vendredi 27 mars 2020

Le jardin des supplices Par Octave Mirbeau




« Il y a douze ans, ne sachant plus que faire et condamné par une série de malchances à la dure nécessité de me pendre ou de m'en aller jeter dans la Seine, je me présentai aux élections législatives – suprême ressource-, en un département où, d'ailleurs, je ne connaissais personne et n'avais jamais mis les pieds. »

« Je faillis même, un soir, dans une réunion publique, être assommé par des électeurs furieux de ce que, en présence des scandaleuses déclarations de mon adversaire, j’eusse revendiqué, avec la suprématie des betteraves, le droit à la vertu, à la morale, à la probité, et proclamé la nécessité de nettoyer la république des ordures individuelles qui la déshonoraient. On se rua sur moi ; on me prit à la gorge ; on se passa, de poings en poings, ma personne soulevée et ballotante comme un paquet...Par bonheur, je me tirai de cet accès d'éloquence avec, seulement, une fluxion à la joue, trois côtes meurtries et six dents cassées. »

« -prendre quelque chose à quelqu'un, et le garder pour soi, ça s'est du vol.…Prendre quelque chose à quelqu'un et le repasser à un autre, en échange d'autant d'argent que l'on peut, ça, c'est du commerce...Le vol est d'autant plus bête qu'il se contente d'un seul bénéfice, souvent dangereux, alors que le commerce en comporte deux, sans aléa... »

« La vérité est que Mme G..., débarrassée du grossissement des réclames et de la poésie des légendes, réduite au strict caractère de son individualité mondaine, n'était qu'une très vieille dame, d'esprit vulgaire, d'éducation négligée, extrêmement vicieuse, par surcroit, et qui, ne pouvant plus cultiver la fleur du vice en son propre jardin , la cultivait en celui des autres, avec une impudeur tranquille, dont on ne savait pas ce qu'il convenait le mieux d'admirer, ou l'effronterie ou l'inconscience. »

« Tu as vu d'assez près la vie politique pour savoir qu'il existe un degré de puissance où l'homme le plus infâme se trouve protégé contre lui-même par ses propres infâmies, à plus forte raison contre les autres par celles des autres...Pour un homme d'état, il n'est qu'une chose irréparable : l'honnêteté ! L’honnêteté est inerte et stérile, elle ignore la mise en valeur des appétits et des ambitions, les seules énergies par quoi l'on fonde quelque chose de durable. La preuve, c'est cet imbécile de Favrot, le seul honnête homme du cabinet, et le seul aussi, dont la carrière politique soit, de l'aveu général, totalement et à jamais perdue ! C’est le dire, mon cher, que la campagne menée contre moi me laisse absolument indifférent... »

« En Chine, la vie est libre, heureuse, totale, sans conventions, sans préjugés, sans lois… pour nous, du moins… Pas d’autres limites à la liberté que soi-même… à l’amour que la variété triomphante de son désir… L’Europe et sa civilisation hypocrite, barbare, c’est le mensonge… Qu’y faites-vous autre chose que de mentir, de mentir à vous-même et aux autres, de mentir à tout ce que, dans le fond de votre âme, vous reconnaissez être la vérité ? … Vous êtes obligé de feindre un respect extérieur pour des personnes, des institutions que vous trouvez absurdes… Vous demeurez lâchement attaché à des conventions morales ou sociales que vous méprisez, que vous condamnez, que vous savez manquer de tout fondement… C’est cette contradiction permanente entre vos idées, vos désirs et toutes les formes mortes, tous les vains simulacres de votre civilisation, qui vous rend tristes, troublés, déséquilibrés… » 

« C’était vrai ! … j’avais beau me vanter d’être une intransigeante canaille, me croire supérieur à tous les préjugés moraux, j’écoutais encore, parfois, la voix du devoir et de l’honneur qui, à de certains moments de dépression nerveuse, montait des profondeurs troubles de ma conscience… »

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