samedi 11 novembre 2023

Pourquoi travaillez-vous? (manifeste contre le travail) inconnu

 


Si tous ces socialistes positivistes du 19ème siècle étaient parachutés dans le 21ème siècle, on aurait du mal à s'imaginer leur déception colossale. Aujourd'hui, il ne reste que peu d'esprits illuminés à espérer que la science nous mènera vers l'Eden socialiste. Mais il n'y a pas si longtemps, ils étaient nombreux à nous faire miroiter un avenir où on serait délivré du travail salarié pour pourvoir à nos besoins quotidiens. On croyait alors que la science et le progrès technologique s'en occuperaient. Rien ne s'est avéré moins vrai. Tandis qu'on prévoit pour une grande partie de la population mondiale une plus grande espérance de vie, est-ce que ça lui laisserait plus de temps pour faire autre chose que travailler? Non, au contraire. On ne cesse de marteler qu'il faut aller travailler plus longtemps. Tandis que le capital devient plus mobile et se réorganise dans ces cycles toujours plus courts, est ce que les périodes de chômage pour de larges couches de la population sont devenues plus probables et donc acceptées comme inévitables? Non, au contraire. Le chômage est plutôt considéré comme une situation isolée qui exige d'être punie ou qui mène au dumping définitif et à l'exclusion[1]. Le progrès technologique ne nous a délivré de rien. Au contraire. Le progrès technologique signifie avant tout : plus de contrôle, plus d'aliénation, plus d'empoisonnement, et plus de dépendance au travail. Comment en est-on arrivé là? Qu'est-ce qui fait du travail le noeud de cette société, l'inévitable, l'exigence à laquelle tous doivent se plier?

On travaille presque tous. C'est le mantra qu'on nous inculque depuis nos premières journées à l'école. Et on le fait, semble-t-il, en premier lieu pour survivre. Car celui qui travaille, dispose immédiatement de revenus. Sans argent, pas d'accès aux « besoins basiques » comme la nourriture, l'eau, le chauffage, un lit etc. Peut-être qu'il y a deux cent ans, il existait encore la possibilité de s'approprier tout ça en dehors des circuits marchands. Aujourd'hui, grâce aux développements technologiques, on est tous devenus inéluctablement dépendants du travail et des rapports marchands qui lui sont intrinsèques. « Grâce », car la technologie a permis la diversification, la spécialisation ou la division (des termes différents pour un même phénomène). Une division dans l'espace où des territoires ont été délimités, des axes de transports ont été tracés, des lignes de communication établies, des zones crées avec chacune sa propre fonction bien précise. Dans cette partie du monde, il y a même d'apparentes «zones sauvages », justement ça : de l'apparence (est-ce que « la gestion de la nature » n'est pas une contradiction en soi ?). Une partition dans le temps où au fond, c'est à la valeur marchande à déterminer le rythme de la vie. Du travail en passant par le moyen de transport jusqu'aux « temps de loisirs » (ce qu'on peut faire du « temps libre », dépend du travail : épuisement physique et mental, fric, dates butoirs pour le travail...). Ou de vacances en vacances, car qui a suffisamment d'argent pour ne pas devoir travailler ? Le tout avec un pendule qui donne la mesure comme un métronome. Une division de connaissances, car ce qu'on apprend, dépend de leur utilité immédiate, leur efficacité pour augmenter notre valeur marchande. Et ainsi de suite. Jusqu'à la division de possibilités (d'auto-épanouissement) ; chacun sa spécialité, chacun son rôle. Bref, une limitation énorme des possibilités, une mutilation de la vie. Exactement le contraire des fantômes des esprits illuminés et rationnels qui défendaient le progrès technologique contre les barbares qui cherchaient à le détruire, car ils le considéraient pour ce qu'il est : un nouvel assujettissement de la vie [2].

