samedi 31 mai 2025

5/ La Politique n'est plus qu'un décor creux. Par M A.

 Dans la prochaine série d'extraits, je vais traiter de l'ouvrage numéro 2: "De l'argent : la ruine de la politique".

Je pense que le titre de l'ouvrage est suffisamment explicite pour que je n'en dise pas plus.


Laissons l'auteur s'exprimer :


"D'autres mondes étaient possibles. D'autres rêves existaient. Des années de lutte en témoignent. Une volonté chez certains de toute une vie. Pour rien à la fin, sinon cette forme d'horreur sans borne de l'acquiescement de tous à tout ce qui est.

Il a suffi à l'argent de convaincre que la consommation établirait l'égalité pour que nul ne puisse plus prétendre que l'égalité s'etablirait contre la consommation. Entre toutes les victoires qu'on pouvait craindre, celle-ci est sans doute la plus lourde de conséquences. L'argent a permis que l'emporte toute politique qui se réclamait de lui. Argent et politique ne peuvent plus être distingués."


L'excrit par Jean-Luc Nancy. PARTIE II

           II LES RAISONS DE LIRE 


Il devient urgent de cesser de commenter Bataille (même si son commen taire est encore assez mince). Nous devrions le savoir, Blanchot nous l’a dit à demi-mots, comme il lui convenait, refusant de commenter ce refus de commentaire. Aussi n’ai-je pas l’intention de le commenter à sa place. (Mais Blanchot ne fait si souvent pas autre chose que « commenter » Bataille : pensant avec lui, s’entretenant avec lui, infiniment. Aussi écrit-il : «Comment en était-il venu à vouloir l’interruption du discours? Et non pas la pause légitime, celle permettant le tour à tour des conversations (...) Ce qu’il avait voulu était tout autre, une interruption froide, la rupture du cercle. Et aussi tôt cela était arrivé : le cœur cessant de battre, l’éternelle pulsion parlante s’arrêtant. ») Du reste, il ne peut pas s’agir d’un « refus ». Il n’y a eu et il n’y aura jamais rien de simplement répréhensible ni de simplement faux dans le fait de commenter ce qui, s’étant avancé dans l’écriture, s’est déjà proposé au commentaire, et en réalité a déjà commencé de se commenter soi-même.

