jeudi 3 mai 2018

Journal de la Commune


Paris, le 25 Mars 1871.
COMITÉ CENTRAL
Le Comité central s’empresse de transmettre à la population de Paris la dépêche suivante d’un de ses délégués à Lyon :

« Lyon, 24 mars 1871.
Aux citoyens membres du Comité central, à Paris.
Nous sommes arrivés à Lyon et immédiatement introduits à l’Hôtel-de-Ville ; nous avons dû paraître au balcon, aux acclamations de plus de vingt mille citoyens.
Dix-huit bataillons sur vingt-quatre sont heureux de se fédéraliser avec les deux cent quinze bataillons de Paris.
Pas une goutte de sang versé, grâce aux mesures préservatrices prises par la commission provisoire.
Le gouvernement de Versailles n’est pas reconnu.
En somme, la cause du peuple triomphe, et Paris seul est reconnu comme capitale.
Pour la délégation,
AMOUROUX. »

À l’appui de cette lettre, Lyon envoyait un exemplaire de l’affiche suivante :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE COMMUNE DE LYON
Le comité démocratique de la garde nationale du Rhône.
Le comité central démocratique de l’alliance républicaine du Rhône aux Lyonnais.

« Citoyens,
La commune vient d’être proclamée du haut du balcon de l’Hôtel-de-Ville, aux applaudissements frénétiques de la population entière.
Notre ville qui, la première au 4 septembre, a proclamé la République, ne pouvait tarder d’imiter Paris.
Honneur à cette courageuse et vaillante population lyonnaise !
Elle vient de concourir au rétablissement de la liberté et de la vraie république.
Elle vient de reprendre la direction de ses intérêts trop longtemps absorbés par le pouvoir central.
Avec la commune, citoyens, nous aurons un pouvoir unique qui concentrera dans ses mains la force armée et la police municipale.
Avec la commune, les impôts s’allégeront, les deniers publics ne seront plus gaspillés, les institutions sociales attendues avec une légitime impatience par les travailleurs seront fondées et mises en pratique. Une ère nouvelle, citoyens, commence pour notre cité.
Bien des souffrances et des misères seront soulagées, en attendant que disparaisse la hideuse plaie sociale appelée paupérisme.
Que les habitants restent calmes et dignes dans leur victoire !
Qu’ils aient confiance, et bientôt l’ordre et la prospérité ne seront plus de vains mots.
Par notre attitude, prouvons aux ennemis de la vraie liberté que le peuple ne confond jamais cette sublime institution appelée commune, avec les débordements dont ils se plaisent à l’accuser.
Bientôt nos détracteurs eux-mêmes seront contraints de reconnaître que le peuple est digne d’être régi par des institutions républicaines. Soyons unis et restons armés pour soutenir la République une et indivisible.
Vive la commune ! Vive la République !
Pour le comité de la garde nationale,
LACONDAMINE, MALARD, JERRICARD, A. DELMAS, FRANQUET.
Pour le Comité démocratique de l’alliance républicaine.
BRUN, ROLAND, PRÉSIDENTS ; GOUTORBE, CHAPITET

Journal de la Commune


Un républicain de vingt ans, dont le père est mort en exil, adresse
au Châtiment l’article suivant :

« LA CANAILLE
On se bat à Paris ; la garde nationale armée, forte de 200 000 hommes, est en révolte ; à Montmartre, canons et mitrailleuses sont braqués sur la ville ; Vinoy est bloqué et va capituler ; Chanzy part avec 40 000 hommes pour combattre l’insurrection, etc.
Telles sont les nouvelles que les réactionnaires colportaient ces jours-ci, et l’Assemblée tremblante demandait si elle irait siéger sur le Puy-de-Dôme ou en plein Océan, et les journaux monarchistes débitaient des tirades de longue haleine sur « la populace, la vile multitude, la crapule, la canaille. »
Pauvres gens, ignorants et ingrats ! Cette canaille, que vous conspuez, pour laquelle vous n’avez pas assez d’insultes, que vous accusez de pillage et d’assassinat ; cette canaille que vous voudriez voir balayer par le canon, savez-vous ce qu’elle est, ce que vous lui devez ?
Savez-vous paysans, bourgeois égoïstes et lâches, ce qu’il y a de dévouement, de courage et de misère dans le coeur de cette canaille ?
C’est elle qui vous a fait ce que vous êtes ; c’est elle qui vous a vengés d’une oppression de dix siècles.
Paysan, qui est-ce qui t’a donné les moyens d’acheter ton champ, ta vigne et de les cultiver pour toi, pour toi seul ? La canaille.
Bourgeois, commerçant, propriétaire, qui est-ce qui t’a donné la faculté de travailler pour toi, pour toi seul, d’amasser, de sortir de la misère, de te faire un petit bien-être ? Qui est-ce qui travaille pour toi et t’enrichit ? La canaille.
Et vous député, avocat, médecin, homme de lettres, professeur, capitaine, qui est-ce qui vous a permis de montrer votre licence et votre mérite et de prendre place au soleil ? La canaille.
Vous tous, tant que vous êtes, qui vous a faits hommes libres, citoyens ? La canaille de 1789, de 1830, de 1848.
Cette canaille, si vous l’aviez écoutée et suivie, le 2 décembre, aurait déjoué avec vous les projets du parjure Bonaparte ; si vous aviez voté comme elle, elle aurait renversé le second Empire, et prévenu la ruine et la honte de la patrie ; elle aurait peut-être sauvé la France le 31 octobre si vous l’aviez un peu mieux connue et si vous aviez eu plus de confiance en elle.
C’est elle qui fait les révolutions et sans en profiter. Qu’y gagne-telle, la canaille ?
La misère, la haine de ceux qu’elle sert, parfois l’exile, souvent la mort.
Malgré ses bienfaits et son abnégation, vous n’avez pour elle que l’injure ; vous savez bien qu’elle fusille les voleurs qui se glissent dans ses rangs, et que si parfois ses mains sont teintes de sang, c’est qu’elle punit ses traîtres ou se venge d’un usurpateur.
Elle se désavoue (sic) pour vous, et vous n’avez pour elle que l’insulte, l’ingratitude pour la remercier.
Vous ne vous souvenez pas même que vos pères faisaient partie de cette canaille, et vous ne songez pas que vous en faisiez partie vous mêmes, mais sans gloire, si vos pères avaient été aussi égoïstes et aussi lâches que vous.

