mercredi 18 mars 2020

Les enseignements du mythe Bolchévik issu du livre de Alexander Berckman partie 2


En outre, le parti communiste a exploité toutes les revendications populaires du moment : mettre fin à la guerre, accorder tout pouvoir au prolétariat révolutionnaire , donner la terre aux paysans. Cette attitude qu'ont adoptée les bolchéviks a eu un effet psychologique considérable pour hâter et stimuler la révolution.
Cette dernière était un processus organique qui découlait avec une force élémentaire des besoins mêmes du peuple, d'un mélange complexe de circonstances qui déterminait leur existence. La révolution a suivi d’instinct la voie tracée par la grande explosion populaire, qui reflétait de façon naturelle les tendances anarchistes. Elle a détruit l'ancien mécanisme d'état et a proclamé le principe de la fédération des Soviets dans la vie politique. Elle a recouru à la méthode de l'expropriation directe pour abolir la propriété privée capitaliste. Dans le domaine de la reconstruction économique, la révolution a mis en place des comités dans les ateliers et dans les usines afin de gérer la production . Des comités du logement s'occupaient de l'affectation appropriée des pièces d'habitation.
Il allait de soi que le seul développement juste et salutaire – qui pouvait sauver la Russie de ses ennemis de l'extérieur , la libérer de ses conflits internes, étendre et approfondir la révolution elle-même – dépendait de l'initiative créatrice émanant directement des masses laborieuses. Seuls ceux qui avaient supporté les plus lourds fardeaux pendant des siècles pouvaient, par un effort conscient et systématique , ouvrir la voie à une nouvelle société régénérée.
Cependant, cette conception était irréconciliablement en conflit avec l'esprit du marxisme tel que l’interprétaient les bolchéviks , et tout particulièrement compte tenu de la conception autoritaire que s'en faisait Lénine.
Formés pendant des années à leur doctrine « clandestine » singulière , dans laquelle la foi fervente dans la révolution sociale s'unissait étrangement à leur foi non moins fanatique dans la centralisation de l'état, les bolchéviks ont mis au point un système de tactiques entièrement nouveau Ce système faisait le constat que la préparation et l'accomplissement de la révolution sociale nécessitaient l'organisation d'une équipe sociale de conspirateurs , composée exclusivement de théoriciens du mouvement, investis de pouvoirs dictatoriaux dans le but de clarifier et de parfaire par avance, par leurs propres moyens conspirationnels , la conscience de classe du prolétariat.
La caractéristique fondamentale de la psychologie bolchévique est la méfiance à l'égard des masses. Livré à lui-même, le peuple – selon les bolchéviks- ne peut s'élever qu'à la conscience d'un réformateur médiocre. Les masses doivent être libérées par la force. Pour les éduquer à la liberté , il ne faut pas hésiter à employer la contrainte et la violence. La route qui mène vers la liberté a donc été abandonnée.
Comme l'écrivait Boukharine, un des plus éminents théoriciens communistes, « la contrainte prolétarienne sous toutes ses formes , à commencer par l’exécution sommaire pour finir par le travail obligatoire , est, aussi paradoxal que cela puisse sembler, un moyen de refaçonner le matériau de l'époque capitaliste en une humanité communiste ».
Déjà dans les premiers jours de la révolution, au début de 1918, lorsque Lénine a annoncé au monde son programme socio-économique dans ses moindres détails, les rôles du peuple et du parti dans la reconstruction révolutionnaire étaient strictement séparés et définitivement assignés . D'un côté , un troupeau socialiste d'une soumission absolue, un peuple muet ; de l'autre , un parti politique omniscient qui contrôle tout. Ce qui reste impénétrable à tout un chacun est pour lui un livre ouvert. Il n'existe qu'une source de vérité indiscutable : l'état. Mais l'état communiste , dans sa nature et sa pratique , est la dictature de son comité central. Chaque citoyen doit d'abord et avant tout être le serviteur de l'état , un fonctionnaire obéissant qui exécute la volonté du maitre sans poser de questions.Toute libre initiative , qu'elle soit individuelle ou collective, est éliminée de la vision de l'état. Le soviets du peuple sont transformés en sections du parti dirigeant, les institutions soviétiques deviennent des bureaux de simples transmetteurs de la volonté du centre vers la périphérie. Tout ce qui exprime l'activité de l'état doit être visé du sceau d'approbation du communisme tel que l'interprète la faction au pouvoir. Tout le reste est considéré superflu. , inutile et dangereux.