Mais telle est l’équivoque de Bataille : il s’est engagé dans le discours, et dans l’écriture, assez loin pour se soumettre à toute la nécessité du commentaire. Et donc, à sa servilité. Il a proposé une pensée assez avant pour que son sérieux lui retire la souveraineté divine, capricieuse, évanouissante, qui était pourtant son unique « objet ». (Cette limite déchirante, désolante et joyeuse, allégée, cette délivrance de la pensée qui n’abdique pas — tout au contraire — mais qui n’a plus lieu d’être, ou qui n’a pas encore lieu d’être. Cette liberté d’avant toute pensée, et dont il ne peut jamais être question de faire un objet, ni un sujet.) Mais lorsqu’il s’est dérobé à ce geste, à cette proposition et à cette position de penseur, de philosophe, d’écrivain (et il se dérobe sans cesse, n’achevant pas ses textes, et encore moins sa « somme » ou son « système » de pensée, n’achevant même pas ses phrases, à l’occasion, ou bien s’acharnant à retirer par une syntaxe désaxée, déjetée, ce que l’enchaînement d’un cours de pensée déposait comme une logique ou comme un propos) — lorsqu’il s’est dérobé, il a aussi dérobé l’accès à ce qu’il nous communiquait. « Équivoque » : est-ce le mot? Peut-être, s’il s’agit de l’équivoque d’une comédie, d’un simulacre — qu’il ne faut pas hésiter à lui imputer aussi. Bataille toujours a joué l’impuissance d’achever, l’excès, tendu à rompre l’écriture, de ce qui fait l’écriture : c’est-à-dire, de ce qui simultanément l’inscrit et l’excrit. Il l’a joué, puisqu’il a écrit sans cesse, écrivant partout, sans cesse, l’épuise ment de son écriture. Ce jeu, cette comédie, il les a dits, il les a écrits. Il s’est écrit coupable de parler du verre d’alcool au lieu de le boire et de se soûler. Se soûlant de mots et de pages pour dire et pour noyer à la fois la culpabilité immense et vaine de ce jeu. Se sauvant aussi par là, si on veut, et toujours trop certain de trouver le salut dans le jeu lui-même. Ainsi, ne se déprenant pas d’une comédie trop visiblement chrétienne de confession et d’absolution, et de rechute dans le péché, et à nouveau d’abandon au pardon. (Le christianisme en tant que comédie : la réparation de l’irréparable. Bataille lui-même a su combien le sacrifice était comédie. Mais il ne s’agit pas de lui opposer l’abîme d’un «pur irréparable ». L’esprit de catastrophe qui nous domine, c’est une liberté plus haute, plus terrible peut-être, mais tout autrement, qui doit nous en défaire.) Cette comédie est aussi la nôtre : un sacrifice de l’écriture, par l’écriture, que l’écriture rachète. Nul doute que certains en ont remis dans la comédie, au regard de ce que furent, malgré tout, la retenue et la sobriété de Bataille. Nul doute qu’on en a trop fait sur cet arrachement des ongles à la main de l’écrivain, sur cette suffocation dans des souterrains de littérature et de philo sophie. A moins qu’on ait à la hâte reconstitué des séquences de pensée, col maté les brèches avec des idées. (Commentaire dans les deux cas.) Cela n’engage à aucune critique des commentaires de Bataille (et si cela devait être le cas, j ’y serais impliqué). Il en est de puissants et d’importants, et sans lesquels nous ne pourrions même pas poser la question de son commentaire. Mais enfin, Bataille écrivit : «Je veux éveiller la plus grande méfiance contre moi. Je parle uniquement de choses vécues ; je ne me borne pas à des démar ches de la tête. » (VI, 261) Comment ne pas être atteint par cette méfiance ? Comment poursuivre simplement la lecture, puis refermer le livre, ou comment annoter ses marges ? Si je souligne seulement ce passage, et si je le cite, ainsi que je viens de le faire, déjà je le trahis, je le réduis à un « état d’intellection » (comme Bataille le dit ailleurs). Cependant, il s’était déjà réduit de lui-même à quelque chose où l’intellection, assurément, n’épuise pas tout, mais n’en surveille pas moins la scène. Ailleurs, encore, Bataille écrit que l’écriture est le « masque » d’un cri et d’un non-savoir. Que fait donc cette écriture qui écrit cela même? Comment ne masquerait-elle pas ce que, un instant, elle dévoile ? Et comment ne masquerait- elle pas, en fin de compte, ce masque même qu’elle dit être, et qu’elle dit appli quer sur un « silence criant » ? Le coup est imparable, la machinerie ou la machi nation du discours est implacable. Bien loin de surgir et de nous assourdir, le cri (ou le silence) a été dérobé dans sa nomination ou dans sa désignation, sous un masque d’autant moins repérable qu’on a prétendu le montrer, le nommer lui aussi, pour le dénoncer. L’équivoque est donc inévitable, elle est insurmontable. Elle n’est pas autre chose que l’équivoque du sens lui-même. Le sens doit se signifier, mais ce qui fait le sens, ou le sens du sens, si on veut, n’est pas autre chose en vérité que « cette liberté vide, cette transparence infinie de ce qui, enfin, n’a plus la charge d’avoir un sens » (VI, 76). Bataille n’a pas cessé de se battre contre cette charge, il n’a écrit que pour s’en décharger — pour atteindre à la liberté, pour se lais ser atteindre par elle —, mais écrivant, parlant, il ne pouvait que se mettre en charge à nouveau de quelque signification. « Se vouer par une position de principe à ce silence et philosopher, parler, est toujours trouble : le glissement sans lequel l’exercice ne serait pas est alors le mouvement même de la pensée. » (XI, 286) L’équivoque, c’est de passer par la pensée pour dépouiller l’expé rience de la pensée. C’est la philosophie, c’est la littérature. Et pourtant, l’expérience dépouillée n’est pas une stupidité — même s’il y a en elle de la stupeur. Le moindre commentaire de Bataille l’engage dans une direction de sens, vers quelque chose d’univoque. Aussi Bataille lui-même, lorsqu’il voulut écrire sur la pensée avec laquelle il entrait le plus en communauté, il écrivit Sur Nietzsche, dans un mouvement essentiellement voué à ne pas commenter Nietzsche, à ne pas écrire sur lui. «Nietzsche écrivit “avec son sang’’ : qui le critique ou mieux l’éprouve ne le peut que saignant à son tour. » « Qu’on n’en doute plus un instant : on n’a pas entendu un mot de l’œuvre de Nietzsche avant d’avoir vécu cette dissolution éclatante dans la totalité.» (VI, 15, 22.) Mais il en va de même pour tout commentaire, de quelque auteur, de quel que texte que ce soit. Dans un écrit, et aussi dans un écrit de commentaire (que tout écrit, à son tour, est plus ou moins), ce qui compte, ce qui pense (à la limite, s’il le faut, de la pensée) est ce qui ne se prête pas sans reste à l’univocité, ni du reste à une plurivocité, mais qui bronche sous la charge du sens, et la met en déséquilibre. Bataille ne cesse pas d’exposer cela. A côté de tous les thèmes qu’il traite, à travers toutes les questions qu’il débat, «Bataille» n’est que protestation contre la signification de son discours. Si on veut le lire, si la lecture se met d’emblée en rébellion contre ce commen taire qu’elle est, et contre la compréhension qu’elle doit être, il faut lire à chaque ligne le travail ou le jeu de l’écriture contre le sens. Cela n’a rien à voir avec le non-sens, ni avec l’absurde, ni avec un ésoté risme mystique, philosophique ou poétique. C’est à même la phrase — paradoxalement —, à même les mots et la syntaxe, une façon, souvent gauche ou déjetée, dérobée en tout cas autant qu’il est possible à l’opératioon d’un « style » (« au sens acoustico-décoratif du terme», comme dit Borgès), de peser sur le sens même, donné et reconnaissable, une façon de gêner ou d’oppresser la communication de ce sens, non pas d’abord à nous, mais à ce sens lui-même, à sa possibilité de signifier et de se signifier. Et la lecture doit rester à son tour pesante, gênée, et sans cesser de déchiffrer, pourtant toujours en deçà du déchiffrement. Cette lecture reste prise dans l’étrange matérialité de la lan gue, elle s’accorde à cette communication singulière qui ne se fait pas seule ment par le sens, mais par la langue même, ou plutôt, qui n’est que communication de la langue à elle-même, sans dégagement de sens, dans un suspens du sens, fragile et répété. La vraie lecture avance sans savoir, elle ouvre toujours un livre comme une coupe injustifiable dans le continuum supposé du sens. Il faut qu’elle s’égare sur cette brèche. Cette lecture — qui est tout d’abord la lecture elle-même, toute lecture, inévitablement livrée au mouvement soudain, fulgurant ou glissant, d’une écri ture qui la précède et qu’elle ne rejoindra qu’en la ré-inscrivant ailleurs et autrement, en l’ex-crivant hors d’elle-même — cette lecture ne commente pas encore (il s’agit du début de lecture, d’un incipit toujours recommencé), elle n’est ni en mesure ni en posture d’interpréter, de faire signifier. Elle est plutôt un abandon à cet abandon à la langue où l’écrivain s’est exposé. « Il n’y a pas pure et simple communication, ce qui est communiqué a un sens et une couleur... » (II, 315) (et sens, ici, veut dire mouvement, avancée). Elle ne sait pas où elle va, et n’a pas à le savoir. Aucune autre lecture n’est possible sans elle, et toute « lecture » (au sens de commentaire, exégèse, interprétation) doit y revenir. Mais ainsi, Bataille et son lecteur se sont déjà déplacés par rapport à l’équivoque. Il n’y a pas d’un côté l’équivoque du sens — de tous les sens possibles, l’équivoque des univocités multipliées par tous les « actes d’intellection » —, et de l’autre l’« équivoque » du sens qui se déleste de tout sens possible. Il s’agit en définitive de tout autre chose, et que Bataille savait : c’est peut-être même cela qu’avant toute autre chose il «savait», « ne sachant rien ». Il ne s’agit pas de cette machinerie nécessaire et dérisoire du sens qui se propose en se dérobant, ou qui se masque en se signifiant. En rester là condamne l’écriture sans appel (à coup sûr, cette condamnation hantait Bataille), et condamne aussi bien au ridicule ou à l’insupportable la volonté d’affirmer une écriture déro bée à l’intellection et identique à la vie (« J’ai toujours mis dans mes écrits toute ma vie et toute ma personne, j’ignore ce que peuvent être des problèmes purement intellectuels. » VI, 261). Car c’est toujours, encore, un discours plein de sens, et qui dérobe la « vie » dont il parle. Ce qu’il y a d’autre, et sans le « savoir » de quoi Bataille n’aurait pas écrit, pas plus que n’écrirait quiconque, c’est ceci : en vérité, l’«équivoque» n’existe pas, ou elle n’existe qu’aussi longtemps que la pensée considère le sens. Mais il n’y a plus d’équivoque dès qu’il est clair (et cela est clair, forcément, avant toute considération du sens) que l’écriture excrit le sens tout autant qu’elle inscrit des significations. Elle excrit le sens, c’est-à-dire qu’elle montre que ce dont il s’agit, la chose même, la « vie » de Bataille ou le « cri », et pour finir l’existence de toute chose dont il « est question » dans le texte (y compris, c’est le plus singulier, l’existence de l’écriture elle-même) est hors du texte, a lieu hors de l’écriture. Toutefois, ce « dehors » n’est pas celui d’un référent auquel renverrait la signification (ainsi, la vie « réelle » de Bataille, signifiée par les mots « ma vie »). Le référent ne se présente comme tel que par la signification. Mais ce « dehors » — tout entier excrit dans le texte — est l’infini retrait de sens par lequel cha que existence existe. Non pas la donnée brute, matérielle, concrète, réputée hors-sens et que le sens représente, mais la « liberté vide » par laquelle l’exis tant vient à la présence — et à l’absence. Cette liberté n’est pas vide en ce qu’elle serait vaine. Sans doute, elle n’est pas ordonnée à un projet, à un sens ni à une œuvre. Mais elle passe par l’œuvre du sens pour exposer, pour offrir à nu l’inemployable, l’inexploitable, inintelligible et infondable être de l’être- au-monde. Qu’il y a — l’être, ou de l’être, ou encore des êtres, et singulière ment qu’il y a nous, notre communauté (d’écriture-lecture) : voilà qui provo que à tous les sens possibles, voilà qui est le lieu même du sens, mais qui n’a pas de sens. Écrire, et lire, c’est être exposé, s’exposer à ce non-avoir (à ce non-savoir), et ainsi à l’« excription ». L’excrit est excrit dès le premier mot, non pas comme un « indicible », ou comme un « ininscriptible », mais au contraire comme cette ouverture en soi de l’écriture à elle-même, à sa propre inscription en tant que l’infinie décharge du sens — dans tous les sens qu’on doit donner à l’expres sion. Écrivant, lisant, j ’excris la chose même — l’« existence », le « réel » — qui n’est qu’excrite, et dont cet être fait seul l’enjeu de l’inscription. En ins crivant des significations, on excrit la présence de ce qui se retire de toute signi fication, l’être même (vie, passion, matière...). L’être de l’existence n’est pas imprésentable : il se présente excrit. Le cri de Bataille n’est pas masqué ni étouffé : il se fait entendre comme le cri qu’on n ’entend pas. Dans l’écriture, le réel ne se représente pas, il présente la violence et la retenue inouïes, la sur prise et la liberté de l’être dans l’excription où l’écriture à chaque instant se décharge d’elle-même. Mais «excrit» n’est pas un mot de la langue, et on ne peut pas non plus, comme je le fais ici, le fabriquer sans être écorché par son barbarisme. Le mot « excrit » n’excrit rien et n’écrit rien, il fait un geste gauche pour indiquer ce qui doit seulement s’écrire, à même la pensée toujours incertaine de la lan gue. « Reste la nudité du mot écrire. », écrit Blanchot, qui compare cette nudité à celle de Madame Edwarda. Reste la nudité de Bataille, reste son écriture nue, exposant la nudité de toute écriture. Équivoque et claire comme une peau, comme un plaisir, comme une peur. Mais la comparaison ne suffit pas. La nudité de l’écriture est la nudité de l’existence. L’écriture est nue parce qu’elle « excrit », l’existence est nue parce qu’elle est « excrite ». De l’une à l’autre passe la tension violente et légère de ce suspens du sens qui fait tout le « sens » : cette jouissance si absolue qu’elle n’accède à sa pro pre joie qu’en s’y perdant, en s’y renversant, et qu’elle se présente comme le cœur absent (l’absence qui bat comme un cœur) de la présence. C’est le cœur des choses qui est excrit. En un sens, Bataille doit nous être présent de cette présence, qui écarte la signification, et qui serait, elle-même, la communication. Non pas une œuvre rassemblée, rendue communicable, interprétable (toujours, les « Œuvres Complètes », si précieuses et si nécessaires, provoquent une gêne : elles communiquent complet ce qui ne fut écrit que par morceaux et par chances), mais le piétinement fini d’une excription de la finitude. S’y décharge une jouis sance infinie, une douleur, une volupté si réelles que les toucher (les lire excri- tes) nous convainc aussitôt du sens absolu de leur non-signification. En un sens encore, c’est Bataille lui-même mort. C’est-à-dire, l’exaspéra tion de chaque moment de lecture dans la certitude que l’homme exista, qui écrivit ce qu’on lit, et l’évidence confondante que le sens de son œuvre et le sens de sa vie sont la même nudité, le même dénuement de sens qui les écarte aussi bien l’un de l’autre — de tout l’écart d’une é(x)criture. Bataille mort et ses livres offerts tels que son écriture les laisse : c’est la même chose, c’est le même interdit de commenter et de comprendre (c’est le même interdit de tuer). C’est le coup d’arrêt implacable et joyeux qu’il faut donner à toute herméneutique, pour que l’écriture (et) l’existence, à nouveau, puissent s’exposer : dans la singularité, dans la réalité, dans la liberté de « la commune destinée des hommes » (XI, 311). Parlant de la mort de Bataille, Blanchot écrit : « La lecture des livres doit nous ouvrir à la nécessité de cette disparition dans laquelle ils se retirent. Les livres eux-mêmes renvoient à une existence. » 


 Jean-Luc Nancy août 1988 

L'excrit par Jean-Luc Nancy. Partie I

 (Deux textes sont rassemblés ici, dont le second seul rendra compte de leur titre commun. Onze ans séparent ces deux textes, et cette distance sera sensible à la lecture. Écrire le second m’a pourtant ramené, de façon imprévue, au premier. Une continuité s’imposait : celle d’une communauté avec Bataille, qui passe au-delà et qui se passe de la discussion théorique (que je peux penser vive, sinon dure, avec ce qu’on pourrait appeler la religion tragique de Bataille). Cette communauté passe donc aussi au-delà du commentaire, de l’exégèse ou de l’interprétation de Bataille. Elle n’est pas sans distances ni sans réserves : mais celles-ci, précisément, sont théoriques. Elle est communauté en ceci que Bataille me communique immédiatement cette peine et ce plaisir qui tiennent à l’impossibilité de communiquer quoi que ce soit sans toucher à la limite où le sens tout entier se renverse hors de lui-même, comme une simple tache d’encre sur un mot, sur le mot « sens ». — Ce renversement et cette encre font le désastre des théories « communicationnelles », de ces bavardages bien-pensants en faveur d’un échange raison nable, et qui ne font que laisser dans l’ombre les violences, les trahisons et les mensonges, sans laisser non plus aucune chance de se mesurer aux dérai sons puissantes. Mais la réalité de la communauté, où rien ne se partage qu’en étant aussi soustrait à ce genre de « communication », cette réalité a déjà, toujours, révélé la vanité de ces discours. Ils ne communiquent que la postulation de la communication d’un « sens », et du sens de la « communication ». Bataille, lui, au-delà de ce qu’il dit et parfois à l’écart de ce qu’il dit, commu nique la communauté même. C’est-à-dire, l’existence nue, l’écriture nue, et le renvoi de l’une à l’autre, obsédant, silencieux, qui nous fait partager la nudité du sens : ni dieux, ni pensées, mais ce nous imperceptiblement et invincible ment excrit. Il y a aujourd’hui comme une nécessité de dire cela, de le redire : on n’existe, on n’écrit, que « pour » ce renversement bouleversant du sens. Ce ne sont pas quelques années qui se répètent ainsi : c’est notre tradition qui doit se réapproprier son expérience. « Je ferai un vers de vrai rien (...) J’ai fait le vers, ne sais sur quoi », écrit vers l’an 1100 Guillaume de Poitiers.) 

