« Au mur, il y a le
trou blanc, la glace. C'est un piège. Je sais que je vais m'y
laisser prendre. Ca y est. La chose grise vient d'apparaitre dans la
glace. Je m'approche et je la regarde, je ne peux plus m'en aller.
C'est le reflet de mon visage. Souvent, dans ces journées perdues,
je reste à le contempler. Je n'y comprends rien, à ce visage. Ceux
des autres ont un sens. Pas le mien. Je ne peux même pas décider
s'il est beau ou laid. Je pense qu'il est laid parce qu'on me l'a
dit. Mais cela ne me frappe pas. Au fond je suis même choqué qu'on
puisse lui attribuer des qualités de ce genre, comme si on appelait
beau ou laid un morceau de terre ou bien un bloc de rocher. »
« Une jeune femme,
appuyée des deux mains à la balustrade, leva vers le ciel sa face
bleue, barrée de noir par le fard des lèvres. Je me demandai, un
instant, si je n'allai pas aimer les hommes. »
« Derrière moi,
dans la ville, dans les grandes rues droites, aux froides clartés
des réverbères, un formidable événement social agonisait :
c'était la fin du dimanche. »
« L’existence est
une chute tombée. »
« Si je vois
réapparaître, pendant qu'il parle, tous les humanistes que j'ai
connus ? Hélas, j'en ai tant connu ! L'humaniste radical est tout
particulièrement l'ami des fonctionnaires. L'humaniste dit « de
gauche » a pour souci principal de garder les valeurs humaines ; il
n'est d'aucun parti, parce qu'il ne veut pas trahir l'humain, mais
ses sympathies vont aux humbles ; c'est aux humbles qu'il consacre sa
belle culture classique. C'est en général un veuf qui a l'œil beau
et toujours embué de larmes ; il pleure aux anniversaires. Il aime
aussi le chat, le chien, tous les mammifères supérieurs. L'écrivain
communiste aime les hommes depuis le deuxième plan quinquennal ; il
châtie parce qu'il aime. Pudique, comme tous les forts, il sait
cacher ses sentiments, mais il sait aussi, par un regard, une
inflexion de sa voix, faire pressentir, derrière ses rudes paroles
de justicier, sa passion âpre et douce pour ses frères. L'humaniste
catholique, le tard-venu, le benjamin, parle des hommes avec un air
merveilleux. Quel beau conte de fées, dit-il, que la plus humble des
vies, celle d'un docker londonien, d'une piqueuse de bottines ! Il a
choisi l'humanisme des anges ; il écrit, pour l'édification des
anges, de longs romans tristes et beaux, qui obtiennent fréquemment
le prix Femina. Ça, ce sont les grands premiers rôles. Mais il y en
a d'autres, une nuée d'autres : le philosophe humaniste, qui
se penche sur ses frères comme un frère aîné et qui a le sens de
ses responsabilités; l'humaniste qui aime les hommes tels qu'ils
sont, celui qui les aime tels qu'ils devraient être, celui qui veut
les sauver avec leur agrément et celui qui les sauvera malgré eux,
celui qui veut créer des mythes nouveaux et celui qui se contente
des anciens,, celui qui aime dans l'homme sa mort, celui qui aime
dans l'homme sa vie, l'humaniste joyeux, qui a toujours le mot pour
rire, l'humaniste sombre, qu'on rencontre surtout aux veillées
funèbres. Ils se haïssent tous entre eux : en tant qu'individus,
naturellement — pas en tant qu'hommes. »
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