Ce « progrès » est actionné par le capital [3], ce qui signifie qu'il n'a qu'un seul but : faire pénétrer les rapports marchands dans l'entièreté de la vie. Le travail ne vise donc pas uniquement à faire accéder aux dits besoins fondamentaux (la survie), mais aussi aux domaines plus larges où se déroule la vie sociale et en fin de compte, la vie même (c'est-à-dire, tout, au-delà de la simple survie). Sans argent, on n'arrive à rien. Sans argent, on ne fait rien. Mais ce n'est pas uniquement le résultat du travail comme valeur marchande, qui compte. C'est aussi le travail en soi, comme construction d'une identité, de rôles sociaux, de sens. C'est le travail même qui donne du sens à la vie, et non la vie qui donne du sens au travail. A vrai dire, le travail prend toujours plus la forme d'une idéologie.

Pourquoi le travail ne pourrait-il pas donner du sens à la vie? Est-ce que l'humanité a besoin d'un nouveau sens depuis la disparition (relative) des grandes idéologies religieuses et politico économiques ? Et peut-être le travail a-t-il toujours été la substance des vieilles idéologies, au moins pour la plèbe. Sur ce plan, la nouvelle idéologie est plus égalitaire, il n'y a plus de justification pour une élite qui s'occuperait uniquement de questions spirituelles. Il n'y a plus que le travail qui compte (et son organisation, bien évidemment). Et peut-être le travail a-t ‘il toujours été la substance de l'humanité. Est-ce qu'il ne s'agit pas de création, de développement de capacités, d'autoréalisation?

Le travail n'est pas une activité libre émanant de nos besoins. Le travail est encastré dans une toile de dépendances. Ce n'est pas sa propre valorisation qui prévaut, mais la valorisation de la valeur marchande. Avant tout, le travail doit être exprimé par rapport à sa valeur marchande (ce qui vaut aussi pour le volontariat) et donc par la mesure de cette valorisation. La morale bourgeoise qui représente le travail comme une contribution consciente à la société, se révèle alors être plus mythe que réalité. C'est la disponibilité, l'utilisation de tes capacités qui déterminent quel travail tu feras.

Une telle morale de travail n'est donc pas un simple slogan. Peu de gens qui travaillent se demandent en quoi consiste précisément leur contribution, et encore moins à quelle société ils seraient en train de contribuer. Ils se contentent de la valeur marchande, de la valorisation que la société donne à leur travail, plutôt que la valorisation qu'ils expriment pour la société.

Dans le travail comme activité prévaut donc la disponibilité pour et la valorisation par la société. La disponibilité de tes capacités et non pas l'épanouissement de tes capacités. Deux mouvements opposés qui sont souvent confondus (probablement assez consciemment). Tes capacités sont utilisées pour des buts que tu n'influences pas, elles sont limitées à quelques spécialités et structurées dans un carcan. L'épanouissement de tes capacités consisterait par contre à déterminer toi-même comment les développer; dans quelles directions et à quel rythme. Au lieu d'auto épanouissement, on se retrouve jusqu'à présent avec de l'automutilation. Le bonus dramatique, c'est de prendre comme mesure la valorisation sociale de cette automutilation. On s'identifie à « notre » travail, « notre » entreprise. Une sorte perverse de conscience de classe où on ne voit surgir une certaine combativité que quand cette identité est menacée (par des fermetures, mais également par des braquages ou des actions directes contre les entreprises). C'est dans ce même milieu mutilant que les rapports sociaux prennent forme : des gens (frustrés) empêtrés dans des schémas autoritaires. Aussi dans les rapports entre travailleurs avec la même paie, les hiérarchies sont reproduites. De tels rapports ne sont pas des choix libres basés sur une idée commune ou un projet, mais une réalité imposée par la nécessité du travail. Toute personne qui s'est trouvée sur les bancs de l'école, sait à quoi peuvent mener de tels rapports sociaux imposés.

Le travail, c'est l'organisation de la dépendance. La dépendance des rapports sociaux basés sur la valeur marchande, l'économie, le progrès technologique, la société. Le travail, c'est la mutilation des capacités, des possibilités de construire sa vie. Le travail se promeut toujours plus comme l'idéologie de cette société. La destruction du travail fait donc intégralement partie du projet de la destruction de cette société.

