samedi 16 juillet 2022

Stig Dagerman ( 1923 - 1954) " Notre besoin de consolation est impossible a rassasier" partie 1

 Je suis dépourvu de foi et ne puis donc être heureux, car un homme qui risque de craindre que sa vie soit une errance absurde vers une mort certaine ne peut être heureux. Je n'ai reçu en héritage ni Dieu, ni point fixe sur la terre d'où je puisse attirer l'attention d'un dieu: on ne m'a pas non plus légué la fureur bien déguisée du sceptique, les ruses du sioux du rationaliste ou la candeur ardente de l'athée. je n'ose donc jeter la pierre ni à celle qui croit en des choses qui ne m'inspirent que le doute, ni à celui qui cultive son doute comme si celui-ci n'était pas, lui aussi, entouré de ténèbres. Cette pierre l'atteindrait moi-même car je suis bien certain d'une chose: le besoin de consolation que connait l'être humain est impossible à rassasier.

En ce qui me concerne, je traque la consolation comme le chasseur traque le gibier. Partout où je crois l'apercevoir dans la forêt, je tire. Souvent je n'atteins que le vide mais, une fois de temps en temps, une proie tombe à mes pieds. Et, comme je sais que la consolation ne dure que le temps d'un souffle de vent dans la cime d'un arbre, je me dépêche de m'emparer de ma victime.

Qu'ai-je alors entre mes bras?

Puisque je suis solitaire: une femme aimée ou un compagnon de voyage malheureux. Puisque je suis poète: un arc de mots que je ressens de la joie et de l'effroi à bander. Puisque je suis prisonnier: un aperçu soudain de la liberté. Puisque je suis menacé par la mort: un animal vivant et bien chaud, un coeur qui bat de façon sarcastique. Puisque je suis menacé par la mer: Un récif de granit bien sûr.

Mais il y a aussi des consolations qui viennent à moi sans y être conviées et qui remplissent ma chambre de chuchotements odieux: je suis ton plaisir - aime les tous! je suis ton talent - fais-en aussi mauvais usage que de toi-même! je suis ton désir de jouissance - seuls vivent les gourmets! je suis ta solitude - méprise les hommes! je suis ton aspiration à la mort - alors tranche!

Le fil du rasoir est bien étroit. Je vois ma vie menacée par deux périls: par les bouches avides de la gourmandise, de l'autre par l'amertume de l'avarice qui se nourrit d'elle-même. Mais je tiens à refuser de choisir entre l'orgie et l'ascèse, même si je dois pour cela subir le supplice du gril de mes désirs. Pour moi, il ne suffit pas de savoir que, puisque nous ne sommes pas libres de nos actes, tout est excusable. Ce que je cherche, ce n'est pas une excuse à ma vie mais exactement le contraire d'une excuse: le pardon. L'idée me vient finalement que toute consolation ne prenant pas en compte ma liberté est trompeuse, qu'elle n'est que l'image réfléchie de mon désespoir. En effet, lorsque mon désespoir me dit: perds confiance, car chaque jour n'est qu'une trêve entre deux nuits, la fausse consolation me crie: espère, car chaque nuit n'est qu'une trêve entre deux jours.

Mais l'humanité n'a que faire d'une consolation en forme de mot d'esprit: elle a besoin d'une consolation qui illumine. Et celui qui souhaite devenir mauvais, c'est-à-dire devenir un homme qui agisse comme si toutes les actions étaient défendables, doit au moins avoir la bonté de le remarquer lorsqu'il y parvient.

Personne ne peut énumérer tous les cas où la consolation est une nécessité. Personne ne sait quand tombera le crépuscule et la vie n'est pas un problème qui puisse être résolu en divisant la lumière par l'obscurité et les jours par les nuits, c'est un voyage imprévisible entre des lieux qui n'existent pas. je peux, par exemple, marcher sur le rivage et ressentir tout à coup le défi effroyable que l'éternité lance à mon existence dans le mouvement perpétuel de la mer et dans la fuite perpétuelle du vent. Que  devient alors le temps, si ce n'est une consolation pour le fait que rien de ce qui est humain ne dure - et quelle misérable consolation, qui n'enrichit que les Suisses!