             I LES RAISONS D’ÉCRIRE 


Écrire, sur le livre. D’une certaine façon — très certaine, en effet — il est sans doute à peu près impossible, aujourd’hui, de rien écrire sur le livre. Cette particularité dans l’usage de la langue française du mot rien nous oblige à entendre, à la fois : il n’est plus possible d’écrire quoi que ce soit au sujet du livre, et : il n’est plus possible de se dispenser d’écrire sur le livre. Il n’est plus possible d’écrire quoi que ce soit au sujet du livre : s’il doit en effet s’agir de la « question du livre », pour en reprendre l’expression à l’un des textes qui font l’horizon de cette impossibilité (Edmond Jabès et la ques tion du livre, par Jacques Derrida), il est nécessaire de poser sans attendre que cette question est désormais traitée (elle n’a pourtant fait et ne peut faire l’objet d’aucun traité). Vouloir aujourd’hui avancer, innover quoi que ce soit sur elle ne peut relever que de l’ignorance ou de la (vraie ou feinte) naïveté. Quelque chose de définitif est accompli, quant à cette question, par un ensemble, un réseau, ou comme on voudra le nommer, de textes incontournables : ils se nomment Mallarmé, Proust, Joyce, Kafka, Bataille, Borgès, Blanchot, Laporte, Derrida. Liste incomplète sans doute, liste injuste peut-être — il n’en est pas moins certain qu’il faut non seulement passer par eux, mais y rester. Ce qui n’a rien de fétichiste, d’idolâtrique ou de conservateur — bien au contraire, on devrait s’en apercevoir. Il est temps d’affirmer que la question du livre est là, déjà. Le piétisme réactionnaire consiste tout au rebours à solli citer indéfiniment, avec zèle ou voracité, ces mêmes textes pour en extraire et relancer, de mille manières plus ou moins déclarées, par glose, imitation ou exploitation, une question du livre en forme de spéculation, d’abyme, de mise en scène, de fragmentation, de dénonciation et d’énonciation du livre à perte de livres. Pour moi, j’aurais voulu me contenter de patiemment recopier ici ces textes. Rien ne pourra m’assurer qu’il ne fallait pas le faire. Mais — en même temps, par le même impératif catégorique — il n’est plus possible de se dispenser d’écrire sur le livre. Car cette question n’est pas une question, elle n’est pas un sujet que l’on puisse considérer comme complètement ou incomplètement exploré — encore moins comme épuisé. L’épuisement — l’indéfini épuisement — forme plutôt la matière à laquelle il faut être affronté, ici comme ailleurs. Quant au livre (titre, programme de Mallarmé), quelque chose a été désor mais noué dans notre histoire. La force du nœud ne tient pas au « génie » de ces « auteurs », mais elle signale la puissance et la nécessité historiques, plus qu’historiques, avec lesquelles l’écriture du livre a dû se nouer sur elle-même. L’Occident — ce que Heidegger nous a fait penser sous le nom d’Occident —, ayant de toute mémoire décidé de consigner dans le livre la science d’une vérité déchiffrée dans un Livre — celui du Monde, celui de Dieu, voire celui du Ça —qu’il n’était pourtant pas possible de lire ni d’écrire, l’Occident s’est noué de la crampe de l’écrivain. Tel est en somme, bien connu, le premier motif de ce qu’il faut incessamment aller relire dans ces textes. Et de ce qu’il faut réécrire — à la condition de ne pas laisser, comme le fait la mode oubliant l’implacable leçon de Pierre Ménard, le concept de réé criture dégringoler jusqu’à l’étage du rewriting. Selon une loi que tous ces textes portent, et articulent, selon une loi dont la rigueur n’est pas à démontrer, cette histoire saisie par la crampe de l’écriture ne se finit qu’en se répétant. Question jamais traitée, la question du livre marque le resurgissement de la répétition. Non de sa propre répétition, car elle est, pour autant qu’elle est, la question de ce qui reste sans propriété (de la propriété et du communisme littéraires, telle est la question). La répétition est la forme, la substance de ce qui n’a pas une fois pour toutes (ni en plu sieurs fois) son identité imprimée dans le Livre intranscriptible. Pour quiconque se trouve privé de cette identité — pour tout Occidental — elle forme la ques tion du livre, la question qu’il faut écrire pour dissoudre dans son écriture — pour dissoudre quoi ? Pour — mais le geste d’écriture ne se satisfait jamais d’une téléologie — dissoudre — mais d’une dissolution elle-même dissociée des valeurs de solu tion que lui confère toujours la métaphysique — non pas seulement l’identité idéale inscrite dans la blancheur aveuglante du Livre (car dans la profondeur de la lumière éternelle se trouve réuni, comme lié par l’amour en un seul livre, tout ce qui est épars dans l’univers. Dante.) mais pour dissoudre jusqu’à la privation, qui fait aussi la privatisation, de cette identité, pour dissoudre jusqu’au Livre lui-même, et jusqu’à la privation, privatisation du Livre. Le Livre est là — en chaque livre a lieu le reploie ment vierge du livre (Mallarmé) —, il faut écrire sur lui, le faire palimpseste, le surcharger, brouiller ses pages de lignes rajoutées jusqu’à la pire confusion des signes et des écritures : il faut accomplir en somme son illisibilité d’ori gine, crispant sur lui l’informe épuisement de la crampe. Pour quoi? il faut bien le risquer : il faut écrire sur le livre pour une délivrance. Qui n’aurait guère à voir avec la Liberté (j’entends, avec cette Liberté subjective, sujette, assujettie, que le Dieu ou l’Esprit de la métaphysique se confère automatiquement). L’écriture devrait passer dans l’interstice de l’étrange homonymie liber/liber, dans l’ambiguïté courante de la livraison. Écrire? se retourner les ongles, espérer, bien en vain, le moment de la délivrance? (Bataille) — et la phrase qui suit dans le même récit, Histoire de rats : Ma raison d’écrire est d’atteindre B. B. est la femme de ce récit, mais son initiale et la phrase elle-même font lire la femme, cette femme, une femme, et un homme, et B. ; Bataille lui-même, et un lieu, et un livre, et une pensée, et la délivrance « elle-même », en personne, sans aucun allégorisme. Telle est la répétition : reprise, réécriture de la pétition, de l’effort pour atteindre et pour joindre, de la requête, de la demande, du désir, de la réclamation, de la supplication. La réécriture sur le livre est la clameur ou le murmure renouvelés d’une demande, d’un appel pressant. Si les textes dont j’ai parlé restent désormais dans notre histoire, c’est qu’ils n’ont traité d’aucune question, mais qu’ils ont noué cet appel dans une et plusieurs gorges d’écriture : un fameux spasme de la glotte. Ils ont noué l’appel éthique et plus qu’éthique d’une délivrance, à une délivrance. L’impératif n’est pas d’y répondre (... le neutre, écrit Blanchot dé nommant neutre l’acte littéraire, qui, portant un problème sans réponse, à la clôture d’un aliquid auquel ne correspondrait pas de question) — ou plutôt serait-il indispensable de distinguer avec tout le soin possible deux concepts incommensurables : la réponse à une question, et la réponse à un appel. Il se peut que l’on ne réponde à l’appel que par la répétition de l’appel — ainsi des gardes chargés de veiller. Il se peut que l’impératif ne soit pas celui de la réponse, mais de la seule obligation de répondre, qui s’appelle responsabilité. Comment, dans le livre, peut-il s’agir de responsabilité ? Il n’est plus possible de l’éluder, pas plus que d’éviter ceci : comment, dans l’écriture où la Voix s’absente (une voix sans écriture est à la fois absolument vive et absolument morte. Derrida), un appel peut-il être à entendre, comment peut-il s’agir de vocation, d’invocation ou d’advocation ? Comment, en général, délivrer le tout autre du livre ? Tous ces textes ont épuisé le thème, la théorie, la pratique, la métamorphose, l’avenir, la fugue ou la coupe du livre pour rien d’autre que pour répéter cet appel. Moi, c’était autre chose que j’avais à écrire, de plus long et pour plus d’une personne. Long à écrire. Ce serait un livre aussi long que les Mille et une Nuits peut-être, mais tout autre. (Proust.) 

