dimanche 25 mars 2018

Réflexions modestes sur le syndicalisme : Article 9 : La Confédération Européenne des Syndicats, chape de plomb sur l’esprit de lutte




En 2003, un événement «syndical» est pratiquement passé inaperçu, et pourtant, du 26 au 29 mai, à Prague, étaient réunis, lors du 10ème Congrès de la Confédération des Syndicats européens, 650 délégués appartenant à 77 confédérations syndicales nationales, émanant de 35 pays.
Ce silence radio a pourtant une signification car, au cours de ce congrès, se jouait une partition que les travailleurs ne devaient pas entendre, celle d’une collusion manifeste entre le capital et les forces censées représenter le travail, pour mieux en accroître le taux d’exploitation. Curieuses effusions en effet : que Jacques Delors, lui qui a soutenu les contre-réformes sur les retraites, se fasse longuement ovationner peut paraître indécent, certes, mais que Valéry Giscard d’Estaing occupe longuement la tribune pour saluer «l’excellente participation et l’engagement dont a fait preuve votre dirigeant au sein de la Convention » adoptant le projet de Constitution européenne, laisserait supposer que l’on se trouve ailleurs, et bien non ! Et ce, malgré les multiples interventions susceptibles d’accroître le malaise.
Que le Président du patronat européen, le 1erMinistre tchèque, le Ministre du travail grec viennent palabrer doctement dans cette enceinte ne semblait pas effaroucher les congressistes … Les discours tenus, malgré langue de bois et euphémismes, furent pourtant clairs. Il s’agissait de l’avenir des syndicats, de leur accord pour la mise en œuvre de politiques de «modérations salariales», d’acceptation des contraintes externes, de la dure «loi de la concurrence» et des «exigences de la compétitivité entre Etats».
L’écrasement des salaires, les régressions sociales doivent en effet être admises avec l’assurance que la «paix sociale» sera maintenue. Le contexte n’est pourtant pas euphorique pour les délégués syndicaux, la «stratégie néo libérale » ou plus exactement de domination du capitalisme sauvage à dominante financière a déjà fait des ravages : le taux de syndicalisation a diminué partout, les travailleurs se reconnaissent de moins en moins dans ces syndicats qui sont incapables d’influer sur la répartition des richesses.
En 10 ans, de 1985 à 1995, pour ne prendre que quelques exemples, le taux de syndicalisation est passé de 47,7 % à 35,8 %, en Grande-Bretagne de 45,5 % à 32,9 %, en Allemagne de l’Ouest de 41,3 % à 28,9 % et en France de 14,5%à 9,1%1.

Pour comprendre la nature de ce Congrès de Prague, un retour en arrière s’impose. D’où vient la confédération européenne des Syndicats, telle est la première question à se poser, tout en cernant les rapports qu’elle entretient avec l’Union Européenne. Le Congrès de Prague même s’il a donné lieu à quelques contestations sur le programme imposé aux congressistes, ne constitue pas un tournant mais plutôt la confirmation d’une collusion manifeste entre un certain type de syndicalisme et le patronat européen.
Le programme de la CES est indéfendable, lourd de contradictions à venir, desquelles
pourrait émerger un autre type de syndicalisme.
I - Eléments d’histoire.

Origine. Fonctionnement.

La CES s’est créée tardivement, officiellement en 1973. Il faut se tourner vers ses géniteurs pour en saisir les particularités.

La Confédération Internationale des Syndicats Libres (CISL) qui s’oppose aux syndicats plus combatifs sous influence communiste regroupés dans la Fédération Syndicale Mondiale (FSM), fonde, en 1950, l’organisation régionale européenne des syndicats. Il s’agit en fait, par une proximité plus grande, d’accompagner le plan Marshall et, au delà de la prégnance américaine, de détourner les travailleurs de toute velléité révolutionnaire.
La période keynésienne semble s’y prêter ainsi que la montée en puissance des institutions européennes.
Deux ans après la création de la Communauté du charbon et de l’acier (CECA), un Comité des 21 syndicats affiliés se met en place, puis après le Traité de Rome (1958), est formé un secrétariat syndical européen. Tout se passe comme si la Communauté européenne générait, à côté d’elle, voire en son sein, une Confédération Européenne, acquise à la cogestion.
D’ailleurs, pour les syndicats ouvertement sociaux démocrates, comme en Allemagne, la nécessité de la lutte des classes pour obtenir satisfaction n’imprègne pas les esprits des salariés ; ils forment les gros bataillons de cette structure supranationale. Ce n’est qu’en 1974 que des syndicats d’obédience ou d’origine chrétienne (CFTC, CFDT) adhèrent à la CES. C’est donc au moment où la contre-révolution libérale commence son offensive et avant même la chute du mur de Berlin que ce regroupement de dirigeants syndicaux acquiert une réalité certaine. Ceux qui appartenaient à la FSM défunte ne tardent pas à la rejoindre, comme la CGT. De la cogestion, l’appareil est suffisamment intégré à une politique européenne pour passer
sans état d’âme à une politique d’accompagnement des politiques libérales.
D’autant que les statuts de la CES ne laissent percer aucune ambiguïté. La CES regroupe, non seulement les confédérations syndicales nationales affiliées, mais également les comités syndicaux européens, en d’autres termes, la bureaucratie intégrée depuis longtemps dans les institutions européennes. Ce syndicalisme de dirigeants et d’experts a donc, en quelque sorte, des mini ambassades de représentations qu’on veut bien leur octroyer dans les différentes commissions ad hoc. Ce mode de fonctionnement technocratique, coupé de la base, pénétré des idées de collaboration harmonieuse entre la capital et le travail, est totalement soumis aux impératifs de l’économie dont ils ne contestent pas la validité.
Sa dépendance financière, «partenariale », est d’ailleurs emblématique : 73,7 % de ses fonds proviennent de l’Union européenne, le reste des syndicats affiliés. Cette grande largesse des dominants doit donc être payée de retour.
D’ailleurs, dès le Traité d’Amsterdam (1997), la messe est dite : la langue de bois libérale ne doit pas faire illusion, il s’agit d’entamer un processus de renforcement de l’exploitation capitaliste des travailleurs. Afin de favoriser «un haut degré de compétitivité» et de «convergences », «la main d’œuvre doit être susceptible de s’adapter», «le marché du travail (doit) réagir rapidement aux changements économiques» et il convient, bien sûr ( !), de «moderniser les régimes de protection sociales, afin de les rendre plus favorables à l’emploi». Car, c’est bien connu, prouvé…la baisse des retraites, des prestations de santé pour les travailleurs, l’exonération des charges sociales pour les patrons, favoriseraient l’embauche ! On sait ce qu’il en est ! La régression sociale programmée et par conséquent la baisse du salaire indirect des travailleurs, n’ont qu’un sens, celui d’accroître les profits.
Comment se situe la CES dans cette configuration nouvelle par rapport à l’ère keynésienne, celle ouverte par l’Acte unique (signé en 1986, mis en œuvre au 1.1.1993), consacrant la libre circulation des marchandises et des capitaux, dans l’espace européen ? Quelle conception du syndicalisme entend-elle promouvoir face à l’attaque frontale du capital ?


II – La CES n’est pas une organisation syndicale (?)

Paradoxalement, malgré les syndicats qui y sont affiliés, la question mérite d’être posée. La définition que la CES donne d’elle-même, indépendamment de la politique suivie, est déjà très révélatrice : le syndicalisme est pour elle une «instance de régulation entre deux sphères, le public et le privé» qui «ne relève pas de la lutte des classes mais de l’institutionnalisation de la politique européenne», rien à voir donc avec la défense des intérêts collectifs de salariés qui seraient antagoniques avec ceux du patronat. Cette cogestion dans l’Union se déroule dans un lieu opaque, le «secrétariat des partenaires sociaux», créé «en collaboration avec les organisations d’employeurs et avec le soutien de la Commission européenne» (on ne peut mieux dire) qui se fixe comme but de promouvoir la domination du capital libéralisé ou pour
adopter la suffisance technocratique de la langue de bois des technocrates, « la cohérence de la gouvernance économique globale », c’est plus rassurant ! Mais, comme il faut bien faire référence à la réalité dramatique des licenciements boursiers,
l’on demandera aux travailleurs «leur participation (par l’intermédiaire de leurs syndicats) aux processus de restructuration y compris les fusions-acquisitions».