Je peux rester assis devant un feu dans la pièce la moins exposée de toutes au danger et sentir soudain la mort me cerner. Elle se trouve dans le feu, dans tous les objets pointus qui m'entourent, dans le poids du toit et dans la masse des murs, elle se trouve dans l'eau, dans la neige, dans la chaleur et dans mon sang. Que devient alors le sentiment humain de sécurité si ce n'est une consolation pour le fait que la mort est ce qu'il y a de proche de la vie - et quelle misérable consolation, qui ne fait que nous rappeler ce qu'elle veut nous faire oublier!

Je peux remplir toutes mes pages blanches avec les plus belles combinaisons de mots que puisse imaginer mon cerveau. Etant donné que je cherche à m'assurer que ma vie n'est pas absurde et que je ne suis pas seul sur la terre, je rassemble tous ces mots en un livre et je l'offre au monde. En retour, celui-ci me donne la richesse, la gloire et le silence. Mais que puis-je bien faire de cet argent et quel plaisir puis-je prendre à contribuer au progrès de la littérature - je ne désire que ce que je n'aurai pas : confirmation de ce que mes mots ont touché le coeur du monde. Que devient alors mon talent si ce n'est une consolation pour le fait que je suis seul - mais quelle épouvantable consolation, qui me fait simplement ressentir ma solitude cinq fois plus fort!

Je peux voir la liberté incarnée dans un animal qui traverse rapidement une clairière et entendre une voix qui chuchote: vis simplement, prends ce que tu désires et n'aie pas peur des lois! Mais qu'est ce que ce bon conseil si ce n'est une consolation pour le fait que la liberté n'existe pas - et quelle impitoyable consolation pour celui qui s'avise que l'être humain doit mettre des millions d'années à devenir un lézard!

Pour finir, je peux m'apercevoir que cette terre est une fosse commune dans laquelle le roi Salomon, Ophélie et Himmler reposent côte à côte. je peux en conclure que le bourreau et la malheureuse jouissent de la même mort que le sage, et que la mort peut nous faire l'effet d'une consolation pour une vie manquée. Mais quelle atroce consolation pour celui qui voudrait voir dans la vie une consolation pour la mort!



Stig Dagerman: un condamné à vivre s'est échappé partie 2

 Marié et presque au pinacle malgré son jeune âge, Dagerman est-il pour autant satisfait de lui-même? Un auteur peut-il vraiment l'être d'ailleurs? Avant de se pencher sur sa caractéristique morale majeure, à savoir celle de cohabiter en son âme et conscience avec une duègne protestante lui infligeant des coups de martinet et criant "perfectibilité", il convient de rappeler que la situation politique de l'Europe est à cette époque assez peu portée à l'optimisme. L'échec de l'anarchisme en Espagne, la seconde guerre mondiale et la menace de voir le fascisme dominer le monde avaient effectivement engendré un grand scepticisme vis-à-vis de toutes les idéologies et d'une possible perfectibilité de la nature humaine. Dans la nouvelle "l hiver à Belleville", la réunion des différents personnages prenant le thé dans un minuscule appartement témoigne de l'échec de différentes idéologies politiques, et dans la nouvelle tirée du recueil le froid de la saint-Jean", classes 25 et 23" il tente une clarification sur un désabus générationnel tangible en ces termes: 

"Des jeunes français ont récemment expliqué, dans un magazine parisien, quel effet ça leur faisait d'être nés en 1925. Ca ne leur plaisait pas spécialement. Le principal reproche qu'ils adressaient à leur date de naissance c'était qu'elle les avait plongés dans un dilemme qui nous est si familier que c'en est pénible car chez nous ce dilemme, le dilemme de la neutralité, ne fut pas particulier aux jeunes de vingt-trois ans, mais à tout un peuple. Ils déploraient que d'un côté ils aient été trop âgés pour avoir pu vivre la guerre uniquement en tant qu'enfants et de l'autre qu'ils aient été trop jeunes pour pouvoir participer à la Libération, et ils enviaient leurs aînés de quelques années, qui, eux, avaient pu le faire. [...] Nous savons, bien sûr, que le fait d'appartenir à la classe 23 n'a rien de particulièrement remarquable en soi. Pas plus que le fait d'être jeune, en général. [...] Peut-être manquerons-nous ainsi d'expérience, car l'expérience c'est avant tout se souvenir des bêtises que l'on a faites. Par contre, il est possible que nous ayons un peu  de ce qu'Eyvind Johnson a appelé la sagesse de la jeunesse. Je crois que c'est une forme nouvelle de sagesse qui vient de ce que nous n'avons pas eu le temps de nous habituer à l'idée que la vie est peut-être un désert. Voilà pourquoi ce ne sont pas les oasis qui nous fascinent le plus. Nous sommes plus émus par le sable lui-même. C'est sans doute une erreur que d'appeler ça du pessismisme. C'est au contraire un moyen d'exploiter les avantages que nous offre notre manque d'expérience. Et c'est, de plus, un moyen de refuser la façon distinguée d'être blasé de ces gens dont on dit qu'ils ont une vision de la vie".


