mercredi 18 mars 2020

Les enseignements du mythe Bolchévik issu du livre de Alexander Berckman partie 1


J'avais prévu de prendre des extraits de cette partie de texte mais au vu des morceaux que j'aurais du enlever, je me suis dit qu'il fallait vraiment tout mettre pour comprendre sa pensée sans la déformer.

I   Mes attitudes et réactions personnelles

Depuis ma prime jeunesse; la révolution – la révolution sociale- a été le grand espoir et le but de ma vie. Elle représentait pour moi le messie qui viendrait délivrer le monde de la brutalité, de l'injustice et du mal, et ouvrirait la voie à une humanité régénérée basée sur la fraternité , vivant en paix dans la liberté et la beauté.
Je peux dire sans exagération que le plus beau jour de ma vie je l'ai passée dans une cellule de prison – le jour où les premières nouvelles de la révolution d'Octobre et de la victoire des bolchéviks me sont parvenue au pénitencier fédéral d'Atlanta. La nuit de mon cachot était illuminée par la gloire de ce grand rêve qui devenait réalité. Les barreaux d'acier avaient fondu , les murs de pierre disparus et je marchais sur la toison d'or de l'idéal sur le point de se réaliser. Dans les semaines et les mois d'anxiété qui ont suivi , j'ai vécu dans un état d'ébullition où se mêlaient l'espoir et la crainte – craintes que les réactionnaires n'écrasent la révolution, espoir de rejoindre la terre promise.
Enfin est arrivé le jour tant attendu, et je me suis retrouvé en Russie soviétique. Je débordais d'enthousiasme pour la révolution , j'étais plein d'admiration pour les bolchéviks et rempli de joie à l'idée du travail utile qui m'attendait au milieu de l’héroïque peuple russe.
Je savais que les bolchéviks étaient marxistes et croyaient en un état centralisé que moi, anarchiste, je rejette par principe. Mais je plaçais la révolution au-dessus des théories , ce qui était le cas également , me semblait-il des bolchéviks . Bien que marxistes, ils avaient contribué à faire advenir une révolution qui était totalement non marxiste , qui même défiait le dogme et la prophétie marxiste. Fervents défenseurs du parlementarisme , ils le répudiaient dans leur pratique. Après avoir persisté à réclamer, la convocation d'une assemblée constituante , ils l'ont dissoute sans cérémonie quand la vie a révélé qu'elle était inadéquate. Ils ont abandonné leur politique agraire pour adopter celle des socialistes-révolutionnaires afin de répondre aux besoins des paysans . Ils ont résolument appliqué les méthodes et les tactiques anarchistes lorsque la situation l'exigeait. Bref, en pratique, les bolchéviks semblaient être un parti profondément révolutionnaire dont le seul but était le succès de la révolution , un parti qui possédait le courage moral et l'intégrité de subordonner ses théories au bien-être général.
Lénine n'avait-il pas souvent affirmé que lui-même et ses partisans étaient au fond des anarchistes, que le pouvoir politique n'était pour eux qu'un moyen temporaire de mettre en œuvre la révolution ? L'état devait mourir progressivement , disparaître, comme Engels, l'avait enseigné car ses fonctions deviendraient inutiles et obsolètes.
J'ai donc accepté les bolchéviks comme l'avant-garde sincère et intrépide de l'émancipation sociale de l'homme. J'aspirais avec ferveur à travailler avec eux , à participer au combat contre les ennemis de la révolution et à aider le peuple à en récolter les fruits.
C'est dans cet état d'esprit que je suis venu en Russie. Comme je l'avais déclaré avec tant de passion à notre première réunion d'accueil à la frontière russe, j'étais prêt à ignorer toutes les différences théoriques d'opinion. Je venais pour travailler , pâs pour discuter, Pour apprendre, pas pour donner des leçons. Pour apprendre et pour aider.