Comme l’interrogation sur la nature de cette Europe en construction est posée, avec de plus en plus d’acuité et d’ampleur via les luttes sociales, la persistance d’un chômage de masse, le développement de la précarité, Emile Gaboglio (2), dès 1997, se fit catégorique : «Abandonner Maastricht serait de la folie pure», car le protocole social de ce Traité serait une grande victoire. «Les partenaires sociaux et européens deviennent co-régulateurs dans le processus décisionnel», d’ailleurs les conventions collectives européennes (doivent) se substituer aux conventions nationales. La CES, en effet, comme l’Union Européenne, s’est dotée, sans consultation aucune des salariés des différents pays, d’un «rôle supranational », «semi-législatif» «garanti par les partenaires sociaux». En d’autres termes, et l’on va en mesurer les dégâts, les
accords cadres signés entre la CES et le patronat européen deviennent, automatiquement, des directives européennes.
Quant aux restructurations, aux privatisations, elles sont incontournables, tout comme les critères de convergence sont immuables… Sous les coups de boutoir des luttes, la présence de confédérations nationales en apparence plus combatives, la CES peut-elle évoluer ? Rien n’est moins certain. Le Congrès de Prague en est, d’une certaine façon, l’illustration.

III – Le Congrès de Prague, tournant ou confirmation des orientations libérales ?

Ce Congrès fut l’occasion, le 29 mai 2003, de remplacer l’équipe dirigeante. Ce fut une pure formalité. Emilio Gaboglio issu de l’Action catholique italienne, profondément opposé aux luttes sociales, ayant promu, inscrit dans la table de loi de la CES, l’activité de lobbying auprès des instances européennes, se retirait, de même son adjoint depuis 12 ans, Jean Lapayre de la CFDT. Les jeux de coulisse étaient fait ; ils furent remplacés par John Monks, secrétaire Général des TUC anglais, ayant pour adjoint Rainer Hoffmann du DGB, en fait un technocrate de cette organisation allemande qui, depuis des années, est détaché dans un institut de recherche syndical à Bruxelles. Gageons qu’il est un expert convaincu des «bienfaits » incontournables de la concurrence, des contraintes externes et de la nécessaire adaptation des travailleurs.
L’objet du Congrès était pourtant ailleurs. Il s’agissait d’adopter le programme d’actions de la CES. Le rapport d’activité de l’équipe sortante et la nature des amendements proposés au soi-disant programme en dit long sur la nature même de cette organisation et sur les contradictions-adaptations qui s’y sont exprimées.

Le rapport d’activité de la CES approuve à l’unanimité la stratégie européenne pour l’emploi qui doit être renforcée. Autrement dit, est accepté un document de la Commission Européenne, issu des discussions entre la CES et l’UNICE (3), daté du 8 avril 2003, qui précise :

«les Etats membres doivent promouvoir une organisation du travail plus flexible et réexaminer les réglementations du marché du travail…, la priorité (doit être)donnée à la réduction de la dette publique et à la réforme des systèmes de retraite et de santé».

Cette langue de bois, les salariés en ont appris la signification réelle : réduction du nombre de fonctionnaires, y compris dans les services sociaux et de santé publique, privatisation des services publics, voilà pour les moyens de réduire la dette auxquels s’ajoute la destruction des acquis sociaux par l’exonération ou la baisse des charges patronales visant à réduire le coût du travail au bénéfice des patronats européens. Les exploiteurs ne peuvent que se réjouir également de l’acceptation de leurs pratiques de licenciements boursiers, de délocalisations lucratives, les travailleurs doivent s’adapter…
En ces temps de régression et d’émergence des luttes, ce discours était difficilement acceptable. Le vent frais de la contestation est parvenu à souffler, à percer les murs dans lesquels étaient confinés les congressistes. Les représentants du DGB ont demandé un réexamen du pacte de stabilité. C’était dans la ligne de leur propre Gouvernement social libéral. Il n’empêche, cette motion majoritaire ne fut pas adoptée, elle ne parvint pas à recueillir les 2/3 des voix. Les statuts verrouillent la démocratie pour que rien ne change. D’autres minorités se sont fait entendre : les syndicats belges ont proposé de soustraire les services publics aux règles de la concurrence. REJETE. Ils ont proposé également, timidement, de «prévoir la possibilité d’un retour du régime de propriété privée au public». REJETE. Sur la voie du libéralisme, aucun retour en arrière n’est possible. FO a demandé que la CES soit indépendante des institutions de l’Union européenne. REJETE.
Quant aux syndicats français, leurs positions mériteraient d’être divulguées largement. Entre camouflage des desseins de la CES et surenchère libérale, on se demande si certains «syndicalocrates » ne visent pas des postes de responsabilité au sein de l’Union européenne.
La CGT, la CFDT et l’UNSA, d’un commun accord, ont en effet proposé de remplacer dans un amendement des termes qui pourraient choquer les salariés qu’ils sont censés représenter ; ils ont obtenu satisfaction : «Défendre le cadre juridique de l’Union européenne par l’instauration de fonds de pension professionnels» a disparu au profit «d’institutions de retraites professionnelles », termes utilisés comme synonyme dans de nombreux documents de la CES. Au delà de l’hypocrisie et du camouflage, les pudeurs des représentants de ces organisations dissimulent la volonté de se transformer demain en gestionnaires des fonds de pension, moyen pour eux de s’intégrer dans le capitalisme financier prévaricateur et de sauvegarder leurs appareils en déliquescence de représentativité.
D’autres amendements de ces organisations démontrent, si besoin en était, leur souci de reconnaissance.
Pour certains, comme la CGT, leur passé récent leur colle trop à la peau. Ainsi, cet amendement de complaisance appelant au « renforcement des services d’intérêt général », notion très chère à la Commission comme arme de guerre contre les services publics étatisés, tout cela enrobé bien évidemment d’une pétition de principe sans importance, mais qui confère le label de progressiste. En effet, ce renforcement des services d’intérêt général est censé, dans le cadre de l’élargissement de l’Europe, «contribuer au progrès économique et social, ainsi qu’à l’amélioration des conditions de vie et de travail».
Dont acte, le souffle de la contestation n’est qu’un mince filet d’air dans une atmosphère de putride collaboration. La CES reste instrument social libéral dont la finalité consiste à faire accepter la régression sociale dans l’espace européen et en aucune manière un moyen de lutte contre la machine de guerre qu’est l’Union Européenne élargie.


IV – La CES, instrument de combat du social-libéralisme

L’habillage idéologique est une nécessité pour l’instauration du capitalisme rentier, spéculatif, pour assurer sa suprématie et, dans une «relative paix sociale », anesthésier les consciences pour leur faire accepter volontairement leur servitude.
L’emploi abusif de notions pseudo-scientifiques, telles que modernité, adaptation ou d’euphémismes se substituant à licenciements, chômage, tels que les «sorties et retours sur le marché du travail », révèle bien la tentative cynique de faire admettre, comme un fait inéluctable la «nécessaire» destruction des acquis collectifs. Les citations qui suivent, émanant des documents de la CES, en démontrent la nature perverse.

«Les régimes de protection sociale, les retraites (doivent être) adaptées aux nouvelles formes de travail … au vieillissement démographique».

En effet, sous prétexte de «ne pas exclure les travailleurs âgés du marché du travail», de lutter contre la discrimination de ces travailleurs qui «n’auraient plus le choix» de
travailler après 65 ans, de bénéficier d’une retraite à la carte comme le demande avec insistance la CFDT, il faut «soutenir une politique d’allongement de la durée de la vie active» .

Puisque la modernité contraindrait les salariés «aux changements d’employeurs ainsi qu’aux sorties et retours sur le marché du travail», il conviendrait d’une part, sans être jusqu’au-boutistes, de soutenir «les politiques de mises au travail», mais le « recours à de telles mesures (doit être) pratiqué avec modération » car elles «pourraient aboutir à forcer les gens à accepter n’importe quel travail, notamment en limitant l’accès à l’aide sociale». Mieux vaut d’autre part, «remettre en cause la durée et le montant de l’indemnisation du chômage pour lutter contre la paresse assistantielle des chômeurs». Qu’en de termes choisis, cela est-il dit !

