mardi 28 août 2018

Bernard Lavilliers Gentilshommes de fortune

J'ai oublié jusqu'à mon nom
En grattant de mes doigts fragiles
Jusqu'au plus profond de l'argile
Pour trouver l'or de Salomon

On est des milliers dans la mine
Tremblants de cette fièvre d'or
On creusera jusqu'à la mort
Pour cette couleur assassine

Le soleil est au fond du trou
Qui suinte l'eau et la vermine
On est des milliers dans la mine
Accrochés à ce rêve fou

Le silence des jungles
A recouvert les corps
Des indiens massacrés
Aux frontières colombiennes

Quand plane le curare
Et crache le FM
Quand passent les barbares
Sur les corps des indiennes
Tu sais, l'odeur du sang
Et de l'or est la même

Mais la vierge amazone
Ne s'est jamais donnée
Qu'à quelques gentilshommes
Qui n'ont rien demandé
Rien demandé

Saigne la boue, monte l'échelle
Les yeux creusés, le dos en sang
Quand les sourires n'ont plus de dents
Et que la main colle à la pelle

Et si tu tombes du scorbut
Au fond des jungles du Para
Au bord de Serra Pelada
Tu n'auras pas atteint ton but

T'auras pas supporté le poids
De tous les carats de l'or brut
Les années, les heures, les minutes
Au fond de Serra Pelada

Le silence des jungles
A recouvert les corps
Des indiens massacrés
Aux frontières colombiennes

Quand plane le curare
Et crache le FM
Quand passent les barbares
Sur les corps des indiennes
Tu sais, l'odeur du sang
Et de l'or est la même

Mais la vierge amazone
Ne s'est jamais donnée
Qu'à quelques gentilshommes
Qui n'ont rien demandé
Les uns se sont perdus
Dans le fond des lagunes
Les autres devenus
Gentilshommes de fortune
Ou d'infortune

Bernard Lavilliers Lyons sur Saône

Rue Tupin, les soirs de liesse
Je venais souvent vous voir
Vous me donniez vos caresses
Je vous chantais mon désespoir

Lyon sur Saône, la Secrète
Souterraine, l'Emmurée
Lyon sur Rhône, la Discrète
La Muette, L'Enrhumée

Barbara, c'était un nom de guerre
Je crois Barbara, des rives méditerranéennes
Elle avait échoué là, dans Lyon sur Saône,
La Chrétienne.

T'as des jours où le bas blesse
Pour les prêtresses du trottoir
T'as des jours, il pleut sans cesse
Le long de vos cirés noirs

Lyon sur Bronx des Minguettes
La Violente, l'Emmigrée
Et puis Feyzin la Violette
La Flambante, l'Enfumée
Lyon la Grise, Plein Soleil
C'est rare.

Barbara
A cette heure dans le désert
S'enflamme ton soleil de fer
Et tu craques une allumette violette.

Elle est venue des Minguettes
Jusqu'à Feyzin l'Embrumée
Elle craqua son allumette
Il ne reste que la fumée.
Barbara, tu pensais à quoi
Barbara, j'ai gardé tes allumettes
Je te reverrai plus tard.

La fleur du mal Bernard lavilliers

Laisse courir tes doigts
Sur la colonne vertébrale du piano
J'laisse aller mon âme
J'laisse aller ma peau
Laisse courir tes doigts
Comme sur le dos
D'une femme au repos
Il se couve un drame
Un triste mélo
Une chambre d'hôtel
Le rire des filles, un piano
Je me souviens d'elle
De ses mots
Ecrits sur les fleurs du mal
Mon premier cadeau
Je vous abandonne
Je vous aimais trop

Je vous aimais trop, je vous aimais mal
Je t'aimerai si fort que j'te veux du mal

J'étais tellement près de toi
Que près des autres j'ai froid
Nuit de gel quand le miroir se casse
Sur le faux marbre des bars
Des hôtels de passe
Et j'ai relevé mon col
J'veux plus des mots qui racolent
Je connais la route de la plage
Je suis d'avance quel virage
Me conduit vers la mort

Je vous aimais trop, je vous aimais mal
Je t'aimais si fort que j'te veux du mal

C'est un soir de fièvre
La lumière glacée tout là-haut
Coupée au rasoir
Tombe des rideaux
Un baiser salé
Comme une blessure
Ancienne au couteau
Une histoire d'amour
Qui dure un peu trop
Plus de cigarettes
Des verres cassés, un piano
J'laisse couler mes larmes
Je vous aimais trop
Une chambre d'hôtel
Les fleurs du mal en cadeau
Une blessure nouvelle
Je vous aimais trop

Je vous aimais trop, je vous aimais mal
Je t'aimais si fort que j'te veux du mal

J'était tellement près de toi
Que près des autres j'ai froid
Nuit de gel quand le miroir se casse
Sur le faux marbre des bars
Des hôtels de passe
Et j'ai relevé mon col
J'veux plus des mots qui racolent
Je connais la route de la plage
Me conduit vers la mort