Répétitions 

Encore est-il sans doute préférable de mettre les points sur les i de la répétition, quitte à se redire quelque peu. La réduplication du livre en son propre sein, la représentation de soi de la littérature, le récit pour toute œuvre de sa propre naissance — de sa propre délivrance —, son auto-analyse, ou encore l’involution de son message en exhi bition de son code, ou la figuration de son procès dans le processus, narratif ou démonstratif, de la formation de ses figures, ou la mise en jeu de ses règles par les règles mêmes de son jeu, tout cela que d’un mot je nommerai l’autobibliographie, tout cela date de l’invention du livre. Tout cela sur quoi notre moder nité s’est munie de bibliothèques entières — il le fallait, c’était nécessaire, par la nécessité même du livre à laquelle n’échappe aucun écrit (cette inutile et pro lixe épître que j’écris existe déjà dans l’un des trente volumes des cinq étagères de l’un des innombrables hexagones — et sa réfutation aussi. — La bibliothèque de Babel) —, tout cela forme la répétition de soi dont le livre, de naissance, ne peut que se constituer. Ma raison d’écrire est d’atteindre B. : Babel, Bible, bibliologie, bibliomancie, bibliomanie, bibliophilie, bibliothèque. C’est ce que le livre en est plus proprement venu à réciter et ressasser dans l’âge de son invention matérielle et technique : dans l’âge de l’imprimerie, âge du livre véritable, âge du sujet mûr et de la communication. L’imprimerie a satisfait le besoin d’être en relation les uns avec les autres sur un mode idéel (Hegel). Tout se passe depuis lors comme si tout le contenu idéel de la communication consistait dans l’autobibliographie. Chaque livre exhibe l’être ou la loi du livre : d’entrée de jeu, il n’a plus d’autre objet que soi, et cette satisfac tion. Je vous écris, ma fille, avec plaisir, quoique je n’aie rien à vous mander (Mme de Sévigné). Tout est dit, et l’on vient trop tard, depuis plus de sept mille ans qu’il y a des hommes, et qui pensent : c’est ainsi qu’il faut commencer le premier chapitre, sur les livres, d’un livre intitulé les Caractères. L’épuisement de la matière impose l’infini des possibles manières d’en former les signes. C’est l’histoire de ce monde où nous sommes maintenant en visite, lui dit la déesse : c’est le livre de ses destinées. On passa dans un autre appartement, et voilà un autre monde, un autre livre — quelque part vous y trouverez aussi les Essais de théodicée où cela se trouve écrit, et vous lirez ici que Borgès n’a jamais écrit qu’une pensée de Leibniz que Lichtenberg déjà avait recopiée : les bibliothèques seront des villes. Nul lieu ne sera libre de livres, quand bien même il y aurait manque. Vous avez bien raison, monsieur, un chapitre entier manque à cette place, laissant dans le livre un trou d’au moins dix pages, écrit Tistram, l’auteur qui raconte aussi sa propre naissance. Aucun livre non plus ne sera libre de livres, car non contents d’inscrire notre nom sur des pensées anonymes d’un seul auteur, nous nous approprions celles de milliers d’individus, d’époques et de bibliothèques entières, et nous volons jusqu’aux plagiai res, écrit Jean Paul se plagiant lui-même une fois de plus. L’anthologie — choix des fleurs dans des livres, choix du livre pour disposer dans chaque livre le bouquet de sa littérarité — textuelle se poursuit sans désemparer jusqu’à nous. Toute cette répétition en abyme du livre constitue sa redondance native — et plus qu’on ne le croit naïve. La redondance, c’est le débordement, l’excès de l’onde : le Livre s’est toujours pensé comme l’écume infiniment rejaillissante d’un océan inépuisable — un jet de grandeur, de pensée ou d’émoi, considé rable, phrase poursuivie, en gros caractère, une ligne par page à emplacement gradué, ne maintiendrait-il le lecteur en haleine, la durée du livre (Mallarmé). Redite et retombée de l’onde, cette répétition peut-être est proprement la rédac tion : rédiger, c’est ramasser, faire rentrer, reconduire et réduire. Chaque livre reconduit la redondance du Livre à l’espace que délimite une inscription. Dans chacun de ces temples, l’autobibliographie se vénère — — à la condition d’ignorer l’autre répétition dont elle n’est en fait que la reprise ou la rémunération. L’âge de l’imprimerie est bien l’âge du sujet — il n’est de livre que d’un je, et je se répète, c’est à cela qu’il se reconnaît. Je n’ai pas plus faict mon livre que mon livre m’a faict, livre consubstantiel à son autheur. Le sujet s’érige en Livre, et seule cette érection a jamais assuré la substance d’un sujet — dont la franche dissimulation fait lire le désir à livre ouvert : ainsi, lecteur, je suis moy-mesmes la matière de mon livre : ce n’est pas raison que tu employes ton loisir en un subject si frivole et si vain. Je ne dresse pas ici une statue à planter au carrefour d’une ville, c’est pour le coin d’une librairie, et pour en amuser un voisin. Les autres forment l’homme ; je le récite et en représente un particulier bien mal formé. Je veux qu’on voye mon pas naturel et ordinaire, ainsi détraqué qu’il est. Ma raison d’écrire est d’atteindre B. — de m’atteindre, d’atteindre en elle ma société, sa solitude, d’atteindre celui, celle qui dit je, pas naturel, pas ordinaire. Je se répète son désir — quel désir pourtant sinon en effet détraqué ? Que le je s’exhibe ne le fait pas voir pour autant. Quelqu’un se perd irrémédiable ment dans la matière de son livre — quelqu’un qui ne cessera de se répéter : « la matière de mon expérience, laquelle serait la matière de mon livre », et cette fois c’est Proust. Quelqu’un — il est celui qui dit je et il n’est pas celui-là — se répète perdu dans tout livre. Par l’abyme de l’autobibliographie et malgré cet abyme, un autographe marche à l’abîme. Son errance débute au même carrefour que son érection. L’autographe est celui qui prend un singulier congé à l’ouverture même de son livre. A Dieu donq, de Montaigne, ce premier de Mars mille cinq cens quatre vingts. Signature du lieu, signature du nom, signature d’adieu, il entre dans son livre comme en un tombeau. C’est la mêmeté qui, altérant son iden tité et sa singularité, en divise le sceau (Derrida). La répétition littérale et littéraire est celle de celui qui s’égare en ses propres marques — dans les discours de sa propre veillée funèbre, comme celle de Finnegan, signes avant cours de rien qu’un indice que venant encore en train de devenir en ce qu’un ici jadis ici-bas fut : un exode, là, a recommencé, et quelqu’un est entré dans l’histoire de sa diaspora. L’appel qui se répète vient toujours de lui. C’est l’appel d’une solitude antérieure à tout isolement, l’invo cation d’une communauté que ne contient ni ne précède aucune société. Comment délivrer le tout autre commun du livre? demande quelqu’un, un quelconque écrivant, un je qui s’appelle. 

    penché sur le livre ouvert à la même page.     ce qu’il entend ce sont les chants de l’autre côté où sont les autres. (Jacqueline Risset) 

L ’histoire qu’il s’écrit du livre 

est une histoire conforme à son désir et à son exode. L’écriture, dit-il, mar que partout la fin du communisme. C’est-à-dire de ce qu’il n’a pas connu, puisqu’il est né avec l’écriture. Mais il écrit dans ses livres — et il écrit dans tous ses livres — ce que fut le communisme, l’absence du livre. Le livre ne prétend jamais à moins qu’à retracer ce qui l’excède. La question sur l’origine du livre n’appartiendra jamais à aucun livre (Derrida) — et cependant, ô mémoire qui as écrit ce que j’ai vu, ici va se montrer ta noblesse (Dante). Il écrit donc le monde de l’aède, du conteur, du récitant sacré. Le premier poète, qui a fait ce pas pour se dégager par l’imagination de la foule, sait y revenir dans la vie réelle. Car il s’en va à droite et à gauche, pour raconter à la foule les exploits que son imagination attribue au héros. Ce héros n’est, au fond, que lui-même. Mais les auditeurs, qui comprennent le poète, savent s’identifier avec le héros (Freud). Cette pure poïesie de soi dans la pure communauté hante sans discontinuer l’entière lit térature : et c’est un homme d’ici, un homme de maintenant, qui est son pro pre narrateur, enfin (Robbe-Grillet).