J'ai en effet appris , et j'ai essayé d'aider. J'ai appris au jour le jour , durant de longues semaines et de longs mois , dans différentes régions du pays. Mais ce que j'ai vu et appris contrastait de manière si flagrante avec mes espoirs et mes attentes que ma confiance dans les bolchéviks en a été ébranlée dans ses fondements mêmes. Non que je m'étais attendu à trouver en Russie un eldorado du prolétariat. Loin de là. Je savais que le travail en période révolutionnaire était gigantesque , et les difficultés à surmonter énormes. La Russie était assiégée sur de multiples fronts : la contre révolution sévissait à l'extérieur comme à l'intérieur, le blocus affamait le pays et empêchait même d'apporter une aide médicale aux femmes et aux enfants malades. Le peuple était exténué par une longue guerre et par la guerre civile , l'industrie était désorganisée , les lignes de chemin de fer hors d'usage. . Je me rendais compte pleinement du désastre de la situation de la Russie, qui versait ses dernières gouttes de sang sur l'autel de la révolution , pendant que le reste du monde assistait au spectacle en témoin passif et que les puissances alliées participaient à la mort et à la destruction.
Je voyais l’héroïsme désespérée du peuple et les efforts presque surhumains que faisaient les bolchéviks. Très proches d'eux, dans la mesure où j'entretenais des liens d'amitié personnelle avec les dirigeants communistes , je partageais leurs intérêts et leurs espoirs, je les assistais dans leur tâche, et j'étais inspiré par leur dévouement désintéressé et leur entière concentration mise au service de la révolution. Le manque de sympathie de la part des autres éléments révolutionnaires me remplissait de tristesse, voire de colère. Je m'agaçais des critiques contre les bolchéviks à un moment où ils étaient assaillis par de puissants ennemis. Je n'acceptais pas le refus de les soutenir , que je condamnais comme étant criminel et j'employais toutes mes forces à faire en sorte qu'il y ait une meilleure compréhension et coopération entre les différentes factions révolutionnaires qui s'opposaient.
Ma proximité avec les blochéviks , ma franche partialité en leur faveur, exaspérait mes amis et éloignait mes plus proches camarades . Mais ma foi dans les communistes et leur intégrité n'en était pas ébranlée. Elle était même la preuve contre toute évidence de mes propres sentiments et de mon jugement , de mes impressions et de mon expérience.
La vie, la réalité, remettait continuellement ma foi en question. Partout je voyais l'inégalité et l'injustice, l'humanité piétinée dans la poussière , l'exigence présumée dissimuler la trahison, la duperie et l'oppression. Je voyais le parti au pouvoir réprimer les élans vitaux de la révolution , décourager l'initiative populaire et l »autonomie si essentielles à son développement. Néanmoins, je m'accrochais à ma foi. Obstinément, j'entretenais l'espoir que derrière les principes erronés et les tactiques fallacieuses , derrière la bureaucratie gouvernementale et l'autocratie du parti, couvait le désir d'idéalisme qui repousseraient les nuages noirs du despotisme dès que le gouvernement soviétique serait à l'abri de l'ingérence des alliés et de la contre-révolution. Cette lueur d'idéalisme excuserait à mes yeux toutes les fautes et erreurs., l'incompétence monstrueuse , l'incroyable corruption, et jusqu'aux crimes commis au nom de la révolution.
Pendant dix-huit mois, des mois d'angoisse et d'expérience déchirante, je me suis accroché à cet espoir. Et jour après jour ma conviction n'a cessé de se renforcer que le bolchevisme se révélait fatal aux meilleurs intérêts de la révolution, que le pouvoir politique était devenu le seul objectif du parti dominant, et que l'état, avec son communisme de caserne, était aussi asservissant que destructeur.Je voyais les bolchéviks gagner de la vitesse de manière constante sur la pente de la tyrannie , la dictature du parti devenir l'absolutisme irresponsable de quelques suzerains, les apôtres de la liberté se transformer en bourreaux du peuple.