Convenons-en, l’on ne peut être contre les privatisations, il faut donc à la fois adopter à cet égard un principe de « neutralité » tout en s’opposant aux monopoles publics de gestion de biens communs, comme l’eau et l’électricité, tout en souhaitant, pour éviter tout excès, la mise en place d’une autorité de régulation pour accompagner les privatisations, comme le prévoit, dans sa grande sagesse, l’Union européenne !
Quant au droit au travail, cessons d’être utopiques, il doit se résumer au «droit de travailler et d’accès au service de placement lorsque le marché ne permet pas de l’exercer ». Seul le marché, ce Dieu tutélaire du libéralisme, permet en effet de se procurer ou non du travail. Quant à savoir ce qui a permis de créer les grandes infrastructures, mieux vaut ne pas soulever ce lièvre.
Ces incantations vertueuses au profit de l’esprit du Capital ne doivent pas occulter les acquis régressifs de la CES. A son actif, un certain nombre de contre-réformes intégrées au droit français éclairent son efficacité libérale.
Sous prétexte de l’égalité hommes femmes, la directive européenne de 1976, avec le consentement intéressé de la CES, a aboli l’interdiction du travail de nuit des femmes dans l’industrie. Et puisqu’il s’avèrerait que les salariés sont supérieurs en droit aux patrons, une directive européenne de 1989 prétend rétablir l’égalité de responsabilité entre employeurs et travailleurs. En effet, contrairement à la loi française de 1898 désignant les employeurs, maîtres de l’organisation du travail et de la sécurité de leurs salariés, comme responsables des accidents du travail, la nouvelle réglementation européenne considère que «les travailleurs (ou leurs représentants) et les employeurs sont coresponsables de la sécurité, ils doivent veiller, par une participation équilibrée, à la prise de mesures nécessaires de protection des salariés». Comme chacun peut le constater, dans les entreprises, les patrons ne sont plus maîtres chez eux, les salariés peuvent imposer leur «participation équilibrée » !

Flexibilité oblige, les à-coups de la production, les zéro-stocks et autres méthodes de management souple nécessitent une grande adaptation, vouant aux gémonies la réglementation archaïque d’un Code du travail qu’il convient d’enterrer ! Ainsi, la directive européenne de 1993 considère avec mansuétude que la «période minimale de repos quotidien est fixée à 11 heures, ce qui donne la possibilité à l’employeur de faire travailler les salariés jusqu’à 13 heures par jour». Gageons qu’un autre verrou réglementaire va bientôt sauter sous l’effet conjugué de l’entrée des nouveaux pays de l’Est dans l’Union et, sur l’insistance de Tony Blair : celui de la semaine de 48 heures maximales. Comme l’a souligné ce vieux Karl Marx, l’allongement de la journée (outre l’intensification du travail et le recours aux machines et autres robots qui intensifient la productivité du travail ) sont un des moyens d’accroître le taux de profit et donc d’exploitation de la force de travail.
Et, dans l’hypothèse qui ne saurait être exclue, où les salariés se révolteraient, la CES a même prévu son acceptation future de la répression. Noske, le chien sanglant de la « répression socialiste» contre le mouvement ouvrier doit, dans sa tombe, soupirer d’aise (4). Car, naturellement, «des restrictions (du droit de réunion, de manifestation, de liberté de pensée, de presse…) peuvent être apportées à l’exercice de droits fondamentaux, notamment dans le cadre (pour défendre !) d’une organisation commune de marché».

Petit aparté d'actualité, tous les militants syndicaux qui ont été emprisonnés, ou licenciés, comme Xavier Mathieu, Gaël Quirante aujourd'hui, le doivent à ceux de leurs confédérations qui siègent à la CES.

La possibilité est donc ouverte, selon «l’intérêt général des marchés», de les interpréter et de les restreindre. Et puis, il faut montrer beaucoup de mansuétude vis-à-vis des forces de maintien de l’ordre capitaliste : «la mort (ne peut être) considérée
comme infligée en violation du droit à la vie dans le cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire pour réprimer une émeute ou une insurrection». Bref, le droit de tirer dans la foule n’est aucunement une violation du droit à la vie. Amen !
Le mouvement syndical réel saura- t- il se dégager de cette gangue sociale libérale qui organise la défaite du mouvement ouvrier ?



Vers un nouveau type de syndicalisme, offensif et anticapitaliste ?

La CES n’est pas seulement un organisme inadapté à la nouvelle puissance du capital transnational qui favorise le dumping social des entreprises, la mise en concurrence fiscale des Etats européens. Elle n’est pas seulement une structure incapable de mobiliser les travailleurs contre les conséquences négatives du monétarisme et de la déréglementation européenne qui se traduisent par le recours au chômage massif, la précarité du travail, la pauvreté de fractions de la population et la marginalisation de régions entières délaissées par le capital nomade. La CES et l’UNICE, cet organisme qui représente le patronat européen, se considèrent, en effet, comme «acteurs de la législation sociale européenne». Cette collaboration a été formalisée dans un «protocole social» qui ne laisse percer aucune ambiguïté. La CES n’est pas une force d’opposition au capital et, naïvement l’on peut se demander pourquoi la CGT est embarquée dans cette galère, pourquoi Bernard Thibault dithyrambique, a fait l’éloge de Gaboglio, ce vieux «jaune» sur le départ, en proclamant que c’est «un dirigeant comme il les aime». Car, depuis au moins 1985, le bilan peut en être tiré. La CES a accompagné, voire orchestré à force de discours euphorisants et langue de bois, le recours à la précarité, aux temps partiels en louangeant la flexibilité, l’employabilité et la mobilité. L’acceptation du chômage de masse, la privatisation des services publics, l’accroissement de l’exploitation du travail font partie de ses prouesses.
Certes, la CES pourrait être secouée de contradictions,mais elles ne viendront pas de l’intérieur de cette forteresse sociale-libérale. Sans négliger le travail de regroupement, de dénonciations nécessaires formulées par les syndicalistes qui siègent ou ont connaissance de ce qui se trame dans cette structure, force est de constater que les bureaucraties frileuses, soucieuses de leur pérennité, ne sont pas des modèles d’ouverture aux aspirations des salariés, des chômeurs, des exclus.

Aujourd’hui, le défi à relever consiste pour les représentants des salariés à faire la démonstration de l’utilité et de l’efficacité des luttes. Et, contrairement à ce que l’on voudrait nous faire croire, les exploités n’ont pas abandonné le combat, ils ne se sont pas résignés à subir les conditions de plus en plus dures pour eux et pour la génération qui vient. La CES est un anachronisme hérité des 30 Glorieuses, de la lutte anti-communiste qui comme son géniteur, l’Union européenne, s’est convertie aux vertus du libéralisme. Des contradictions vont apparaître. Les champs syndicaux et politiques sont travaillés par l’irruption des luttes sociales et par la désaffection des «citoyens» vis-à-vis des forces politiques traditionnelles. Certes, l’internationale syndicale a une génération de retard sur celle du capital, certes, la construction d’une alternative crédible, donnant un sens aux combats à mener, fait cruellement défaut. Mais le moteur de la lutte des classes, bien que grippé par les scories libérales, ne peut que, sous l’effet de la polarisation sociale en cours, redémarrer avec plus de force. Il est imprévisible.