Ce fut, dit-il, le monde d’un mime qui n’eut point d’exemple et n’aura point d’imitateur, le monde de l’improvisateur génial, du danseur ivre de dieu, des battements, des coups, des sifflements d’une musique non écrite, le monde des prières, des supplications, des invocations. C’est la tribu avec ses mots et ses mélopées, le cri chantant de la commune primitive autour de son foyer — silencieuse graphie d’un feu si clair qu’il se déchire sans laisser de trace (Laporte). Y succède, dans l’histoire que nous nous racontons, la société de l’écriture qui n’est pas le livre, mais la gravure des caractères sacrés, l’inscription des Lois sur tables de pierre ou de métal, sur colonnes, pilastres, frontons et ban deaux, l’écriture dure et l’érection partout de stèles donnant à lire l’Ordre et la Disposition, la Structure et le Modèle — les donnant à lire à personne, et donc à tous : c’est le communisme monumental, l’écriture architecturale et la monarchie hiéroglyphique. Tous ses mots doivent avoir un caractère d’enfon cement ou de relief, de ciselure ou de sculpture, dit de l’écriture sacrée celui (Joubert) qui écrit en maximes. Et chaque livre tend éperdument vers la maxime : maxima sententia, la plus grande pensée... Vient à la fin — de nulle part et de partout, d’Égypte, d’Ionie, de Canaan — le livre; viennent ta biblia, la bible irrémédiablement plurielle, la Loi, les Prophètes, les Écrits comme elle se divise, se dispose, et s’abyme, et se dissé mine. Il est et il n’est pas le Livre d’un seul — auteur ou peuple. Vient à la fin la très tardive, très ancienne religion des livres, et commen cent tous les exodes. Égypte, Ionie, Canaan se déplacent pour des traversées de déserts par des communes qui ne cessent de se disperser. L’histoire des livres commence en se perdant dans le livre d’histoire. Nul n’y dit qui a écrit, ni même si fut écrit ce tout premier pacte que l’on nomme pourtant le Livre de l’Alliance (Exode, XXIV, 7). C’est l’histoire du pacte — pacte de délivrance — rompu, tenu, trahi, toujours offert — et de l’appel renouvelé à le signer une nouvelle fois. Brisées à peine gravées, les Tables ne sont point érigées, elles cheminent dans l’Arche avec les tribus en chemin. Les Rouleaux se déroulent, et le volume de l’histoire s’amplifie jusqu’à nous ; le livre est inséparable du récit, l’histoire du roman : l’époque du livre, c’est le romantisme. Dans nos écrits, la pensée semble procéder par le mouvement d’un homme qui marche et qui va droit. Au contraire dans les écrits des anciens elle semble procéder par le mouvement d’un oiseau qui plane et avance en tournoyant (Joubert). Qui ne voit que j’ay pris une route par laquelle, sans cesse et sans travail, j ’iray autant qu’il y aura d’ancre et de papier au monde ? Les livres commencent avec leur répétition : deux récits de la genèse s’y mêlent, s’y chevauchent, s’y redisent et s’y contredisent. Les livres, on les copie, on les reproduit, on les publie parce qu’ils ne sont pas eux-mêmes publics ni comme un chant ni comme un obélisque ; on les transmet, on les traduit — soixante-douze Juifs, six de chaque tribu, en soixante-douze jours, dans l’île de Pharos, font grecque la bible —, on les trahit, on les contrefait, on les imite, on les recopie, on les récite et on les cite. Celui qui dit Je brouille dans son livre livres et signatures : Ez raisons et inventions que je transplante en mon solage et confons aux miennes, j’ay à escient ommis parfois d’en mar quer l’autheur, pour tenir en bride la témérité de ces sentences hastives qui se jettent sur toute sorte d’escrits. Ici recommence la déjà dite répétition. Les livres sont une matière corruptible. Les livres sont de bois : biblos, liber, codex, Buch, c’est toujours de l’écorce ou de l’arbre. Ça brûle, ça pourrit, ça se décompose, ça s’efface, ça passe à la critique rongeuse des souris. La bibliophilie est tout autant que la philosophie un amour impossible, aux objets tannés, fanés, usés, morcelés, lacunaires. Le livre est misérable, haïssable. Des cartes hait le métier de faire des livres. Il n’y a rien pour le Sujet — l’autre, le même, celui qui dit Je (pense) — dans les « gros volumes » rien que perte de temps, consumation inutile d’une vie pour lire des bribes d’une science que je peux par moi-même instaurer. Il devrait y avoir quelque coërction des loix contre les écrivains ineptes et inutiles, comme il y en a contre les vagabonds et fainéants. On bannirait des mains de notre peuple et moy et cent autres. Ce n’est pas moquerie. L’escrivaillerie semble estre quelque simptome d’un siècle desbordé. Quand escrivismes-nous tant que depuis que nous sommes en trouble ? — depuis que nous sommes en trouble d’écrire. Car celui qui dit Je doit pourtant écrire, la démonstration est inexorable : pensant le problème de l’ego et de l’alter ego, de l’accouplement originaire et de la communauté humaine, Husserl écrit : Il y a dans tout ceci des lois essentielles ou un style essentiel dont la racine se trouve dans l’ego transcendantal d’abord, et dans l’intersubjectivité transcendantale que l’ego découvre en lui, ensuite, et par conséquent dans les structures essentielles de la motiva tion et de la constitution transcendantales. Si on réussissait à les élucider, ce style apriorique aurait trouvé par là même une explication rationnelle de dignité supérieure, celle d’une intelligibilité dernière, d’une intelligibilité transcendantale. Husserl écrit ce qu’il ne veut pas — écrire. Il écrit que l’altération originaire de l’ego, la communauté des hommes, forme ou déforme style, écriture jusque dans l’intelligibilité, dont elle déchire irrémédiablement la réussite ultime. Ainsi la supplication par le livre a commencé au même temps que la persécution des livres. Écrire est hé au cruel simulacre d’un supplice (Laporte). Et maintenant, à travers le verre, tout le monde peut voir l’inscription se graver sur le corps du condamné. On ne peut évidemment pas se servir d’une écriture simple, elle ne doit pas tuer sur-le-champ, mais en moyenne dans un délai de douze heures (Kafka, la Colonie pénitentiaire). L’officier qui commande la machine s’exécute lui-même, à la fin de l’histoire, en gravant sur son corps la loi qu’il a violée : Sois juste! Mais il ne reste que la machine folle pour appliquer sauvagement la loi — le commu nisme et le capitalisme des machines à écrire. C’est pourtant le même appel : comment délivrer le tout autre du livre? L’apocalypse Et si les livres annonçaient toujours, provoquaient toujours le recommen cement dans cette histoire de ce qui n’y a pas heu ? Et si nous comprenions pourquoi, aujourd’hui, parlant, écrivant, nous devons toujours parler à la fois plusieurs fois, parlant selon la logique du discours et donc sous la nostal gie du logos théologique, parlant aussi pour rendre possible une communication de parole qui ne peut se décider qu’à partir d’un communisme des rap ports d’échange, donc de production — mais aussi ne parlant pas, écrivant en rupture avec tout langage de parole et d’écriture (Blanchot)? A la fin des livres, il y a l’Apocalypse. C’est le genre proprement écrit de la prophétie — c’est-à-dire de l’appel. C’est le livre de la fin du monde, le livre du recommencement. Celui qui l’écrit dit je et dit son nom — Jean — et dit son lieu d’exil — l’île de Patmos. Ce livre est une lettre aux Églises dis persées, à la communauté privée de sa communion. Dans cette lettre une let tre est adressée à chacune des églises, à chacune des assemblées. La lettre se répète, se divise, se transforme : A l’Ange de l’Église d’Ephèse, écris : Ainsi parle celui qui tient les sept étoiles (Jean). A ceux d’Assise Ur. Oyant. L’urbe qu’elle orbe. Le lors d’à présent avec l’à présent du lors en temps continu. Ouï. Lequel ayant a qui aura eu. Oyez! (Joyce.) Jean écrit dans ce livre les visions qu’il lui est donné de voir : mais il n’écrit que parce que les visions lui commandent d’écrire. L’Ange lui parle en tenant le Livre, mais Jean ne le recopie pas : il écrit ce que l’Ange lui dicte. Ce qui est révélé, ce n’est pas l’Ange, et ce n’est pas le Livre : c’est l’écriture de l’homme. Celui qui s’annonce à travers la révélation, celui qui dit à son tour qui il est, c’est celui qui dit — celui dont Jean écrit qu’il dit qu’il est l’alpha et l’oméga. Il est le Livre, bien sûr, mais aussi bien : rien que le compte fini des caractères d’écriture — c’est là tout ce qui se révèle des sept sceaux brisés du livre de l’Agneau égorgé. C’est la fin de la religion. Jean écrit toutes ses visions d’écritures. Mais au milieu, il lui est interdit d’écrire les paroles des sept tonnerres. Aucun livre ne délivre la parole inouïe, inaudible, assourdissante — le tumulte primitif au son duquel aurait eu lieu l’exaltation de la commune mystique. Mais le livre sait la dispersion de la communion — il en est l’inscription et il en communique l’appel : Que celui qui écoute dise «Viens ! ». Viens! scande l’apocalypse — et nos livres sur les livres. Viens, et rends-nous la convenance de ce qui disparaît, le mouvement d’un cœur (Blanchot, cité par Derrida). A toi de faire le pas de sens. Il n’y a aucune chance de décider, à décider, dans quelque langage que ce soit, de ce qui vient dans « Viens » (Derrida). Ce n’est pas un appel à la communication, mais la propagation de la répé tition de l’appel, de l’ordre et de la demande qui ne portent, produisent, véhiculent, enseignent rien — viens —, qui n’appellent pas de réponse mais la seule obligation de répondre, la responsabilité d’écrire à nouveau avec les vingt- cinq lettres qui ne contiennent aucune révélation mais seulement leur propre épuisement. Ici, l’épuisement est initial : Ma raison d’écrire est d’atteindre B. — de passer de la première à la seconde lettre, de tracer liées l’une à l’autre des lettres, ce qui s’appelle écrire, ce qui appelle écrire, ce qui appelle une femme, un homme, un livre, une histoire, et toujours comme B. dans l’histoire une impossible, insoutenable nudité. Très au-delà et en deçà de ce qu’aucune parole ne peut dévoiler de vrai — très en deçà et au-delà d’aucUn Livre — il reste à découvrir l’apocalypse, la découverte qui ébranle tous les livres : c’est que le livre et la communion sont mis à nu, à découvert, dans tous les livres. L’absence du Livre est l’absence de la Communion — notre communion ou part d’un à tous et de tous à un (Mallarmé). Mais de même la présence — toujours engloutie à l’instant — du livre. Jean doit avaler un petit livre. Je pris le petit livre et l’avalai ; dans ma bouche il avait la douceur du miel, mais quand je l’eus mangé, il remplit mes entrailles d’amertume. Ce qui communique, ce qui se communie n’est rien, n’est pas rien, rien qu’amertume, mais un appel ; un autre communisme, à venir sans boucler l’histoire, un communisme d’exode et de répétition, ne voudrait rien dire (mais, dans la phrase de Blanchot, en plus de ce qu’ils veulent dire, que veulent les mots : rapports d’échange, donc de production ?), mais il écrirait, ce commu nisme, la délivrance des livres, dans les livres. Vaine tant qu’elle est livresque (c’est Montaigne qui a fait ce mot) — et comment ne le serait-elle pas, à commencer par ici même ? —, cette délivrance, assurément, mais sans doute aussi livresque tant qu’elle est vaine, tant que l’écriture, encore et de nouveau, ne s’y risque pas à découvert. Je répète : Les raisons d’écrire un livre peuvent être ramenées au désir de modifier les rapports qui existent entre un homme et ses semblables. Ces rap ports sont jugés inacceptables et sont perçus comme une atroce misère. (Bataille) Appels de loin. Arrivant, loin ! Fin ici. Nous alors. (Joyce.) 


(Avril 1977.)

jeudi 29 mai 2025

La Politique n'est plus qu'un décor creux. Par M A.

Je viens de terminer de vous donner de larges extraits de l'ouvrage numéro 1 de la série "de la domination" de Michel Surya.

C'est à lire avec beaucoup d'attention car ça permet d'avoir des éléments de réponse sur la société telle qu'elle se construit depuis des années.

Dans la prochaine série d'extraits, je vais traiter de l'ouvrage numéro 2: "De l'argent : la ruine de la politique"

4/ La Politique n'est plus qu'un décor creux. Par M A.

 Partie de l'ouvrage N° III : De la domination le capital, la transparence et les affaires


"Les premiers à profiter de la disparition du politique (du moins, de sa réduction à l'état de trompe-l'oeil) sont les marchés financiers. Viennent ensuite les juges. Viennent enfin les journalistes. Financiers, juges et journalistes sont les premiers intéressés à une fissuration qui n'a pas de précédent. Y seraient-ils intéressés d'une façon qui les oppose en apparence. Ceci les unit cependant qu'ils ne s'emparent de "tout le pouvoir" qu'à la condition qu'aucun de ceux qui le détenaient ne le détienne encore. L'argent n'a corrompu les élus qu'assistant longtemps que c'était eux qu'il lui fallait corrompre. Il s'apprête à corrompre juges et journalistes (il les corrompt déjà) avec la tranquillité qui présidé au partage des dépouilles."

"Ils ne s'opposeront de nouveau lorsqu'il n'y aura plus pour chacun de pouvoir qu'au prix que nul ne le lui dispute."