Je vous aimais trop, je vous aimais mal
Je t'aimais si fort que j'te veux du mal

Mais j'en sortirai
Déchiré, perdu
Et je survivrai
Je ne t'aime plus

CONTRE-RÉVOLUTION n. f. Encyclopedie Anarchiste de Sébastien Faure




Pour donner un aperçu de ce que peut être la Contre-Révolution, il serait peut-être utile de définir auparavant ce que nous entendons par « Révolution ». Nous le ferons très brièvement, en quelques mots, en renvoyant le lecteur au mot « Révolution » pour tous enseignements complémentaires.
Le Lachâtre nous dit que la « Révolution » est « le changement subit dans les opinions, dans les choses, dans les affaires publiques, dans l'État » ; quant au « Larousse » il se contente de la définir : « Changement subit dans le Gouvernement d'un État ». ' Il est tout naturel qu'ayant défini le mot Révolution de façon ambiguë et incorrecte, la « Contre-Révolution » soit à son tour déformée dans son esprit et dans sa lettre. Lachâtre nous dit en effet que la Contre-Révolution est « Une Révolution qui a pour tendances de détruire les résultats de celle qui l'a précédée ». Cela peut sembler suffisant à ceux qui se grisent encore de démocratisme et de parlementarisme, mais pour ceux qui ont tant soit peu étudié l'histoire et la vie des diverses révolutions et contre-révolutions du passé, la définition de Lachâtre n'est pas seulement incomplète, elle est erronée.
Pour nous qui pensons que la Révolution est un tout et que rien ne peut en être détaché, qui la considérons comme le moyen de transformation absolue de la société capitaliste, et qui sommes convaincus que pour être efficace elle sera anarchiste ou ne sera pas, nous sommes amenés à dire que la Contre-Révolution, est l'ensemble des éléments qui, au lendemain ou à la veille d'un mouvement révolutionnaire ou insurrectionnel, agissent de façon à entraver l'instauration du Communisme anarchiste.
On peut donc être un facteur de Contre-Révolution avant même que la Révolution ait été déclenchée.
L'erreur que l'on commet assez couramment est de croire que seuls les éléments bourgeois sont un danger pour la Révolution et qu'une fois que ceux-ci sont affaiblis, sinon écrasés, la Révolution peut suivre son cours en toute tranquillité.
Cette erreur fut la cause de bien des désillusions, car si, au lendemain d'un mouvement populaire, le premier travail de salubrité consiste à s'assurer que les forces de réaction capitaliste se trouvent dans l'incapacité de nuire, et que toutes mesures soient prises pour les en empêcher, il est également indispensable de veiller à ce que le peuple en révolte ne se laisse pas entraîner sur le chemin qui le conduirait à un nouvel ordre social vicié à sa base, et qui petit à petit le ramènerait à son point de départ. Lorsque nous disons que la Révolution est un tout, ce n'est pas que nous ayons la naïveté de croire qu'il soit possible d'élaborer dans le plus proche futur la Société Anarchiste. Nous savons que trop de préjugés encrassent encore le cerveau des individus et que les tares transmises par des milliers et des milliers d'années de servitude, seront des facteurs avec lesquels il faudra compter, facteurs de contre-révolution qui entraveront la réalisation immédiate d'une société vraiment anarchiste. Mais ce que nous croyons c'est que la Révolution peut se diviser en deux phases : qu'elle sera premièrement économique, matérielle, et ensuite, intellectuelle et morale. Sur le terrain économique, la Révolution doit établir l'égalité des hommes, égalité alimentaire pourrait-on dire, qui doit servir de fondement à l'évolution morale et intellectuelle des hommes vivant en société. Or, à nos yeux, la Contre-Révolution se présente sous la forme de tout organisme qui, par ses pratiques ou sa propagande, arrête dans sa marche l'oeuvre de destruction des vieux principes autoritaires sur lesquels repose toute l'inégalité économique et sociale des sociétés modernes. Une Révolution laissant subsister une hiérarchie qui se manifeste non seulement par l'autorité gouvernementale, mais aussi par le privilège qu'ont certains de consommer plus que leurs semblables, est une révolution incomplète, qui traîne comme un boulet le lourd fardeau de l'illusion démocratique et renferme en elle-même tous les germes de corruption inhérents aux sociétés modernes.
La Révolution ne sera vraiment triomphante que :
1° Lorsque le capital aura totalement disparu de la surface du globe ;
2° Lorsque l'Autorité sera complètement abolie ;
3° Lorsque l'individu ne sera plus soumis à la contrainte d'autrui et qu'il sera entièrement libre de ses actes et de sa volonté. Affirmer que demain il soit possible de voir le jour se lever sur un monde à ce point rénové serait une folie, et les Anarchistes vivent trop sur la terre pour ignorer les difficultés qu'il y aura à surmonter pour atteindre ce but. Cependant tout ce qui ne s'oriente pas vers ce but nous semble être Contre-Révolutionnaire.