GérardDeneux.
Sources pour cet article :
Le manifeste des 500 pour l’indépendance syndicale – n°60-61 de mai-juin 2003 Le Monde du 31.05.2003 - Le Monde Diplomatique – Refondre le syndicalisme – juin 1999 - LeMonde Diplomatique - Le retour des rebelles – mai 98 - Le Monde Diplomatique - Comment apprivoiser et fragiliser le syndicalisme – nov. 1997
1 le taux de syndicalisation n’est qu’un indicateur de désaffection parmi d’autres. Les traditions syndicales ne sont pas les mêmes d’un pays à l’autre. La prégnance des grèves, la création de syndicats plus contestataires, le poids de l’histoire sont d’autres paramètres, dont il faudrait tenir compte. Il n’empêche. Le taux de syndicalisation en 2004 doit encore être plus bas que ceux connus en 1995.
2 Dirigeant de la CES depuis son origine, abandonne ses mandats lors du Congrès de Prague.
3 UNICE : Union des Confédérations de l’industrie et des employeurs d’Europe. Organisation patronale européenne, c’est le MEDEF européen, en quelque sorte.
4 Noske, dirigeant social-démocrate allemand, au pouvoir, ordonna la répression sanglante contre le mouvement insurrectionnel qui embrasait l’Allemagne. Elle aboutit aux meurtres de Rosa Luxembourg et de Karl Liebknecht. Surnommé pour ses états de service le chien sanglant par les ouvriers.



Réflexions modestes sur le syndicalisme: Article 8 La CES : un syndicat de travailleurs ?



La raison d’être d’un syndicat est la défense des intérêts individuels et collectifs des travailleurs. Que ce syndicat soit national ou multi-national, ce rôle ne change pas. Le regroupement des principales centrales européennes au sein de la Confédération Européenne des syndicats (CES) avait donc pour objet une telle défense des intérêts des travailleurs de l’Europe occidentale.

Qu’en est-il dans la réalité d’aujourd'hui qui est celle des politiques ultra-libérales impulsées par les instances européennes et qui se veulent contraignantes à l’égard des Etats nationaux ?

Les mouvements de résistance en France et ailleurs, en réponse aux contre-réformes gouvernementales visant les retraites et la décentralisation/régionalisation, même non victorieux, ont cependant abouti à la sanction électorale des 21 et 28 mars dernier. En Espagne, la levée en masse des travailleurs à la suite des attentats du 11 mars faussement attribués à l’ETA s’est traduite là aussi par l’éviction de l’ultra-libéral Aznar et la victoire électorale du PSOE. Les optimistes (et/ou naïfs) auraient pu penser à une inflexion du cours des mesures de déréglementation programmées en France : Sécu, code du travail… Il n’en est rien, seule la brutalité s’est quelque peu atténuée. Manifestement la voix des citoyens, leur avis, ne comptent pas. Il convient là de rappeler que s’est tenu, les 25 et 26 mars un sommet des chefs d’Etat chargé de faire appliquer nationalement les orientations de la politique de l’Union Européenne. Avec le maître-mot : “il faut accélérer”. C’est tout particulièrement le credo de Chirac en France. Accélérer la mise en œuvre des contre-réformes : assurance-maladie, indemnisation du chômage, développement de la flexibilité..

La colégislation

Pour ce faire, et devant l’opposition des populations, le sommet européen tente d’élargir le processus de décision et, pour ce faire, il met en avant une suggestion :

les gouvernements ne doivent pas être les seuls à soutenir et à préconiser le changement. Afin de favoriser l’adhésion au changement, le Conseil européen invite les États membres à créer des partenariats pour la réforme, qui associent les partenaires sociaux, la société civile et les pouvoirs publics”.

Ce “changement”, on sait ce qu’il signifie : restructurations, dérégulation, licenciements, flexibilité, attaque contre les droits sociaux : retraites sécu, code du travail… Pour le sommet européen, il y a essentiellement deux partenaires : le patronat et la CES. Et il sait, à chacune de ses tenues, qu’il peut compter sur eux. Pour la patronat, cela va de soi.
En ce qui concerne la CES, cela peut paraître plus étonnant. Un syndicat appuyant les contre-réformes ultra-libérales hostiles aux intérêts des travailleurs ? Dès le 25 mars au matin, lors du sommet (dit) social tripartite, patronat et CES faisaient une déclaration commune dans laquelle ils se prononçaient “pour un partenariat européen pour le changement”, ainsi que pour “l’application des directives européennes pour l’emploiet un “plus haut degré de flexibilité. La CES a même créé un néologisme qui ne doit pas déplaire à nos libéraux : la “flexicurité.

Il découle de ce positionnement de la CES favorable aux mesures libérales qu’elle se situe nécessairement de manière tout aussi favorable au projet de constitution européenne. Dans le même communiqué, elle déclare : “nous avons besoin d’un traité constitutionnel qui permette d’avoir une meilleure structure pour l’action politique”.

L’article III – 105 du projet stipule que les partenaires sociaux peuvent donner leur aval pour la mise en œuvre du processus contenu dans l’article III – 106 qui prévoit que les accords conclu entre les partenaires soient “mis en œuvre par des règlements
ou des décisions européens adoptés par le Conseil des ministres sur proposition de la Commission”.

Il s’ensuit que ces accords passés entre patronat et CES auront automatiquement force de loi européenne. Et l’on ose nous parler de pratique démocratique ! En fait, la démocratie a été détournée, bafouée depuis Maastricht et Amsterdam qui sont à l ’origine de l’avènement du processus de colégislation.
C’est ainsi que la CES, associée à “l’élaboration des normes sociales communautaires”, devenue ainsi colégislatrice, a signé plusieurs accords devenus par la suite, et de façon automatique, des directives européennes comme celle de 1997 sur le travail à temps partiel et celle de 1999 sur les contrats à durée déterminée.
On connaît la suite : une fois entrées dans chaque pays européen, ces directives aboutirent à la déréglementation et à l’atteinte au code du travail - et le pire est encore à venir sur ce terrain.

Quelle est donc la signification de cette intégration de la CES voulue par l’U.E. et les chefs d’Etat et de gouvernement d’avant le 1er mai 2004 ? L’institutionnalisation dans une Constitution européenne du rôle colégislateur de la CES s’affiche comme une loi suprême sur laquelle l’U.E. et les chefs d’Etat pourront s’appuyer pour passer du plan européen au plan national, neutralisant ainsi les bureaucraties syndicales nationales du fait de leur adhésion à la CES, comme c’est le cas en France pour la CFDT et la CGT. On comprend mieux ainsi l’attentisme, l’immobilisme, voire les freins de la centrale de Thibault devant les mouvements de contestation depuis l’entrée, récente, de la CGT dans la CES.

Ne pouvant obtenir l’aval des travailleurs européens en faveur de la politique de l’Union européenne profondément réactionnaire à l’égard des droits du travail et des acquis sociaux – les mobilisations en France, en Italie, en Espagne, en Allemagne, en Autriche… ont amplement montré le refus du saccage - les gouvernements se trouvent dans l’obligation de chercher des partenariats nationaux en tentant de transformer les syndicats en colégislateurs nationaux, à l’instar de la CES dont c’est le cas depuis des années. En France on en a déjà un aperçu avec l’attitude pro-patronale, de Chérèque en pleine lutte sur les retraites.
Ce glissement cependant n’est pas encore complètement acquis. La directrice générale de l’emploi et des affaires sociales à la Commission européenne, Odile Quintin, déclarait le 13 janvier 2004

: “… le niveau national ignore largement ce que fait le niveau européen”.

La difficulté essentielle à laquelle se heurte la Commission tient à ce que, contrairement à la CES qui “ne relève pas de la lutte des classes, mais de l’institutionnalisation de la politique européenne“(1), les organisations syndicales nationales sont le fruit des travailleurs eux-mêmes dans le cadre de leurs luttes de classe historiques.
L’enjeu apparaît clair pour les travailleurs : tout faire pour maintenir l’indépendance des syndicats nationaux et refuser les syndicats colégislateurs. C’est donc dire non à la CES et à la Constitution européenne.

(1) Déclaration de l’ancien secrétaire de la CES, Emilio Gaboglio, dans sa préface à
une brochure intitulée : “Qu’est-ce que la CES ?” Ce texte se réfère pour l’essentiel des données à un article de Daniel Shapira paru dans le n°37 de “La Vérité”, revue théorique de la IVième internationale, sous le titre: “LaCES et la Constitution européenne”, et dans une mesure moindre, à l’édito du compte-rendu du congrès de la CES paru dans le n°60-61 du “Manifeste des 500” au titre explicite : “La CES est-elle une organisation syndicale?”.

Nous reviendrons ultérieurement sur la CES étant donné l’importance de la question.