"Ce moment est inscrit dans leur action, sinon comme ce que celle-ci veut elle-même, du moins comme ce qu'elle rend inévitable. A qui en appelleront-ils alors quand tous ceux auxquels il faudrait qu'ils en appellent autant été privés par eux des moyens qu'ils avaient de les protéger. Il leur apparaîtra alors, mais trop tard, que mieux valait que la démocratie ne fût pas irréprochable ( il leur apparaîtra qu'un monde auquel il n'est plus possible de rien reprocher est un monde en effet fasciste)."


"Les juges se défendent de faire de la politique. Tout au plus, ils seraient ce qu'il reste de la politique quand celle-ci a failli. Mais, s'il le faut, ils feront qu'elle soit faillible pour qu'il ne reste qu'eux."


"En d'autres termes, non seulement les conditions de l'exploitation se font chaque jour plus oppressantes (enjoignant à chacun de se surpasser par le même mouvement qu'il faut que chacun surpasse ce dont tous les autres sont capables- ceci à l'infini), mais il faut encore que les moyens qui sont opposés à cette exploitation puissent n'être pas suspectés de vouloir démontrer que cette oppression est trop grande pour être supportée.

Que tous soient égaux devant l'exploitation veut simplement dire : l'exploitation elle-même est juste."


"Il faut faire avec cette évidence, au sujet de laquelle on se méprend volontiers : il n'y a pas moins "politique" que l'épuration à laquelle le capital se prête. Et avec cette autre : nul ne cherche à faire que l'accusation qui est portée contre ke capital devienne à aucun moment une zccusation "politique ". En d'autres termes, nul ne generalise L'accusation qu'il porte contre certains excès du capital au capital lui-même. C'est-à-dire, nul n'accuse le capital en tant que tel."


"Ce dont on trouve sans mal la preuve dans le fait qu'il n'est pas jusqu'à ceux qui ont le plus à souffrir de lui à n'être maintenant convaincus que rien ne saurait lui être raisonnablement opposé. Le capitalisme est l'horizon indépassable de notre temps."


"Une protestation aussi diffuse, qui n'avait à opposer à ce qui était que ce qui n'était pas (les sans emploi, les sans domicile, les sans papiers etc), ne suffit pas à former "une autre representation". Une représentation "politique". Parce qu'il n'y a pas de représentation politique que la domination n'ait condamnée. Elle-même ne se donnant plus comme l'une d'elles, mais comme leur fin."


"La gauche ( la dernière à avoir tenté d'exister : en 1981) aura eu cette importance imprévue : s'être elle-même rangée au nombre des moyens variés dont la domination sait qu'elle dispose pour conspiration à la disparition définitive de toute politique. Jusque-là, l'illusion pouvait en persister. L'échec de la gauche serait resté historiquement sans conséquences si les mouvements appelés un peu partout à apparaître l'avaient ignoré. C'est parce qu'ils ne l'ignorent pas qu'il n'y aura dorénavant plus de mouvement social à s'en prendre "politiquement" à la domination."


"Ce qui est en outre entre-temps apparu, c'est que ce n'est plus le souci du capital qu'un nombre "nécessairement" majoritaire jouisse des moyens qu'assemble et gère la domination. La domination ne changerait de moyens, quand bien même il n'y aurait plus pour en jouir qu'un nombre minoritaire. Cette confusion est la plus fréquente. Et elle est de cette sorte (idealiste) qui fait qu'on oublie régulièrement que le capital sait "aussi" être fasciste ( ce qu'il n'est pas nécessairement ni même logiquement). C'est-à-dire qu'il l'est chaque fois que ne lui restent que les moyens politiques du fascisme pour continuer d'assurer ceux de sa domination."


"Ce qui constitue en effet un principe aussi peu politique que possible. Du moins au sens que tous étaient convenus de donner jusqu'alors à ce mot (et qui a fait que des négociations étaient possibles).

Décembre 1995 constitue le premier effet observable de la défaite défi itinéraire de la gauche en France. Ou le premier effet observable de la défaite définitive de la politique. C'est à dire de l'échec de la gauche à faire de la politique qu'elle prétendait mettre en œuvre autre chose, à la fin, que la défense des intérêts de la domination. Cet échec a ce sens : nul ne croit plus, surtout pas le monde du travail, qu'existe la possibilité d'une politique dont ne décide pas seule la domination et que met en œuvre le capital "



mardi 27 mai 2025

Le 19 octobre 1977 de Bernard Noël

 "L'image est dans la phrase, et elle est aussi au-dehors, si bien que la phrase n'est qu'un chemin ouvert dans sa direction. Et moi qui couvre de mots ce que je vois, je sens très bien à la façon dont ma main court sur la page qu'elle ne court pas vers le langage mais vers un besoin de voir. Dans les moments où je n'écris pas, je ne vois plus rien. L'écriture me fournit une image du monde, et elle construit l'espace dans lequel je vis. D'où une confusion entre l'espace où je vis et celui qui me désigne mon écriture. Ce n'est pas une fiction ; je suis réellement dans un lieu que le signe dessine en même temps qu'il lui donne sens. Au fur et à mesure que j'écris, les mots sont sur mes yeux, sur mon corps: j'ai le corps entièrement tatoué de dessins, de paraphes, et il me semble alors habiter un corps et un lieu qu'on peut lire : ils ne sont pas forcément compréhensibles, mais ils sont lisibles. Entreprendre un roman, c'est donner libre cours à l'avidité, à la famine active du regard; c'est comme si, vivant dans une cécité perpétuelle, la volonté d'écrire me rendait la vue parce qu'elle donne de la présence à une image à partir de laquelle la vision commence et se développe. Au début, j'ai l'impression d'essayer de lire les vocables des choses en même temps que je les vois, et il me semble entrer dans un lei où le langage va pouvoir se souder à l'image. Il y a quelque chose de siamois entre l'oeil et la parole. Et cette sensation d'oeil soudé à la langue fait que je n'ai pas le sentiment d'écrire. Comme je n'ai pas le moyen de projeter dans l'espace visible les images que j'ai en représentation, le langage me sert à pallier ce manque : c'est une poche à images, avec ce que cela suppose de clos; c'est un sac cousu dans lequel les images sont en gestation...

-Céf, dit doucement la jeune femme rousse, tu n'es pas en train d'écrire mais de nous parler. 

-Quand je parle, je ne vois que le visible. je suis entrainé dans une lecture où chaque forme devient la partie mobile d'un récit, qui se déclenche. je n'ai jamais pu regarder sans qu'un récit ne débute aussitôt. On dirait que le langage se tient autour de chaque image, prêt à me la mettre dans la tête: il suffit que je la regarde et il entre en action. Quand j'écris, l'image n'est pas forcément une représentation, une figuration; parfois une musique à la même fonction : elle fait marcher la pensée d'une façon qui lui est étrangère. L'image qui précède le texte détourne la pensée de son travail habituel, qui est d'analyser, de comprendre; elle fait sauter toutes les structures selon lesquelles j'ai appris à penser aussi bien qu'à regarder, et c'est pourquoi il y a une transformation réelle de l'espace. je marche beaucoup mieux dans mes livres que dans la réalité. Ecrire désagrège l'espace auquel la culture m'a habitué; c'est une autre façon de voir, non pas en allant vers la chose, mais en laissant la chose m'envahir et contaminer tout le corps. Quand j'écris je ne sais si je suis ce que j'écris, ou l'inverse."

dimanche 25 mai 2025

3/ La Politique n'est plus qu'un décor creux. Par M A.

Partie de l'ouvrage N° II : De la domination le capital, la transparence et les affaires

 "Tout a alors prit un cours si rapide que nul ne sut bientôt plus quel modèle était le sien ou à qui il fallait qu'il en empruntât un. Les juges se sont ainsi défaits du leur pour emprunter celui des journalistes ( non sans leur envier leur impénitence et leur impunité). Les journalistes ont ajouté à celui dont ils s'enorgueillissaient (on se demande pourquoi) celui qu'ils enviaient aux juges ( la force de loi qui ne cessaient pas d'avoir les jugements qu'ils prononçaient quand les leurs ne tenaient que de l'incantation). En réalité, les uns et les autres, mais aucun ne l'aurait pour rien au monde reconnu, adoptaient des méthodes de police".


"Sans eux qui les enfreignirent, sans doute aurait-il été permis de croire, sinon qu'elles étaient bonnes, du moins qu'elles étaient justes. Et c'est tout ce que la domination voulait qu'on crût : que, si difficiles à vivre qu'elles fussent à certains, elles s'imposaient à tous avec une égalité qui ne permettait pas qu'elles parurent douces à personne".


"C'est un mode d'affirmation contradictoire qui a déjà fait ses preuves. Ainsi, certaines dénonciations des excès du colonialisme ne cherchaient pas à dire qu'il n'y avait de colonialisme qu'excessif. Elles ne cherchaient pas davantage à dire que le colonialisme, même sans ses excès, aurait été mauvais. Il n'est même pas sûr qu'elles n'aient voulu dire le contraire : que le colonialisme est excellent, dès lors qu'on le débarrasse des excès qui le dénoncaient".


"Comme ne peuvent être qu'excellent ce qui a été pensé sous le titre du capitalisme. Duquel les excès ne doivent pas laisser croire qu'il n'y a de capitalisme qu'excessif. Duquel les excès ne doivent même laisser croire qu'il n'y de capitalisme que mauvais. Duquel les excès doivent être simplement éliminés pour qu'il redevienne ce qu'il n'aurait jamais dû cesser d'être : entre toutes les fins que l'histoire pouvait se donner à elle-même, la plus "naturelle"."


"Ce qui peut être dit à rebours: seule une société qui ne peut plus être jugée impose son jugement à tout ce qui prétendent s'opposer à elle."


" -Qu'est-ce que chacun cherche?

- Son propre jugement.

Parce que chacun veut bien n'être pas encore en conformité avec la domination, mais personne ne veut plus que la domination l'ignore au point de négliger de le juger".