Note finale : Certains lecteurs se heurteraient peut-être au fait que dans ce texte, aucune différence n'est faite entre le travail et le travail salarié. C'est en partie dû à la volonté de parler clairement et de ne pas jouer des jeux de mots académiques. Mais plus encore, c'est dû à la réflexion que considérer le travail comme un domaine séparé, est déjà le fruit de la réalité de l'exploitation. C'est en délimitant un domaine séparé que « le travail » devient quantifiable, et peut se voir octroyer une valeur marchande. Doubler une division entre le travail et la vie d'une division entre travail et travail salarié est plutôt utile aux historiens pour délimiter par exemple les différentes périodes capitalistes (et donc de valeur marchande) comme la période féodale (avec ses impôts et sa dime). Poussé par des désirs anarchistes, je trouve les points communs entre ces systèmes autoritaires plus importants que les différences (sans doute, il peut cependant être important de comprendre les différences spécifiques – mais ce n'était clairement pas le but de ce texte). C'est mon opinion modeste qui peut probablement être contestée par une bibliothèque de traités politico-économiques. Mais comme je disais déjà, ça a peut-être plus à voir avec les motivations des auteurs (souvent opposées aux miennes).

[Repris de la revue anarchiste Salto n°2, novembre 2012]

mercredi 1 novembre 2023

Anna Walentynowicz femme qui a fondé en partie le syndicat Solidarność

 Anna Walentynowicz, née le  à Równe (aujourd'hui en Ukraine) et décédée le  à Smolensk (Russie) dans l'accident de l'avion présidentiel polonais, pluridécorée « stakhanoviste » par le Parti socialiste polonais, est une syndicaliste polonaise. Son licenciement est à l'origine de la vague de grèves qui a frappé la Pologne au cours de l'année 1980. Membre fondatrice du mouvement Solidarność, elle est faite chevalier de l’ordre de l'Aigle blanc (Order Orła Białego) en 2006, ce qui constitue la plus haute distinction polonaise

Jeunesse

Anna Walentynowicz naît en 1929 ; elle est polonaise1. À treize ans, elle devient orpheline1. Elle apprend par la suite à être soudeuse1.

Ouvrière, syndicaliste et engagements politiques[modifier | modifier le code]

Ouvrière des chantiers navals de Gdańsk depuis 19501, elle travaille comme opératrice des grues. Elle milite bientôt au sein du syndicat officiel ; cela entraîne son licenciement en 1968, mais une pétition des ouvriers lui permet d'être réintégrée ; elle est cependant mutée1. Elle commence des activités de syndicaliste libre en faveur des ouvriers dans les années 1970[réf. souhaitée]. Des syndicats libres clandestins s'étant formés à Gdansk à la fin des années 1970, elle s'y implique1. Pour son appartenance à ces syndicats libres, elle est licenciée par mesure disciplinaire le 1, ce qui la prive définitivement de tout droit à pension alors même qu’il ne lui restait que 5 mois de travail avant la retraite. La décision de la direction suscite un fort émoi parmi les ouvriers et entraîne une grève massive1 à l’origine du syndicat NSZZ Solidarność, dont elle est la cofondatrice avec Lech Wałęsa.

Figure de proue de ce syndicat, elle y joue un rôle crucial, et en subit les conséquences : condamnée à vingt ans de prison pour ses activités, elle est incarcérée pendant de nombreux mois. Elle quitte (ou est mise à l'écart par1) le syndicat Solidarność en avril 19811, en critiquant la direction de cette époque, rassemblée autour de Wałęsa. Les raisons de cette distance tiennent aux positions jugées radicales de l'intéressée, notamment par l'épiscopat polonais, qui ne souhaitait pas durcir le conflit avec le pouvoir communiste2. La fin de l'année 1981 voit la mise en place dans le pays de l'état d'urgence, et la fin de Solidarność1.

En 1989, elle ne soutient pas l'ouverture de négociations avec le pouvoir communiste. Elle se range du côté des accusations d’appartenance de Lech Wałęsa à la police secrète SB, accusation qu’elle maintient malgré le jugement d’un tribunal ayant déclaré Wałęsa non coupable (l'ouverture des archives de l’Institut de la mémoire nationale (IPN) a permis de confirmer qu'il était très probablement enregistré sous le pseudo d'agent « Bolek », et ce malgré la disparition d'une partie des feuillets concernant cet agent à l'époque de la présidence de Wałęsa). Avec la démocratie et l’arrivée au pouvoir de Solidarność, elle ne soutient plus les orientations politiques de ce mouvement.