Chaque jour les preuves accablantes s'accumulaient. Je voyais la tragédie nécessité révolutionnaire institutionnalisée en terreur irresponsable , le sang de milliers d'être versé sans raison ni retenue. Je voyais la lutte des classes , terminée depuis longtemps, devenir une guerre de vengeance et d'extermination. Je voyais les idéaux d'hier trahis , le sens de la révolution perverti , son essence caricaturé en réaction. Je voyais les ouvriers abattus, la totalité du pays réduit au silence par la dictature du parti et sa brutalité organisée. Je voyais des villages entiers dévastés par l'artillerie Bolchevique. Je voyais les prisons remplies -non pas de contre-révolutionnaires mais d'ouvriers et de paysans , d'intellectuels prolétaires , de femmes et d'enfants affamés. Je voyais les éléments révolutionnaires persécutés, l'esprit d'octobre crucifié sur le Golgotha de l'état communiste tout-puissant.
Et pourtant, je n'admettais pas l'effroyable vérité. Je conservais malgré tout l'espoir que les bolchéviks , bien que dans une erreur absolue en termes de principes et de pratiques , s'accrochent encore fermement à quelques lambeaux de la bannière révolutionnaire. « L'ingérence des alliés », « le blocus et la guerre civile », « la nécessité d'une phase de transition », telles étaient les raisons que j'invoquais pour apaiser ma conscience outragée. Une fois la période critique passée, la main du despotisme et de la terreur serait abolie – et ma confiance , si durement éprouvée, justifiée.
Finalement les fronts ont été liquidés, la guerre civile a pris fin et le pays a retrouvé la paix. Cependant, la politique communiste n'a pas changé. Au contraire, la répression est devenue plus fanatique, la terreur rouge a tourné à l'orgie , la force aveugle de l'état a répandu impitoyablement la mort et la dévastation. Le pays gémissait sous le joug insupportable de la dictature du parti. Mais aucun répit ne serait accordé. . Puis est venue Kronstadt dont les échos ont aussitôt retenti dans l'ensemble du pays. Pendant des années le peuple avait souffert d'une misère indescriptible , des privations et de la faim. Au nom de la révolution , il était prêt à endurer et à souffrir . Il ne réclamait pas du pain. Seulement un souffle de vie, de liberté.
Kronstadt aurait pu facilement tourné ses canons contre Pétrograd et chasser les maîtres bolchéviques qui étaient affolés et sur le point de prendre la fuite. Un coup décisif porté par les marins et Pétrograd aurait été à eux , ainsi que Moscou. Le pays tout entier était prêt à les suivre. Jamais encore les bolchéviks n'avaient été aussi prêts d'être anéantis. Seulement Kronstadt, comme le reste de la Russie, n'avait pas l'intention de faire la guerre à la république soviétique. Elle ne voulait pas que coule le sang, elle ne tirerait pas la première. Kronstadt demandait uniquement des élections justes, des soviets libérés de la domination communiste. Elle proclamait les slogans d'octobre et ravivait le véritable esprit de la révolution.
Kronstadt a été écrasée aussi impitoyablement que Thiers et Galliffet ont massacré les communards à Paris – et en même temps que Kronstadt le pays tout entier et son dernier espoir. Ainsi que ma foi dans les bolchéviks. Ce jour là, j'ai finalement , et irrévocablement , rompu avec les communistes. Il était devenu clair pour moi que jamais, en aucune circonstance , je ne pourrai accepter cette dégradation de la personne humaine et de la liberté , ce chauvinisme de parti et cet absolutisme d'état qui étaient devenus l'essence de la dictature communiste. J'ai enfin compris que l’idéalisme bolchévik n'était qu'un mythe , une illusion dangereuse, fatale à la liberté et au progrès.