Réflexions modestes sur le syndicalisme : Article 7 Appel pour construire un réseau intersyndical et interprofessionnel





La mobilisation pour la défense des retraites et contre la décentralisation du printemps 2003 a montré la double faiblesse du syndicalisme actuel : la présence syndicale réduite dans le privé et l’absence de pratique interprofessionnelle. Ces faiblesses ont pesé lourd face au gouvernement et au patronat, les confédérations et principales fédérations ayant refusé de tout mettre en œuvre pour donner pratiquement un caractère interpro aux luttes. C’est une des principales leçons tirées par des dizaines et des dizaines de milliers de travailleurs.

Dans de nombreuses villes et bassins d’emplois, des comités, des réseaux et des actions interpro ont été mis en place durant les grèves, tentant de palier aux carences des confédérations et fédérations sur ce terrain crucial pour le rapport de force et la construction du syndicalisme dans le secteur privé. Ainsi, la conscience qu’il est non seulement nécessaire mais incontournable de s’atteler à la tâche pratique de faire vivre et de développer le syndicalisme interpro a fait un pas en avant.Nous devons poursuivre.

C’est pourquoi, nous, militants syndicaux, appelons l’ensemble des grévistes et des militants à venir renforcer les Unions Locales (CGT, Solidaires,…) déjà existantes ou à construire des structures interpro (différentes formes de collectifs interpro, union syndicale,…) là où elles ne sont pas encore une réalité.

Nous proposons également de tenir une rencontre nationale afin d’échanger sur nos expériences et de collectiviser les points forts de nos pratiques respectives. Depuis quelques mois beaucoup de discussions se réfèrent à “l’interpro”mais au-delà des références théoriques, les expériences de terrain sont peu nombreuses.

Notre proposition ne vise ni à créer une nouvelle confédération, ni à perpétuer les manoeuvres d’appareils pour “recomposer” le mouvement syndical, ni à fonder un “énième” forum sur le thème mais à relancer la pratique interprofessionnelle des Bourses du Travail qui permirent à la CGT de se développer en France au début du siècle.

Sans aucun sectarisme par son caractère intersyndical, sans s’opposer ni se substituer aux pratiques et aux initiatives interpro des équipes militantes et des organisations syndicales, notre proposition s’adresse aux syndicalistes de terrain :

  • pour échanger sur nos différentes expériences sur l’interpro
  • afin d’apporter appui et aide directe aux luttes actuelles et futures

Les signataires invitent le maximum de militants et d’organisations syndicales à se joindre à l'appel.
Liste des premiers signataires :
Fédération CNT-PTT Syndicat SUD métaux 33 Isabelle Banny militante UL CGT Longwy Abdel Mabrouki Collectif Restauration rapide CGT, CGT Pizza Hut Ali Tolu DS et DP CGT Manpower Vincent Duse CGT Peugeot USTM Métallurgie Patrick Bonnet CGT chômeurs Alès Vladimir Charov ancien secrétaire départemental CFDTGironde Eric SionneauSolidaires-SUD Indre-et-Loire Stéphane Vyt SUD Manutention aéroportuaire Plateforme Roissy Manolo, CGT éducation LP Lyon Daniel Guerrier, CGT Groupe La Vie-Le Monde Stephane Linder, CGT Commerce 54 Danielle CHEUTON, SNADGI-CGTParis 20 èmeFrédéric Bodin, SUD-rail (personnelCE etCCE) Jean Pierre Tavernier, SUD-rail (nettoyage) Olivier Delous, militant SUDEducation 95 Eric Desoindre, SUB.TP.RP. CNT Sébastien Baroux, Bureau Fédéral CNT PTT section CNT PTT Paris 13 e Karim Lakjaa, SUDMairie de Reims Vincent Vidiani, Militant UL CGT Ludovic Arberet, CNT-Education Evelyne Perrin, AC ! et Réseau Stop-Précarité Jean François Rodier, Section SUD Rail Ivry sur seine Henri Amadei, SNESup-FSU, éé émancipation Kaourantin Lamprière, CGT Cheminot Rennes, CourantSyndicaliste-Révolutionnaire Francis Fanjeaux, militant SDEN CGT 13, AG des établissements en lutte du Bassin minier et UL Gardanne Christophe Fonte, militant au SNTRS-CGT (CGT CNRS) Serge Torrano, SUD Rail Paris Austerlitz Alain Imbert, cofondateur du syndicat SUD-Métaux Gironde Frédéric Thibault, Chambre Syndicale des Travailleurs de la Pierre (CNT/SUB-TP Lille) Jean Paul Brinon, CFDT Quebecor Rodolphe CIULLA, CNT Education 75 Michel Tommasini, CGT-ANPE Alain ANDRE, Collectif Interprofessionnel Public /Privé de la rive droite de Bordeaux