Journal de la Commune


REOUVERTURE DES MUSEES


Les Tuileries, fermées depuis le 4 septembre par le Gouvernement de la défense nationale, sont ouverts au public ainsi que les musées.
C. DARDELLE.
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Au Louvre et aux Tuileries, tout est dans le calme le plus complet.
Les grilles du jardin privé sont ouvertes dès huit heures du matin, ainsi que celles du square du Louvre. Dimanche, la terrasse sera également livrée à la circulation. Le gouverneur des Tuileries a pleinement réussi dans sa tâche de répandre la tranquillité parmi les habitants du quartier.
Le Comité central n’a fait occuper les deux palais nationaux que dans le but de mettre à l’abri et de faire respecter les chefs-d’oeuvre et les objets précieux qu’ils contiennent.

Journal de la Commmune


On lit dans l’Eclaireur de Saint-Etienne :

« IL FAUT EN FINIR !
Il faut en finir ! c’est le refrain de la presse réactionnaire. Nous disons aussi : il faut en finir. Il faut que la France se réveille de sa torpeur.
Comprendra-t-elle enfin que tous les malheurs sont l’oeuvre exclusive de la faction qui, depuis tantôt un siècle, s’acharne à la ruine de ses institutions ? Que tout ce qui la désole vient de cette source : coalitions étrangères, guerres civiles, Vendée, sièges de Lyon et de Toulon ; massacres et insurrections de l’an III, expédition de Quiberon, journées de vendémiaire et de fructidor, etc.
Contenue par une main de fer, cette faction noua des intrigues avec l’étranger et triompha par les armes. Depuis la chute de Napoléon, elle a été secondée dans sa lutte contre l’esprit du temps par la connivence, la faiblesse ou l’ineptie de tous les pouvoirs.
La nation française veut le progrès : on lui oppose le statu quo. Elle aspire à la plus grande somme de liberté possible ; on lui impose le plus possible de restrictions. Elle s’élève contre les abus, on les tolère ; elle réclame des réformes, on les ajourne ; elle demande la paix, on la pousse à la guerre ; elle veut la guerre on lui impose la paix. Elle veut la justice distributive, on la nargue en restaurant le favoritisme. Elle demande à Louis-Philippe l’extension du droit de suffrage, et Louis-Philippe fait appeler le général Bugeaud, préférant livrer bataille où son trône s’est effondré.
Il faut en conclure que tous les pouvoirs sont asservis ou trompés par la politique occulte de la faction qui détruit la force vitale du pays, en l’usant dans une lutte stérile.
Il faut en finir avec elle. Il faut que la nation se sauve par l’énergie qui fait défaut à ses mandataires et à ses gouvernements.
Il faut que la nation entière s’affranchisse de la tutelle des pouvoirs et des assemblées, en démontrant qu’elle a atteint son âge viril, en s’élevant à la hauteur de la prudence nécessaire dans la situation critique où la place la conspiration permanente de l’aristocratie et de l’Eglise.
C. E. Guichard.