Us et abus de la culpabilité

Effectivement, la neutralité suédoise évacuait la facilité d'un but existentiel tout trouvé: avoir l'impression d'appartenir au clan du bien en luttant pour la liberté de son pays et la survie des siens, combattre au nom de l'idéal de la liberté. La jeune génération3 s'attela à débusquer et à lutter contre un autre déguisement du mal, plus difficile à combattre car diffus et insidieux, celui de la misère engendrée par l'exploitation de l'homme par l'homme. Elle était mue par la conviction intime du sujet ordinaire d'être une source de valeur digne de légitimité et capable d'agir, ce que George Orwell nomme la common decency (la décence commune): une force de résistance à l'intolérable, une verrue première capable de faire face aux violences extérieures exercées contre l'intégrité et les croyances fondamentales de l'être social et pensant. Malheureusement, face à l'échec de l'anarchisme, la toute relative "liberté" de la génération de Stig Dagerman déboucha sur un sentiment d'absurde, arc-boutant une tendance déjà ^présente chez l'auteur: son clinamen à l'intranquillité. Si la lutte groupée s'était avérée infertile, restait la lutte individuelle. Lutte bien plus ardue au demeurant car sans RTT et relevant de critères moraux individuels.

En libérant les chrétiens du joug d'un clergé envisagé comme corrompu, en mes rendant à la gratuité de toute action puisque les sauvés sont connus de toute éternité, Martin Luther a favorisé le développement de l'instant présent et l'émergence de l'idée de l'individu. C'est dans cette gratuité de l'être au monde que les silhouettes s'aperçoivent le mieux, et la trop grande acuité spirituelle d'un homme sur lui-même peut mener à sa paralysie. Comment face à la tentation de l'éparpillement ne pas s'infliger la torture d'un cilice spirituel de chaque instant? Par la compassion, cette compassion que Stig Dagerman mettait si bien en oeuvre vis-à-vis des autres âmes, mais dont il était complètement dépourvu à son égard. Ce fut cette culpabilité déjà présente chez lui. Sans jamais céder au cynisme ( puisque pour cela il faut avoir des certitudes sur soi-même et sur le monde), Dagerman s'auto-diagnostiquait avec humour dans plusieurs textes où il faisait son propre procès, éclaircissant ce qu'il se reprochait le plus en tant qu'écrivain:

"Sans appartenir à cette catégorie douteuse d'écrivains qui gâchent volontiers leur talent, leur morale, le respect qu'ils ont d'eux-mêmes, leur réputation et pour finir la confiance du public -car même en littéraire, la justice triomphe toujours-, Stig Dagerman se trouve malgré tout en état de dépendance, tant vis-à-vis de la critique littéraire que du public moins exigeant. [...] Une double peur l'a poussé à écrire des livres et à adopter des positions qui, certes, ne sont pas médiocres en soi, mais qui, du fait de leur absence de sincérité, manquent de teneur réelle et de consistance. Cette double peur, c'est d'une part la crainte de nuire à son prestige littéraire - comme si la sincérité, même brutale, n'était pas la condition propre à ce prestige -, d'autre part la crainte de voir diminuer ses revenus".

Son auto tyrannie face à sa supputée paresse, son ennui face à toute forme de représentation publique, sa lassitude vis-à-vis de sa casquette de journaliste le menèrent à être traité dès 1950 à la clinique psychiatrique de l'hôpital universitaire de Stockholm. Après deux premières tentatives de suicide, ce fut le 4 novembre 1954 que le condamné Dagerman s'échappa définitivement de chez les vivants.

"Je quitte et des rêves immuables et des liaisons instables. Je quitte une carrière prometteuse qui m'a promis et mon propre mépris et la considération générale. Je quitte une mauvais réputation et la promesse d'une réputation pire encore. Je quitte quelques centaines de milliers de mots, certains écrits avec plaisir, la plupart écrits avec ennui et pour de l'argent. je quitte une situation financière misérable, une position irrésolue face aux problèmes de notre temps, un double usagé, mais de bonne qualité et l'espoir d'une délivrance".