On confond facilement Révolte et Révolution. La Révolution, comme l'a si bien démontré Kropotkine, sera communiste, ou alors, écrasée dans le sang, elle sera à recommencer. Par conséquent, si l'on accepte ce principe élémentaire du révolutionnarisme, que la Révolution doit ouvrir les portes du Communisme libertaire ― et les Anarchistes ne peuvent pas ne pas l'accepter
tout ce qui est une entrave au Communisme est un facteur de Contre-Révolution.
Lorsque nous employons le terme « Contre-Révolution » ou « Contre-Révolutionnaire », nous ne donnons pas toujours à ces expressions un sens péjoratif, car il y a deux sortes de « Contre- Révolution et de Contre-Révolutionnaire ».
Dans la première catégorie, on peut classer tous ceux qui, par un mouvement de recul de la Révolution, espèrent reconquérir les privilèges abandonnés dans la lutte, et rétablir l'ordre social dans lequel ils étaient les maîtres tout puissants. Ce sont les Contre-Révolutionnaires appartenant à la bourgeoisie et qui ne désirent qu'une chose : voir se perpétuer l'inégalité et l'injustice politique, économique et sociale, qui leur assurent non seulement le bien-être mais aussi le superflu. De ceux-là il n'y a rien à attendre, sinon des déboires ; ce sont des adversaires acharnés de tout mouvement de libération prolétarienne et ils ne méritent que le mépris et la haine des classes opprimées. Il faut les écraser dès les premiers jours d'un mouvement insurrectionnel. Est-il besoin de s'étendre sur les facteurs de Contre-Révolution qui prennent leurs sources dans les rangs de la bourgeoisie ? La classe ouvrière sait bien ― et elle est payée, ou plutôt elle paye pour le savoir ― que le capitalisme n'acceptera jamais de bon gré la transformation d'une société qui lui permet toutes les jouissances et le fait bénéficier de tous les avantages. Par tous les moyens, le capitalisme se défend et se défendra contre les forces de Révolution ; il est contrerévolutionnaire par essence, en vertu même de la situation qu'il occupe dans la société ; et, durant les périodes catastrophiques, lorsque sous la poussée du populaire, les maîtres détrônés, jetés à bas
de leur piédestal, sont obligés d'abandonner le terrain, ils n'acceptent leur sort que provisoirement et sitôt que l'horizon leur semble propice, ils mettent tout en oeuvre pour reconquérir le terrain perdu. C'est l'histoire de toutes les révolutions du passé, et la plus récente, celle de 1917, en Russie, n'échappa pas aux attaques et aux manoeuvres honteuses de la contre-révolution capitaliste. Si la contre-révolution réactionnaire est possible, c'est que dans la Révolution elle-même il y a des facteurs de contre-révolution. Être révolutionnaire, ce n'est pas seulement détruire, c'est surtout construire. La société bourgeoise peut être comparée à la chandelle de nos ancêtres, il faut la remplacer par un flambeau. On ne comprendrait pas l'individu démolissant un bec de gaz parce qu'il éclairait mal, et qui, n'ayant rien à mettre à la place, serait plongé dans l'obscurité. On a trop spéculé sur la force physique, musculaire, numérique du peuple, dans les révolutions passées. On a laissé croire aux masses d'ouvriers qu'ils étaient la force parce qu'ils étaient la majorité. Cela était peut-être vrai à l'époque où les progrès de la science n'étaient pas arrivés au point culminant qu'ils atteignent de nos jours ; mais actuellement, ce qui fait la puissance du capitalisme, c'est son intelligence, ses connaissances, ses techniciens, et ce qui fait la faiblesse du prolétariat c'est son ignorance. Cette ignorance est, elle aussi, un facteur de contre-révolution aussi dangereuse que le capitalisme lui-même. Il peut sembler paradoxal que des révoltés puissent être des contre-révolutionnaires et il en est pourtant ainsi. Il y a donc ce que l'on peut appeler la seconde catégorie de « contre-révolutionnaires », qui est composée de révoltés voulant détruire l'ordre social bourgeois, d'individus qui aspirent à la liberté et au bonheur pour tous, mais qui se trompent, de route et qui empruntent celle qui ne peut les conduire qu'à un nouvel esclavage et s'éloignent sensiblement du but poursuivi. Ces « contre-révolutionnaires » ne sont pas guidés, nous le répétons une fois encore, par l'intérêt, mais par l'ignorance. Ils sont sincères dans leurs erreurs et pensent loyalement qu'ils travaillent pour le bien de l'Humanité, alors qu'en réalité ils retardent l'ère de la libération des peuples.