"Plus personne n'étant en mesure de nous promettre l'égalité, tous nous menacent maintenant de justice. La justice n'est pas l'égale de l'égalité (ce qu'on voudrait pourtant :"être égaux devant la justice"). Elle n'en est pas non plus le moyen. Elle en est même, dans un cas comme dans l'autre, le contraire".





mercredi 21 mai 2025

Daniel Foucard : Novo


 " Notre rapport au travail est ambivalent. On peut pas dire qu'on veuille pas travailler, il suffit de regarder la valeur ajoutée dégagée par nos activités informelles, seulement on voudrait pas avec vous, vos codes, vos horaires, vos hiérarchies, vos rendements. Qu'on accepte un boulot et commence l'ennui. La sensation d'être casé, fonctionnel, dépendant. L'appréhension d'avoir à accepter une offre d'emploi est difficile à décrire. On accepte dans l'urgence, on signe avec le sourire, on a résolu un problème. En poste, le contexte est bon, l'ambiance cool, les objectifs sont précis, on sait ce qu'on a à faire.  On est en vacances. C'est la seule référence plausible. Le travail c'est comme les vacances. Un séjour, des activités, des pauses, une envie de rentrer dès la deuxième quinzaine ou dès le premier jour de pluie. Le bureau est une location bon marché. On la recommande aux amis, on la raconte, on l'oublie un peu. Pour que le travail soit aussi ennuyeux que les vacances, c'est que les deux se valent".

" La fonction éthique d'une entreprise est de répondre aux attentes de sa clientèle. L'exigence d'une clientèle est la qualité de vente. La réponse de l'entreprise est la performance des vendeurs. Le rôle du recruteur est de jauger les capacités des postulants. La tâche du formateur est d'apprendre le métier aux sélectionnés."


" Vous maintenez à bout de bras votre idéologie collective.
Celle de vos écoles, où nous éprouvons le défaut d'attention, de concentration requise pour l'obtention d'honorables résultats. Nous sommes distraits dans les classes où règne le dogme collectif. Nous en avons encore besoin c'est nécessaire, ça utile, c'est formateur, c'est une initiation, l'apprentissage d'un rapport de force, le nombre apprenant de l'unique, admettons. Permettez juste qu'on s'y endorme. 

Encore, collectivité de vos fringues où se ressembler revient à se singulariser, de vos circulations où l'inertie provoque une gêne, de vos foules spécialisées où l'information est une fonction, de vos circuits de distribution où les files d'attente sont des zones de paroles vagues, de vos recrutements professionnels et de vos carrières au mérite où les victoires personnelles flirtent avec l'insignifiance.
La collectivité est historique. Le rouage collectif aussi. Trop commode de lui opposer le néo-individualisme qui en est la surprenante résultante. L'école forme des individualistes par défaut, nos jeux et nos icônes virtuelles forment des individualistes par procuration, et les classes d'âge proposées dans vos sondages forment des individualistes par refus".



"Vous maintenez à bout de bras une idéologie darwinisme
Celle de vos bureaux, où nous éprouvons le défaut d attention,  de concentration requise pour l obtention d'honorables résultats. Nous sommes distraits dans vos réunions parce qu'elles s'appuient sur le dogme compétitif. Nous en avons encore besoin, c'est nécessaire, c'est utile, c'est formateur, admettons. 

Permettez juste qu'on s'y endorme.
La collectivité de vos résolutions actives, de vos contributions, de vos spécialisations, de vos voyages d'affaires, dealing stages et autres congrès où les plus âgés d'entre vous renouent avec nous.
La compétition est historique. Le rouage collectif aussi. Trop commode de leur coller où de leur opposer l'individualisme qui en est la surprenante résultante".



"Cheats
Vous vivez seul? Oui. En couple? Oui. Vous étés citadin ou assimilé? Oui. Amoureux au sens commun ? Oui. Où autrement ? Oui. Où vous cherchez l'amour? Oui. Vous l'avez trouvé? Oui. Vous le vivez à votre manière ? Oui. En couple ? Oui. Seul ? Oui".


2/ La Politique n'est plus qu'un décor creux. Par M A.

 Partie de l'ouvrage N° I : De la domination   le capital, la transparence et les affaires

De tout temps, les USA ont eu une économie ultralibérale,  donnant tous les droits aux patrons. Jusqu'à celui de former des milices antigrèves ou d'utiliser des agences privées telle que l'agence Pinkerton (qui deviendra plus tard les Rangers) pour se confronter aux grévistes lors des défilés. Les affrontements ont régulièrement été meurtriers. 

Des lois antisyndicales ont été votées régulièrement mettant les organisations dans l'illégalité.

Tocqueville nous a régulièrement vante les mérites de cette "démocratie".

Jusqu'aux années 1980, issu de la révolution bourgeoise de 1789, nous étions restes sur l idée que l état et son gouvernement devait gérer en partie la vie des français et que les chefs d'entreprises n'avaient pas les pleins pouvoirs et que c'était à l'état de gérer la vie sociale.

Un peu d'histoire mondiale pour situer l'arrivée de l’idée du libéralisme en France :

Arrivée aux rênes du pouvoir en Angleterre en 1979, Margaret Thatcher ouvre la voie à des réformes meurtrières dans le pays et avec une envie de mettre à terre le syndicalisme. Sa détermination à été telle qu'elle laissa mourir des militants syndicaux et politiques lors de grèves de la faim. Elle fut la première à ouvrir le bal.

En 1981, aux USA, Ronald Reagan, ancien acteur minable, devient le président et se lie d'amitié avec la première ministre anglaise. Ensemble, ils sillonnent le monde pour propager leurs idées, et surtout le libéralisme.

Dans le même temps, en France, le peuple fête l'arrivée au pouvoir d'un socialiste qui va leur redonner goût à la vie et va mettre en place des lois pour le peuple. La mascarade dura 2 ans de 1981 à 1983, où le ministre vraiment socialiste Pierre Mauroy est remplacé par le fils d'un richissime antiquaire, Laurent Fabius. De plus, François Mitterrand a pour conseiller le plus proche un certain Jacques Attali. 

Fin du socialisme. 

L'état français tente de contenir au maximum cette idée là, en menant alternativement des lois libérales et des lois un peu plus sociales.

La pensée libérale, qui est une pensée économique, balaie le champ politique depuis des années allant de la gauche à la droite, le traverse de part en part, faisant que les projets politiques, les projets de société, les idées sont toutes arrasées par la question économique, par la liberté d'entreprendre et la volonté de voir disparaître de la vie, de tous les champs de la vie, l'état.

Des chefs d'entreprises, voyant que leur syndicat de l'époque le CNPF d'Yvon Gattaz, le conseil national du patronat français, n'était plus assez virulent sur les questions sociales et les avancées des salariés ont décidé de créer un autre mouvement appeler le MEDEF en 1998  dont le 1er responsable de l' époque fut le baron Antoine Selliére, aider par un ancien trotskiste de 68, grand chef d'AXA, Denis Kessler.

Pour cela, ils créent un grand programme qui s'appellera : la refondation sociale qui n'est simplement qu'une casse complètes de tous les  acquis sociaux des ouvriers de 1936 et issus du conseil de la résistance de 45.  


Pourquoi relire une nouvelle fois cette série de textes qui composent l'ensemble intitulé "de la domination"?

"De la domination  le capital  la transparence et les affaires   I   1999

De l argent.  II. la ruine de la politique    2009

Portrait de l intellectuel en animal de compagnie.    III. 2000

Portrait de l intermittent du spectacle en supplétif de la domination.  IV.  2007

Les singes de leur idéal.  sur l'usage récent du mot "changement" V.     2013

Capitalisme et djihadisme  une guerre de religion.  VI.  2016


Tout simplement pour trouver un moyen de faire comprendre qu'il n'existe plus de politique et que l'on est dans un système autre que l'on pourrait appeler "de la domination".
Un système qui se place, non pas au dessus de la politique, mais au delà.
Dans un espace qui compte sur un certain nombre d'acteurs de la vie civile, des médias et des institutions pour fonctionner.

6 volumes dans lesquels l'auteur nous démontre et nous prouve, que la seule politique qui puisse encore se nommer comme cela, est une politique révolutionnaire, c est a dire qui est en dehors de toutes institutions. En fait, elles ne sont pas dévoyées, mais simplement mises à  disposition, "modernisées", pour accomplir les taches qui leur sont dévolues. C est pourquoi ils se disent intègres, et ne comprennent pas que l'on puisse les considérer comme "complices" de ce système tentaculaire. Par exemple, tous les journaux appartiennent à des milliardaires, la plupart vendeurs d armes, et les journalistes ne cessent de nous affirmer que jamais on ne leur a demandé quoi que ce soit, ou fait pression de quelque manière que ce soit. "Le monde diplomatique" nous a prouve que l'auto-censure est la pire des censures, elle est silencieuse et intégrée en chacun d'eux, sans en avoir conscience. Ne doutons pas de leur bonne foi.

Le numéro I qui porte donc le titre : "De la domination" avec en sous titre : "Le capital, la transparence et les affaires".
Ce numéro nous démontre que ceux qui sont à la tête, mystérieux et puissants, sont dans une stratégie très précise de nous démontrer qu'il existe une morale dans les affaires puisque ceux qui se font prendre ont des procès retentissants et très médiatisés. Et plus ce système est transparent, plus ils démontrent sue nous sommes bien encore dans une démocratie. Et chacun y participent volontiers, ceux qui y échappent comme ceux qui y succombent, acceptant d être un temps, court forcement, mis sur la touche. Ils seront, dans le temps indemnisés, récompensés pour leur sacrifice. Il n'y a guère que les pauvres pour aller en prison.


"Les cartes n'ont pas changé de mains; pourtant l'apparence en est partout répandue et le jeu comme faussé. Ceux qu' on croyait vouloir subvertir les moyens de la domination sont les mêmes aujourd'hui qui font comme si celle-ci pouvait être morale - qui en appellent en fait à une moralisation de la domination".


"L'affirmation selon laquelle le capital se serait laissé corrompre dit en réalité ceci : qu'il peut ne pas l'être. C'est à cette seconde affirmation, continue dans la première en même temps dissimulée par elle, que le capital attend que l'amènent peu à peu les accusations auxquelles il ne se prête qu'en apparence. Desquelles il ne doute pas, en réalité, que naîtra une confiance retrouvée."


"Le petit nombre de ceux que la justice a pris la main sans le sac est le prix qu'est prêt à payer ( que sacrifie en fait) le plus grand nombre de ceux qui dominent, pour ne pas le cesser."