En déclarant , « L'état, c'est moi », la dictature bolchévique a assumé l'entière responsabilité de la révolution dans toutes ses implications historiques et éthiques.
Ayant paralysé les efforts constructifs du peuple, le parti communiste ne pouvait désormais compter que sur sa propre initiative. Par quels moyens alors la dictature bolchévique espérait-elle utiliser au mieux les ressources de la révolution sociale?Quelle voie a-t-elle choisi, non seulement pour soumettre machinalement les masses à son autorité , mais pour les éduquer, , leur inspirer les idées socialistes avancées et stimuler en elles – épuisées qu'elles étaient par une longue guerre la ruine économique et la loi policière- une nouvelle foi dans la reconstruction socialiste ? Par quoi allait-elle remplacer l'enthousiasme révolutionnaire qui auparavant brûlait avec une telle intensité ?
Deux choses ont englobé le début et la fin des activités constructives de la dictature bolchévique 1/ la théorie de l'état communiste 2/ le terrorisme.
Dans ses discours sur le programme communiste, dans les discussions aux conférences et aux congrès, et dans son célèbre pamphlet sur « la maladie infantile du communisme » ( le gauchisme) , Lénine a progressivement forgé cette doctrine singulière de l'état communiste destinée à jouer le rôle dominant dans l'attitude du parti et à déterminer toutes les mesures que les bolchéviks prendraient par la suite dans le domaine de la politique concrète. C'est la doctrine d'une route politique en zigzag faite de répits et d'hommages de compromis et d'accords , de replis profitables , de retraits, de reddition avantageuses- une théorie parfaitement classique du compromis.
Le compromis et le marchandage , pour lesquels les bolchéviks avaient si impitoyablement et justement dénoncés et stigmatisés toutes les autres factions du socialisme d'état , sont devenus l'étoile de Béthléem indiquant la voie de la reconstruction révolutionnaire . Naturellement, de telles méthodes ne pouvaient manquer de mener dans le marécage de la conformation , de l'hypocrisie et de l'absence de principes.
La paix de Brest-Litovsk ; la politique agraire et ses changements spasmodiques, de la classe la plus pauvre de la paysannerie au paysan qui exploite ; l'attitude perplexe envers les syndicats ; la politique intermittente concernant les experts techniques, qui balance en théorie et en pratique entre la direction collégiale des industries et le « pouvoir à un seul homme », les appels anxieux au capitalisme de l'Europe de 'l'ouest par dessus les têtes des prolétaires du pays et de l'étranger, et enfin le rétablissement récent, inconsistant et zigzaguant, mais incontestable et certain, de la bourgeoisie abolie , tesl est le système du bolchevisme. Un système d'une impudence sans précédent pratiquée sur une échelle monstre , une politique de double jeu scandaleux dans lequel la main gauche du parti communiste ignore sciemment , et même refuse par principe , ce que fait la main droite : quand, par exemple, on proclame que le problème crucial du moment est la lutte contre la petite bourgeoisie ( et, incidemment , selon la phraséologie bolchévique stéréotypée , contre les éléments anarchistes ), tandis que par ailleurs on vote de nouveaux décrets qui mettent en place les conditions techno-économiques et psychologiques nécessaires à la restauration et au renforcement de cette même bourgeoisie , telle est la politique bolchévique qui représentera à tout jamais un monument de ce qui est foncièrement faux, foncièrement contradictoire , et qui ne s'intéresse qu'à maintenir la politique opportuniste de la dictature du parti communiste.
Aussi haut et fort que cette dictature puisse se vanter du grand succès de ses méthodes politiques, il n'en reste pas moins le fait tragique que les blessures les plus terribles et les plus incurables de la révolution ont été infligées par la dictature communiste elle-même.

Engels a dit il y a longtemps que le prolétariat n'a pas besoin de l'état pour protéger la liberté, mais qu'il a besoin de lui écraser ses adversaires, et que, le jour où il sera possible de parler de liberté, il n'y aura plus de gouvernement. Non seulement les bolchéviks ont adopté cette maxime comme axiome sociopolitique durant « la période de transition » , mais ils l'ont appliquée à l'échelle universelle.