Ils sont des agents de contre-révolution, malgré leurs convictions révolutionnaires, et il est pénible et douloureux de constater toutes les énergies dépensées, tous les sacrifices consentis, sincèrement au nom de la Révolution en faveur de la Contre-Révolution. Et cela nous fait songer à l'ours du fabuliste, qui, pour tuer une mouche qui se promenait sur la figure de son maître, lui écrasa la tête avec un pavé. Si un ours était susceptible de raisonner, d'éprouver un sentiment d'intelligence ou de logique, s'il n'était pas simplement conduit par l'instinct, nous dirions que c'est un noble sentiment qui détermina son geste brutal ; il eut été préférable pour le maître que l'ours n'éprouvât pas ce sentiment. C'est également un sentiment noble et sincère qui détermine ces « contre révolutionnaires », révolutionnaires dans leurs actions, et ils sont convaincus de l'efficacité des moyens employés pour assurer le triomphe de la Révolution ; mais hélas, la sincérité n'a rien à voir avec la vérité et un homme sincère peut être dangereux lorsqu'il se trompe. « Les gens qui font des révolutions à demi ne parviennent qu'à se creuser un tombeau ». Ce sont là les profondes paroles de Saint-Just qui il 26 ans, monta à l'échafaud, les pieds baignant dans le sang de Robespierre, le front haut et le regard plongé dans l'avenir. Il mourut Victime de ses erreurs, et de celles de tous les conventionnels qui eurent confiance en une République établie sur l'Autorité et la Propriété, et avec quelle fougue, avec quel amour, avec quelle émotion vibrante, il la défendit, « sa République ! » Et si aujourd'hui il pouvait apercevoir son oeuvre, si avec Robespierre « l'Incorruptible » il pouvait contempler le régime d'arbitraire, de boue et de sang que nous subissons et qui prend sa source dans l'erreur républicaine et démocratique de 93, ne serait-il pas terrifié, lui qui croyait à la justice, à la vertu et à l'humanité ?
Si nous jetons un regard rétrospectif sur le passé, ce n'est pas pour amoindrir les hommes qui ont illustré de façon admirable le grand livre de leur époque et qui ont joué un rôle considérable dans l'évolution des Sociétés. Mais lorsque, avec la quiétude que nous donne le recul de l'histoire, sans haine et sans passion, nous examinons le travail accompli par nos aînés avec le seul désir et l'unique souci de faire mieux lorsque notre tour viendra, il est opportun d'enregistrer les fautes commises hier pour ne pas les répéter demain. Saint Just avait tort et Robespierre aussi. Ils ont réalisé des choses grandioses, ils n'ont pas su réaliser, la Révolution et pousser la Contre-Révolution dans ses retranchements et cela leur coûta la vie. Le « Père Duchesne » avait raison et en le faisant arrêter et condamner à mort, Robespierre
franchissait le mur qui séparait la Révolution de la Contre-Révolution, il allait être lui-même sa propre victime.
Qui donc aujourd'hui contesterait la sincérité et le désintéressement des héroïques communards de 1871, qui, durant près de trois mois se défendirent courageusement contre les armées ― supérieures en nombre et en force ― des Versaillais ? Les chefs de ce beau mouvement agissaient-ils révolutionnairement en faisant garder les banques par des soldats et en refusant de s'emparer de cette richesse ― toujours mal acquise ― alors que le peuple affamé se mourait devant les coffres-forts de la bourgeoisie ? Ne sont-ils pas responsables dans une certaine mesure de la répression terrible de Thiers, qui se vengea de la terreur éprouvée par la bourgeoisie, en faisant massacrer des dizaines de milliers de révoltés ? « Les gens qui font des révolutions à demi ne parviennent qu'à se creuser un tombeau ». Il faut méditer ces paroles et s'en inspirer à chaque moment dans la lutte que nous menons contre l'organisation féroce des Sociétés capitalistes ; et puisque nous avons les enseignements et les expériences du passé pour nous guider, puisque ceux qui nous ont précédés sont morts pour que nous sachions, apprenons à nous conduire pour ne pas commettre les erreurs qui furent les causes déterminantes de leurs échecs. Une demi-révolution est une demi-victoire et une demi-défaite. Le monde ne sera régénéré que lorsque la victoire sera complète, et tous ceux qui s'arrêtent en route peuvent être considérés comme faisant inconsciemment le jeu de la Contre-Révolution. Reclus nous a enseigné que le communisme ne s'instaurera qu'à la suite d'une série d'évolutions et de révolutions qui se répèteront inévitablement, jusqu'au jour où la Société transformée ne fond en comble ne conservera plus aucune trace de la barbarie des sociétés à bases capitalistes. Or, l'histoire nous apprend que jamais les mouvements de révolte ne furent provoqués par les dirigeants du peuple et que tout gouvernement, ayant la charge de veiller à ce que l'ordre soit maintenu à l'intérieur de la Nation, est par essence conservateur et par force contre révolutionnaire. Jules Lemaître, dans une de ses oeuvres intitulée : « Les Rois », nous présente un monarque à tendances socialistes, qui veut le bien de son peuple, travaille à lui apporter le bonheur et qui est