"La domination leur réserve des olaces de choix qu'elle ne réserve à aucun autre. Parce qu'il n'y a pas pour elle d'hommage plus grand que celui que lui rendent tous ceux qui la rallient après l'avoir publiquement accusée. ( La révolution de 68 à été en cela par avance trahie par une partie de ceux qui l'ont mené : ils voulaient moins abolir la domination qu'attendre d'elle qu'elle leur fît une place de choix. Celle qu'elle réserve par prédilection aux plus véhément de ses accusateurs.)"


"Kafka l'a compris le premier: il n'y a personne qui ne doivent être jugé dès lors qu'il n'y a personne qui puisse ne pas l'être."


"Les juges ont au moins ce mérite: ils mettent à nu les ressorts du seul jugement possible, c'est-à-dire du seul jugement acceptable selon le capital : l'argent jugé l'argent, au moyen des règles dont se calculent les bénéfices. Tout autre bénéfice est illicite et appelle le droit."


"L'accusation n'a plus qu'accessoirement besoin d'être démontrée. Il suffit qu'elle se porte sur tek ou tel représentant  dûment authentifié de la domination et celle-ci doit aussitôt consentir à son abandon. Mais on se méprend sur le sens de cet abandon : il renchérit le pouvoir de la domination loin qu'il le diminue. La domination accomplit ainsi, à son corps faussement défendant,  le principe auquel Staline soumit rn son temple parti communiste de l'Union soviétique; principe selon lequel il n'y a pas de pouvoir qui ne se renforce sans s'épurer."


Jean-Paul Curnier : " c est sur le plan de l'intégrisme, c'est-à-dire de l'intégrité radicale, que le capitalisme est porté à se mesurer aujourd'hui à la menace religieuse. Or, que peut être un intégrisme capitaliste en matière morale,  sinon un capitalisme marchand  au pied de la lettre, c'est-à-dire sans faille à l'endroit de ses principes et désencombré de ses fausses et trop fragiles justification morales? Que peut-il étreint sinon une religion de la productivité,  une justification de la productivité par la productivité ? Le rêve de transparence du libéralisme se tient là. "


"On assiste sans doute à la plus grande opération de justification idéologique à laquelle le capitalisme se soit engagé  depuis l'origine. L'éloge de l'argent pur (délivré de ses profits verreux) est un pur éloge de l'argent; l'éloge d'un pouvoir pur ( délivré de ceux de ses représentants qui mélangent intérêt public et intérêt privé) est un pur éloge fu pouvoir. En somme, on assainit très exactement les conditions de la domination."


"Le temps est à ce point révolu de contester le pouvoir que passe maintenant pour ne pas l'aimer (ou pour lui nuire) qui, en fait, s'emploie sournoisement à l'absurde. Accusant ceux qui abusent du pouvoir, n'accusant qu'eux, on a soutenu en effet ceux qui n'en abusent pas. Comme s'il devait être maintenant acquis que disposer d'un pouvoir ne constitue pas en soi un abus."

"Ce n'est pas le moins étonnant, en effet : cet état équivoque, où la démocratie n'est plus elle-même sans faire l'objet d'un soute profond (d'un doute constitutif), est celui où ceux qui se mettent à croire en elle, et à la défendre, sont les plus nombreux. Ceux-là vont partout répétant qu'il faut que le pouvoirs démocratise sans voir que l'exiger de lui trahitleur impuissance à lui opposer quelque contre- pouvoir que ce soit qui l'y oblige. La démocratie, c'est ce qu'il n'y a pas de pouvoir à n'avoir pas dû concéder à ceux qui lui opposeraient le leur (on a, il y a longtemps, appelé cette opposition le peuple, les intellectuels, les travailleurs...). Sans voir que cette exigence qui lui est faite de se démocratiser absolutise le pouvoir. Le porte à l'état de seul juge et seul garant de son démocratisme. La démocratie se totalitarise, sans pourtant cesser d'être la démocratie."


" Démocrates, ils le sont en effet, à ceci près qui ne le sont qu'autant que la démocratie garantit les intérêts qu'ils servent."


"Parce que ceux-ci confondent les choses, donnant à l'une le nom d'une autre : ils répondent de la démocratie quand c'est au capitalisme qu'ils en appellent. Ils se trompent donc en ceci: ils sauvent le capitalisme quand c'est la démocratie qu'ils prétendent défendre. Ils ne se trompent pourtant pas en cela: la défaite de toute critique un tant soit peu violente du pouvoir est telle que nul ne différencie plus le capitalisme de la démocratie. Que nul n'imagine même qu'a existé un temps, pas si lointain, où le capitalisme était à peine moins que le stalinisme l'hypothèque la plus lourde pesant sur la démocratie."


" Il n'y a pas depuis quelques années (depuis 1989) de confusion plus efficace. Il a suffi que des foules fuient en masse le stalinisme quand vient le savait elle-même encore faire quoi pour que le capital devient du goût tout l'horizon de toute démocratie l'infériorité de ceux qui savaient alors que le capitalne serait pas cette démocratie ton c'est fou c'est frustré C'est qu'il savait depuis longtemps qu'il n'y avait nulle part où eux-mêmes plus le fuir."


"Le tour de force du capital, c'est d'avoir convaincu qu'il n'est responsable d'aucune des conséquences que son iniquité à instaurées. Qu'il soit ici excédent et qu'il manque là n'est rien dont on puisse l'accuser puisqu'il n'y a pas jusqu'à lui qui ne puisse s'en plaindre ( et qui ne s'en plaigne, n'affirme-t-il pas que, s'il ne tenait qu'à lui, c'est vous qui en joueraient?). C'est le tour de force du capital d'en avoir convaincu y compris ceux qu'il privé le plus, qui ne savent plus dès lors contre qui se retournent. Et sui, faute de le savoir, se dressent les uns contre les autres. Le tour de force du capital aura consiste à laisser s'entre-accuser de leurs détresses ceux qu'il aura réduits à celles-ci."


"Les "affaires" dont l'exact équivalent pour le vie publique de la représentation pornographique de masse pour la vie privée. Qu'on ne l'ait pas tout de suite compris surprend. Ce dont il est question, c'est de mettre tout à nu, avec l'accord de tous ceux qu'une aussi extravagante nudité peut convaincre que vie privée et vie publique s'en trouveront plus libres. Quand il n'est en fait question, pour la domination, que d'empêcher quiconque de se soustraire à l'aveu qui le soumet."


"Nous sommes entrés dans ce temps où tout aveu nous soumettra bientôt au désir qu'à la domination que nous lui soyons transparents. Et où toute réserve semblera une conspiration."


"L'échange est de cet ordre : "nous ne sommes plus que ce que nous valons. Et nous ne valons plus que pour autant que nous nous prêtons à voir comme preuve du désir que suscite le capital"."


"Qui s'en prendra bientôt à qui? Le pouvoir politique à lui-même, plutôt que d'avoir à faire l'aveu que la domination lui a en grande partie échappé? Que le pouvoir politique soit maintenant sans presque aucun des moyens du pouvoir, voilà ce qui fait que la domination n'a rien à craindre des accusations portées contre lui un peu partout: celles-ci visant les ombres qu'elle a su laisser derrière elle, poudreux se dérober."


"Cette question de l’innocence est cruciale. Elle ne l'est pas du point de vue que se représentent ceux qui la posent. Elle l'est en ce sens : de quelle "supériorité" peut se prévaloir un monde auquel nul n'échappe plus, qui est désormais "sans dehors"? Ce que le capital sait n'être plus au-dehors de lui (auquel il devait de savoir qu'il était pur, par comparaison), force lui est d'en retrouver en lui l'équivalent, et de l'y dénoncer. " nous ne sommes pas assez innocents pour une victoire aussi considérable" n'est pas un énoncé moral. C'est même tout sauf un énoncé moral. Cela veut simplement dire: Nous manquerons désormais de tout principe extérieur d'innocentiation."


"Le capital est maintenant sans dehors. Et il ne l'aurait sans doute pas imaginé: être sans pouvoir sortir de lui-même l'effrayer. Il dispose des moyens d'une puissance considérable mais il reste sans plus pouvoir en menacer quiconque. C'est lui, du coup, que cette puissance inemployée menace".


" À ce que la domination prive de posséder, ne restera bientôt que la consolation "d'appartenir". L'appartenance est le subterfuge au moyen de quoi la domination convaincra bientôt tous ceux auxquels il ne reste rien que ce rien est ce qu'ils ont inaliénablement en propre: le sang (pur), le nom (propre), la terre (patrie). C'est au nom du sang, au nom du nom et au nom de la terre que s'élaborent et s'élaboreront dorénavant toutes les règles de la domination visant à satisfaire la supplication d'appartenance de tous ceux que privent la propriété du capital - mais que le capital a convaincu des vertus identificatoires de la propriété".


" Cette supplication du "propre", de la "propriété" est tout ce qu'il reste du refoulé de la révolution; de la révolution comme échec à transformer le régime de la propriété, transformation qui est la seule, on le sait, à pouvoir qualifier une révolution".


" Il ne s'agit pas que les entreprises publiques disparaissent (elles disparaîtront sans doute, au moins en tant que telles),  mais qu'il n'y ait plus d'entreprises que publiques (selon un modèle en cours d'élaboration: familial, sexuel financier...). Le capital dispose enfin des moyens de "priver" l'espèce, et de la "priver" sans reste".


" La plus grande opération de justification idéologique jamais engagée par le capital est aussi, est surtout, la plus grande opération de police jamais engagée par lui".


" Ne le voyait-on pas? ou faisait-on semblant de ne pas le voir? C'est parce que les anciens partis politiques savent qu'ils ne peuvent plus maintenant se réclamer de la légitimité qu'ils ont eue - c'est-à-dire parce qu'il n'y a pas d'autorité qu'ils ont eue que n'aient corrompue leurs accessions successives à l'exercice de la domination - que la domination s'est alliée à ceux auxquels elle s'était jusqu'alors refusée.

La presse et la justice se sont longtemps fait fort de ce refus. C'est pourquoi c'est vers eux que la domination est allée chercher ses nouveaux alliés. Et c'est à l'alliance avec la presse et la justice ont aussitôt consenti, comme si celle-ci témoignait après coup pour leur indépendance passée. Et c'est à l'alliance avec la presse et la justice que la domination s'est prêtée, comme si celles-ci témoignait, également après coup, qu'elle avait de tout temps était prête à la transparence.
Les unes et les autres s'y adonnent aujourd'hui jusqu'au délire".