Le terrorisme a toujours été l'ultima ratio d'un gouvernement inquiet pour son existence. Le terrorisme représente une tentation en raison de ses formidables possibilités. Il offre en quelque sorte mécanique dans les situations désespérées . Sur le plan psychologique , il est présenté comme un moyen d'autodéfense , comme l'a nécessité de se dédouaner de toute responsabilité pour mieux frapper l'ennemi.
Mais, inévitablement, les principes du terrorisme rebondissent en portant un coup fatal à la liberté et à la révolution. Le pouvoir absolu corrompt et anéantit ses partisans pas moins que ses adversaires. Un peuple qui ne connait pas la liberté s'habitue à la dictature. En combattant le despotisme et la contre-révolution, le terrorisme devient lui-même une école efficace de l'un comme de l'autre.

Une fois engagé sur la voie du terrorisme , l'état se coupe nécessairement du peuple. Il doit réduire au minimum le cercle des personnes investies de pouvoirs extraordinaires , au nom de la sécurité de l'état. Et apparaît alors ce qu'on peut appeler la panique de l'autorité. Le dictateur, le despote, est toujours lâche. Il soupçonne partout la trahison. Et plus il est terrifié , plus se déchaîne son imagination affolée, incapable de distinguer le danger réel de celui qu'il fantasme. Il sème à la volée le mécontentement, l'antagonisme et la haine. Une fois qu'il a choisi cette voie, l'état est condamné à la suivre jusqu'au bout.
Le peuple russe est resté silencieux , et son nom – sous le couvert d'un combat à mort contre la contre-révolution – le gouvernement a déclaré une guerre implacable contre tous les adversaires du parti communiste. Tout ce qui subsistait de liberté a été arraché à la racine . La liberté de pensée, de la presse, et de rassemblement public, l'autodétermination des ouvriers et des syndicats , la liberté du travail , tout a été déclaré n'être que non-sens , absurdité doctrinaire , « préjugés bourgeois » ou intrigues de la contre-révolution renaissante.
Telle a été la réponse bolchévique à l'enthousiasme révolutionnaire et à la foi profonde qui ont inspiré les masses au début de la lutte remarquable qu'elles ont menée pour la liberté et la justice - une réponse qui s'est exprimée dans une politique de compromis à l'étranger et de terrorisme à l'intérieur du pays.
Ecarté de la participation directe du travail constructif de la révolution, harcelé à chaque pas, victime de la bienveillance et du contrôle constants du parti, le prolétariat s'est habitué à considérer la révolution et son devenir comme l'affaire personnelle des communistes. C'est en vain que les bolchéviques ont désigné la guerre mondiale comme étant la cause de l'effondrement économique de la Russie , en vain ils l'ont imputé au blocus et aux attaques de la contre-révolution armée. Ce n'est pas là que se trouvaient les causes réelles de l'effondrement et de la débâcle.
Aucun blocus, aucune guerre contre la réaction étrangère n'aurait pu abattre ou vaincre le peuple révolutionnaire dont l’héroïsme sans précédent, l'esprit de sacrifice et la persévérance ont eu raison de tous ses ennemis extérieurs. Au contraire la guerre civile a véritablement aidé les bolchéviks. Elle a servi à garder vivant l'enthousiasme populaire et a entretenu l'espoir que, avec la fin de la guerre, le Parti au pouvoir mettrait en application les nouveaux principes révolutionnaires et assurerait au peuple la jouissance des fruits de la révolution. Les masses attendaient avec impatience la possibilité de profiter de la liberté sociale et économique à laquelle elles aspiraient tant. Aussi paradoxal que cela puisse sembler , la dictature communiste n'avait pas de meilleure allié , pour ce qui est de renforcer et de prolonger son maintien au pouvoir , que les forces réactionnaires qui la combattaient.
Ce n'est que la fin des guerres qui a permis de voir pleinement le découragement économique et psychologique dans lequel la politique despotique aveugle de la dictature avait plongé la Russie. Il est dès lors devenu évident que le plus grand danger pour la révolution ne se situait pas à l'extérieur , mais à l'intérieur du pays - un danger qui résultait de la nature même des dispositions sociales et économiques qui caractérisent le système bolchévik.