Journal de la Commune


MOUVEMENT RÉPUBLICAIN EN ANGLETERRE

Hier soir, M. George Odget a convoqué, à l’instigation de radicaux avoués et bien connus, un meeting à Wellington Brooke street, Holborn.
L’assemblée était appelée à prendre des dispositions pour amener un grand mouvement républicain. M. Odget occupait le fauteuil.
Partout, des drapeaux rouges et des bonnets phrygiens. Le président, dans un assez long discours, a établi que, malgré le peu de succès obtenu ailleurs pour l’établissement de la République, le devoir du peuple anglais était d’examiner quelle forme de gouvernement démocratique pourrait convenir à la Grande-Bretagne. Il faudrait tenir compte des aspirations populaires. Peu importerait à la nation que le chef de la république fut un premier ministre ou un président.
Vous êtes plus familiarisés avec la qualification de premier ministre, et peut-être vaudrait-il mieux conserver cette appellation, qui n’implique aucune espèce de droit héréditaire. Aucune époque dans les annales de l’Angleterre n’a jamais été aussi favorable que celle-ci pour l’établissement d’un vrai mouvement républicain, et je crois pouvoir assurer que des provinces répondraient à l’appel de la capitale.
Les républicains de Birmingham se rangeraient sous le drapeau de cette dernière. Du reste, messieurs, attendez-vous à ce que toutes sortes de calomnies vont être déversées sur votre mouvement.
M. Harry propose la résolution ci-après :
« Nous, membres du meeting actuel, nous avons attentivement considéré les divers efforts infructueux faits dans la Chambre des communes pour ménager la dépense injustifiable des deniers du peuple. Il n’en est jamais résulté qu’un surcroît de prodigalité, et, convaincu que tout gouvernement basé sur le système actuel est complètement sous l’influence et le contrôle de quelques familles privilégiées qui monopolisent actuellement le pouvoir public de la nation, et qu’il est conséquemment inapte à faire dans les intérêts de la société entière des lois larges et fécondes.
« Déclarons qu’une forme républicaine de gouvernement est seule capable de développer les grandes ressources du pays et digne de l’appui de tous les bons Anglais. »
Cette résolution, appuyée par M. Smith et M. Lees et d’autres, est adoptée.
Le meeting nomme un conseil et des agents pour seconder le mouvement.
Le président a annoncé que le programme républicain ne tarderait pas à être soumis au pays. (Daily News.)

Journal de la Commune

CITOYENS,


Paris ne veut pas régner, mais il veut être libre ; il n’ambitionne pas d’autre dictature que celle de l’exemple ; il ne prétend ni imposer ni abdiquer sa volonté ; il ne se soucie pas plus de lancer des décrets que de subir des plébiscites ; il démontre le mouvement en marchant lui même, et prépare la liberté des autres en fondant la sienne. Il ne pousse personne violemment dans les voies de la République ; il est content d’y entrer le premier
Hôtel-de-Ville, 22 mars 1871.
(Suivent les signatures.)

Journal de la Commmune

CITOYENS

Vous êtes appelés à élire votre assemblée communale (le conseil municipal de la ville de Paris.) Pour la première fois depuis le 4 septembre, la République est affranchie du gouvernement de ses ennemis.
Conformément au droit républicain, vous vous convoquez vous mêmes, par l’organe de votre Comité, pour donner aux hommes que vous-mêmes aurez élus un mandat que vous-mêmes aurez défini. Votre souveraineté vous est rendue tout entière, vous vous appartenez complètement : profitez de cette heure précieuse, unique peut être, pour ressaisir les libertés communales dont jouissent ailleurs les plus humbles villages, et dont vous êtes depuis si longtemps privés. En donnant à votre ville une forte organisation communale, vous y jetterez les premières assises de votre droit, indestructible base de vos institutions républicaines.
Le droit de la cité est aussi imprescriptible que celui de la nation ; la cité doit avoir, comme la nation, son assemblée, qui s’appelle indistinctement assemblée municipale, peut faire la force et le salut de la République.
Cette assemblée fonde l’ordre véritable, le seul durable, en l’appuyant sur le consentement souvent renouvelé d’une majorité souvent consultée, et supprime toute cause de conflit, de guerre civile et de révolution, en supprimant tout antagonisme contre l’opinion politique de Paris et le pouvoir exécutif central.
Elle sauvegarde à la fois le droit de la cité et le droit de la nation, celui de la capitale et celui de la province, fait leur juste part aux deux influences, et réconcilie les deux esprits.
Enfin, elle donne à la cité une milice nationale qui défend les citoyens contre le pouvoir, au lieu d’une armée permanente qui défend le pouvoir contre les citoyens, et une police municipale qui poursuit les malfaiteurs, au lieu d’une police politique qui poursuit les honnêtes gens.
Cette assemblée nomme dans son sein des comités spéciaux qui se partagent ses attributions diverses (instruction, travail, finances, assistance, garde nationale, police, etc.)
Les membres de l’assemblée municipale, sans cesse contrôlés, surveillés, discutés par l’opinion, sont révocables, comptables et responsables ; c’est une telle assemblée, la ville libre dans le pays libre, que vous allez fonder. Citoyens, vous tiendrez à honneur de contribuer par votre vote à cette fondation. Vous voudrez conquérir à Paris la gloire d’avoir posé la première pierre du nouvel édifice social, d’avoir élu le premier sa commune républicaine.