samedi 29 juin 2024

Politique fiction. Par M.A.

 Discours potentiellement entendables le soir des elections:


Macronistes:


"Nous n avons pas vraiment perdus mais nous n avons pas vraiment gagné puisque nous n avons pas la majorité absolue. Nous chercherons donc des partenariats avec les autres partis mais en excluant les extrêmes. Il était important de sauver la démocratie et les valeurs de la republique. Il fallait ne pas renoncer à ce qui nous constitue. Face aux extrêmes, nous nous devions de garder le cap des reformes. En fait que nous ont dit les français? Que nous n allions pas assez vite. Peut être aussi n avons nous pas assez expliquer en quoi ces réformes étaient nécessaires. Les français, aujourd hui nous ont prouve qu ils avaient compris les enjeux de cette élection et qu ils nous faisaient confiance pour continuer à faire ce que nous faisons."


Bardella: perdant


"En fait, même si ce soir, nous n avons pas la majorité, nous avons gagné car nous confirmons notre position de premier parti de l opposition qui est en fait le seul en capacité de remettre de l ordre et de la sécurité dans ce pays. Nos idees sont déjà majoritaires dans l opinion publique. Mais aussi il faut bien le dire: la presse est contre nous, et tous les partis s unissent pour nous combattre. Il reste maintenant l'objectif des présidentielles et là, nous avons de bons espoirs si nous pouvons nous exprimer librement.


Bardella gagnant:


"Aujourd hui, ce n est pas notre victoire, c est celle de la France. Je vais donc être Premier ministre et des mon arrivée à Matignon, je vais me mettre au travail. Je ressemblerais dans les premiers jours mon gouvernement et nous commencerons à préparer les premières lois que les français attendent sur la sécurité l immigration et le pouvoir d achat. Mais ce que je veux dire aux français c est que je serais le premier ministre de tous les français. "


Nouveau front populaire: perdant


"Nous avons fait notre travail. Nous avons sauvé la démocratie et les valeurs de la République. Nous avons subi un baching sans précédent de la part de la majorité présidentielle, du RN, normal, et de la presse. Vous nous mettez sur le même plan de dangeurosité que le RN mais tous disent qu en cas de duels entre le NFP et le RN qu ils voteraient RN. Alors evidemment dans ces conditions c est difficile de gagner." 


Nouveau front populaire: gagnant


"Ce n est pas la victoire d un parti, mais la victoire de la gauche historique qui a sut passer au dessus ses clivages et des différences pour agir et sauver le pays de l extrême droite. C est la victoire du peuple français dans ce qui constitue son adn. Il nous reste à nous mettre au travail le plus vite possible afin de lettre en place notre programme. Mais d abord, nous devons nous réunir afin de choisir la personne qui sera la plus à même d être le premier ministre de la France. Il faut que ce choix fasse consensus."



vendredi 28 juin 2024

Pasolini : Lettres antifascistes (Dialogues en public

Pier Paolo Pasolini (détail couverture © NRF Poésie/Gallimard)

De 1960 à 1965, dans le journal communiste Vie Nuove, Pasolini publie ses réponses à des lettres qui lui sont adressées par des lecteurs et lectrices. Dialogues en public réunit un ensemble de ces échanges entre les lecteurs/lectrices et Pasolini, celui-ci répondant aux interrogations très diverses qui lui sont faites autant sur son propre travail que sur des faits d’actualité, sur la politique italienne, sur tel fait divers, sur l’Église et la croyance, sur la littérature, etc.




Pour un artiste et penseur comme Pasolini, l’exercice est singulier mais important et significatif. Comme le titre l’indique, il s’agit effectivement de dialogues dans lesquels Pasolini s’efforce autant de répondre que de penser avec, penser à partir des autres, de leurs idées, de leur point de vue, de leurs demandes. Distinct de l’exercice de l’essai, cet échange épistolaire amène Pasolini à ne pas être seulement celui qui dispense un savoir selon des questions et un point de vue dont il aurait décidé : il doit s’en tenir à une forme relativement brève et surtout considérer les questions posées, les demandes faites, les critiques formulées, en se penchant sans l’avoir choisi lui-même (même s’il choisit les lettres auxquelles il répond) sur tel aspect de son travail, sur tel fait divers, sur telle perspective politique. Il s’agit d’un exercice dans lequel Pasolini s’expose aux autres et inclut ce rapport à autrui dans sa propre pensée, mêlant deux discours se répondant, s’apostrophant, se complétant, s’opposant, se mélangeant…


On pourrait voir dans cette façon de produire du texte et de la pensée une variante du discours indirect libre cher à Pasolini. Celui-ci, dans sa recherche de moyens discursifs et cinématographiques pour inclure des paroles minoritaires, des points de vue d’ordinaire passés sous silence, a exploré des possibilités diverses : écrire en frioulan ; pratiquer une forme documentaire qui inclut des paroles et points de vue différents (Comizi d’amore) ; privilégier le(s) point(s) de vue subjectif(s) au cinéma ; recourir aux mythes, etc. Il s’agissait pour Pasolini de faire émerger, dans le discours ou l’image, des fragments de réalité irréductibles, des éclats hétérogènes, des événements singuliers – de faire en sorte que l’image ou le discours soient indissociables de tels événements. Il s’agissait également de mettre en crise la langue du pouvoir, l’image construite par celui qui sait, en les ouvrant à une pluralité davantage démocratique et donc critique.




Les échanges épistolaires rassemblés dans Dialogues en public créent un dispositif qui rejoint ces préoccupations, ces engagements, le volume étant constitué de textes qui sont autant de Pasolini que de ses correspondants et correspondantes, textes dans lesquels chacun et chacune s’exprime de manières diverses (dans le ton, dans les sujets, dans la langue, etc.), Pasolini étant amené à réagir, à développer, à expliquer et s’expliquer en fonction de choix qui sont faits par lui autant que par d’autres. L’auteur est forcé d’imposer à sa pensée des mouvements qui lui viennent en partie du dehors, de suivre des lignes, de se pencher sur des objets qui proviennent autant des autres que de lui – et de parcourir sa propre pluralité interne, ses propres « contradictions » (« […] mes contradictions me protègent. Ce sont elles qui garantissent ma conduite de démocrate ! »).


De fait, les auteurs des lettres adressées à Pasolini sont très divers : bourgeois, ouvriers, hommes, femmes, jeunes, vieux, de gauche, de droite, un tel émettant une critique, un autre demandant des conseils, une autre attaquant Pasolini sur la religion, un autre encore l’invitant à s’exprimer sur Brigitte Bardot ou sur D’Annunzio ou sur le décès de son frère, etc. Même si le choix des textes reproduits dans Dialogues en public est centré sur des points précis (le cinéma, la littérature, la politique), l’ensemble n’en compose pas moins une diversité hétéroclite de thèmes, de sujets, de points de vue, configurant donc une variation mentale ou un patchwork discursif qui agence une pluralité à l’intérieur de laquelle Pasolini circule sans réellement la dominer ou l’orienter, contrairement à ce que pourrait faire un auteur seul aux commandes d’un essai (« Je ne veux pas être une autorité »). En ce sens, la forme de ces dialogues, le dispositif qui est ainsi mis en place, correspondent à une véritable situation de pensée, une situation dans laquelle la pensée est produite selon des circonstances qui interrogent ce que signifie « penser », les implications des façons de produire de la pensée, et qui créent une pensée singulière, ici plurielle, en un sens nomade, en tout cas habitée par autre chose que le seul point de vue dominant du penseur et ses conditionnements sociaux et politiques. Peut-être est-ce là une dimension du livre qui est définitoire de la nouvelle collection que les éditions Corti inaugurent avec cette publication, collection justement intitulée « penser – situer ».