Stig Dagerman: un condamné à vivre s'est échappé partie 1

 "Je mendie la réconciliation et la fraternité, mais tout ce que j'obtiendrai ne sera qu'une appréciation esthétique. Oui, pendant un bref instant cette consolation arrive même à convaincre ce qui est selon moi le pire des maux: avoir peur des hommes et écrire pour de l'argent".

Stig Dagerman  ennuis de noce

En 1951, sort Monika, fil m d'Ingmar Bergman mettant en scène ma toute jeune Harriet Andersson et relatant l'histoire triviale d'un jeune couple ^pris dans le manège d'un quotidien désargenté. En 1954, la Suède est en deuil, Stig Dagerman, chantre des foyers modestes, des couples besogneux et des enfants sans jeunesse, s'est suicidé. Il avait 31 ans et laisse derrière lui quantité de nouvelles, articles, pièces et romans d'une originalité d'approche et d'une densité morale rarement égalées. Quel rapport entre les deux concitoyens? Une vision existentielle commune, s'exprimant par le biais de grammaires différentes. Fi des rodomontades stylistiques, des intrigues à soubresauts, ce que donnent à montrer les deux contemporains suédois, c'est la toile des contingences dans laquelle les hommes se meuvent et qu'ils contribuent à tisser. Ce qui leur importe: donner à voir et à saisir, le plus directement possible, l'instant décisif où une nature se saisit elle-même, lorsque, même par un acte semblant anodin, elle accomplit ce qu'elle était en puissance et avalise le salut ou la damnation à laquelle elle était déjà vouée, protestantisme oblige. Cette subreptice lucidité individuelle, c'est, chez Bergman, Monika qui, enfreignant une règle cinématographique tacite qui veut que le regard caméra soit honni, prend le spectateur à partie, lui murmurant du gros plan de ses prunelles fixes "Eh oui, je suis ainsi fait", alors qu'elle vient de décider de tromper son mari, lui qui pourvoyait aux besoins du ménage et qui élèvera seul leur fillette.

A quoi tient un destin! C'est au détour d'une légère lâcheté, d'une nouvelle paresse, d'une impromptue réaction d'orgueil ou de la faillibilité" face au désir d'un énième verre d'alcool qu'il se scelle: ne dit-on pas après tout que c'est dans les détails que le diable se cache? Pour mettre en lumière cet instant capital faisant la lumière sur ce que l'on subodorait du personnage. Dagerman use du flux de conscience et de la temporalité présente pour asseoir son action et installer son lecteur dans un suspense voyeuriste. Ce personnage est encore libre de...susurre sa structure écrite "du dedans", dans une langue épurée et s'appesantissant en un slow motion sur les détails de la surface d'un monde attendant d'être vue, sentie et éprouvée - telles une barque dérivant sur un lac, une inscription sur le mur d'une grange ou une paire de bottes dans un placard ayant appartenu à un défunt. La ruse, chez Dagerman, consiste à faire espérer le lecteur, ce pourquoi il évite le poncif du narrateur omniscient et l'usage d'un imparfait signifiant que les dés ont déjà été jetés. Des livres indisciplinés, ambitieux et se faisant la caisse de résonance de personnages si originaux, derrière leur simplicité apparente, qu'ils se soustraient à toute analyse psychologique banale. Voici ce que recèlent les écrits de Dagerman.

Il est intéressant de noter que George Orwell avait tenté d'établir une analyse de l'influence de la mentalité protestante sur le style et la structure des ouvrages des écrivains issus de ces sociétés. Selon lui, le roman était LA grande forme d'art protestante, car anarchique, produite qu'elle l'était par l'esprit libre d'un individu autonome. L'expérience sensible étant le fondement de toute connaissance ( mouvement des empiristes), les idées naissaient de l'expérience et de l'intuition immédiate de l'écrivain, immédiateté qu'il importait de restituer grâce à un style le plus simple et direct possible; la bonne prose ayant la "transparence de la vitre propre. Ce style simple, direct, transparent et matriciel car émanant directement du plus profond de l'âme de ses personnages, Stig Dagerman le maniait à la perfection. Comme il l'explicitait dans l'incipit d' Ennuis de noce: "je veux offrir un panorama sur une étendue d'eau demeurée jusqu'ici inconnue de la plupart des gens, mais qui je crois vaut la peine d'être découverte d'en haut".