conduit par la force des événements à faire fusiller ses sujets sous les fenêtres mêmes de son palais. Le Roi de Jules Lemaître n'avait pas saisi l'incompatibilité qui existe entre le principe de liberté d'où doit jaillir le bien-être universel et le principe d'Autorité, qui donne naissance à tous les abus, à tous les travers, à toutes les iniquités dont peut se rendre coupable une société. Le Roi de Jules Lemaître, malgré ses sentiments et son désir de bien faire, ne pouvait être un révolutionnaire, mais un contre-révolutionnaire, parce que, attaché de par ses fonctions à maintenir dans sa forme un état de chose arbitraire, il était condamné à prendre position en faveur des forts au détriment des faibles. Tout Gouvernement à des époques indéterminées de sa vie se trouve dans la même position. La Révolution n'aura accompli son oeuvre, que lorsque tout Gouvernement, c'est-à-dire l'organisme autoritaire sous lequel il faut se courber, que ce soit au nom d'une majorité ou d'une minorité, deviendra une inutilité sociale, et le rôle du révolutionnaire ne peut donc pas être de soutenir un gouvernement mais de chercher à en amoindrir les effets nocifs. Il est impossible de concevoir que dans une société qui se divise en classes et où la richesse existe à côté de la misère, un État ou un Gouvernement puisse se réclamer de la Révolution. Que les intentions des hommes qui sont à la tête de cet État soient louables, ce n'est pas ce qui importe ; ce qu'il faut regarder c'est si les actes de ces gouvernants ne s'opposent pas à la marche en avant de la Révolution.
Lorsqu'en 1923, l'Allemagne traversait une terrible crise économique et que le prolétariat était presque acculé à la famine, on demanda à un socialiste français ce qu'il ferait s'il avait la direction de l'État allemand, et il répondit par le vieux précepte latin « Primum vivere, deinde philosophari ». Le prolétariat, classe opprimée dans tous les pays, parce qu'il n'y a pas encore de pays d'où l'exploitation de l'homme par l'homme ait disparu, n'a pas d'autres possibilités pour vivre que d'exproprier les richesses sociales détenues en partie ou en totalité par le capitalisme et il n'appartient à personne de déterminer ou d'arrêter l'heure de la révolte. Le peuple est révolutionnaire, non seulement par instinct, mais aussi parce qu'il souffre et qu'il arrive fatalement un moment où, las de servir de machine à exploiter, il se dresse contre ses maîtres et arrache violemment ce que ceux-ci ne veulent pas donner de bon gré, et en ces jours de révolte féconde tout ce qui ne se trouve pas du côté de l'affamé se place du côté de l'oppresseur. Qu'importe la couleur, le titre, l'étiquette dont on se pare ; on est pour ou contre la révolte ; on est révolutionnaire ou contre-révolutionnaire. Il n'y a pas de milieu, en période révolutionnaire ; on ne peut pas vouloir un peu, il faut vouloir beaucoup ; la Révolution ne peut se mesurer à l'aune, comme une pièce de drap. Pour sortir victorieuse de la bataille il faut qu'elle efface à jamais toutes les erreurs du passé, sans quoi il faut la poursuivre et la continuer sur le terrain économique et non sur le terrain inculte de la politique.
La Contre-Révolution ? Ce sont tous ceux qui veulent arracher le flambeau des mains du peuple afin de conduire la classe ouvrière, comme un troupeau de moutons, vers des destinées inconnues ; ce sont tous les démagogues qui cherchent à se tailler des lauriers dans le sang des sacrifiés ; mais ce sont aussi tous les pacifistes bêlants, les sentimentaux et les humanitaires à fleur de peau ; les philosophes pour classe pauvre qui critiquent la violence et prêchent la passivité, et qui ne veulent pas comprendre que la violence organisée est la seule arme que possède le pauvre pour se défendre contre l'insolence et la violence des riches. Quoi qu'on dise et quoi qu'on fasse, la Révolution est en marche et la Contre-Révolution sera écrasée. Certes, cela coûtera encore bien des larmes et bien du sang ; ce ne sont cependant pas les révolutionnaires qui peuvent en être rendus responsables ; ce sont ceux, au contraire, qui ne veulent rien faire pour que le monde change et qui rendent la tâche plus ardue. « Quand on s'empiffre, alors qu'il y en a qui crèvent de faim ; lorsqu'on va bien vêtu, quand il y en a qui sont couverts de loques ; lorsqu'on a du superflu, quand il y en a qui, toute leur vie, ont manqué de tout, on est responsable des iniquités sociales puisqu'on en profite. » (Jean Grave : l'Anarchie, son but, ses moyens, p. 158.)
Marchons de l'avant. Nous avons raison puisque nous voulons le bonheur de l'Humanité et que tout ce qui nous entoure nous engage à joindre nos efforts pour prendre possession de ce qui nous appartient. La Contre-Révolution sera vaincue un jour, cela ne peut pas être autrement, et si nous ne profitons pas nous-mêmes des bienfaits de la Révolution, sachons au moins lutter en pensant que nous revivrons dans nos enfants et laissons leur un héritage plus grand que celui qui nous fut légué par nos ancêtres. La semaille est jetée, les petits, les nôtres feront la récolte.
J. CHAZOFF