II la dictature communiste et la révolution russe

La révolution d'octobre n'était pas le fruit du marxisme traditionnel. La Russie ne ressemblait que peu à un pays dans lequel , selon Marx, « la socialisation du travail et la centralisation de ses ressorts matériels arrivent à un point où elles ne peuvent plus tenir dans leur enveloppe capitaliste. Cette enveloppe se brise en éclats... »

En Russie, 'l'enveloppe » a éclaté de façon inattendue. Elle a éclaté à un stade de faible développement technique et industriel , alors que la centralisation de la production avait peu progressé. La Russie était un pays où le système des transports était mal organisé, où la bourgeoisie était insignifiante et le prolétariat faible, mais qui possédait une population paysanne numériquement forte et socialement importante. C'était un pays où, semblait-il, on ne pouvait parler d'un « antagonisme irréconciliable entre les forces laborieuses industrielles grandissantes et un système capitaliste en pleine maturité. »
Néanmoins, en 1917, un concours de circonstance a a provoqué, particulièrement en Russie, une situation exceptionnelle qui a eu pour conséquence l'effondrement catastrophique de tout le système industriel . Lénine l'a écrit à ce moment-là avec justesse : « Il était facile de commencer la révolution dans la situation particulièrement unique de 1917. »
Ces conditions particulièrement favorables étaient les suivantes :
  1. la possibilité de de faire fusionner les slogans de la révolution sociale et la demande populaire de mettre un terme à la guerre mondiale impérialiste qui avait grandement épuisé et mécontenté les masses
  2. l'occasion de rester, au moins pendant une certaine période , en dehors de la sphère d'influence des groupes européens capitalistes qui poursuivaient la guerre
  3. la possibilité de commencer , même durant ce bref répit, le travail d'organisation interne et de préparer les bases de la reconstruction révolutionnaire
  4. la position extrêmement avantageuse de la Russie , dans le cas d'une nouvelle agression de l'impérialisme de l'Europe de l'ouest , en raison de son vaste territoire et de l'influence des moyens de communication
  5. les avantages d'un tel facteur dans l'éventualité d'une guerre civile
  6. la possibilité de satisfaire presque immédiatement les revendications des paysans sur les terres, en dépit du fait que le point de vue essentiellement démocratique de la population agricole différait totalement du programme socialiste du « parti du prolétariat » qui s'était emparé des rênes du gouvernement.

De plus, la Russie révolutionnaire bénéficiait déjà d'une grande expérience – celle de 1905, lorsque l'autocratie tsariste avait réussi à écraser la révolution pour la raison même que celle ci tendait à être exclusivement politique et ne pouvait par conséquent ni soulever les paysans, ni même inspirer une grande partie du prolétariat.
La guerre mondiale, en révélant la faillite complète du gouvernement constitutionnel, a servi à préparer et à accélérer un plus grand mouvement de masse, un mouvement qui , en vertu de son essence même, ne pouvait donner lieu qu'à une révolution sociale.
En anticipant les mesures du gouvernement, souvent même en les bravant, les masses révolutionnaires, de leur propre initiative, ont commencé à mettre en pratique leurs idéaux sociaux bien avant les journées d'Octobre. Elles ont pris possession de la terre , des usines, des mines, des fabriques et des outils de production.Elles se sont débarrassées des représentants du gouvernement et autorités les plus détestés et les plus dangereux. Dans leur immense explosion révolutionnaire, elles ont détruit toute forme d'oppression politique et économique. Dans la Russie profonde, les processus de révolution sociale ont été mis en œuvre de façon intensive avant même le changement qui a résulté des journées d'octobre n'ait eu lieu à Pétrograd et à Moscou.
Le parti communiste , qui aspirait à la dictature, a évalué correctement la situation dès le début . En jetant par dessus bord les aspects démocratiques de son programme, il a programmé les slogans de la révolution sociale de manière à prendre le contrôle du mouvement des masses. A mesure qu'évoluait la révolution, es bolchéviks on t donné une forme concrète à certains principes et à certaines méthodes fondamentales du communisme anarchiste, par exemple, la suppression du régime parlementaire, l'expropriation de la bourgeoisie, les tactiques d'action directe, la saisie des moyens de production, la mise en place du système des conseils ouvriers et de paysans.( Soviets)

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