un anarchisme chrétien

Si les personnages de Dagerman sont avant tout prédestinés moralement, l'auteur se penche également sur la prédestination sociale de tout un pan de la population, celui des travailleurs des villes et des campagnes, une classe populaire asservie et livrée à elle-même car réifiée ou déniée par les bourgeois amenés à la croiser. Dans une latence horizontale, consubstantielle à l'impossibilité d'une quelconque ascension sociales, les jeunes et les vieux se relaient dans l'aléa des tâches et des repos, face à des bas de laine dévorés par le coût des bouteilles d'alcool fort, les bouches à nourrir, les noces et les enterrements à organiser. Ce milieu populaire, Stig Dagerman l'a bien connu, lui qui est né en 1923 à Alvkarleby, à 150 kilomètres au nord de Stockholm, d'un père poseur de rails et d'une mère télégraphiste qui, après lui avoir donné naissance chez ses beaux-parents, leur abandonna l'enfant de quelques semaines afin de pouvoir reprendre son travail. Le mariage avec le père ne se faisant pas, l'abandon devint définitif et Stig grandit seul dans la ferme de ses grands-parents, couple austère, mais aimant, dans une ambiance surannée et confite d'un fort esprit religieux qui aiguisa son sens de l'observation. En 1932, il rejoint son père à Stockholm. Celui-ci vient de se marier ( sa femme est enceinte) et travaille désormais pour les services municipaux de la ville. Ils logeront tous dans un appartement une pièce où Stig occupera la cuisine en guise de chambre.

Son enfance, il la décrit dans ces nouvelles réunies dans le froid de le Saint-Jean, dans tuer un enfant;, dans l'enfant brûlé où il met en scènes les relations largement romancées qu'il entretient avec sa belle-mère et dans ennuis de noce où la mariée, enceinte, décide, contrairement à sa mère, de rester et d'assumer les responsabilités familiales qui incombent à son union. Son enfance, c'est ne 1940 qu'elle s'échève avec la mort du grand-père, assassiné par un fou l'accusant de l'avoir ensorcelé. Il est de peu suivi par sa grand-mère qui décède suite au choc éprouvé. L'âge adulte sonne à la porte et les petits boulots s'accumulent. La nature du jeune homme s'aiguise au fil des mois, et en 1941 il s'inscrit au cercle de la jeunesse syndicaliste où il milite activement pour ( en 1943) finir, en tant que journaliste, par s'occuper de la section culturelle du quotidien anarcho-syndicaliste suédois Arbetaren (le travailleur).

Le voilà lancé, le succès sera quasi immédiat: dès son premier roman, le serpent, publié en 1945, Dagerman est considéré comme l'aède combatif de la nouvelle vague littéraire suédoise.

Stig Dagerman

 




Stig Dagerman, né Stig Halvard Jansson, le 5 octobre 1923 à Alavkarleby, et mort le 4 novembre 1954 à Danderyd, est un écrivain et journaliste libertaire suédois..

Il est l'un des écrivains suédois les plus importants des années 1940. De 1945 à 1949, il publie, avec un succès considérable, un grand nombre d'œuvres littéraires et journalistiques. Puis soudain, et sans raison connue, il cesse d'écrire. Il se suicide à l'automne 1954.


Fils d'un ouvrier, et abandonné tout petit par sa mère, il est élevé par ses grands-parents à la campagne. Il arrive à Stockholm en 1932 pour vivre avec son père et finir ses études. Il s’inscrit aux jeunesses syndicalistes de Stockholm en 1941.

Il amorce sa carrière littéraire en 1941, d'abord comme journaliste pour des journaux syndicaux. Il s'occupe de la section culturelle du journal Arbetaren  où il rencontre Albert Jensen, une figure du syndicalisme mondial, et de la revue Storm. Il change son nom pour Dagerman (Dager signifie lumière du jour, espoir).

En août 1943, il épouse Annemarie Götze, fille de réfugiés allemands, pour qu'elle puisse bénéficier de la nationalité suédoise et rester en Suède, son père, militant anarcho-syndicaliste, étant activement recherché en Allemagne. Deux fils naissent de leur union. Le recueil de chroniques Automne allemand (Tysk Höst), qui a pour toile de fond l'après-guerre tragique de l'Allemagne, est dédié à Annemarie.

En 1945, la parution de son premier roman, Le Serpent (Ormen), où déjà apparaît le thème du suicide, le consacre comme le porte-drapeau de la nouvelle vague littéraire suédoise.

