mercredi 25 octobre 2023

Article de Georges Bataille : « L’apogée de la civilisation est une crise»

 « La solution fasciste »

Mais la connexion étroite de la volonté de retrouver la vie perdue et de la dépression mentale aveulissante n’est pas seulement l’occasion d’échecs tragiques : elle constitue une prime aux solutions vulgaires et faciles dont le succès semble tout d’abord assuré à l’exclusion de tout autre. Puisqu’il s’agit de retrouver ce qui avait autrefois existé et dont les éléments sont vieillis ou morts, le plus simple est de redonner la vie dans des circonstances favorables à ce qui subsiste. Il est plus court de restaurer que de créer et comme la nécessité d’une cohésion sociale renouvelée peut être ressentie à certains moments de la façon la plus pressante, le premier mouvement de recomposition a lieu sous la forme d’un retour au passé. Les valeurs les plus fondamentales les plus grossières, les plus directement « utilisables » sont susceptibles, au cours de crises aigues et haineuses, de reprendre un sens dramatique qui semble redonner une couleur réelle à l’existence commune. Alors qu’il s’agit, dans l’ensemble, d’une opération dans laquelle les valeurs affectives mises en jeu sont en grandes parties « utilisés » à d’autres fins qu’elles-mêmes. C’est par un ressemelage permettant à l’existence de marcher à nouveau droit sous le fouet de la dure nécessité que commence la RECOMPOSITION DES VALEURS SACREES . Les pharaons restaurés, les césars romains et les chefs des partis révolutionnaires qui ont aujourd’hui envoûté la moitié des habitants de l’Europe ont répondu à l’espoir de fonder à nouveau la vie sur une impulsion irraisonnée. Mais la somme de contrainte nécessaire à maintenir des constructions trop rapidement imposées en marque le caractère profondément décevant. Dans la mesure où persiste la nostalgie d’une communauté où chaque être trouverait quelque chose de plus tragiquement tendu qu’en elle-même, dans cette mesure, le souci de la récupération du monde perdu, qui a joué un rôle dans la genèse du fascisme, n’a pour aboutissement que la discipline militaire et l’apaisement limité que donne une brutalité détruisant avec rage tout ce qu’elle n’a pas la puissance de séduire.

Or ce qui suffit à une fraction, qui peut être dominante, n’est plus que déchirement et duperie si l’on considère toute la communauté vivante des êtres. Cette communauté ne demande pas le sort semblable des différentes parties qu’elle rassemble, mais elle exige avoir pour fin ce qui unit et s’impose avec violence « sans aliéner la vie », sans la conduire à la répétition des actes émasculés et des formules morales extérieures. Les éclats brefs du fascisme, qui sont commandés par la peur, ne peuvent pas tromper une exigence aussi vraie, aussi emportée, aussi avide. »

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