samedi 17 février 2024

Oeuvres complètes de Georges Bataille Tome 2

 [Note sur le système actuel de répression]


"L'existence de la répression sous la triple forme de l'emprisonnement, du supplice et de la mise à mort met en cause l'existence même des sociétés humaines. Or, s'il était possible que la volonté consciente et réfléchie puisse disposer d'une façon catégorique et en connaissance de cause de ce qui a lieu entre les hommes, il est probable que toute répression serait écartée et les sociétés dissoutes.

Mais il ne peut en être ainsi et tout ce qu'il est possible d'envisager, aujourd'hui qu'il n'est plus temps de revenir aux organisations primitives et aux tabous efficaces d'eux-mêmes, c'est que la société soit organisée de telle façon qu'il n'y ait presque plus jamais de raison de tuer ou de voler, la propriété étant supprimée en principe.

Il serait idéaliste d'imaginer que les choses puissent se transformer à tel point qu'il ne soit plus question de répression sociale. Il y a lieu, tout au contraire, de supposer que certains hommes moins asexués et plus sauvages que les autres continueront à tuer et à voler par passion. Ceux des sentiments humains qui sont irréductibles à la vie sociale ne peuvent être détruits en aucun cas et il est nécessaire qu'ils trouvent une expression dans les représentants les plus admirables de l'espèce, qu'il s'agisse de personnages géniaux et non nuisibles, de déments ou de criminels.

Or, il est probablement temps, parlant au nom, tant de ces criminels que de ces personnages géniaux ou de ces déments de formuler les plus strictes exigences auxquelles il faudra bien que les sociétés et leur répression finissent par se plier.

IL EST INADMISSIBLE QUE LA SOCIETE FRAPPE LES CRIMINELS AUTREMENT QU AU GRAND JOUR;

Il est inadmissible que l'on égorge des hommes à l'aube à la dérobée comme on abat les animaux de boucherie. Il est inadmissible qu'on envoie des hommes pourrir vivants à Cayenne et que les honnêtes bourgeois puissent éviter des les voir pourrir.

Il est inadmissible que des inspecteurs de police puissent infliger des tortures à des prévenus (souvent d'ailleurs innocents) sans que le public puisse assister librement à ces tortures et sans que les noms et les visages des policiers bourreaux soient publiés par les journaux avec les photographies et le récit des supplices.

Il est inadmissible si l'on frappe que l'on porte les coups avec l'affreuse lâcheté du bourgeois repu qui ne tremble pas seulement devant le mal que le criminel peut lui faire mais aussi devant le mal (infiniment plus atroce il est vrai) qu'il fait au criminel: le supplicié possède et d'une façon imprescriptible, le droit de troubler le sommeil des lâches et des pleutres pour la digestion paisible desquels il meurt.

IL EST TEMPS DE CRIER PARTOUT ET DE TOUTES LES FACONS QUE LE SYSTEME DE REPRESSION ACTUELLEMENT EN VIGUEUR EST LE PLUS MONSTRUEUX ET LE PLUS DEGRADANT POUR LES HOMMES DE TOUS CEUX QUI ONT JAMAIS ETE APPLIQUES;

Relativement aux conditions générales d'existence, aussi cruel qu'aucun n'a jamais été, il a perdu entièrement l'élément passionnel sans lequel la répression sociale n'aurait jamais pu naitre. Les sentiments d'un Chinois à l'égard d'un supplicié paraissent humains si on les compare à ceux d'un bourgeois européen à l'égard de ceux qu'il envoie paisiblement au bagne ou à la mort. En Chine le foie de celui qui est mort en subissant orgueilleusement un supplice est mangé par un autre homme qui l'a admiré et qui veut s'approprier sa valeur. Ceci conduit à dire qu'une société n'a le droit de frapper les criminels que dans la mesure où elle reconnait le caractère sacré du crime, que dans la mesure où elle sacrifie un homme qui, en choisissant volontairement la voie du crime, s'est voué lui-même au sacrifice. dans une société sans hypocrisie, le fait criminel ne peut être regardé par ceux qui s'y opposent en raison d'une triste nécessité, qu'en tant qu'il désigne un homme à la façon de l'extase du martyr ou du délire sexuel de l'insecte, à une mort violente et sacrificielle.

La mort à la condition qu'elle soit appliquée de la façon la plus provocante possible, à la condition qu'aucun autre homme ne puisse échapper à la terreur ou à la jouissance qui en résulte, à la condition surtout que le condamné soit traité jusqu'au moment du supplice non comme un criminel mais comme un dieu ou une victime, la mort (et pour les simples voleurs le pilori, à l'exclusion de toute prison, comme de tout bagne) peut être admise dans une société avec la valeur d'une répression - écartant du crime les lâches - seulement en tant qu'elle élève celui qu'elle frappe au-dessus de toutes les chiffes humaines terrifiées, de même qu'un oiseau de proie au-dessus de la volaille."

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