En 1946-1947, il est envoyé en Allemagne « année 1 » pour constater les dégâts des bombardements et témoigner pour son journal de la misère et de la pauvreté qui y règnent. Anarchiste engagé, il rentre dans les caves inondées où vivent les rescapés de la tragédie nazie, témoigne des conditions infernales, de la famine, de la haine et de la souffrance, sans pour autant oublier l'horreur d'hier.

Romans et succès littéraires se succèdent ensuite pendant quatre ans. Mais à partir de 1949, Dagerman se trouve dans l'incapacité d'écrire. Divorcé d'Annemarie en 1950, remarié en 1953avec l'actrice Anita Bjork, trop accaparé par sa vie sentimentale, il a la certitude de ne pas être à la hauteur des espoirs que le public avait mis en lui.

Dépressif depuis longtemps, il se suicide, le 4 novembre 1954, dans le garage de sa résidence, en banlieue de Stockholm.

Il laisse dans le deuil sa femme et ses enfants, dont sa fille Lo (née en 1951) qui est la mère de Dan Levy Dagerman, acteur et metteur en scène basé à Los Angeles2.


Dans son œuvre, Dagerman aborde les grandes préoccupations universelles telles que la moralité et la conscience , la sexualité, la philosophie sociale, l'amour, la compassion, motions telles que la peur, la culpabilité et la solitude. Mais ces sujets qu'on peut qualifier de graves n'empêchent pas un véritable sens de l'humour qui donne à certains de ses textes une dimension burlesque ou satirique.

Un regain d'intérêt pour l'œuvre et la vie de Stig Dagerman revient dans les années 1980. Son œuvre complète, réunie en onze volumes, est maintenant disponible.

Des artistes, tant en Suède qu'à l'étranger, mettent ses textes en musique. Plusieurs de ses nouvelles et romans ont été adaptés au cinéma.

L'œuvre de Dagerman, traduite en plusieurs langues, s'est révélée une source d'inspiration pour les lecteurs, écrivains, musiciens et cinéastes de Suède et d'ailleurs.


En Suède, la société Stig Dagerman attribue chaque année un prix portant son nom aux personnes qui, comme lui, cherchent à promouvoir la compréhension. En 2008, le prix Stig Dagerman a été remis à l'écrivain français J.M. Le Clézio, qui, peu de temps après, a aussi reçu le prix nobel de littérature.

jeudi 14 juillet 2022

L' ile de la Rose : micronation

 

Pendant une courte période, la République espérantiste de l'Île de la Rose (en espéranto : Esperantista respubliko de la Insulo de la Rozoj) a existé en tant que micronation au large de la côte de la province italienne de Forlì, dans la mer Adriatique.

L'affaire débute en 1964, quand un ingénieur italien, nommé Giorgio Rosa, reçoit la permission de tester une nouvelle technique pour la construction d'une grande plateforme de 400 m2 dans la mer Adriatique, à quelques kilomètres de la côte italienne. Cette île artificielle est soutenue par des colonnes fortifiées s'appuyant sur le fond de la mer.

Le  mai 1968, l'île artificielle déclare son statut d'État indépendant. L'évolution de la plateforme et ses utilisations scientifiques sont restées mal connues, mais il semble qu'il y a eu un restaurant, une boîte de nuit, un magasin de souvenirs et un bureau de poste, ainsi que, peut-être, une station de radio enfreignant les lois italiennes. Il semble aussi qu'un petit groupe d'individus avait racheté l'île à Giorgio Rosa.

La souveraineté de l'île est marquée par la frappe d'une monnaie, d'un timbre postal, et la création d'un nouveau drapeau (le drapeau est de couleur orange, avec en son centre un bouclier blanc orné de trois roses). Le nom officiel du nouveau pays est Esperantista respubliko de la Insulo de la Rozoj, en espéranto, qui est la langue officielle, afin de montrer le caractère international de l'île. Le nom est par ailleurs choisi en référence au patronyme de Giorgio Rosa, qui signifie « Rose » en italien (le nom en espéranto utilise toutefois le pluriel, rozoj, de même que pour la traduction italienne, rose).