Les sujets abordés dans cette forme de correspondance sont très divers. Un des intérêts de cet ensemble de textes est qu’ils informent aussi sur les points de vue et partis-pris de Pasolini, points de vue exposés par Pasolini lui-même et concernant son cinéma, sa poésie, sa littérature, ses engagements politiques, son rapport à la religion, au social, à la question de l’éducation, des classes sociales, du communisme, de la politique italienne et internationale, etc. A travers cette série de sujets abordés, le sujet récurrent, ou plutôt la cible récurrente de Pasolini, est le fascisme. Pasolini nomme et définit l’ennemi qu’est la forme actualisée du fascisme (ce même fascisme qui est d’ailleurs au pouvoir en Italie) : « L’Italie est en train de pourrir dans un bien-être qui est égoïsme, stupidité, inculture, médisance, moralisme, répression, conformisme : se laisser aller de quelque façon que ce soit à encourager ce pourrissement, c’est la forme que prend le fascisme aujourd’hui ». C’est ce fascisme qui nourrit la classe bourgeoise, comme il nourrit la classe ouvrière lorsqu’elle s’aliène dans le regard bourgeois sur le monde et sur soi. Et, pour Pasolini, c’est ce fascisme qui est encore et toujours à détruire (non pas « dialoguer avec », non pas inclure « démocratiquement », mais bien détruire).




La pensée de Pasolini, son art, ses efforts politiques visent le fascisme, cherchent des moyens d’être antifascistes, non fascistes, ailleurs que là où le fascisme prolifère. Un des moyens est la poésie, l’art, la création : « toute œuvre poétique est profondément novatrice, et donc scandaleuse » ; « Les poètes, ces éternels indignés, ces champions de la colère intellectuelle, de la furie philosophique » ; « Le poète, au contraire, refuse cette adaptation ». La poésie est politique, l’art est politique contre l’ordre fasciste du monde. C’est ce que Pasolini répète à travers les lettres reproduites dans Dialogues en public, comme il n’a cessé de le répéter et de le mettre en pratique à travers son existence. C’est cette existence non fasciste que convoque et rappelle Dialogues en public autant que la nécessité de reprendre encore et toujours, de répéter aujourd’hui encore, la pensée et le projet de Pasolini.


Pier Paolo Pasolini, Dialogues en public, traduit de l’italien par François Dupuigrenet Desroussiles. Préface de Florent Lahache, éditions Corti, mars 2023, 248 p., 23 €

samedi 22 juin 2024

Le Monde diplomatique: Manière de voir : des non-alignes Le Sud existe t il?

 Article: "la diplomatie n est pas une affaire de gourdin".

Extrait du discours d ouverture de la conférence de Bandung prononcé par le président indonésien Sukarno (1950-1967), le 18 avril 1955.

"Nous appartenons à différentes nations, avec des arrière-plans sociaux et culturels différents. Notre façon de vivre n'est pas la même, nos caractères nationaux, ni nos couleurs, ni nos motifs...Nous sommes issus de différentes souches raciales. Mais qu'est-ce que cela peut faire? L'humanité s unit ou se divise pour des considérations d'un autre ordre. Les conflits n ont leurs origines ni dans la variété des peaux ni dans la variété des religions, mais dans la variété des désirs

Nous tous,  j en ai la certitude,  sommes unis par des choses plus importantes que celles qui superficiellement nous divisent; nous sommes Unis, par exemple, par la haine commune du colonialisme, sous quelque forme qu il apoaraisse; nous sommes unis par la haine du racisme et par la détermination commune de préserver et de stabiliser la paix dans le mond. (...)

Or on ne saurait affirmer que dans nos pays sont entièrement libres. C'est pourquoi nous ne pouvons penser que nous sommes déjà arrivés au but. Aucun peuple ne peut se sentir libre tant qu'une partie quelconque de sa patrie n'est pas libre. Comme la paix, la liberté est indivisible. De même qu'on ne peut pas être à moitié vivant, on ne peut pas être à moitié libre. On nous dit souvent que le colonialisme est mort. Ne nous laissons pas illusionner, ou même endormir, par cette formule trompeuse. Je vous assure que le colonialisme est bien vivant. Comment peut-on affirmer le contraire tant que de vastes régions d'Asie ou d'Afrique ne sont pas libres? Et je vous prie de ne pas penser seulement au colonialisme de forme classique tel que nous l'avons connu en Indonésie et dans différentes parties de l'Asie et de l'afrique. Le colonialisme moderne se présente aussi sous la forme de contrôle économique, du contrôle intellectuel et du contrôle physique, exercé par une communauté étrangère à l'intérieur de la nation. C'est un ennemi habile et décidé qui ne manifeste sous diverses déguisements ; ils ne lâchent pas facilement son butin. N'importe où, n'importe quand, et quelle que reçoit la forme sur laquelle il apparaît, le colonialisme est un mal qu'il faut éliminer de la surface du monde. (...)

Que pouvons-nous faire les peuples d'Asie et d'Afrique ne disposent que de peu de forces physiques; leur force économique même est dispersée et peu importante. Nous ne saurions nous engager dans une politique de puissance. La diplomatie, pour nous, n'est pas une affaire de gourdin. (...) En vérité, nous autres peuples d'Afrique et d'Asie, au nombre de 1, 4milliard, c'est-à-dire beaucoup plus que la moitié de la population terrestre, nous pouvons mobiliser ce que j'appellerais la violence morale des peuples dans l'intérêt de la paix. Nous pouvons démontrer à la minorité, qui vivent sur d'autres continents, que nous, la majorité, sommes pour la paix, non pour la guerre, et que toute la force que nous pourrons avoir sera toujours mise au service de la paix. (...)

L isolement splendide était jadis possible, il ne l'est plus aujourd'hui. Les affaires du monde sont nos affaires, et notre avenir dépend de la solution que recevront tous les problèmes internationaux, ausi loin de nous qu'elles paraissent se situer. Faisons du principe "vivre et laisser vivre" et du dicton "unité dans la diversité" la force unificatrice qui nous maintiendra tous ensemble."