CONTREMAITRE n. m. Encyclopedie Anarchiste de Sébastien Faure




Personne qui dirige les ouvriers et les ouvrières dans un atelier ou un chantier « dit le Larousse ». Cette définition est fausse. Le contremaitre est un valet inconscient de la bourgeoisie, qui, issu de la classe ouvrière, trahit ses camarades et se met au service de ses oppresseurs. Il y a des besognes secondaires que le bourgeois ne veut pas faire lui-même et des contacts auxquels il se refuse. Pour maintenir entre lui et son personnel, les relations indispensables à la marche de ses affaires, le capitaliste a recours à un intermédiaire auquel il accorde quelques avantages, en échange de quoi cet intermédiaire se soumet de plein gré à l'autorité patronale et consent à veiller et à surveiller ses camarades de façon à ce qu'ils ne piétinent pas les intérêts du maître. Cet intermédiaire est le contremaitre, c'est-à-dire « à côté du maître ». Il est encore des prolétaires qui s'illusionnent sur les fonctions de ce chien couchant et qui assurent qu'il se trouve de bons contremaitres ; c'est que l'ouvrier ne se rend pas compte du rôle qu'est obligé de jouer le représentant du patron.
Un bon contremaitre est impossible ; si ses services ne sont pas avantageux pour celui qui l'emploie, il ne tarde pas à être remercié ou être remis au même niveau que ses anciens camarades, et s'il veut conserver sa place et conserver la confiance de son patron, il est alors obligé de défendre des intérêts qui sont diamétralement opposés à ceux de l'ouvrier. En conséquence, le contremaitre ne peut être qu'un agent inférieur de la bourgeoisie, et il est d'autant plus méprisable lorsqu'il agit consciemment, qu'il se dresse de façon continue entre le patron et l'ouvrier et empêche ce dernier d'acquérir le bien-être et la liberté auxquels il a droit

CONTREBANDE n. f. Encyclopedie Anarchiste de Sébastien Faure




Pour satisfaire aux appétits du capitalisme national, on a divisé le monde en contrées et on a établi entre elles des barrières que l'on ne peut franchir que sous certaines conditions. Il est interdit par la loi ou par certains décrets de transporter d'un pays à l'autre ou d'une ville à l'autre des marchandises prohibées par les règlements, non pas parce que ces marchandises sont impropres à la consommation ou aux besoins de la population, mais parce que leur importation nuirait aux intérêts d'une certaine catégorie de commerçants ou d'industriels. Ainsi que nous l'avons démontré lorsque nous avons traité de la concurrence (voir ce mot) la douane n'a d'autres buts que de garantir les bénéfices des dits commerçants et industriels et quiconque passe outre les règlements et introduit en fraude les produits interdits, fait de la contrebande.
Cependant, malgré les rigueurs de la loi, la contrebande se fait sur une grande échelle et ce qu'il y a de plus curieux, c'est que ce sont souvent des capitalistes et non des moindres, qui se livrent à ce trafic.
La bourgeoisie française ne se contente pas des bornes internationales, elle en a dressé à l'intérieur même du pays. Au sein même de la nation, toutes les villes ne sont pas régies par le même statut et il est interdit de transporter de l'une à l'autre certaines marchandises sans payer une redevance à la commune dans laquelle on importe cette marchandise. L'argent récolté sert à équilibrer les budgets communaux.
Il n'est donc pas surprenant qu'il y ait des gens se livrant à la contrebande. À côté de cette contrebande commerciale il y a ce que l'on appelle la contrebande de guerre et en principe on considère comme entrant dans cette catégorie de contrebande tous les objets fabriqués à l'usage de la guerre : fusils, canons, munitions, et même les vivres lorsqu'il s'agit d'une place investie.
La contrebande entraîne la saisie des marchandises importées frauduleusement et l'emprisonnement pour le contrebandier. Pourtant les peines d'emprisonnement ne sont en réalité appliquées en matière de contrebande de guerre que lorsque ce sont des révolutionnaires qui cherchent à se procurer des moyens de défense ; lorsque ce sont les éléments bourgeois et réactionnaires qui vont à l'étranger pour acheter des armes et les introduire dans le pays dans le but de s'en servir contre la classa ouvrière, ils bénéficient toujours de l'indulgence des tribunaux et de la magistrature, Cela se comprend.