Le gouvernement italien, cependant, n'apprécie pas la constitution de ce nouveau pays, situé à seulement 12 km des côtes de Rimini, dans les eaux internationales et à 500 m au-delà des eaux italiennes1,2. Le  juillet 1968, des représentants officiels du gouvernement italien viennent sur la plateforme et en prennent le contrôle. Le  février 1969, et contrairement à la volonté des propriétaires, la plateforme est détruite

 

bibliothèque Fahrenheit 451

 

DE SEL ET DE SANG

Le massacre des Italiens d’Aigues-Mortes, le 17 août 1893, raconté en bande dessinée. Une rumeur enflamme et déchaîne la colère de la population, déclenche « la chasse à l’ours ». « Dans cette ville où certains se gavent d’or blanc depuis des siècles », la boulangère, courageuse et digne, relate ces tragiques événements dont elle a été directement témoin.

Les rapports de classes et d’exploitation, l’antagonisme entre les trimards et les piémontais, sont parfaitement mis en scène : « Les beaux messieurs qui s'en mettent plein les poches sur notre dos… ça les arrange bien qu'on se bouffe le nez des autres ! ». La responsabilité de l’idée d’identité nationale, alors en pleine naissance, (déjà !) instrumentalisée par une classe politique multipliant les discours patriotiques, et une presse en plein développement qui utilisa les faits divers pour créer une connivence entre « eux » et « nous », suivant un clivage criminel/victime, n’est que peu suggérée. Quelques une des journaux, par exemple, glissées à droite à gauche aurait pu suffire pour préciser cette ambiance.

Étrange tout de même que surgissent de la foule déchainée des cris comme « Vive Ravachol ! » et « Vive l’anarchie ! ». Ceci laisse entendre une certaine politisation qui n’a strictement rien à voir avec les « revendications ». C’est un peu malhonnête.

Frédéric Paronuzzi dessine des corps harassés, écrasés par la chaleur et l’effort, des visages déchirés par la haine ou la douleur. Il en reste cependant fort pudiquement aux plans relativement larges lors des assauts. Il parvient à rendre omniprésente la lumière du soleil grâce à son utilisation d'une gamme réduite de couleurs.
Un rapide dossier vient apporter quelques précisions contextuelles.

De Sang et de sel montre parfaitement comment la folie peut s’emparer d’une foule… même si la narratrice prétend le contraire !

Ernest London
Le bibliothécaire-armurier


DE SEL ET DE SANG
Vincent Djinda et Frédéric Paronuzzi
144 pages – 22 euros.
Éditions Les Arènes – Paris – Mai 2022

mercredi 13 juillet 2022

Bibliothèque Fahrenheit 451

 

PRINTEMPS SILENCIEUX

Paru en 1962, Printemps silencieux marque la naissance du mouvement écologique. En dénonçant les dangers invisibles des pesticides et autres produits chimiques, Rachel Carson provoqua alors l’interdiction du DDT aux États-Unis.
Des centaines de millions d’années ont été nécessaires pour produire la vie sur la Terre. Animaux et végétaux se sont développés, ont évolué et se sont diversifiés pendant des siècles. La rapidité actuelle des changements, la vitesse à laquelle se créent des situations nouvelles ne laissent plus à la vie le temps de s’adapter. Contrairement aux minéraux arrachés aux roches et transportés par les cours d’eau, les produits de synthèses imaginés par l’homme et fabriqués dans ses laboratoires pour tuer les insectes, les mauvaises herbes et tout ce qu’il considère comme « nuisible », n’ont pas d’équivalent naturel et ne laisse pas le temps à la nature de s’adapter à eux. Cinq cents nouveaux produits sont produits chaque année aux États-Unis. Un usage sans cesse croissant des pesticides est nécessaire pour maintenir à son niveau la production agricole, bien qu’il faille déjà gérer une surproduction croissante. « Tout au long de l’agriculture prémoderne, les insectes ne posaient quasiment pas de problèmes aux paysans. Les ennuis sont apparus avec l’intensification de l’agriculture – lorsque l’on a commencé à consacrer d’immenses superficies à une seule récolte. » La dissémination des espèces végétales hors de leur territoire d'origine s'accompagne toujours d'une introduction d'insectes qui, libérés des agents naturels qui limitaient leur expansion, se multiplient considérablement. Rachel Carson ne réclame pas l'interdiction totale des insecticides chimiques mais dénonce l'ignorance de leurs utilisateurs et celle de tous ceux qui sont en contact à leur insu avec ces poisons. « Notre époque est celle de la spécialisation ; chacun ne voit que son petit domaine, et ignore ou méprise l’ensemble plus large où cependant il vit. Notre époque est aussi celle de l’industrie ; personne ne conteste à son prochain le droit de gagner un dollar, quelles que soient les conséquences. »