Considerations inactuelles II etudes historiques N 5. Par Friedrich Nietzsche

 Cette sursaturation d’une époque par l’histoire sera hostile à la vie et lui sera dangereuse, de cinq manières. L’excès des études historiques engendre le contraste analysé plus haut entre l’être intime et le monde extérieur, et affaiblit ainsi la personnalité. L’excès des études historiques fait naître dans une époque l’illusion qu’elle possède cette vertu la plus rare, la justice, plus que toute autre époque. L’excès des études historiques trouble les instincts du peuple et empêche l’individu aussi bien que la totalité d’atteindre la maturité. L’excès des études historiques implante la croyance toujours nuisible à la caducité de l’espèce humaine, l’idée que nous sommes des êtres tardifs, des épigones. L’excès des études historiques développe dans une époque un état d’esprit dangereux, le scepticisme, et cet état d’esprit plus dangereux encore, le cynisme ; et ainsi l’époque s’achemine toujours plus vers une pratique sage et égoïste qui finit par paralyser la force vitale et la détruire. Revenons cependant à notre première affirmation : l’homme moderne souffre d’un affaiblissement de sa personnalité. De même que le Romain de l’époque impériale devint anti-romain, en regard de l’univers qui était à son service, de même qu’il se perdit dans le flot envahissant des choses étrangères, dégénérant au milieu d’un carnaval cosmopolite de divinités, de mœurs et d’arts, de même il en adviendra de l’homme moderne qui, par ses maîtres dans l’art de l’histoire, se fait offrir sans cesse le spectacle d’une Exposition universelle. Il est devenu le spectateur jouissant et errant, transporté dans des conditions que de grandes guerres ou de grandes révolutions sauraient à peine changer durant un instant. Une guerre n’est pas terminée que déjà elle est transformée en papier imprimé, multipliée à cent mille exemplaires, et présentée comme nouveau stimulant au gosier fatigué de l’homme avide d’histoire. Il paraît presque impossible qu’une note pleine et forte puisse être produite, lors même que l’on ferait jouer toutes les cordes, car aussitôt les sons s’altèrent, pour prendre une fluidité historique, un accent tendre et sans force. Si je voulais m’exprimer au point de vue moral, je dirais que vous ne réussissez plus à fixer le sublime, vos actions sont des coups brusques, elles n’ont pas le roulement du tonnerre. Accomplissez ce qu’il y a de plus grand et de plus sublime, vos actions disparaîtront sans laisser de trace. Car l’art s’enfuit quand les actes s’abritent sans trêve sous la tente des études historiques. Celui qui veut comprendre, calculer, interpréter au moment où son émotion devrait saisir l’incompréhensible comme quelque chose de sublime, celui-là sera peut-être appelé raisonnable, mais seulement au sens où Schiller parle de la raison des gens raisonnables. Il ne voit pas certaines choses que l’enfant est capable de voir, il n’entend pas certaines choses que l’enfant est capable d’entendre. Et ces choses sont précisément les plus importantes. Parce qu’il ne les comprend pas, son entendement est plus enfantin que celui de l’enfant et plus niais que la niaiserie même — malgré tous les plis de la ruse que prend son visage parcheminé et l’habileté de virtuose que ses doigts possèdent à démêler ce qu’il y a de plus enchevêtré. Cela vient de ce qu’il a détruit et perdu son instinct. Dès lors il ne peut plus se confier à cet « animal divin » et lâcher la bride quand son intelligence chavire et que la route traverse le désert. C’est ainsi que l’individu devient incertain et hésitant et ne peut plus avoir foi en son jugement. Il s’affaisse sur lui-même, il se plie sur son être intime, c’est-à  dire qu’il se plaît à contempler le chaos accumulé de tout ce qu’il a appris et qui ne saurait agir au-dehors, de l’instruction qui ne saurait devenir de la vie. Si l’on s’en tient à l’extérieur, on s’aperçoit que la suppression des instincts par les études historiques a fait des hommes des abstractions pures et des ombres. Personne n’ose plus mettre sa propre individualité en avant, il prend le masque de l’homme cultivé, du savant, du poète, du politicien. Si l’on s’avise d’attaquer de pareils hommes, avec l’illusion qu’ils prennent les choses au sérieux et qu’il ne s’agit pas pour eux d’un jeu de marionnettes — attendu qu’ils font tous parade de sérieux — on s’aperçoit, au bout d’un moment, qu’on n’a plus entre les mains que des loques et des chiffons bariolés. C’est pourquoi il ne faut plus se laisser tromper, et leur enjoindre d’enlever leur déguisement ou d’être véritablement ce qu’ils paraissent être. L’homme d’esprit sérieux ne doit pas être forcé de faire le Don Quichotte, car il a mieux à faire que de se battre avec ces prétendues réalités. En tous les cas, chaque fois qu’il aperçoit le masque il doit jeter un coup d’œil perçant et crier gare. Qu’il arrache donc le masque ! Chose singulière ! On pourrait croire que l’histoire devrait encourager avant tout les hommes à être sincères, ne fût-ce même que d’une folie sincère. Et toujours il en a été ainsi, sauf actuellement ! La culture historique et le vêtement bourgeois règnent en même temps. Alors qu’il n’a jamais été parlé, avec autant d’assurance, de la « personnalité libre », on s’aperçoit à peine qu’il y a des personnalités et encore moins des personnalités libres, car partout on ne voit que des hommes universels craintivement masqués. L’individu s’est retiré dans l’intimité de l’être ; à l’extérieur on n’en aperçoit plus rien. Ce qui permet de douter qu’il puisse y avoir des causes sans effets. Ou bien, pour la garde du grand harem universel de l’histoire, une génération d’eunuques serait-elle nécessaire ? Il est vrai qu’à ceux-là le visage de l’objectivité pure siérait à merveille. On pourrait presque croire qu’il existe une tâche qui consiste à garder l’histoire, afin que rien n’en pénètre au-dehors que précisément des histoires, mais, à aucun prix, des événements, une tâche qui consiste à empêcher que, par l’histoire, les personnalités deviennent « libres », c’est-à-dire véridiques envers elles-mêmes, véridiques à l’égard des autres, en parole et en action. Grâce à cette véracité seulement la peine, la misère intérieure de l’homme moderne viendront au jour, et, en lieu et place de cette convention et de cette mascarade craintives et honteuses, pourront venir les véritables auxiliaires, l’art et la religion, qui, d’un commun accord, implanteront une culture correspondant à des besoins véritables, non point pareille à l’instruction générale actuelle, laquelle enseigne seulement à se mentir à soi-même au sujet de ces besoins et qui par là devient un véritable mensonge ambulant. À une époque qui souffre des excès de l’instruction générale, dans quelle situation monstrueuse, artificielle et en tous les cas indigne d’elle-même, se trouve la plus véridique de toutes les sciences, cette divinité honnête et nue, la philosophie ! Dans un pareil monde d’uniformité extérieure et forcée, elle reste le monologue savant du promeneur solitaire, proie du hasard chez l’individu, secret de cabinet ou bavardage puéril entre enfants et vieillards académiques. Personne n’ose réaliser par lui-même la loi de la philosophie, personne ne vit en philosophe, avec cette simple fidélité virile qui forçait un homme de l’antiquité, où qu’il fût, quoi qu’il fit, à se comporter en stoïcien, dès qu’il avait une fois juré fidélité à la Stoa. Toute philosophie moderne est politique