« La solution fasciste »
Mais la connexion étroite de
la volonté de retrouver la vie perdue et de la dépression mentale aveulissante
n’est pas seulement l’occasion d’échecs tragiques : elle constitue une
prime aux solutions vulgaires et faciles dont le succès semble tout d’abord
assuré à l’exclusion de tout autre. Puisqu’il s’agit de retrouver ce qui avait
autrefois existé et dont les éléments sont vieillis ou morts, le plus simple
est de redonner la vie dans des circonstances favorables à ce qui subsiste. Il
est plus court de restaurer que de créer et comme la nécessité d’une cohésion
sociale renouvelée peut être ressentie à certains moments de la façon la plus
pressante, le premier mouvement de recomposition a lieu sous la forme d’un
retour au passé. Les valeurs les plus fondamentales les plus grossières, les
plus directement « utilisables » sont susceptibles, au cours de
crises aigues et haineuses, de reprendre un sens dramatique qui semble redonner
une couleur réelle à l’existence commune. Alors qu’il s’agit, dans l’ensemble,
d’une opération dans laquelle les valeurs affectives mises en jeu sont en
grandes parties « utilisés » à d’autres fins qu’elles-mêmes. C’est
par un ressemelage permettant à l’existence de marcher à nouveau droit sous le
fouet de la dure nécessité que commence la RECOMPOSITION DES VALEURS SACREES .
Les pharaons restaurés, les césars romains et les chefs des partis
révolutionnaires qui ont aujourd’hui envoûté la moitié des habitants de l’Europe
ont répondu à l’espoir de fonder à nouveau la vie sur une impulsion irraisonnée.
Mais la somme de contrainte nécessaire à maintenir des constructions trop
rapidement imposées en marque le caractère profondément décevant. Dans la
mesure où persiste la nostalgie d’une communauté où chaque être trouverait
quelque chose de plus tragiquement tendu qu’en elle-même, dans cette mesure, le
souci de la récupération du monde perdu, qui a joué un rôle dans la genèse du
fascisme, n’a pour aboutissement que la discipline militaire et l’apaisement
limité que donne une brutalité détruisant avec rage tout ce qu’elle n’a pas la
puissance de séduire.
Or ce qui suffit à une
fraction, qui peut être dominante, n’est plus que déchirement et duperie si l’on
considère toute la communauté vivante des êtres. Cette communauté ne demande
pas le sort semblable des différentes parties qu’elle rassemble, mais elle
exige avoir pour fin ce qui unit et s’impose avec violence « sans aliéner
la vie », sans la conduire à la répétition des actes émasculés et des
formules morales extérieures. Les éclats brefs du fascisme, qui sont commandés
par la peur, ne peuvent pas tromper une exigence aussi vraie, aussi emportée,
aussi avide. »
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