Elle revient sur l’origine militaire de l’industrie chimique et son développement après la Seconde Guerre mondiale, aux dépends des pesticides inorganiques utilisés jusque-là. Les insecticides de synthèse, beaucoup plus dangereux, se répartissent en deux groupes : les hydrocarbures chlorurés (dont le DDT) et les corps phosphorés organiques (malathion et parathion par exemple). Les substances chlorurés sont si actives qu'une quantité infime peut provoquer des altérations considérables dans les corps vivants. Pénétrant dans l’organisme, elles s'accumulent sans s’éliminer, notamment dans les graisses, et constituent une menace d'empoisonnement chronique et de dégénérescence des organes comme le foie ou les reins. Elles passent d’un organisme à l'autre en suivant la chaîne alimentaire. Rachel Carson présente les caractéristiques et les particularités de quelques produits : la dieldrine, l’aldrine, l’endrine. Quant aux phosphores organiques, ils détruisent les enzymes, dont le travail est indispensable à la vie. De plus l'interaction entre deux produits dangereux multiplie leurs effets.
Elle explique comment la pollution des eaux est une menace de contamination générale. De même, le fragile équilibre des sols, entretenu par une myriade d’organismes (bactéries, champignons, spirogyres, acariens et insectes primitifs, vers de terre, etc), est également menacé par ces poisons, tout comme le « manteau végétal » qui soutient la vie animale de la Terre. Au contraire des aspersions chimiques, qui doivent être répétées, l’action biologique est moins onéreuse et moins dangereuse : la limitation des végétaux, comme la lutte contre certains organismes, peuvent être résolues par l’observation et l’imitation de la nature. Elle donne plusieurs exemples de campagne de pulvérisation, leurs désastreuses conséquences et des solutions biologiques qui paraissent infiniment plus adaptées. « Ces insecticides ne sont pas des poisons sélectifs ; ils n’identifient pas l’espèce particulière que nous voulons supprimer ; on les utilise uniquement à cause de leur virulence. Ils détruisent toutes les vies qu’ils rencontrent : le chat dans la maison, le bétail dans la ferme, le lapin dans le champ, l’alouette dans le ciel. » Les oiseaux qui, pourtant, ralentissent la multiplication des insectes, sont victimes des pulvérisations qui les intoxiquent et suppriment leurs aliments. La contamination des denrées alimentaires, par exemple, parait difficile à réglementer du fait que l’addition de doses « inoffensives » conduise à des intoxications impossibles à mesurer. Aussi Rachel Carson propose-t-elle « la suppression de toute tolérance sur tous les toxiques violents ». « Dans les circonstances présentes, notre sort n'est guère plus enviable que celui des invités des Borgia. » Les effets différés de petites quantités de pesticides invisibles absorbées par l'ensemble de la population, sont particulièrement inquiétants. Et jamais, pendant le derniers milliard d’années, menace n'a pesé, aussi lourde et directe, sur « l'exactitude presque inimaginable » de la transmission héréditaire, que celle des radiations et des produits chimiques créés et répandus par l’homme. La résistance des insectes aux produits représente elle aussi un sérieux danger.
Les recherches sur les méthodes biologiques dans les universités ne sont pas subventionnées car n'offrent pas les fortunes promises par les produits chimiques. Pourtant, pour garantir la préservation de notre terre, Rachel Carson soutient la nécessité d’élaborer des « armes nouvelles à partir des caractéristiques biologiques des insectes eux-mêmes ». Et les exemples ne manquent pas.

Ouvrage d'une prodigieuse limpidité. S'il permit en son temps, par son succès public, une prise de conscience massive et l'interdiction du DDT aux États-Unis, l'usage des insecticides n’en demeure pas moins prédominant, soixante ans plus tard. Comme pour 
NOTRE ENVIRONNEMENT SYNTHÉTIQUE - La Naissance de l’écologie politique de Murray Bookchin, paru six mois plus tôt, ou le Rapport Meadows en 1972, il semble que ces alertes lointaines soient restées lettre morte. Que de temps perdu !


Ernest London
Le bibliothécaire-armurier


PRINTEMPS SILENCIEUX
Rachel Carson
Traduction de Jean-François Gravand révisée par Baptiste Lanaspeze
Préface d’Al Gore
336 pages – 20 euros
Éditions Wildproject – Marseille – Mai 2022
wildproject.org/livres/printemps-silencieux-60
Titre original : Silent Spring, 1962