ou policière, elle est réduite à une apparence savante par les gouvernements, les églises, les mœurs et les lâchetés des hommes. On s’en tient à un soupir de regret et à la connaissance du passé. La philosophie, dans les limites de la culture historique, est dépourvue de droits, si elle veut être plus qu’un savoir, retenue par l’être intime, sans action au-dehors. Si, d’une façon générale, l’homme moderne était seulement courageux et décidé, s’il n’était pas lui-même un être intérieur plein d’inimitiés et d’antinomies, il proscrirait la philosophie, il se contenterait de voiler pudiquement sa nudité. À vrai dire, on pense, on écrit, on imprime, on parle, on enseigne philosophiquement, — jusquelà tout est à peu près permis. Mais il en est autrement en action, dans ce que l’on appelle la vie réelle. Là une seule chose est permise et tout le reste est simplement impossible : ainsi le veut la culture historique. Ceux-là sont-ils encore des hommes ? se demandera-t-on alors, ou peut-être simplement des machines à penser, à écrire, à parler ? Gœthe disait un jour au sujet de Shakespeare : « Personne n’a méprisé le costume matériel autant que lui. Il connaît fort bien le costume intérieur des hommes, et, en cela, tous se ressemblent. On dit qu’il a parfaitement représenté les Romains. Ce n’est pas mon avis. Ses personnages incarnent tous de véritables Anglais. Il est vrai que ce sont aussi des hommes, foncièrement des hommes, et la toge romaine leur sied à merveille. » Or, je me demande s’il serait possible de présenter nos littérateurs, nos hommes du peuple, nos fonctionnaires, nos politiciens d’aujourd’hui sous le costume romain. Je ne le crois pas, car ce ne sont point là des hommes, mais des manuels en chair et en os et, en quelque sorte, des abstractions concrètes. Si par hasard ils avaient du caractère et une originalité propre, tout cela est si profond qu’il n’y a pas moyen de le tirer au jour. Et pour le cas où ils seraient véritablement des hommes, ce serait seulement pour ceux qui « sondent les cœurs ». À nos yeux, ils sont autre chose, non point des hommes, non point des dieux, non point des bêtes, mais des organismes de formation historique, produits de l’éducation, images et formes sans contenu démontrable, et malheureusement formes défectueuses [24], et de plus uniformes. Et c’est ainsi qu’il faut comprendre et considérer mon affirmation : l’histoire ne peut être supportée que par les fortes personnalités ; pour les personnalités faibles, elle achève de les effacer. Cela tient à ce que l’histoire brouille le sentiment et la sensibilité, dès que ceux-ci ne sont pas assez vigoureux pour évaluer le passé à leur mesure. Celui qui n’ose pas avoir confiance en lui-même et qui, involontairement, pour fixer son sentiment, demande conseil à l’histoire — « comment dois-je ressentir ? » — celui-là, par crainte, finit par devenir comédien. Il joue un rôle, la plupart du temps même plusieurs rôles, et c’est pourquoi il les joue tous si mal et avec tant de banalité. Peu à peu disparaît toute congruence entre l’homme et son domaine historique. Nous voyons des petits êtres pleins de suffisance s’en prendre aux Romains comme s’ils étaient leurs semblables. Ils fouillent dans les résidus des poètes romains, comme s’ils avaient devant eux des cadavres prêts à la dissection, comme s’il s’agissait d’être vils, tels qu’ils le sont peut-être euxmêmes. Admettons que l’un d’eux s’occupe de Démocrite. J’ai toujours envie de me demander pourquoi donc Démocrite ? Pourquoi pas Héraclite ? Ou Philon ? Ou Bacon ? Ou Descartes et ainsi de suite ? Et encore, pourquoi précisément un philosophe ? Pourquoi pas un poète ? Un orateur ? Et enfin : pourquoi donc un Grec ? Pourquoi pas un Anglais ? Un Turc ? Le passé n’est-il pas assez vaste pour que vous y trouviez quelque chose qui ne vous fasse pas paraître ridiculement quelconque. Mais, il faut le répéter, c’est là une génération d’eunuques. Car, pour l’eunuque une femme est pareille à l’autre, une femme n’est qu’une femme, la femme en soi, l’éternelle inaccessible. Dès lors, il est indifférent de savoir ce que vous faites, pourvu que l’histoire soit conservée bien « objectivement », c’est-à-dire par ceux qui ne sont jamais capables de faire eux-mêmes de l’histoire. Et, comme l’éternel féminin ne vous attire jamais à lui, vous l’abaissez jusqu’à vous et, étant vous-même des « neutres », vous considérez aussi l’histoire comme quelque chose de neutre. Il ne faudrait pas croire cependant que je veuille comparer sérieusement l’histoire à l’éternel féminin. Je tiens à exprimer clairement que je la considère, au contraire, comme l’éternel masculin. Mais, pour ceux qui sont pénétrés de part en part de « culture historique », il est assez indifférent qu’elle soit l’un ou l’autre, car eux-mêmes ne sont-ils pas ni hommes ni femmes, ni même communia ? Ils sont, encore et toujours, des neutres, ou, pour m’exprimer d’une façon plus cultivée, les éternels objectifs. Rien n’agit plus sur les personnalités lorsqu’on les a ainsi effacées, jusqu’à en faire disparaître à jamais le sujet, ou, comme on dit, lorsqu’on les a ainsi réduites à l'« objectivité ». Qu’il arrive quelque chose de bon et de juste — action, poème, musique — immédiatement l’homme cultivé et creux regarde audelà de l’œuvre et s’informe des particularités qu’il y a dans l’histoire de l’auteur. Si celui-ci a déjà produit plusieurs choses, il lui faudra permettre que l’on interprète la marche de son évolution antérieure et la marche probable de son évolution future. On le placera à côté d’autres personnes pour établir des comparaisons. On examinera le choix de son sujet et la façon dont il l’a traité, et, après avoir décomposé et démêlé tout cela, après l’avoir remâché et censuré, on voudra en refaire un tout. Quoi qu’il arrive ou paraisse, fût-ce même la chose la plus surprenante, toujours l’armée des neutres historiens est sur place, prête déjà à scruter l’auteur de loin. De suite un écho retentit, mais c’est toujours sous forme de « critique », alors qu’il y a peu de temps encore le critiqueur ne songeait même pas en rêve à la possibilité de l’événement qu’il censure. Jamais il ne se produit un effet, mais encore et toujours une « critique ». Et la critique elle-même est dépourvue d’effet, car elle ne se traduit que par de nouvelles critiques. On est convenu de considérer un grand nombre de critiques comme un effet produit, un petit nombre ou l’absence complète de critiques, au contraire, comme un insuccès. Au fond, qu’il y ait pareil « effet » ou non, toutes choses demeurent en état. On se livre simplement pendant un certain temps à un nouveau bavardage, puis à un bavardage encore plus nouveau et, dans l’intervalle, on fait ce que l’on a toujours fait. La culture historique de nos critiques ne permet pas du tout qu’il y ait un « effet », au sens propre, c’est-à-dire une influence sur la vie et l’action. Sur l’écriture la plus noire, ces critiques appliquent aussitôt leur papier buvard, ils barbouillent le dessin le plus agréable de gros traits de pinceau, et veulent faire prendre ceux-ci pour des corrections. C’en est fini dès lors. Jamais leur plume critique ne cesse de couler, car ils ont perdu toute puissance sur elle et c’est plutôt elle qui les dirige au lieu d’obéir à leur main. C’est justement dans ce que leurs effusions critiques ont de démesuré, dans leur incapacité de se dominer, dans ce que les Romains appellent impotentia, que se révèle la faiblesse de la personnalité moderne.  