Ses caractéristiques distinctives – les antagonismes sociaux qui lui sont inhérents – ne sont abolies officiellement en République soviétique. En réalité, ces antagonismes existent et sont profondément enracinés. L'exploitation de la main d'oeuvre, l'asservissement des ouvriers et des paysans, l'élimination du citoyen en tant qu'être humain et personnalité , et sa transformation en une partie microscopique du mécanisme économique universel appartenant au gouvernement, la création de groupes privilégiés que favorise l'état , le système du service du travail et ses organes punitifs, voilà quelles sont les caractéristiques du bolchevisme.
Le bolchevisme, avec sa dictature du parti et son communisme d'état , n'est pas et ne pourra jamais devenir le tremplin d'une société communiste libre et non autoritaire étant donné que l'essence et la nature même du communisme gouvernemental excluent une telle évolution. La centralisation économique et politique, la gouvernementation et la bureaucratisation de toutes les sphères de l'activité et de tous les efforts , la militarisation inévitable et la dégradation de l'esprit humain détruisent automatiquement tout embryon de vie nouvelle et annihilent toute impulsion en vue d'un travail créatif et constructif.
La lutte historique des masses laborieuses pour la liberté se poursuit nécessairement et inévitablement en dehors de la sphère d'influence du gouvernement. La lutte contre l'oppression – politique, économique et social- contre l'exploitation de l'homme par l'homme , ou de l'individu par le gouvernement , est toujours simultanément une lutte contre le gouvernement en tant que tel. L'état politique , quelle que soit la forme qu'il prenne , et l'effort révolutionnaire constructif sont inconciliables . Ils s'excluent mutuellement. Toute révolution au cours de son évolution est confrontée à cette alternative : construire librement , indépendamment et en dépit du gouvernement , ou choisir le gouvernement avec toutes les restrictions et la stagnation que cela implique. La voie de la révolution sociale , de l’autonomie constructive des masses organisées et conscientes , va dans le sens d'un non-gouvernement , autrement dit de l'anarchie. Ce n'est ni l'état ni le gouvernement , mais la reconstruction sociale systématique et coordonnée par les travailleurs qui est nécessaire pour construire une nouvelle société. Ce n'est pas l'état et ses méthodes policières , mais la coopération solidaire de tous les éléments qui travaillent - le prolétariat , la paysannerie, l'intelligentsia révolutionnaire - , s'aidant mutuellement au travers d'associations volontaires, qui émancipera de la superstition étatique et permettra le passage de l'ancienne civilisation abolie à un communisme libre. Ce n'est pas sur l'ordre de quelque autorité centrale, mais de façon organique, à partir de la vie même , que doit croître la fédération étroitement soudée à des associations industrielles, agraires et autres , unies toutes ensembles ; ce sont les travailleurs eux-mêmes qui doivent les organiser et les gérer , et c'est alors – et alors seulement – que la profonde aspiration des masses laborieuses à la régénération sociale aura une base saine et solide. Seule une telle organisation du bien commun pourra faire une place à la nouvelle humanité , réellement libre et créative, et sera le seuil réel vers un communisme anarchiste non gouvernemental.
Nous sommes à la veille des transformations sociales gigantesques. Les anciennes formes de vie se brisent et se désagrègent. De nouveaux éléments voient le jour et cherchent à s'exprimer d'une manière adéquate. Les piliers de la civilisation actuelle s'effondrent. Les principes de la propriété privée , la conception de la personne humaine , de la vie sociale et de la liberté sont en train d'être réévaluées. Le bolchevisme est venu au monde comme un symbole révolutionnaire, la promesse de jour meilleur. Pour des millions de déshérités et d'asservis, il est devenu la nouvelle religion, le flambeau du statut social. Mais le bolchevisme a échoué , de façon totale et absolue. Tout comme le christianisme , espoir jadis des invisibles , a chassé le christ et son esprit d'église. , le bolchevisme a crucifié la révolution russe , trahi le peuple, et cherche à présent à duper d'autres millions d'êtres avec son baiser de judas.
Il est impératif de démasquer la grande illusion, qui sinon pourrait conduire les travailleurs de l'ouest dans le même abîme que leurs frères russes. Il incombe à ceux qui ont vu par- delà le mythe d'en expliquer la véritable nature , de dévoiler la menace sociale qui se cache derrière – le jésuitisme rouge qui renverrait le monde à des temps obscurs et à l'inquisition.
Le bolchevisme est du passé . L'avenir appartient à l'homme et à sa liberté.


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