chapitre
de conclusion de l'ouvrage :
« Le
mythe des Bolchéviks » d'Alexandre Berckman
Préface
Diverses circonstances ont retardé la parution de mon
travail sur la Russie. Mais bien qu'il traite de conditions qui
datent d'il y a deux ans , le livre décrit aussi bien la Russie
actuelle que celle qu'elle était alors.
Le mythe bolchévik couvre la parole communiste
militaire et de la « Nep » qui lui a succédé – la
nouvelle politique économique instaurée par Lénine en 1921. La Nep
a été maintenue depuis par la force , qu'elles qu'aient pu être les
modifications apportées à son application, tantôt avec hésitation,
tantôt avec une intensité énergique. La prétendue Nep n'est rien
d'autre que l'introduction du capitalisme en Russie , à la fois
étatique et privé qui implique de faire des concessions aux
capitalistes étrangers, de louer des usines et même des industries
entières à des particuliers ou à des entreprises. En bref, un
capitalisme renouvelé , mélange de monopole d'état et d'économie
privée.
%is à parts quelques changements mineurs , plus
apparents que réels – portés aux nues par certaines délégations
syndicales et d'autres visiteurs naïfs qui connaissent mal la
situation en Russie – les conditions actuelles sont pour
l'essentiel telles que je les ai décrites dans mon ouvrage.
Vues de l'extérieur , certaines grandes villes , comme
Pétrograd et Moscou, ont connu quelques améliorations . Les grandes
artères sont plus propres , certains bâtiments ont été rénovés
, les tramways et l'équipement électrique sont plus satisfaisants
et plus fiables. La vie est mieux réglementée et semble plus
normale comparée à la situation de complète désorganisation et de
chaos des années 1920-1921. ,
Mais l'existence quotidienne réelle du peuple n'est en
rien conditionnée par ces transformations superficielles , pas plus
que celles ci ne sont en aucun cas symboliques de l'essence et de la
nature véritables du régime bolchévik.
Pour comprendre la véritable essence d'un pays, il faut
l'étudier en profondeur, dans les réseaux de l'existence sans
ornement tels que les ont façonnés et les reflètent les conditions
politiques , économiques et culturelles.
Dans le domaine de la vie politique , la dictature
communiste demeure dans le statu quo des années précédentes. En
réalité, l'esprit de despotisme gouvernemental s'est intensifié,
on s'est pour ainsi dire habitué aux pouvoirs en place en Russie. Il
est plus systématique , plus organisé, bien que nettement moins
moins justifié que dans les années 1919-1921. C'était alors
l'époque de l'invasion étrangère , du blocus et de la guerre
civile. A ce moment-là , les bolchéviks n'arrêtaient pas de
promettre solennellement que la politique de terreur et de
persécution cesserait dès que la Russie serait à l'abri de toute
intervention ou attaque militaire. C'est grâce à la force de ces
promesses et de ces espoirs que les grandes masses russes , tout
comme la plupart des éléments révolutionnaires , ont continué à
collaborer avec le gouvernement soviétique , dans l'espoir qu'en
unissant leurs efforts ils sauveraient la révolution de ses ennemis
de l'extérieur et de l'intérieur.
Puis est venu le temps où les puissances étrangères sont
renoncé à leurs tentatives d'ingérence , le blocus a été levé
et c'en a été fini des fronts avec la défaite finale des armées
de Wrangel. La guerre civile a pris fin, mais la politique de terreur
et de répression menée par les bolchéviks a continué , et même
empiré. Déçues dans leurs attentes, les masses populaires sont
devenues encore plus aigries contre le gouvernement communiste.
Progressivement, le mécontentement s'est manifesté de façon active
dans diverses partiers du pays – dans l'est, au sud, en Sibérie –
pour culminer finalement dans le soulèvement des marins des soldats
et des ouvriers de Kronstadt. Lénine s'est vu obliger de faire des
concessions . Il avait le choix de donner au peuple soit la liberté
, soit...le capitalisme. Il a opté pour ce dernier , et la NEP a vu
le jour.