vendredi 21 juin 2024

Le livre de l intranquilite. De Fernando Pessoa

 "De même que nous avons tous, que nous le sachions ou non, une métaphysique, de même, que nous le voulions ou non, nous avons tous une morale. J’ai une morale fort simple — ne faire à personne ni bien ni mal. Ne faire de mal à personne, parce que non seulement je reconnais aux autres, tout comme à moi-même, le droit de n’être gêné par personne, mais aussi parce que je trouve qu’en fait de mal nécessaire dans le monde, les maux naturels suffisent largement. Nous vivons tous, ici-bas, à bord d’un navire parti d’un port que nous ne connaissons pas, et voguant vers un autre port que nous ignorons ; nous devons avoir les uns envers les autres l’amabilité de passagers embarqués pour un même voyage. Et ne pas faire de bien, parce que je ne sais ni ce qu’est le bien, ni si je fais réellement le bien lorsque je crois le faire. Sais-je quels malheurs je peux entraîner en faisant l’aumône ? Sais-je quels maux je peux causer si j’éduque ou instruis ? Dans le doute, je m’abstiens. Et il me semble même qu’aider ou conseiller c’est encore, d’une certaine manière, commettre la faute d’intervenir dans la vie d’autrui. La bonté est un caprice de notre tempérament : nous n’avons pas le droit de rendre les autres victimes de nos caprices, même s’il s’agit de caprices par humanité ou par tendresse. Les bienfaits sont quelque chose qui nous est infligé : c’est pourquoi, froidement, je les exècre. Si je ne fais pas de bien, par souci moral, je n’exige pas non plus qu’on m’en fasse. Si je tombe malade, ce qui me pèse le plus c’est que j’oblige quelqu’un à me soigner, chose que je répugnerais moi-même à faire pour un autre. Je ne suis jamais allé voir un ami malade. Et chaque fois qu’étant malade, on est venu me rendre visite, j’ai subi chaque visite comme une gêne, une insulte, une violation injustifiable de mon intimité profonde. Je n’aime pas qu’on me fasse des cadeaux ; on semble ainsi m’obliger à en faire à mon tour — aux mêmes gens ou à d’autres, peu importe. Je suis hautement sociable, de façon hautement négative. Je suis l’être le plus inoffensif qui soit. Mais je ne suis pas davantage ; je ne veux pas, je ne peux pas être davantage. J’ai à l’égard de tout ce qui existe une affection visuelle, une tendresse de l’intelligence — rien dans le cœur. Je n’ai foi en rien, espoir en rien, charité pour rien. J’exècre, effaré et nauséeux, les sincères de toutes les sincérités et les mystiques de tous les mysticismes, ou plutôt, et pour mieux dire, la sincérité de tous les sincères et le mysticisme de tous les mystiques. Cette nausée devient presque physique lorsque cesmysticismes sont actifs, qu’ils prétendent convaincre l’esprit des autres, ou commander à leur volonté, trouver la vérité ou réformer le monde. Je m’estime heureux de n’avoir plus de famille. Ainsi ne suis-je pas contraint (ce qui me pèserait inévitablement) d’aimer qui que ce soit. Je n’ai de regrets que littérairement. Je me rappelle mon enfance les larmes aux yeux, mais ce sont des larmes rythmiques, où déjà perce la prose. Je me la rappelle comme une chose extérieure, et à travers des choses extérieures ; je ne me souviens que de choses extérieures. Ce n’est pas le calme des soirées provinciales qui m’attendrit, au souvenir de l’enfance que j’y ai vécue — c’est la place de la table à thé, c’est la disposition des meubles tout autour de la pièce —, ce sont le visage et les gestes des personnes qui m’entourent. C’est de tableaux que j’ai la nostalgie. C’est pourquoi ma propre enfance m’attendrit tout autant que celle de n’importe qui d’autre : elles sont toutes deux — dans un passé dont je ne sais ce qu’il est — des phénomènes purement visuels, que je perçois avec une attention toute littéraire. Je suis ému, sans doute, mais non pas par le souvenir : par la vision. Je n’ai jamais aimé personne. Ce que j’ai le plus aimé, ce sont mes sensations — états de visualité consciente, impressions d’une ouïe en alerte, parfums qui sont un moyen, pour l’humilité du monde extérieur, de s’adresser à moi, de me parler du passé (si aisé à se rappeler par les odeurs), c’est-à-dire de me donner plus de réalité, plus d’émotion, que le simple pain en train de cuire, tout au fond de la vieille boulangerie, comme par ce lointain après-midi où je revenais de l’enterrement d’un oncle qui m’avait beaucoup aimé, et où j’éprouvais la douceur d’un vague soulagement, je ne sais trop de quoi. Telle est ma morale, ou ma métaphysique, autrement dit, tel je suis : le Passant intégral, de tout et de son âme elle-même ; je n’appartiens à rien, ne désire rien, ne suis rien — centre abstrait de sensations impersonnelles, miroir sensible tombé au hasard et tourné vers la diversité du monde. Après tout cela, je ne sais si je suis heureux ou malheureux ; et cela ne m’importe guère." 

mercredi 19 juin 2024

Le chateau de Cène. Par Bernard Noël

 Échange de lettre avec Serge Faucherau


"le 9 novembre 1984

 Mon cher Serge, 

il me faut commencer par deux précisions : la lettre que vous adressa Urbain d’Orlhac est la seule qu’il ait jamais écrite, et cela doit signifier quelque chose ; remonter quinze ans plus tôt ne va pas sans embarras ni douleur pour des raisons qui apparaîtront peut-être. C’est en mai ou juin 1969 que j’ai publié Le château de Cène sous le pseudonyme d’Urbain d’Orlhac : Urbain parce qu’il s’agit de mon prénom renié à la suite d’une rupture ; d’Orlhac à cause du titre de film qui poursuit le Consul dans Au-dessous du volcan – sauf que mon orthographe, avec un « h » qui mouille la syllabe, vient de mon pays natal. Pourquoi un pseudonyme ? Je n’ai pas de réponse tranchante. Aujourd’hui je dirais que plus je suis l’auteur de mes livres et moins j’ai envie de les signer. La place du « je » ressemble chez moi au négatif que n’a impressionné aucune image : elle est vide. Signer est une fixation abusive qu’impose le commerce : il faut une étiquette. Je sais trop que la seule signature définitive est la mort. La situation politique, en 1969, était très différente de celle d’aujourd’hui. Pendant que j’écrivais la fin du Château, de Gaulle parcourait la Bretagne. Il y a un écho de ses discours au chapitre X – de Gaulle ou l’insupportable bonne conscience française. Si Urbain d’Orlhac vous a écrit, c’est évidemment parce qu’il fut très touché par votre article. Cette émotion lui imposait de dire quelque chose, une sorte de testament qu’il pouvait seulement suggérer. Il y a des raisons biographiques à cela. Je ne les démêle plus très bien ; il faut que je tente de les éclaircir. Jusqu’au Château, j’étais un écrivain qui s’interdisait à peu près d’écrire. Un écrivain sans œuvre ou presque (un presque qui permettait à trois ou quatre amis de me considérer comme un écrivain). À la fin de 1968, et pour des raisons liées aux « événements », un long attachement cessa. Ce fut une insurrection intime à la fois suicidaire et libératoire.

