"Le roman accompagne l'homme constamment et fidèlement dès le début des temps modernes. La "passion de connaitre" (celle de Husserl considère comme l'essence de la spiritualité européenne) s'est alors emparée de lui pour qu'il scrute la vie concrète de l'homme et la protège contre "l'oubli de l'être"; pour qu'il tienne "le monde de l vie" sous un éclairage perpétuel. C'est en ce sens-là que je comprends et partage l'obstination avec laquelle Hermann Broch répétait : Découvrir ce que seul un roman peut découvrir, c'est la seule raison d'être d'un roman. Le roman qui ne découvre pas une portion jusqu'alors inconnue de l'existence est immoral. La connaissance est la seule morale du roman.
J'y ajoute encore ceci: le roman est l'œuvre de l'Europe; ses découvertes, quoique effectuées dans des langues différentes, appartiennent à l'Europe tout entière. La succession des découvertes (et non pas l'addition de ce qui a &été écrit) fait l'histoire du roman européen. Ce n'est que dans ce contexte supranational que la valeur d'une œuvre (c'est-à-dire la portée de sa découverte) peut être pleinement vue et comprise."
"Mais quel est donc le moteur d'une guerre si ce n'est ni Hélène, ni la patrie? La simple force voulant s'affirmer comme force? Cette "volonté de volonté" dont parlera plus tard Heidegger? Pourtant, n'a-t-elle pas été derrière toutes les guerres depuis toujours? Si, bien entendu. Mais cette fois-ci, chez Hasek, elle ne cherche même pas à se masquer par un discours tant soit peu raisonnable. Personne ne croit au babillage de la propagande, même pas ceux qui la fabriquent. La force est nue, aussi nue que dans les romans de Kafka. En effet, le tribunal ne tirera aucun profit de l'exécution de K., de même que le château ne trouvera aucun profit en tracassant l'arpenteur. Pourquoi l'Allemagne hier, la Russie aujourd'hui veulent-elles dominer le monde? Pour être plus riches? Plus heureuses? Non. L'agressivité de la force est parfaitement désintéressée; immotivée; elle ne veut que son vvouloir; elle est le pur irrationnel."
"Il y en a d'autres. Par exemple : les Temps modernes cultivaient le rêve d'une humanité qui, divisée en différentes civilisations séparées, trouverait un jour l'unité et, avec elle, la pax éternelle. Aujourd'hui, l'histoire de la planète fait, enfin, un tout indivisible, mais c'est la guerre, ambulante et perpétuelle, qui réalise et assure cette unité de l'humanité depuis longtemps rêvée. L'unité de l'humanité signifie : personne ne peut s'échapper nulle part."
"Il y a à peu près un demi-siècle que l'histoire du roman s'arrête dans l'empire du stalinisme russe. La mort du roman n'est donc pas une idée fantaisiste. Elle a déjà eu lieu. Et nous savons maintenant comment le roman se meurt: il ne disparait pas; son histoire s'arrête: ne reste après elle que le temps de la répétition où le roman reproduit sa forme vidée de son esprit. C'est donc une mort dissimulée qui passe inaperçue et ne choque personne."
 
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