Réflexions modestes sur le syndicalisme : Article 6 Sur le syndicalisme




Dans leur bulletin L’internationaliste, les camarades du GSI ont publié un texte sur le syndicalisme. Je le prendrai comme une base pour une discussion (…)sur le syndicalisme, même si ce texte n’a pas cette vocation. Ils écrivent que la CGT est l’organisation la mieux implantée et la plus nombreuse.
Je pense que ces affirmations sont hasardeuses. Peut-être que les départs de la CFDT suite aux grèves de mai juin 2003 vont changer la donne, mais il faut être prudent. La meilleure implantation, où ? Dans le secteur privé ou le secteur public ? C’est déjà une première chose importante à déterminer. Dans le secteur privé, où ? Plutôt les grosses entreprises ou les PME-PMI voire les TPE comme on dit ? Dans le secteur public : la fonction publique (et laquelle) ou les entreprises nationalisées ? L’implantation on doit aussi la voir en fonction de l’âge, des branches d’activité, du sexe. Je ne m’avancerai pas sur des réponses, il faut éviter ici les généralisations, il faut prendre cette question de l’implantation selon plusieurs facettes, en mettant d’abord en premier les faiblesses de cette implantation.
Concernant le nombre d’adhérents, je ne suis pas sûr que la CGT soit devant la CFDT. Les forces des uns et des autres demeurent faibles, dans le privé c’est le désert syndical. La confédération CFDT affirme être en tête, en affichant la “ transparence ” :mais les calculs sont basés sur une adhésion pour 8 timbres/an…alors qu’elle a un taux de cotisation par prélèvement automatique le plus élevé de toutes les confédérations ! Pourquoi pas calculer sur 6 timbres alors ? ! ! A la CGT, qui a longtemps nié la chute très forte de ses adhérents,c’est plus clair depuis quelques années, mais pas encore suffisamment.
On peut penser avoir de bonnes estimations à partir de travaux sérieux déjà publiés, mais mieux vaut être prudent, je ne pense pas qu’il soit pertinent de dire “ la CGT est en tête ” ou“ c’est la CFDT qui a le plus d’adhérents ”. Quant à FO, c’est la politique du secret qui prévaut encore. Les chiffres affichés ne correspondant pas du tout à la réalité.
L’article aborde la question de l’indépendance syndicale opposée à l’intégration du syndicalisme. Celle-ci trouve aujourd’hui un vecteur non négligeable dans la CES. L’alternative entre indépendance et intégration du syndicalisme est pluriséculaire. La CES trouve des relais dans tous les syndicats. Et la présence d’une bureaucratie avec un poids important est une donnée clé de cette alternative. On assiste alors à un aiguisement de l’affrontement entre ces deux conceptions, qui se traduisent dans diverses tentatives de recomposition. L’analyse ne me convient pas. Elle laisse penser que ceux qui s’opposent à la CES sont ceux qui défendent l’indépendance du syndicalisme, contre ceux qui
sont pour l’intégration. L’indépendance du syndicalisme ne se résume pas à l’indépendance vis à vis du patron.
Les principales organisations révolutionnaires (c’est elles qui se définissent ainsi) que
nous avons en France ne défendent pas l’indépendance syndicale. Oui, peut-être au niveau du discours, de ce qui relève de la rhétorique, des articles, des écoles de formation. Mais ce qui compte d’abord c’est la pratique. Et l’indépendance syndicale,
c’est vis à vis du patronat mais aussi vis à vis des appareils syndicaux et vis à vis des partis. Or ces organisations, dans la pratique, font de la politique d’appareil. Pourquoi ? Parce que cela permet de recruter pour LE parti, parce que cela permet de faire vivre LE parti,… Voilà pourquoi ces organisations ne peuvent pas être dans les syndicats une alternative aux appareils réformistes. Que fait le PT dans FO ? De l’indépendance syndicale ? Que fait lePT dans la CGT? Que fait LO dans la CGT ? Que fait la LCR dans la CGT, la FSU,SUD? De l’indépendance syndicale ou faire survivre un petit appareil quand on a réussi à avoir des places dans les syndicats ou des fédérations? Il ne suffit donc pas de tenir le discours dans les congrès contre la CES,… pour défendre l’indépendance syndicale. Et qui plus est, une question non abordée dans l’article, la démocratie syndicale. L’un ne va pas sans l’autre. Aussi, je pense que la division intégration/indépendance présentée dans cet article n’est pas pertinente, elle est abstraite. Je précise : combattre l’intégration, défendre l’indépendance syndicale, mais comment? Cela ne sera pas en se posant ainsi dans les syndicats, mais en répondant par des stratégies et tactiques syndicales, qui répondent à des enjeux syndicaux, et non pas à des intérêts de boutiques politiques. Est ce que cela tient à une divergence sur ce qu’est l’indépendance syndicale ? C’est ce que j’ai pour ma part compris. Mais il faudrait en discuter plus au fond. La question de la CUT, abordée à la fin de l’article, apparaît alors abstraite, comme celle de l’indépendance. Il est écrit qu’il faut rapprocher les militants quelles que soient leurs étiquettes par toutes les possibilités, et notamment au niveau européen. Car on n’a pas aujourd’hui de formule algébrique de la CUT à présenter, on ne peut qu’en proposer les contours. Oui,mais on fait quoi au fait ? Car l’article s’arrête là. Il faudrait justement discuter du concret : quelles initiatives ? Et dans quel but ? Pour la construction de la CUT ? Je suis très sceptique par rapport à des initiatives qui auraient ce but directement. Je suis convaincu que pour arriver à poser les pierres de la CUT, il faut éviter ce genre d’initiatives qui ne réuniront pas les syndicalistes de la base. C’est abstrait. Il faut répondre aux problèmes cruciaux et concrets d’abord. A quoi cela peut servir aujourd’hui une CUT ? Si on veut que ces débats ne concernent
pas toujours les mêmes initiés, il faudrait partir de ce qui préoccupe les travailleurs. Il faut sortir du débat d’idées.
Est-ce qu’aujourd’hui c’est l’inexistence d’une CUT qui est un problème ? Oui et non. Oui, car à n’en pas douter, nous serions, en principe, plus forts. En principe seulement. Car il y a bien une quasi-CUT en Allemagne, ainsi qu’en Angleterre ? Et cela change quoi ? Plus indépendant ? Moins intégré ? Il n’y a rien de magique à l’unité. Non, parce que la construction de la CUT ne se fera pas par des débats qui ne s’attaquent pas aux problèmes concrets du syndicalisme. C’est en y répondant que laCUTse construira.On va y venir. Le texte des camarades du GSI ne répond pas aux nécessités présentes : si on va se mettre dans les syndicats au débat en disant qu’il y a les pro-indépendance et les pro-intégration, et que cela se traduit directement dans les tentatives de recomposition, alors on laissera les recompositions aux apprentis “ recompositeurs ” de "gauche syndicale” face aux directions syndicales actuelles. Beau résultat avec la FGTE-CFDT ou avec les syndicats CFDT de la fédération Interco partis (enfin, au moins les dirigeants révolutionnaires) partis par exemple à la FSU (comme l’ex-CFDT de l’ANPE d’ailleurs qui a joué un peu le poisson pilote). On sait déjà qui va gagner, c’est le même match tous les dimanches. Petits appareils contre gros appareils, ce sont toujours des affaires d’appareils.
Alors de quoi faudrait-il s’occuper dans les syndicats ? De deux questions, au moins, qui ne sont pas assez voire jamais à l’ordre du jour des réunions syndicales:
l’interprofessionnel et le champ de syndicalisation.
Pour sûr cela ne vole pas très haut,mais cela permet au moins de débattre de la stratégie et des tactiques syndicales pour lutter contre la division de la classe des travailleurs. J’ai la faiblesse de penser que c’est essentiel. Pas la division vue par le petit bout de la lorgnette des sigles. Non, il s’agit de la division réelle des travailleurs imposée par le procès de production capitaliste, la division du travail… Les différents statuts, les différents contrats de travail, les différentes garanties, la sous-traitance. Et il s’agit surtout du désert syndical. On peut essayer de compter les points pour savoir qui est le plus “fort” aujourd’hui en termes d’adhérents, d’implantation.Cela n’a pas pour l’instant grand sens quand on se penche ne serait ce que dans le privé. Où en est, concrètement, réellement en terme d’expériences quotidiennes, de pratiques, de tactiques, d’investissement syndical de forces et de moyens,etc…l’interprofessionnel aujourd’hui en France ?
Que fait-on dans nos syndicats sur cette question? Non pas,que dit-on? Mais bien que fait-on ?Que font les syndicats du public, là où le droit syndical est le plus large et le moins risqué, dans les syndicats du public "tenus” par des “révolutionnaires” armés de tous les programmes possibles et les meilleurs du monde ? Que faisons-nous pour dégager du temps et des moyens pour des campagnes de syndicalisation dans le privé? Pour construire des Unions Locales, des comités interpros…réels ? Quels sont les syndicats, les militants révolutionnaires chevronnés qui utilisent une partie de leur temps syndical pour aller syndiquer des chômeurs à la porte des ANPE et des ASSEDIC ? On crève du corporatisme. Du côté du privé, des gros syndicats du privé, ce n’est pas forcément mieux, du moins à la hauteur du nécessaire. Or sans l’interprofessionnel nos ne remontrons pas la pente de la syndicalisation de masse(car parler de syndicalisme de masse c’est parler de ce qui n’existe pas encore) dans le privé comme dans le public. Alors que pouvons nous faire pour avancer ? Est-ce que c’est un vrai problème que celui de la faiblesse du syndicalisme interprofessionnel aujourd’hui en France?( Et ailleurs aussi certainement).
Autre question, celle du champ de syndicalisation. Encore un sujet qui ne fait la une de la presse d’extrême-gauche, ni de ses meetings ! (Je me focalise sur l’extrême-gauche, hein, parce que le fait qu’elle se désintéresse de ces questions syndicales centrales est symptomatique). Et pourtant, en voilà un sujet d’actualité.
Qui n’a pas à la bouche en réunion syndicale de mots assez durs pour dénoncer le patronat, le gouvernement,… qui instaurent jour après jour plus de précarité (dernières moutures : le RMA et le chèque emploi-entreprise). Mais est-ce qu’est pour autant posée la question du champ de syndicalisation, du syndicalisme d’industrie, comme une question centrale ? Le syndicat de ma boîte doit syndiquer quelle catégorie de personnel? Laisser de côté les intérimaires, les CES, les emploi jeunes, les sous-traitants…? Avoir des syndicats d’entreprise pour nous enfermer dans notre boîte ? Se conformer à la division imposée par le capital ? Celle-ci externalise la maintenance, le nettoyage,… divise l’entreprise en plusieurs entreprises, et que faisons-nous : merci patron, nous allons créer autant de syndicats d’entreprises ! C’est quoi le syndicalisme d’industrie?
Derrière cette question, c’est bien celle de l’unité des travailleurs sur leur lieu de travail. Pour sûr il ne s’agit pas des débats sur l’unité syndicale organique. Mais pour lui donner de la vie, il faut s’attacher au champ de syndicalisation. Et c’est une question qui est posée dans tous les syndicats. Et puis derrière le champ de syndicalisation, c’est quel type de syndicalisme nous voulons ? Pour servir à quoi ? Il ne s’agit pas que de l’unité des travailleurs sur leur lieu de travail,mais de la préparation des travailleurs à reprendre à leur compte la production, les services publics,…bref toutes les “industries”. Avoir une vision d’ensemble de sa branche d’activité, pour ne pas la laisser à une haute administration fut-elle représentante d’un Etat “ ouvrier ”. L’émancipation des travailleurs qui sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes, j’ai la faiblesse de penser qu’elle se prépare par là aussi, tous les jours.
Quelques exemples sur cette question du champ de syndicalisation, car on pourrait faire de même avec celle de l’interprofessionnel. Agent Territorial Spécialisé des Ecoles Maternelles : vous savez ce sont ces dames (et oui c’est un métier féminin) qui
sont en classe, de façon permanente, avec les institutrices-eurs de la maternelle. Pourquoi donc ces personnes ne sont-elles pas syndiquées dans les mêmes syndicats que l’institutrice? Parce qu’elles ne relèvent pas de l’Education Nationale?Labelle affaire! Et les ATOS? Parce qu’ils ne délivrent pas un enseignement ? Et les enseignants des CFA? Syndicalisme d’industrie ou syndicalisme de corporations ? De métiers ? Pendant les grèves de mai-juin,on nous expliquait que la décentralisation des ATOS allait détruire des équipes pédagogiques. Mais pourquoi ne sont-ils pas dans les mêmes syndicats que les enseignants ? Parce que cette logique on peut l’appliquer partout. Prenons le cas de la formation professionnelle continue : il y a les syndicats de l’AFPA,et il y a les syndicats de chaque boîte de formation. Tous ces salariés ne font-ils pas partie de la même industrie ? Pourquoi un syndicat différent à chaque fois dans le même bassin d’emploi ? Je pourrais en dire autant pour ma pomme à l’ANPE:et les salariés des cabinets de recrutement, ceux des agences d’intérim,…Et pourquoi pas créer des syndicats de métiers à l’ANPE, car il y a bien différents métiers ? Rien que sur ma petite ville provinciale, il y a presque autant de salariés des agences d’intérim que d’agents ANPE. Mais aucun syndicat chez les premiers, complètement ignorés par les seconds. Pensez-vous, on va pas se mélanger, les patrons nous divisent déjà si bien ! ! Il y a quelques années SUD-PTT avait eu l’idée géniale de séparer ses syndicats locaux en deux(Poste et FranceTelecom) afin de s’adapter à la division administrative. Syndicalisme de lutte ou de négociation ?Cela n’a pas favorisé la solidarité des postiers pour leurs collègues de FT privatisée. Cela a freiné SUD-PTT dans la démarche de la syndicalisation des entreprises privées des télécoms et de la distribution. Il n’y a qu’à prendre aussi l’exemple de l’enracinement de l’équation à la CGT une entreprise = un syndicat. Les sous-traitants des entreprises automobiles situées sur le même bassin d’emploi que la “maison ”mère: autant de boîtes, autant de syndicats.
C’est pas si grave parce qu’en fait les syndicats s’occupent des salaires, des conditions de travail… et ils peuvent toujours se mettre ensemble de temps en temps ? Sauf que les résultats sont bons pour le patron : l’enfermement dans l’entreprise. Le syndicalisme d’entreprise, y contribue. Le syndicalisme de métiers ou
de corporations ne permet pas de construire les solidarités. Et plus fondamentalement,
mais cela est du ressort d’une conception précise du syndicalisme, s’adapter à la division capitaliste c’est ne pas lutter pour que les salariés acquièrent une vision d’ensemble de leur branche d’activité. Ce n’est pas préparer la reprise des industries par les travailleurs, ce à quoi le syndicalisme d’industrie doit contribuer. Non pas demain, mais tous les jours dès maintenant.
Donc si ces deux questions, l’interprofessionnel et le champ de syndicalisation, sont des questions pertinentes aujourd’hui (1er débat), on peut poser la question suivante (2ème débat) : A quoi sert la CGT ? A quoi sert FO?A quoi servent les SUD et les autres syndicats du G-10 ? A quoisert l ‘UNSA?A quoi sert la FSU? C’est à dire, pour sortir du piège des appareils, comment posons-nous ces questions et que faisons-nous pour y répondre dans tous ces syndicats (et d’autres) dans lesquels nous militons? Par exemple prenons l’Education. Il n’est pas rare d’entendre des camarades dire : à quoi ça sert SUD-Education ? Et oui, à quoi ça sert, si c’est pour faire la même chose que la FSU avec un discours plus “radical” (mais pas toujours d’ailleurs). Si c’est pour reproduire le syndicalisme de corporations ou de métiers, si c’est pour regarder de loin l’interprofessionnel.
Et c’est ce débat là qui a eu lieu au dernier congrès de SUD-Education. Par contre, si c’est pour répondre aux deux questions de l’interpro et du champ de syndicalisation, alors cela peut servir à quelque chose SUD-Education. Division ? Mais, à quoi ça sert la FSU ? Si c’est SUD-Education qui divise, qu’attendent ils ceux qui le disent pour aller à la CGT,ou à FO ou au SGEN-CFDT, bref dans une confédération ? La FSU comme fédération héritière de la FEN de 1948, attendant la réunification pour redevenir la fédération de l’éducation de la CUT ? C’est une position. Mais c’est une position sans base réelle désormais, 60 ans après.
Alors, pas aussi simple que cela ? Irréaliste que de décider :on se barre à la CGT? Bien sûr. Car poser la question ainsi, uniquement ainsi, c’est en rester à des logiques d‘appareils. Mais il faut alors s’attaquer concrètement, réellement, aujourd’hui de l’investissement militant des syndicats de la FSU dans l’interprofessionnel, et des champs de syndicalisation. Pas une question simple pour la FSU et les syndicats de l’Education Nationale, mais c’est la même chose pour la CGT, les SUD…
Voilà la meilleure façon, pour ne pas dire la seule, de sortir des grandes manoeuvres d’appareils syndicaux, plus ou moins grands, du sectarisme, et d’emm… sérieusement cette fois la bureaucratie (quelle qu’elle soit…). Parce que ce sont ces questions qui répondent aux problèmes des travailleurs. Si on ne s’attache pas à mettre ces questions au centre des débats et des pratiques sur le syndicalisme, alors je crains vraiment que la question de la CUT soit une discussion qui ne concernera pas les équipes militantes sur le terrain, que ce soit donc en fait une discussion formelle.