Ce mouvement est obscur. J’en parle parce qu’il hante la lettre que vous écrivit Urbain d’Orlhac. Dans sa partie consciente, je voulais tuer « l’écrivain » en lui faisant écrire l’inavoué-inavouable ; dans sa partie inconsciente, je libérais l’écrivain en levant la censure. Urbain d’Orlhac aurait voulu vous en dire plus, mais il ne le pouvait pas. En savait-il plus ? j’en doute : son masque ne cachait que l’inconnu, l’écrivain qu’il n’avait pu tuer puisqu’il n’existait pas. La publication du Château eut des effets contradictoires. Les rares amis qui croyaient en l’écrivain furent déçus de n’avoir couvé qu’un pornographe. Un assez grand succès fut fait à l’érotique, mais d’Orlhac ne s’en aperçut pas. Personne, malgré les poursuites très vite déclenchées, ne voulut remarquer l’aspect politique du livre. Cela me fut très cuisant. Cependant, autre effet de 1968, je travaillais au Dictionnaire de la Commune, qui est l’autre face du Château. Comment le faire entendre ? Je crois que la violence est la forme laïque du mal. Dans le Château, la violence est restituée dans sa crudité à travers l’individu ; dans le Dictionnaire, elle est saisie à travers l’histoire. Dans les deux cas, j’affrontais l’impensable : en moi par la fiction ; dans la collectivité par le travail historique. Il était, par exemple, impensable que la bonne bourgeoisie libérale du paisible XIXe siècle ait pu programmer le massacre de quelques dizaines de milliers d’habitants de la ville lumière… En 1971, j’ai publié le Dictionnaire de la Commune et republié sous mon nom Le château de Cène. Le premier effet de cette republication fut une convocation à la préfecture de police dans les bureaux de la brigade mondaine. L’instruction, en cours depuis deux années déjà, dura encore longtemps puisque le procès pour « outrage aux mœurs » ne me conduisit devant le tribunal qu’en juillet 1973, sous Georges Pompidou et en pleine libération sexuelle. Deux amis, Jean Frémon et Paul Otchakowsky-Laurens, s’étaient occupés de ma défense. Ils m’avaient procuré un avocat célèbre, devenu depuis ministre de la Justice. Cet avocat plaida que j’étais un bon écrivain », bien trop difficile pour offenser les mœurs. Le juge me condamna tout de même. Pardonnez-moi, je ne pouvais vous répondre sans me livrer d’abord à cette tentative de reconstitution. Vous voyez maintenant (mais sans doute avais-je moi-même besoin de le revoir) à partir de quoi j’ai écrit la phrase que vous avez retenue : « un bon écrivain, donc un écrivain inoffensif ». Dès qu’un écrivain passe pour « bon », il y a du bon dans ses excès ; on peut dès lors les passer sous silence ou bien y faire allusion comme à des incartades dont il est très vite revenu. La littérature n’est pas enseignée pour le plaisir d’elle-même, mais pour le français, pour l’histoire, pour les mœurs, pour le témoignage. Elle est utilisée. L’écrivain est une citation, un morceau choisi, une récitation, un sujet, un exercice. Je ne dis là que des banalités, mais il faut se méfier des comportements que leur banalité protège ou dissimule. La banalité est offensive, beaucoup plus offensive finalement que l’excès, qu’elle réussit toujours à normaliser. Le plaisir jusqu’ici n’a jamais eu la moindre valeur sociale : il ne figure pas à l’échange, et cela explique sans doute le caractère implacable et sexiste du pouvoir. Le pouvoir aussi est une banalité. Il est même d’autant plus fort et prégnant qu’il se banalise et devient ordinaire. Alors, on ne s’en garde plus. Telle est d’ailleurs la réussite du pouvoir libéral : il s’identifie à l’ordre des choses. Il n’est même plus objet de soupçon. Pourtant qu’on le menace et l’implacable surgit, mais il reste impensable. Je ne crois plus à l’innocence du pouvoir depuis que je dénonce en moi l’instinct qui me pousse à y croire. Il y a, tout au fond de moi, une servilité millénaire : elle me fait peur quand je l’aperçois, et il me faut sans cesse reconquérir la volonté de l’apercevoir. On ne choisit pas pour nous, à priori, des écrivains inoffensifs comme représentants de la bonne littérature, c’est un penchant général que de les banaliser dans l’excellence. Le penchant est même chez eux. Si la qualité, si le plaisir, si l’angoisse, si les divers composants de l’écriture devenaient des critères quotidiens, où irions-nous ? Il faut que je sache cela, que j’en éprouve la nécessité, et que je ne l’accepte pas. Que je ne l’accepte pas au moins dans une partie de ma vie : celle qui est de l’écriture. Il y a là un mystère qui résiste, et dont l’effet principal est de me laisser insatisfait de tout ce que je fais : ce n’est pas assez. Ce ne sera jamais assez. Il ne s’agit pas de réussite littéraire au sens de perfection, mais de souffle… Est-ce bien le mot ? Souffle – oui, souffle d’emportement que l’écriture du Château m’a pour la première fois donné à vivre comme une folie. Un moment, j’ai été offensif.

Offensif contre moi-même, car c’est en moi d’abord que sont la contrainte, la censure, la peur. L’offensive était menée par un mélange d’indignation et de jubilation qui soulevait ma langue – ou soulevait la langue en moi – crevant ma timidité naturelle, crevant ma servilité instinctive, violant mes précautions, mon goût, ma police, tout ce qu’il y a en moi de profondément inoffensif. Résultat : un livre, un certain succès, un procès, puis la vision brusquement que cela même qui m’avait déchaîné travaillait à m’apprivoiser. Je devenais un « bon écrivain, donc un écrivain inoffensif ». Sans doute ne m’en suis-je aperçu qu’incidemment parce que le succès m’humiliait : il m’humiliait en continuant à refuser le sens politique dont l’indignation avait marqué mon livre. Plus tard, écrivant « L’outrage aux mots », sans doute ai-je exagéré ce sens parce que j’en avais été violemment frustré. Maintenant, je soulignerais plutôt la jubilation… Notre société permet tout ce qui ne la dérange pas. Si ce n’est plus tout à fait vrai aujourd’hui et s’il y a crise, c’est que l’intérêt immédiat des hommes du pouvoir est en contradiction avec les valeurs qui fondent leur pouvoir. Il leur faut, par exemple, favoriser la consommation, qui les enrichit, au détriment de la morale, qui les légitime. Pour la première fois, le pouvoir s’établit sur la confusion et non plus sur l’ordre. Il s’ensuit un mensonge généralisé, dont la langue est malade. La permissivité actuelle autorise à tout dire parce que ce tout ne veut plus rien dire. La parole devient inoffensive par privation de sens. L’écriture connaît la même privation sous ses formes normalisées : publicité, journalisme, bestsellers, qui passent pour de l’écriture et qui n’en sont pas. L’ancienne censure voulait rendre l’adversaire inoffensif en le privant de ses moyens d’expression ; la nouvelle que j’ai appelée la sensure – vide l’expression pour la rendre inoffensive, démarche beaucoup plus radicale et moins visible. Un bon écrivain est un écrivain sensuré. Tout ce qui médiatise censure. Il n’y a pas de transmission sans perte d’énergie, pas de durée, c’est la vieille loi de l’entropie. La vie est lente, mon cher Serge, comparativement à la mort, qui tient dans un instant.

L’offensif est en nous ce contre-instant, qu’il faut toujours rallumer sans illusion.

 Affectueusement, Bernard"

dimanche 16 juin 2024

Ce que la droite n a pas fait, la gauche le fait...

 "Un précédent gouvernement de gauche n'avait pas fait montre d'une moindre ambition, exemplairement ideologique, qui avait triomphalement prophétisé qu'il n'y aurait bientot plus (avant 5 ans) personne à dormir dehors (plus aucun sans abri)! Etrange insistance et s'agissant des mêmes, qui sont "sans défense", et pour qu'on ne les voie plus faute de pouvoir faire quils disparaissent. Que disparaisse un sous-prolétariat, prostitué ou sans abri, qui a en commun que les corps des uns sont livrés à la nuit, sans argent, quand la nuit livre le corps des autres à l'argent.