En 2000, elle refuse le titre de citoyenne honoraire de la ville de Gdańsk. À 74 ans, en situation matérielle difficile dans son petit studio d'un immeuble de Gdańsk où elle vit seule, elle demande une indemnité de 120 000 złotys (30 000 €) pour dommages physiques et moraux subis dans les années 1980. Elle est déboutée de sa demande par le tribunal de Gdańsk.

Mort

Le , le Tupolev 154 transportant le président polonais Lech Kaczyński et de nombreuses personnalités polonaises, dont Anna Walentynowicz, s'écrase lors de son atterrissage à Smolensk, faisant 96 morts. La délégation polonaise venait se recueillir à Katyne, pour célébrer le soixante-dixième anniversaire du massacre de Katyń.

Vie privée

Anna Walentynowicz devient veuve en 1971 : à cette période, elle songe à cesser ses activités militantes publique

dimanche 29 octobre 2023

LA QUESTION SE POSE DE… tirer de "Pour en finir avec le jugement de Dieu de Antonin Artaud


 

Ce qui est grave est que nous savons qu’après l’ordre de ce monde il y en a un autre. 

Quel est-il ? 

Nous ne le savons pas. 

Le nombre et l’ordre des suppositions possibles dans ce domaine est justement l’infini ! 


Et qu’est-ce que l’infini ? 

Au juste nous ne le savons pas ! 

C’est un mot dont nous nous servons pour indiquer l’ouverture de notre conscience vers la possibilité démesurée, inlassable et démesurée.


 Et qu’est-ce au juste que la conscience ? 

Au juste nous ne le savons pas.

 C’est le néant. 

Un néant dont nous nous servons pour indiquer quand nous ne savons pas quelque chose de quel côté nous ne le savons et nous disons alors conscience, du côté de la conscience, mais il y a cent mille autres côtés.

 

Et alors ? 

Il semble que la conscience soit en nous liée au désir sexuel et à la faim ; 

mais elle pourrait très bien ne pas leur être liée. 

On dit, on peut dire, il y en a qui disent que la conscience est un appétit,

l’appétit de vivre ; 

et immédiatement à côté de l’appétit de vivre, c’est l’appétit de la nourriture qui vient immédiatement à l’esprit ; 

comme s’il n’y avait pas des gens qui mangent sans aucune espèce d’appétit ; et qui ont faim. 

Car cela aussi existe d’avoir faim sans appétit ; 


et alors ?

 

Alors

 

l’espace de la possibilité me fut un jour donné comme un grand pet que je ferai ; mais ni l’espace, ni la possibilité, je ne savais au juste ce que c’était, 

et je n’éprouvais pas le besoin d’y penser, 

c’étaient des mots inventés pour définir des choses qui existaient ou n’existaient pas en face de l’urgence pressante d’un besoin :

celui de supprimer l’idée, l’idée et son mythe, et de faire régner à la place la manifestation tonnante de cette explosive nécessité : dilater le corps de ma nuit interne, 

du néant interne de mon moi 

qui est nuit, néant, irréflexion, 

mais qui est explosive affirmation qu’il y a quelque chose à quoi faire place : 

mon corps. Et vraiment le réduire à ce gaz puant, mon corps ? Dire que j’ai un corps parce que j’ai un gaz puant qui se forme au dedans de moi ? 

Je ne sais pas mais je sais que l’espace, le temps, la dimension, le devenir, le futur, l’avenir,

l’être, le non-être, le moi, le pas moi, ne sont rien pour moi ; 

mais il y a une chose qui est quelque chose, une seule chose qui soit quelque chose, et que je sens à ce que ça veut SORTIR : la présence de ma douleur de corps, 

la présence menaçante, jamais lassante de mon corps ; 

si fort qu’on me presse de questions et que je nie toutes les questions, il y a un point où je me vois contraint de dire non,

 NON

 alors à la négation ; 

et ce point c’est quand on me presse, 

quand on me pressure et qu’on me trait jusqu’au départ en moi de la nourriture, de ma nourriture et de son lait, 

et qu’est-ce qui reste ? 