CONTRAT ANARCHISTE (LE) n. m. Encyclopedie Anarchiste de Sébastien Faure




L'État étant disparu, ou évincé, comment les rapports entre les humains se règlent-ils entre les isolés et les associations, d'isolé à isolé, d' association à association ? Par une entente, un accord librement proposé, librement discuté, librement accepté, librement accompli ; en d'autres termes, par un Contrat. Qu'on le dénomme « promesses », « conventions », le terme importe peu ; ce qui importe, c'est de savoir de quelle nature peut être ce contrat lorsqu'il est passé entre anarchistes.
S'il est hors de doute que les clauses d'un contrat doivent pouvoir être proposées, examinées et discutées dans des conditions laissant toute liberté d'esprit et d'action aux cocontractants, il est hors de doute également que lesdites clauses ne sauraient renfermer aucune stipulation qui soit contraire à la conception anarchiste de la vie humaine.
C'est ainsi que le contrat passé entre anarchistes ne saurait contenir aucune clause qui y astreigne malgré lui quiconque ne veut on ne peut plus en exécuter les termes.
Il se peut qu'un individu n'ait pas mesuré toute la portée de l'accord qu'il a souscrit ; qu'en cours d'exécution son état d'esprit se soit modifié sous l'influence de circonstances nouvelles. Il se peut qu'une émotion, qu'un sentiment d'une espèce ou d'une autre l'envahisse, le domine, s'empare de lui, momentanément tout au moins, le plaçant dans une situation mentale tout autre que la mentalité qui était sienne au moment de la conclusion de l'accord. Pour toutes ces raisons, le contrat passé entre anarchistes, doit pouvoir être résiliable.
L'un des contractants, de même, peut se juger lésé ou réduit à une situation défavorable, inférieure ou indigne de lui par rapport aux autres contractants. Les cocontractants peuvent s'apercevoir, après expérience, qu'ils ne sont pas qualifiés pour remplir les clauses du contrat qu'ils ont conclu. Ou encore qu'ils se sont aventurés au-delà de leurs aptitudes ou de leurs possibilités en se risquant à établir le contrat qui les unit même temporairement. C'est pourquoi une des conditions préalables à la conclusion du contrat entre anarchistes postule, de la part des cocontractants, un examen sérieux et préalable de leurs capacités et de leurs ressources.
Le contrat doit donc pouvoir être résiliable, mais avec préavis, car il est d'une élémentaire camaraderie qu'aucun des participants au contrat ne subisse d'embarras, de retard, de peine ou de dommage évitable, du fait de la rupture du contrat. Même en cas de brusque rupture du contrat, il ne saurait être question, entre anarchistes, sous prétexte d'en faire respecter les termes, de l'intervention d'un tiers ou d'une autorité ou institution extérieure aux cocontractants. Il ne saurait être non plus question de sanctions disciplinaires ou pénales, sous quelque vocable qu'on les masque. Rien de cela ne serait anarchiste. On peut cependant, en cas de difficulté ou de litige en cours d'exécution du contrat, prévoir le recours à un arbitre-expert, ― un technicien, par exemple ― mais à la condition absolue qu'il soit, choisi par les deux parties en désaccord et qu'il jouisse assez de leur confiance pour que sa décision ne soit pas mise en discussion.
Tout contrat impliquant obligation, sanction, intervention étatiste, gouvernementale ou administrative extérieure aux cocontractants n'est ni individualiste ni communiste (anarchiste), il n'y a pas à ergoter là-dessus. C'est pourquoi le contrat conçu à la façon dont nous l'entendons ― dont l'entendent les anarchistes de toutes les tendances ― ne peut être passé qu'entre unités humaines possédant un tempérament, une mentalité adéquats. Si cette mentalité préalable fait défaut, il n'y a pas de contrat possible entre anarchistes C'est pourquoi encore ― même admise cette mentalité déterminée ― les
anarchistes affirment que pour s'associer, il est urgent de se bien connaître, de ne passer contrat que pour une période et une besogne aussi bien déterminées qu'il est humainement prévisible. Il est donc entendu théoriquement que le contrat se rompt dès qu'il lèse l'un des cocontractants. Comme toutes les formules d'ailleurs, celle-ci présente le défaut, quand on l'envisage dans ses applications pratiques, de ne pas tenir compte des circonstances de vie et de tempérament individuels. Pratiquement, l'on peut écrire que le contrat entre camarades anarchistes cesse dès que l'entente qui a présidé pour le conclure se retrouve pour le dissoudre.
En effet, le contrat conclu entre anarchistes pour une fin quelconque est sous entendu