"Il faudrait, pour se faire l'adversaire de la finance, ce qu'il a pourtant dit qu'il serait, un renversempent. Mais le slogan de campagne n'était pas: "Le renversement, c'est maintenant". On s'en serait avisé. Tout au plus: le changement. Or la domination n'a jamais rien eu contre le changement, fût-il assorti d'une menace portée contre ce qui la costitue en propre: la finance. Elle sait d'expérience qu'un tel changement, fût-il assorti demenues et momentanées menaces, est de nature au moins à la revigorer, au mieux à la rénover. Le fait n'est pas niable: c'est la gauche qui a toujours revigoré ou rénové la domination et la finance en tant qu'elle la constitue. Les obligeant à trouver des solutions que, sans elle, elle eût négligé de chercher (point de vue depuis lequel la droite, pour constituer un allié naturel, consititue aussi un danger qui ne conflictualise qu'insuffisament les rapports).

dimanche 9 juin 2024

Là, il y aura oracle. Pour André Masson. Par Bernard Noel

 La, i l y aura oracle Pour Andre Masson de Bernard Noel


"La ligne Masson


L'erotisme traditionnel détournait le sexe de ses fins naturelles et il tirait mentalement plaisir de ce défi ou de ce devoiement; l'érotisme qui apparait dans les années vingt de notre siècle veut ébranler tout le corps pour que la pensée affronte l'insensé et le vivant son mourir.

André Masson par ses illustrations d'"Histoire de l'oeil" et du "con d'Irène" est l'un des fondateurs de cet érotisme.

Le dessin de Masson est figuratif sans être réductible à ce qu'il représente. Sa force vient de cette dérive entre la représentation et la signification. Il ne copie ni un sujet ni un fantasme, il les invente en les faisant, le travail de l'artiste étant une provocation d'où naissent aussi bien les figures que l'émotion. Avant le dessin, il n'y a que le désir du dessin.

Le désir prend forme en s'exprimant, et son expression crée ce qui le satisfait, mais également relance l'excitation, comme un sexe qui créerait à mesure le sexe dont il s'emplit ou qui l'enserre. Masson, à propos de sa ligne, parle du "diagramme de la caresse qu'avait emmagasiné la main" et que la ligne inscrit; il dit ailleurs que la ligne est "un mouvement qui s'éprend de lui-même", et il décrit son dessin comme "un mode de sentir où le point d'équilibre est trouvé au moment où appartition et fuite se confondent."

Les dessins pour "Histoire de l'oeil" et "Le con d'Irène" exhibent des anecdotes tirées des livres: ils sont donc illustratifs; leur intérêt n'est pas dans la représentation mais dans le mouvement donné à son espace, que toutes les lignes concourent à unifier. Cette unification, beucoup plus réussie dans la série des "Massacres" et dans les dessins pour "Acéphale", pour "Sacrifices", et pour "Miroir de la tauromachie", découle d'une animation de la surface, moins pour le sujet, que par les pulsations de sens dont il est le résultat final.

 "Le vrai sujet, écrit Masson, devrait être une révélation de l'énergie créatrice qui anime le monde. Aucunement une analyse des choses et des êtres composant l'oeuvre".

La ligne court: elle désigne sans enfermer; elle ne décrit pas mais suggère; elle est une série d'éclats, qui propagent une tension: l'oeil ne peut s'arrêter, il va, il vient, il oublie la fixité de l'image, il est emporté.

On peut faire des "Massacres" et des "Sacrifices" une lecture historique et y voir la prémonition des violences qui approchent ; on peut aussi, cinquante ans après, être surtout sensible à leur façon de rassembler tous leurs détails dans une étreinte généralisée, qui ne caresse pas seulement la peau de l'oeil, mais fait vibrer l'espace mental tout entier comme elle fait vibrer toute la surface de la feuille

Etrangement, la tête se perd. Elle cesse de gouverner d'en haut. Elle est du corps et non plus du centre. Un organe relié aux autres par un élan, comme dans ce dessin de "Miroir de la tauromachie" où l'on distingue une silhouette de toerro, une vulve, une corne, dans un envol de plis qui les réunit, et en les réunissant change leur signification particulière car ils deviennent mythiques: tangents au monde et à nous -mêmes.

Ce phénomène de tangence indiqué par Michel Leiris à propos de ce qui nous jette dans l'infini, se manifeste dans le dessin par la complète identité des formes révélatrices et de la chose révélée -chose qui surgit de la représentation sans y être représentée. Ainsi, dans le dessin déjà cité, le torero, la vulve et la corne définissent un espace d'amour et de mort. le dessin est une sorte de pictogramme qui souffle un sens mais ne le dicte pas : l'oeil voit et l'émotion est informée. pas de trajet, par d'intermédiaire, la foudre. Ou bien le contact, l'étreinte.

L'image n'est qu'une image, et cependant la relation qu'elle suscite ressemble à l'amour. Qu'est-ce que le désir? Lui aussi rencontre une forme, et qu'elle le révèle à lui-même tout en lui révélant son sujet. Il y a des signes dans l'air, puis le corps oublie l'appel du sens dans son emportement.

L'oeil est le sexe de la tête, grâce à lui s'accouplent l'image et la mentalité. (1985)

samedi 1 juin 2024

Le Monde diplomatique de Mai 2024

 Extraits de l'article de Alain Gresh  ""Tsahal" dans votre salon"


"Le mensonge n'est un vice que quand il fait du mal. C'est une très grande vertu quand il faut du bien () Il faut mentir comme un diable, non pas timidement, non pas un temps, mais hardiment et toujours. () Mentez mes amis, mentez, je vous le rendrai dans l'occasion", professait jadis Voltaire. Cela pourrait être le mantra de tous les dirigeants militaires, partout dans le monde. Mais Israël a porté l'application de cette maxime au niveau d'un art inégalé dans les pays dits démocratiques, avec la conviction solidement ancrée d'être le paragon du bon droit, de la justice, de mentir "pour le bien". Et avec un avantage que n'ont pas les autres Etats, qui est que les responsables et les médias occidentaux pensent, à priori, qu'Israël dit la vérité. M. Rafowicz profère des contre-vérités de manière éhontée, avec l'assurance d' n'être que rarement contredit: il a repris les fables sur la femme enceinte éventrée ou celles sur les enfants israéliens mis en cage. Il a nié, contre l'évidence, que l'armée israélienne fut à l'origine des morts du "massacre de la farine", le 29 février, durant lequel plus de cent civils ont été tués par balle. Cependant, malgré ses mensonges attestés, il conserve l'écoute accueillante et complaisante de nombre de médias français, qui ne contestent qu'exceptionnellement ses propos. Pourquoi s'en priverait-il?