Que je suis suffoqué ; 

et je ne sais pas si c’est une action mais en me pressant ainsi de questions jusqu’à l’absence et au néant de la question on m’a pressé jusqu’à la suffocation en moi de l’idée de corps et d’être un corps, 

et c’est alors que j’ai senti l’obscène 

et que j’ai pété de déraison et d’excès et de la révolte de ma suffocation. 

C’est qu’on me pressait jusqu’à mon corps et jusqu’au corps

 

et c’est alors que j’ai tout fait éclater

parce qu’à mon corps on ne touche jamais.

POur en finir avec le jugement de Dieu de Antonin Artaud

 

J’ai appris hier (il faut croire que je retarde, ou peut-être n’est-ce qu’un faux bruit, l’un de ces sales ragots comme il s’en colporte entre évier et latrines à l’heure de la mise aux baquets des repas une fois de plus ingurgités), j’ai appris hier l’une des pratiques officielles les plus sensationnelles des écoles publiques américaines et qui font sans doute que ce pays se croit à la tête du progrès. Il paraît que, parmi les examens ou épreuves que l’on fait subir à un enfant qui entre pour la première fois dans une école publique, aurait lieu l’épreuve dite de la liqueur séminale ou du sperme, et qui consisterait à demander à cet enfant nouvel entrant un peu de son sperme afin de l’insérer dans un bocal et de le tenir ainsi prêt à toutes les tentatives de fécondation artificielle qui pourraient ensuite avoir lieu. Car de plus en plus les Américains trouvent qu’ils manquent de bras et d’enfants, c’est-à-dire non pas d’ouvriers mais de soldats, et ils veulent à toute force et par tous les moyens possibles faire et fabriquer des soldats en vue de toutes les guerres planétaires qui pourraient ultérieurement avoir lieu, et qui seraient destinées à démontrer par les vertus écrasantes de la force la surexcellence des produits américains, et des fruits de la sueur américaine sur tous les champs de l’activité et du dynamisme possible de la force. Parce qu’il faut produire, il faut par tous les moyens de l’activité possibles remplacer la nature partout où elle peut être remplacée,

il faut trouver à l’inertie humaine un champ majeur, il faut que l’ouvrier ait de quoi s’employer, il faut que des champs d’activités nouvelles soient créés, où ce sera le règne enfin de tous les faux produits fabriqués, de tous les ignobles ersatz synthétiques où la belle nature vraie n’a que faire, et doit céder une fois pour toutes et honteusement la place à tous les triomphaux produits de remplacement où le sperme de toutes les usines de fécondation artificielle fera merveille pour produire des armées et des cuirassés. Plus de fruits, plus d’arbres, plus de légumes, plus de plantes pharmaceutiques ou non et par conséquent plus d’aliments, mais des produits de synthèse à satiété, dans des vapeurs, dans des humeurs spéciales de l’atmosphère, sur des axes particuliers des atmosphères tirées de force et par synthèse aux résistances d’une nature qui de la guerre n’a jamais connu que la peur. Et vive la guerre, n’est-ce pas ? Car n’est-ce pas, ce faisant, la guerre que les Américains ont préparée et qu’il prépare ainsi pied à pied. Pour défendre cet usinage insensé contre toutes les concurrences qui ne sauraient manquer de toutes parts de s’élever, il faut des soldats, des armées, des avions, des cuirassés, de là ce sperme auquel il paraîtrait que les gouvernements de l’Amérique auraient eu le culot de penser. Car nous avons plus d’un ennemi et qui nous guette, mon fils, nous, les capitalistes-nés, et parmi ces ennemis la Russie de Staline qui ne manque pas non plus de bras armés. Tout cela est très bien, mais je ne savais pas les Américains un peuple si guerrier. Pour se battre il faut recevoir des coups et j’ai vu peut-être beaucoup d’Américains à la guerre