n'avoir pas été conclu à la légère. Son origine a été exempte des restrictions mentales, des pensées de derrière la tête, des dissimulations, des fraudes, de cette recherche d'un intérêt sordide, qui stigmatisent les contrats en vigueur dans la société actuelle. Les cocontractants se connaissent, ils ont pesé le pour et le contre, réfléchi aux conséquences, examiné les points forts et les points faibles de la situation, prévu les dangers et les périls, supputé les joies et les avantages, déterminé les concessions qu'ils auraient à se faire mutuellement. Ces remarques suffisent à indiquer qu'un contrat loyal ne cesse pas uniquement par suite du caprice, de la fantaisie, d'un mouvement d'humeur de l'un des contractants. Sa rupture ne se fait pas sans réflexion, sans examen sérieux des dommages ou des conséquences qui peuvent s'ensuivre.
Cependant, lorsque l'un des contractants a formulé sa volonté formelle de rompre le contrat, aucun anarchiste ne saurait s'y opposer. Cela ne veut pas dire que les autres cocontractants n'objecteront pas à cette rupture. Il se peut en effet, au moment où le contractant mécontent demande la rupture de l'association, que les autres associés se trouvent dans des dispositions d'esprit et de sentiment absolument semblables à celles qui les ont poussés à conclure le contrat. Un anarchiste peut donc objecter à la rupture, demander à réfléchir, faire valoir certaines raisons, invoquer certaines considérations, d'un ordre tout particulier quand il s'agit du domaine du sentiment, considérations que comprennent ceux qui vivent intensément la vie sentimentale. Un anarchiste pourra résister plus ou moins longtemps à la rupture d'un contrat, s'il possède la conviction profonde que son camarade agit sous l'empire d'une influence pernicieuse. Il n'est rien là qui frise l'inconséquence. Selon son tempérament, il pourra souffrir, se lamenter même et qui donc lui reprocherait d'être autre chose qu'une équation géométrique ? C'est seulement s'il s'opposait catégoriquement, par la violence, sur un plan quelconque, à la dissolution exigée par son cocontractant que, au point de vue anarchiste, il cesserait d'être conséquent, dans le sens profond et pratique du mot.
À moins de motifs exceptionnels, d'un cas de force majeure, l'anarchiste qui impose la rupture du contrat irréfléchiment, à brûle-pourpoint me paraît un inconséquent et un camarade de mauvais aloi. Un compagnon anarchiste loyal ne profite de sa faculté de « rompre le contrat à sa guise » qu'après avoir obtenu l'adhésion sincère de son ou de ses contractants. On regardera pratiquement à deux fois ― sinon davantage ― avant de rompre une entente, manquer à des promesses, briser des conventions faites de bonne foi et qui sous réciproque.
Il est impossible de faire passer la rupture imposée ou exigée à tout bout-de champ, sans rime ni raison, infligeant de la souffrance inutile, comme un geste de camaraderie. Qu'est-ce donc que la camaraderie, sinon un contrat tacite conclu entre êtres qu'unissent certaines affinités intellectuelles ou sentimentales ou de gestes, afin de se rendre la vie plus agréable, plus plaisante, plus joyeuse, plus profitable, plus utile à vivre?
On a demandé souvent quelle serait la différence entre l'humanité actuelle et une humanité anarchiste ou à tournure d'esprit anarchisante. Certes, topographiquement parlant, je l'ignore ; je suis hors d'état de fournir la nomenclature exacte des hameaux, des villages, des villes, des rues de chaque ville, des ruisseaux, des torrents, des chemins vicinaux. Mais je suis assuré d'une chose, c'est que le contrat social, le contrat d'association humaine n'y sera pas imposé, ni politiquement ni autrement ; pas plus par une caste que par une classe sociale. Dans les sociétés actuelles, l'unité humaine est placée en face d'un contrat social imposé ; dans toute humanité saturée, imprégnée d'esprit anarchiste, il n'existera que des contrats proposés. C'est-à-dire qu'un milieu anarchiste, une humanité anarchisante ne tolère pas, ne saurait tolérer qu'il y ait une clause ou un article d'un accord ou d'un contrat qui n'ait été pesé et discuté avant d'être souscrit par les cocontractants. Dans un milieu ou une humanité du type anarchiste, il n'existe pas de contrat unilatéral, c'est-à-dire obligeant quiconque à remplir un engagement qu'il n'a pas accepté personnellement et à bon escient ; aucune majorité économique, politique, religieuse ou autre, aucun ensemble social ― quel qu'il soit ― n'y peut contraindre une minorité ou une seule unité humaine à se conformer, contre son gré, à ses décisions ou à ses arrêts.
E. ARMAND.