M. Rafowicz dispose d'un atout maitre, l'inénarrable Bernard-Henri Lévy : "Pratiquement à chaque crise d'envergure internationale qui oppose Israël à ses voisins, BHL me rejoint et est présent sur le terrain". BHL c'est l'homme qui a couvert les guerres contre Gaza juché sur la tourelle d'un char ou dans un bureau du commandement israélien, toujours "embarqué" par l'armée. Il n'a jamais rien vu, aucun crime, aucune violation du droit international. Pour justifier son soutien, il brandit l'argument massue : "l'armée la plus morale du monde". C'est la même rhétorique, les mêmes soutiens de l'armée française en Algérie -Pierre Chaunu, Henry de Monfreid, Roger Nimier, Jules Romains, Antoine Blondin, Roland Dorgelès, Jean Paulhan et quelques autres noms prestigieux (à l'époque) qui dénonçaient le Front de libération nationale algérien et ses alliés français dans des termes qu'on pourrait, mutatis mutandis, appliquer à la Palestine : "C'est une imposture d'écrire que la France combat le peuple algérien dressé pour son indépendance. la guerre en Algérie est une lutte imposée à la France par une minorité de rebelles fanatiques, terroristes et racistes, conduits par des chefs armés et soutenus financièrement par l'étranger".

Israël a toujours excellé dans la "hasbara", la propagande, se présentant comme la victime de ses ennemis arabes, propageant des fake news qui ne seront démenties qu'après avoir produit des effets pour partie irréversibles. France-Soir, sur la foi d'une dépêche venue de Tel Aviv, annonçait ainsi à l'aube du 5 juin 1967 que l'Egypte avait attaqué Israël ( c'est le contraire qui s'était passé). Plus récemment, quand la journaliste palestinienne Shirine Abou Aklech est assassinée le 11 mai 2022 à Jénine, dans les territoires occupés, l'armée israélienne explique d'abord qu'elle a sans doute été tuée par des "terroristes", puis qu'elle a été prise dans un échange de tirs avec eux, avant de reconnaitre qu'un soldat israélien avait tiré 5 balles en direction de la victime, mais sans la viser! Plusieurs enquêtes, dont celle de la chaine câble news network, concluent qu'elle a été très probablement tuée de manière délibérée. Si son cas a connu une publicité exceptionnelle, cela est dû à sa nationalité américaine et à sa célébrité. La plupart du temps, le récit israélien n'est jamais mis en cause, et ceux qui tuent des civils ou des journalistes dans les territoires occupés bénéficient d'une immunité totale. Israël figure ainsi, en 2023, parmi les dix premiers pays quant à l'emprisonnement de journalistes, selon le comité pour la protection des journalistes au même niveau que l'Iran. Tel Aviv dispose, sur place et à travers le monde, d'un nombre impressionnant d'ambassadeurs et de propagandistes plus ou moins talentueux, parlant couramment la langue du pays où ils travaillent, connaissant les arcanes du pouvoir et des médias et faisant passer le message, souvent mensonger, de leur gouvernement. Israël possède un autre atout : c'est un pays "occidental" qui bénéficie à priori d'un capital de confiance. Un journaliste de CNN déroule les conséquences de ce biais :" Les mots "crime de guerre" et "génocide" sont tabous. Les bombardements israéliens à Gaza seront rapportés comme des "explosions" dont personne n'est responsable, jusqu'à ce que l'armée israélienne intervienne pour en accepter ou en nier la responsabilité. Les citations et les informations fournies par l'armée israélienne et les représentants du gouvernement ont tendance à être approuvées rapidement, tandis que celles provenant des Palestiniens ont tendance à être minutieusement examinées et traitées avec une grande prudence".



Le monde diplomatique de Juin 2024

 Article : La piste d'Istambul    par Benoit Bréville


Mais que font donc les journalistes et commentateurs français, d'ordinaire si friands de "documents secrets" sur la Russie ! Eux qui traquent tout "plan caché" de Moscou visant à dissoudre la cohésion des sociétés démocratiques, toute "taupe" russe tapie dans l'appareil d'état? Le 28 avril, le quotidien conservateur allemand "Die Welt" leur servait sur un plateau d'argent un projet confidentiel venu de l'Est, la dernière mouture de l'accord de paix négocié par Kiev et Moscou au début de la guerre. Un texte d'importance donc, dont l'adoption aurait pu éviter deux ans d'affrontements et des centaines de milliers de morts. Les médias hexagonaux n'en ont rien fait (1), peut-être soucieux de ne pas creuser une affaire où le camp des va-t-en-guerre occidentaux ne tient pas le meilleur rôle.

Istanbul, 29 mars 2022. les délégations russes et ukrainiennes se retrouvent pour un nouveau round de négociations, le septième en un mois, dans un contexte militaire mouvant où l'agresseur russe essuie ses premiers revers. Au terme des discussions, chaque camp salue des avancées "significatives" et affiche son optimisme. Kiev ouvre la porte à un statut de neutralité", Moscou à un cessez-le-feu. Pourtant les discussions s'interrompent, pour des raisons qui demeurent débattues. le document de "Die Welt" apporte quelques précisions.


D'après la version officielle, la révélation des massacres de Boutcha, dans les premiers jours d'avril, aurait changé la donne, convainquant le président Volodymyr Zelensky qu'il ne pouvait plus négocier avec des "génocidaires". En réalité, les échanges continuent, en visioconférence, près de quinze jours après la découverte des crimes de guerre, jusqu'au 15 avril. Deux semaines de tractations qui ont transformé les grandes lignes fixées à Istanbul en un texte détaillé, long de dix-sept pages. A sa lecture, on mesure les priorités des deux camps, et l'ampleur des compromis auxquels ils étaient disposés pour faire cesser les combats.


Plutôt que des conquêtes territoriales, la Russie cherche à obtenir des garanties à ses frontières, en posant dès le premier article la "neutralité permanente" de l'Ukraine, qui accepterait de renoncer à toute alliance militaire, d'interdire la présence des troupes étrangères sur son sol, de réduire son arsenal, tout en gardant la possibilité d'adhérer à l'Union européennes. En contrepartie, Moscous se serait engagé à retirer ses troupes des zones occupées depuis le 24 févier, à ne plus attaquer l'Ukraine, et aurait consenti pour garantir cet engagement au mécanisme d'assistance réclamé par Kiev: en cas d'agression de l'Ukraine, les membres du conseil de sécurité des Nations unies seraient engagés à la défendre.

Pourquoi les Ukrainiens ont-ils finalement quitté la table des négociations alors qu'ils avaient poursuivi les discussions malgré Boutcha et que la paix semblait à portée de main? Depuis deux ans, les indices pointent la responsabilité des Etats-Unis et du Royaume U ni qui, trop confiants dans la déroute de Moscou, auraient fermement rejeté le dispositif de protection imaginé" par les négociateurs. "Quand nous sommes revenus d'Istamboul, Boris Johnson est arrivé à Kiev [le 9 avril] et il a dit :"Nous ne signerons rien avec les russes, continuons à nous battre", relatait récemment M. David Arakhamia (2). Un récit contesté par l'intéressé, mais corroboré par une enquête du "Wall street Journal" (3)


(1) Associé au consortium qui a fait cette révélation. Le Figaro a publié une traduction de l'article de Die Welt, mais sur son site internet. L'information fut, sinon, succinctement relayée par les sites du midi libre de la dépêche du midi et du parisien.

(2) cité dans Olena Roshchina "Head of Ukraine's leading party claims Russia proposed "peace" in exchange for neutrality", Ukrainska Pravda, 024 novembre 2023.

(3) Yaroslav Trofimov, "did Ukraine miss an early chance to negotiate peace with Russia? "Wall Street Journal New York 5 janvier 2024