mais ils avaient toujours devant eux d’incommensurables armées de tanks, d’avions, de cuirassés qui leur servaient de bouclier. J’ai vu beaucoup se battre des machines mais je n’ai vu qu’à l’infini derrière les hommes qui les conduisaient. En face du peuple qui fait manger à ses chevaux, à ses bœufs et à ses ânes les dernières tonnes de morphine vraie qui peuvent lui rester pour la remplacer par des ersatz de fumée, j’aime mieux le peuple qui mange à même la terre le délire d’où il est né, je parle des Tarahumaras mangeant le Peyotl à même le sol pendant qu’il naît, et qui tue le soleil pour installer le royaume de la nuit noire, et qui crève la croix afin que les espaces de l’espace ne puissent plus jamais se rencontrer ni se croiser. C’est ainsi que vous allez entendre la danse du TUTUGURI

samedi 28 octobre 2023

Michel Surya : « La révolution rêvée »

 


 

Il parle de l’Histoire :

 

« Qu’elle n’ait qu’un sens, qu’elle puisse n’en avoir qu’un, c’est à quoi se tiennent tous ceux qui l’embrassent, qu’ils l’embrassent sous sa forme dogmatique – le communisme – ou qu’ils en embrassent les diverses hérésies. L’Histoire n’a qu’un sens, disent en somme les uns et les autres, quoique le sens qu’elle a n’engage pas chacun de la même façon. Autrement dit, quoiqu’elle ne les entraine pas pareillement à consentir aux formes de l’observance qu’elle appelle. Les communistes sont des religieux de stricte observance ; les autres, non. Aux premiers, il est beaucoup demandé ; aux seconds, peu. Sur les premiers, règne un appareil doctrinal inspirant la crainte ; des seconds, on n’a jamais vu qu’ils fussent plus que les doctrinaires accommodants de leur propre expérience.

Et cette différence a un sens considérable : en effet, s’il a été possible de parler de religion, s’agissant du communisme, ce n’est pas tant parce que le communisme a voulu faire de ceux qui le revendiquaient des coreligionnaires, que parce que ceux qui le revendiquaient voulaient ne pas revendiquer moins que la règle des religions. On a beaucoup dit que les partis communistes furent intraitables ; ils l’étaient sans doute. On n’a pas assez dit cependant que, longtemps, il y eut peu de communistes à vouloir qu’il en fût autrement. Le parti exigeait-il qu’on se donnât sans réserve à lui ? Sans doute, mais c’est sans réserve que ce sont spontanément donnés à lui tous ceux qui l’ont rejoint. Si parler de religion a du sens dès lors, c’est en cela : on a vu les intelligences les meilleures faire le sacrifice d’elles-mêmes, non pour que le communisme devînt lui-même intelligent, mais pour que l’intelligence intrinsèque et suréminente du communisme ne les exclût pas du salut qu’il promettait. »

Michel Surya : « La révolution rêvée »

 

Le dimanche 9 avril 1950, dimanche de Pâques, un homme se faufile et va jusqu’à la chaire et déclame :

« Aujourd’hui, jour de Pâques en l’année sainte, ici,

Dans l’insigne Basilique de Notre-Dame-de-Paris,

J’accuse

L’église catholique universelle du détournement mortel de nos forces vives en faveur d’un ciel vide,

J’accuse l’Eglise catholique d’escroquerie.

J’accuse

L’Eglise catholique d’infecter le monde de sa morale mortuaire,

D’être le chancre de l’Occident décomposé.

 

En vérité je vous le dis : Dieu est mort.

 

Aujourd’hui, jour de pâques en l’année sainte,

Ici, dans l’insigne basilique Notre-Dame de France, nous clamons la mort du Christ-Dieu pour qu’enfin vive l’homme »

 

Il fut embarqué par la police. Il s’appelait Michel Mourre et avait fait partie du mouvement surréaliste de Breton sans que celui-ci le soutienne dans son geste. »

 

« Ainsi, par exemple, que cet étrange esclandre survint cinquante ans exactement après la mort de Nietzsche. Autrement dit, il  aura fallu cinquante ans pour que l’écho de la sombre prophétie nietzschéenne retentit à paris, et retentit, qui plus est, sous les voûtes de Notre-Dame. Le disant ainsi, on ne fait jamais que prêter à cet esclandre et à la prophétie dont il est l’écho lointain un caractère idéaliste, si ce n’est théâtral. Idéaliste ou théâtral, parce qu’il n’y avait personne en 1950, pas plus qu’en 1900, ni pour croire que Dieu était mort ni, sérieusement, à tenir l’histoire pour débarrassée de son imposante dépouille. Et c’est ce que tendent à démontrer les réactions en effet embarrassées qui ont suivi l’esclandre de Michel Mourre et de ses amis lettristes.

