur d'une association productive, avec moins de temps et beaucoup moins de peine, gagnera beaucoup plus. Lorsque les associations productives et libres cessant d'être les esclaves, et devenant à leur tour les maîtresses et les propriétaires du capital qui leur sera nécessaire, comprendront dans leur sein, à titre de membres coopérateurs à côté des forces ouvrières émancipées par l'instruction générale, toutes les intelligences spéciales réclamées par leur entreprise, lorsque, se combinant entre elles, toujours librement, selon leurs besoins et selon leur nature, dépassant tôt ou tard toutes les frontières nationales, elles formeront une immense fédération économique, avec un parlement éclairé par les données aussi larges que précises et détaillées d'une statistique mondiale, telle qu'il n'en peut encore exister aujourd'hui, et qu'ils combinent l'offre avec la demande pour gouverner, déterminer et répartir entre différents pays la production de l'industrie mondiale, de sorte qu'il n'y aura plus ou presque plus de crises commerciales ou industrielles, de stagnation forcée, de désastres, plus de peines ni de capitaux perdus, alors le travail humain, émancipation de chacun et de tous, régénérera le monde. La terre avec toutes ses richesses naturelles est la propriété de tout le monde, mais elle ne sera possédée que par ceux qui la cultiveront. La femme, différente de l'homme, mais non à lui inférieure, intelligente, travailleuse et libre comme lui, est déclarée son égale dans les droits comme dans toutes les fonctions et devoirs politiques et sociaux.

De la famille et de l'école

Abolition, non de la famille naturelle, mais de la famille légale, fondée sur le droit civil et sur la propriété. Le mariage religieux et civil est remplacé par le mariage libre. Deux individus majeurs et de sexe différent ont le droit de s'unir et de se séparer selon leur volonté, leurs intérêts mutuels et les besoins de leur cœur, sans que la société ait le droit, soit d'empêcher leur union, soit de les y maintenir malgré eux. Le droit de succession étant aboli, l'éducation de tous les enfants étant assurée par la société, toutes les raisons qui ont été jusqu'à présent assignés pour la consécration politique et civile de l'irrévocabilité du mariage disparaissent, et l'union de deux sexes doit être rendue à son entière liberté, qui ici, comme partout et toujours, est la condition sine qua non de la sincère moralité. Dans le mariage libre, l'homme et la femme doivent également jouir d'une liberté absolue. Ni la violence de la passion, ni les droits librement accordés dans le passé ne pourront servir d'excuse pour aucun attentat de la part de l'un contre la liberté de l'autre, et chaque attentat sera considéré comme un crime. Du moment qu'une femme porte un enfant dans son sein, jusqu'à ce qu'elle l'ait mis au monde, elle a droit à une subvention de la part de la société, payée non pour le compte de la femme, mais pour celui de l'enfant. Toute mère qui voudra nourrir et élever ses enfants recevra également de la société tous les frais de leur entretien et de sa peine [prodiguée] aux enfants. Les parents auront le droit de garder près d'eux leurs enfants et de s'occuper de leur éducation, sous la tutelle et sous le contrôle suprême de la société qui conservera toujours le droit et le devoir de séparer les enfants de leurs parents, toutes les fois que ceux-ci, soit par leur exemple, soit par leurs préceptes ou traitement brutal, inhumain, pourront démoraliser ou même entraver, le développement de leurs enfants. Les enfants n'appartiennent ni à leurs parents, ni à la société, ils s'appartiennent à eux-mêmes et à leur future liberté. Comme enfant, jusqu'à l'âge de leur émancipation, ils ne sont libres qu'en possibilité, et doivent se trouver par conséquent sous le régime de l'autorité. Les parents sont leurs tuteurs naturels, il est vrai, mais le tuteur légal et suprême, c'est la société, qui a le droit et le devoir de s'en occuper, parce que son propre avenir dépend de la direction intellectuelle et morale qu'on donnera aux enfants. [La société] ne peut donner la liberté aux majeurs qu'à condition de surveiller l'éducation des mineurs. L'école doit remplacer l'Église avec l'immense différence que celle-ci, en distribuant son éducation religieuse, n'a point d'autre but que d'éterniser le régime de l'humaine naïveté et de l'autorité soi-disant divine, tandis que l'éducation et l'instruction de l'école, n'ayant, au contraire, d'autre fin que l'anticipation réelle des enfants lorsqu'ils seront arrivés à l'âge de la majorité, ne sera autre chose que leur initiation graduelle et progressive à la liberté par le triple développement de leurs forces physiques, de leur esprit et de leur volonté. La raison, la vérité, la justice, le respect humain, la conscience de la dignité personnelle, solidaire et inséparable de la dignité humaine dans autrui, l'amour de la liberté pour soi-même et pour tous les autres, le culte du travail comme base et condition de tout droit ; le mépris de la déraison, du mensonge, de l'injustice, de la lâcheté, de l'esclavage, du désœuvrement, telles devront être les bases fondamentales de l'éducation publique. Elle doit former des hommes, tout d'abord, ensuite des spécialités ouvrières et des citoyens, et à mesure qu'elle avancera avec l'âge des enfants, l'autorité devra naturellement faire de plus en plus place à la liberté, afin que les adolescents, arrivés à l'âge de la majorité, étant émancipés par la loi, puissent avoir oublié comment, dans leur enfance, ils ont été gouvernés et conduits autrement que par la liberté. Le respect humain, ce genre de la liberté, doit être présent même dans les actes les plus sévères et les plus absolus de l'autorité. Toute l'éducation morale est là ; inculquez ce respect aux enfants et vous en aurez fait des hommes. L'instruction primaire et secondaire une fois terminée, les enfants, selon leurs capacités et leurs sympathies, conseillés, éclairés mais non violentés par leurs supérieurs, choisiront une école supérieure ou spéciale quelconque. En même temps chacun devra s'appliquer à l'étude théorique et pratique de la branche d'industrie qui lui plaira davantage et la somme qu'il aura gagné par son travail durant son apprentissage lui sera remise à sa majorité. Une fois l'âge de la majorité atteint, l'adolescent sera proclamé libre et maître de ses actes. En échange des soins que la société lui a prodigués durant son enfance, elle exigera de lui trois choses : qu'il reste libre, qu'il vive de son travail et qu'il respecte la liberté d'autrui. Et, comme les crimes et les vices dont souffre la société actuelle sont uniquement le produit d'une mauvaise organisation sociale, on pourra être certain qu'avec une organisation et une éducation de la société basées sur la raison, sur la justice, sur la liberté, sur le respect humain et sur la plus complète égalité, le bien deviendra la règle et le mal une maladive exception, qui diminuera de plus en plus sous l'influence toute-puissante de l'opinion publique moralisée. Les vieillards, les invalides, les malades, entourés de soins, de respect et jouissant de tous les droits, tant publics que sociaux, seront traités et entretenus avec profusion aux frais de la société.