Michel Tommasini.

Réflexions modestes sur le syndicalisme : Article 5 : Le syndicalisme à la croisée des chemins.




Le printemps dernier, la grève contre la loi Fillon de démantèlement des retraites par répartition a mis l’ensemble des militants syndicaux et politiques, se réclamant du mouvement ouvrier, devant leurs responsabilités. Cette grève a aussi posé les bases, dans ce pays, d’une réflexion approfondie sur l’avenir du syndicalisme, celui-ci se situant désormais à la croisée des chemins, entre intégration et indépendance. Le départ, de la CFDT, de dizaines de milliers d’adhérents, parfois de structures entières, démontre que cette question a atteint une acuité nouvelle.
Depuis qu’il existe, le mouvement ouvrier organisé est combattu avec la dernière énergie par la bourgeoisie. Celle-ci ne peut tolérer ne serait-ce qu’un embryon d’organisation échappant à sa tutelle. Ainsi, ces dernières années, les ultra-libéraux ont-ils théorisé leur volonté de détruire cette première affirmation indépendante de la classe ouvrière, les syndicats, présentés par eux comme une “intolérable entrave au libre jeu des forces du marché du travail”.


L’indépendance syndicale en question.

L’objectif des patrons est donc la destruction des syndicats, mais à défaut de pouvoir y parvenir lorsque le rapport de force lui est défavorable, la bourgeoisie cherche à acheter l’organisation indépendante, à l’intégrer. D’où le combat permanent de la classe ouvrière, pour s’assurer le contrôle sur ses dirigeants et sur ses organisations. On l’a vu une fois de plus de manière éclatante ce printemps(1) : la bourgeoisie n’est pas avare de moyens de contrainte et de pression, visant à emmener les militants et les organisations hors du terrain de l’action indépendante de défense des intérêts matériels et moraux des travailleurs, d’autant qu’une bureaucratie nombreuse et influente règne sur ces organisations. Ce n’est pas la première fois que la question se pose. Cette “alternative” est devant nous, et à chaque période cruciale de l’histoire du
mouvement ouvrier, deux voies s’ouvrent, contradictoires, diamétralement opposées : soit l’intégration syndicale l’emporte, soit l’existence de syndicats indépendants s’impose durablement. La Confédération Européenne des Syndicats (CES), impulse une option cohérente et déterminée dans le sens de l’intégration, à l’échelle de l’Union Européenne.