La dictature d'une petite poignée de dirigeants de
communistes – le cercle intérieur du comité exécutif du parti
communiste – s'est maintenue. Car les bolchéviks craignaient d'accorder la liberté au peuple, étant donné qu'elle pourrait
mettre en danger le monopole exclusif qu'ils avaient de l'état . La
devise de Lénine et de son parti était : « Nous
concéderons tout , excepté la moindre parcelle de notre pouvoir. »
La dictature actuellement aux mains du triumvirat (Staline,
Zinoviev, Kamenev) est aussi absolue qu'elle l'était du temps de
Lénine.
En effet, la dictature s'est généralisée et est
devenue plus systématique en raison des conditions plus normales et
plus stables que connait le pays. La main toute-puissante de la
dictature a même atteint désormais les sommets du parti en faisant
disparaître Trotski , en étouffant le groupe syndical et en bannissant toute l'aile gauche du parti communiste d'Ukraine. Toute
expression d'une opinion politique indépendante, toute tentative de
critique sont réprimées sans pitié. Les redoutables prisons
« intérieures » (spéciales) de la Tchéka , les
anciennes prisons du tsar et les nouvelles « maisons de
privation de liberté » sont surpeuplés. Le nord glacé de la
Sibérie, les déserts du Turkistan , les cachots d'Arkhangelsk et
de Solovetski et les camps de concentration renferment des milliers
de prisonniers politiques, d'intellectuels et d'ouvriers arrêtés
pour avoir oser faire grève, de paysans qui protestent contre les
charges insupportables , de non affilié au parti soupçonné de
manque de fiabilité politique. Dans la collection de documents
russes en ma possession , certains délivrés aux détenus par la
Tchéka stipulent qu'ils ont été arrêtés pour cause
d' »appartenance au parti socialiste sioniste. » Ce que
signifie une telle « accusation » est des plus explicite
lorsqu'on considère que le parti socialiste sioniste ne demande rien
de plus « révolutionnaire » ou
« contre-révolutionnaire » que le respect dans les
faits de la constitution soviétique.
Les bolchéviks osent encore prétendre que seuls sont
persécutés en Russie ceux qui prennent les armes contre le
gouvernement soviétique ou qui sont activement engagés dans des
complots contre-révolutionnaires.
Il suffit pour caractériser la situation actuelle en
Russie de souligner le fait que pas une seule publication politique
ne peut exister dans le pays, à l'exception des journaux et
magazines communistes orthodoxes. La simple possession d'une
publication révolutionnaire non communiste éditée à l'étranger
est punissable emprisonnement et d'exil.
C'est profondément méconnaître la situation que
d'appeler la Russie une dictature du prolétariat, car les ouvriers
sont plus asservis et exploités politiquement en Russie que dans
toute autre pays. Tout comme de dire que la dictature est celle du
parti communiste, étant donné que les membres ordinaires de
celui-ci sont entièrement soumis au Kremlin comme l'est le reste de
la population. La Russie d'aujourd'hui , comme au temps de Lénine,
est une dictature imposée par une petite clique , connus sous le nom
de « bureau politique » du comité exécutif du parti, au
sein duquel Staline, Zinoviev et Kamenev sont les seuls et uniques maîtres du destin de la Russie tout entière et de ses cent
millions d'habitants.
La politique de la terreur a totalement réprimé toute
possibilité de s'exprimer librement. Elle a étouffé les Soviets
qui étaient la voix qui exprimait les besoins du peuple et ses
aspirations. Elle a transformé les organisations syndicales en
bureaux exécutifs communistes qui appliquent docilement les ordres
du gouvernement.
Dans la vie sociale et culturelle du pays, tout comme
dans les domaines industriels et économiques, la dictature a pour
effet une récession et une stagnation inévitables. L'évolution
industrielle moderne ne peut aller de pair avec un despotisme absolu.
Un relatif minimum de liberté, de sécurité personnelle, et le
droit d'exercer ses propres initiatives et ses énergies créatives,
sont les conditions préalables au progrès économique. Seul un
changement des plus radical de la nature de la dictature communiste –
de fait, son abolition – pourra sortir la Russie du marécage de la
tyrannie et de la misère.
L'apogée de la tragédie est que le socialisme
bolchévik , empêtré dans ses antithèses logiques, ne peut rien
donner de mieux au monde aujourd'hui – sept ans après la
révolution – que l'intensification des maux du système même dont
les antagonismes ont produit le socialisme.
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