A la fin, qu’est-ce que celui-ci pouvait signifier ? Que Dieu était mort, donc. Mais pouvait-on encore penser qu’il ne l’était pas depuis que les armées soviétiques et américaines avaient « libéré » les camps ? Et quel Dieu alors, celui des chrétiens ou n’importe lequel pourvu qu’il répondît au besoin dans lequel chacun se trouvait ? La question vient subrepticement : en somme, la croyance ne cherchait-elle pas, comme l’humanisme, à sortir indemne de la guerre ? Ce qui ne serait que logique, d’ailleurs : Dieu ne serait-il pas justifié de rester le même si l’homme lui-même l’était ?

Il faut donc l’accepter : c’est parce qu’on veut, après la guerre, que l’homme soit le même qu’avant qu’on refuse, même obscurément, que Dieu ne le soit plus.

Encore moins –ou, surtout pas : « qu’il ne soit plus »            « 

 

 

 

jeudi 26 octobre 2023

Article de Georges Bataille: "La Mère-Tragédie"

 


 

La vie tient plus qu’à rien d’autre au parcours qui va de la forêt dionysiaque aux ruines des théâtres antiques. C’est ce qu’il est nécessaire non seulement de dire mais de répéter avec une obstination religieuse. C’est dans la mesure où les existences se dérobent à la présence du tragique qu’elles deviennent mesquines et risibles. Et c’est dans la mesure où elles participent à une horreur sacrée qu’elles sont humaines. Il se peut que ce paradoxe soit trop grand et trop difficile à maintenir : cependant il n’est pas moins la vérité de la vie que le sang.

Le dieu dont les fêtes sont devenues les spectacles tragiques n’est pas seulement le dieu de l’ivresse et du vin mais le dieu de la raison troublée. Sa venue n’apporte pas moins la souffrance et la fièvre qui décomposent que la joie criante. Et la folie du dsieu est si sombre que les femmes ensanglantées qui le suivent, dans leur frénésie, dévorent vivants les enfants qu’elles avaient mis bas.

L’étendue et la majesté des ruines des théâtres représentent à nos yeux incompréhensifs l’accueil que le plus « heureux » et le plus vivant des peuples a fait à la monstruosité noire, à la frénésie et au crime. La ligne des gradins limite le sombre empire du rêve où s’accomplissait l’acte le plus lourd de sens de la vie, qui mue le malheur en chance suprême et la mort en trop grande lumière. En cela « aussi » le théâtre comme le sommeil rouvre à la vie la profondeur chargée d’horreurs et de sang de l’intérieur des corps.

En rien, le théâtre n’appartient au monde ouranien de la tête et du ciel : il appartient au monde du ventre, au monde infernal et maternel de la terre profonde, au monde noir des divinités chtoniennes. L’existence de l’homme n’échappe pas plus à l’obsession du sein maternel, qu’à celle de la mort : elle est liée au tragique dans la mesure où elle n’est pas la négation de la terre humide qui l’a produite et à laquelle elle retournera. Le plus grand danger est l’oubli du sous-sol sombre et déchiré par la naissance même des hommes éveillés. Le plus grand danger est que les hommes cessant de s’égarer dans l’obscurité du sommeil et de la Mère-Tragédie achèvent de s’asservir à la besogne utile. Le plus grand danger est que les misérables « moyens » d’une existence difficile apparaissent comme la « fin » de la vie humaine. La « fin » n’est pas ce qui facilite : elle ne se trouve pas dans les travaux du jour : on l’appréhende dans la nuit du labyrinthe. Là, la mort et la vie s’entre-déchirent comme le silence et la foudre. Là, pour que la terre soit chargée des explosions sombres qui ne cessent pas de nouer le cœur, le monstre doit tuer et recevoir la mort.