Dès 1973, avec l’UNICE (organisme patronal européen), la CES est le coauteur de toutes les directives européennes s’attaquant aux droits des travailleurs. Des coauteurs qui cohabitent, en effet, au sein du Comité Economique et Social de l’UE. Lequel Comité travaille, à son tour, de façon étroite avec la Commission de Bruxelles.On l’a bien compris : l’option de la CES est celle de l’intégration à l’Etat et l’accompagnement des projets patronaux. Cette politique est relayée par des secteurs d’importance diverse dans chaque organisation syndicale.Sous prétexte de modernité et de modération, en réalité, la CES cherche à imposer la voie du renoncement à plus d’un siècle de lutte syndicale. Aussi, et quand ce n’est pas déjà le cas, la CES aspire à rendre majoritaire le secteur intégrationniste dans chaque pays de l’union. En France, cela se traduit par un projet qui vise à rapprocher, en une seule confédération, les organisations adhérant à la CES, de façon à marginaliser les secteurs “contestataires” (pour utiliser une définition “large”).

La grève de mai-juin 2003 a porté un coup majeur à cette vision du syndicalisme intégré,mais cela ne signifie pas que la question soit tranchée. Au contraire, l’affrontement entre les deux conceptions de syndicalisme va se tendre et s’aiguiser, les tentatives diverses de“recomposition syndicale” vont se multiplier.


La crise de la CFDT.

Dès le mois de juin, les prises de position se sont multipliées au sein de la CFDT,de la part de structures remettant en cause, à court ou moyen terme, leur appartenance à cette confédération. La signature du secrétaire général, François Chérèque, au bas de l’accord sur les retraites, le lendemain de la manifestation monstre du 13 mai, a été sinon le révélateur, au moins la “goutte d’eau”qui a amplement fait déborder le vase. Dès lors, la bataille fait rage à la CFDT, alors que F. Chérèque, lui, cherche à en minimiser l’ampleur. Singeant Lénine(2), il prétend même que la CFDT sortira renforcée du départ de ces trublions. Trublions qui se chiffrent, tout de même, à 50 voire à 100 000. La seule UD Haute-Loire “pèse” 6 800 adhérents, qui ont voté à 91% l’adhésion à la CGT et, la fédération des cheminots perdrait, elle, 11000adhérents..
Parallèlement, cette bataille en révèle une autre, cette fois au sein du PS, où les amis de N. Notat et de J. Chérèque s’activent. Après avoir demandé à F. Hollande de calmer ceux qui incitaient les adhérents de la CFDT à passer à la CGT, ils prétendent lancer leur propre fraction autour d’un texte intitulé “Tout ce qui bouge n’est pas rose” (sic), texte qui fait l’apologie d’une gauche qui serait en permanence à la recherche du fameux consensus mou. “Ni droite, ni gauche”?
D’autres “socialistes” sont déjà allés très loin sur cette voie, tels Marcel Déat en France ou avant lui, en Italie, B. Mussolini...
La liste s’allonge tous les jours de ces structures démissionnaires et de ces congrès qui décident de quitter la CFDT ; le site spasmet <http://spasmet-meteo. org/> en tient un décompte méthodique.
De même, on ne compte plus les instances de direction démissionnaires, dans des UL, US ou même régions. Certaines de ces structures sont mises sous tutelle par les instances confédérales...
Lors de la précédente vague de départs, le mouvement s’était fait surtout en direction des Suds, devenus G10-Solidaires.
Cette fois, bien que certaines structures démissionnaires partent à la FSU, à l’UNSA ou au G10-Solidaires, la grande majorité rejoint la CGT où, pour la première fois depuis 1948, des protocoles ont été établis pour “fusionner” en douceur...


La CGT pôle d’une recomposition syndicale ?

Les derniers arrivants créent une situation contradictoire au sein de la CGT. D’un côté, la direction de B. Thibault peut se servir de cet afflux pour “prouver” la justesse de l’orientation confédérale. D’un autre côté, à l’avenir, ces nouveaux adhérents pourraient peser contre la direction Thibault, au moins en partie. A la FSU, également, l’arrivée de ces transfuges crée une situation contradictoire.Trois positions s’affrontent : transformer la FSU en confédération, faire adhérer la FSU au G10-Solidaires, faire adhérer la FSU à la CGT...


Pourquoi la CGT semble-t-elle devenir le point de ralliement d’une nouvelle “recomposition syndicale”?

Tout d’abord, parce qu’elle est la plus ancienne confédération syndicale du pays, jadis confédération unique et ceci, jusqu’à ce que le syndicalisme chrétien ne tente de la concurrencer en 1919 (CFTC, devenue CFDT en 1964) et que les antagonismes politiques au sein du mouvement ouvrier ne se réfractent dans la centrale syndicale, à travers deux scissions et une réunification. Cependant, la CGT reste la mieux implantée et celle qui a le plus grand nombre d’adhérents, centrale syndicale de référence, traditionnelle et incontournable de tout le mouvement ouvrier, quelque soit le caractère bureaucratique de sa direction.
Ensuite, l’affaiblissement historique du PCF a amoindri le contrôle que celui-ci exerçait sur nombre de militants et structures de la CGT. A tel point, que B. Thibault s’est rendu... au dernier congrès du PS à Dijon où il a été ovationné. Mais, on l’a vu à EdF-GdF en janvier dernier, comme toutes les autres organisations syndicales (y compris le G10-Solidaire), la CGT est traversée par les mêmes contradictions et tensions entre les tenants d’un syndicat d’accompagnement, “avec les formes” ou “sans les formes”, et les partisans un syndicat de lutte des classes, indépendant et de masse.
Quant à CGT-FO, par ailleurs, la préparation de son congrès confédéral, qui doit élire le successeur de M. Blondel, est le terrain d’un affrontement sur cette même ligne de clivage. Le secteur droitier de la CGT-FO a même reçu, l’an dernier, le renfort des anciens de la très droitière CSL (auto-dissoute), dans un contexte où, les conditions ayant provoqué la scission de 1947 disparues, les partisans d’une réunification sont de plus en plus nombreux.
Enfin, le G10-Solidaire, pour sa part, a montré ce printemps les limites de 20 ans d’un mouvement “politico-syndical” qui n’a pu ouvrir des perspectives sur le plan politique et qui s’est réduit, sur le plan syndical,à une politique de pression sur la direction de la CGT, exhortant B. Thibault à appeler à la grèvegénérale.


La perspective d’une CUT.

Il est sans doute encore trop tôt pour avancer une formule algébrique de ce que pourrait être une CUT, mais il convient d’en tracer les contours. En effet,une confédération syndicale indépendante, fidèle à une conception de lutte des classes et à
un syndicalisme de masse, est nécessaire dans ce pays,mais également dans l’ensemble de l’Union Européenne, où de nombreuses structures syndicales ne se reconnaissent pas ou plus, dans l’orientation de la CES. Certes, les choses n’avancent pas au même rythme partout, l’histoire et l’évolution des rapports de force poussent en avant ici, tirent en arrière là. Mais il nous semble qu’il faut aller dans cette direction, à l’échelle nationale comme à l’échelle du continent. Il faut saisir toutes les possibilités de faire se rapprocher les militants, les organisations syndicales,même de petite taille, au-delà de leur appartenance confédérale actuelle et, aussi, multiplier les possibilités de coopération par-delà les frontières.
L’objectif doit être de construire une Centrale Unique des Travailleurs à l’échelle du pays, et une organisation du même type à l’échelle de l’Europe, en opposition à la CES.

(1) Voir les trois documents sur la grève dans l’Internationaliste n°49 de septembre 2003.
(2) Le parti se construit en s’épurant.