Politique révolutionnaire

C'est notre conviction fondamentale que, toutes les libertés nationales étant solidaires, les révolutions particulières dans tous les pays doivent l'être aussi, que désormais en Europe comme dans tout le monde civilisé, il n'y aura plus des révolutions, mais seulement la Révolution universelle, comme il n'y a plus qu'une seule réaction européenne et mondiale ; que, par conséquent, tous les intérêts particuliers, toutes les vanités, prétentions, jalousies et hostilités nationales doivent se fondre aujourd'hui dans l'unique intérêt commun et universel de la Révolution, qui assurera la liberté et l'indépendance de chaque nation, par la solidarité de toutes ; que la Sainte Alliance de la [contre-] Révolution mondiale et la conspiration des rois, du clergé, de la noblesse et de la féodalité bourgeoise, appuyée sur d'énormes budgets, sur des armées permanentes, sur une bureaucratie formidable, armés de tous les terribles moyens que leur donne la centralisation moderne, avec l'habitude et pour ainsi dire avec la routine de l'action et du droit de conspirer et de tout faire à titre légal sont un fait immense, menaçant, écrasant, et que, pour les combattre, pour lui opposer un fait d'une égale puissance, pour le vaincre et de détruire, il ne faut rien moins que l'alliance et l'action révolutionnaires simultanées de tous les peuples du monde civilisé. Contre cette réaction mondiale, la Révolution isolée d'aucun peuple ne saurait réussir. Elle serait une folie, par conséquent une faute pour lui-même et une trahison, un crime, contre toutes les autres nations. Désormais, le soulèvement de chaque peuple doit se faire non en vue de lui-même, mais en vue de tout le monde. Mais, pour qu'une nation se soulève en vue et au nom de tout le monde, il faut qu'elle ait le programme de tout le monde, assez large, assez profond, assez vrai, assez humain en un mot, pour embrasser les intérêts de tout le monde, et pour électriser les passions de toutes les masses populaires de l'Europe, sans différence de nationalité. Le programme ne peut être que celui que la Révolution démocratique et sociale. L'objet de la Révolution démocratique et sociale peut être défini en deux mots : Politiquement : c'est l'abolition du droit historique, du droit de conquête et du droit diplomatique. C'est l'émancipation complète des individus et des associations du joug de l'autorité divine et humaine : c'est la destruction absolue de toutes les unions et agglomérations forcées des communes dans les provinces, des provinces et des pays conquis dans l'État. Enfin, c'est la dissolution radicale de l'État centraliste, tutélaire, autoritaire, avec toutes les institutions militaires, bureaucratiques, gouvernementales, administratives, judiciaires et civiles. C'est en un mot la liberté rendue à tout le monde, aux individus, comme à tous les corps collectifs, associations, communes, provinces, régions et nations, et la garantie mutuelle de cette liberté par la fédération. Socialement : c'est la confirmation de l'égalité politique par l'égalité économique. C'est, au commencement de la carrière de chacun, l'égalité du point de départ, égalité non naturelle mais sociale pour chacun, c'est-à-dire égalité des moyens d'entretien, d'éducation, d'instruction pour chaque enfant, garçon ou fille, jusqu'à l'époque de sa majorité.


Michel Bakounine

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