samedi 28 octobre 2023

Michel Surya : « La révolution rêvée »

 

Le dimanche 9 avril 1950, dimanche de Pâques, un homme se faufile et va jusqu’à la chaire et déclame :

« Aujourd’hui, jour de Pâques en l’année sainte, ici,

Dans l’insigne Basilique de Notre-Dame-de-Paris,

J’accuse

L’église catholique universelle du détournement mortel de nos forces vives en faveur d’un ciel vide,

J’accuse l’Eglise catholique d’escroquerie.

J’accuse

L’Eglise catholique d’infecter le monde de sa morale mortuaire,

D’être le chancre de l’Occident décomposé.

 

En vérité je vous le dis : Dieu est mort.

 

Aujourd’hui, jour de pâques en l’année sainte,

Ici, dans l’insigne basilique Notre-Dame de France, nous clamons la mort du Christ-Dieu pour qu’enfin vive l’homme »

 

Il fut embarqué par la police. Il s’appelait Michel Mourre et avait fait partie du mouvement surréaliste de Breton sans que celui-ci le soutienne dans son geste. »

 

« Ainsi, par exemple, que cet étrange esclandre survint cinquante ans exactement après la mort de Nietzsche. Autrement dit, il  aura fallu cinquante ans pour que l’écho de la sombre prophétie nietzschéenne retentit à paris, et retentit, qui plus est, sous les voûtes de Notre-Dame. Le disant ainsi, on ne fait jamais que prêter à cet esclandre et à la prophétie dont il est l’écho lointain un caractère idéaliste, si ce n’est théâtral. Idéaliste ou théâtral, parce qu’il n’y avait personne en 1950, pas plus qu’en 1900, ni pour croire que Dieu était mort ni, sérieusement, à tenir l’histoire pour débarrassée de son imposante dépouille. Et c’est ce que tendent à démontrer les réactions en effet embarrassées qui ont suivi l’esclandre de Michel Mourre et de ses amis lettristes.

A la fin, qu’est-ce que celui-ci pouvait signifier ? Que Dieu était mort, donc. Mais pouvait-on encore penser qu’il ne l’était pas depuis que les armées soviétiques et américaines avaient « libéré » les camps ? Et quel Dieu alors, celui des chrétiens ou n’importe lequel pourvu qu’il répondît au besoin dans lequel chacun se trouvait ? La question vient subrepticement : en somme, la croyance ne cherchait-elle pas, comme l’humanisme, à sortir indemne de la guerre ? Ce qui ne serait que logique, d’ailleurs : Dieu ne serait-il pas justifié de rester le même si l’homme lui-même l’était ?

Il faut donc l’accepter : c’est parce qu’on veut, après la guerre, que l’homme soit le même qu’avant qu’on refuse, même obscurément, que Dieu ne le soit plus.

Encore moins –ou, surtout pas : « qu’il ne soit plus »            « 

 

 

 

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