mardi 4 avril 2023

L outrage aux mots de Bernard Noël

 Quel récit!

La puissance de l utilité, de l évidence, de la transcendance.

A lire, a relire, pour que chaque mot ou chaque phrase y fasse leur sillon comme une cicatrice indélébile. Je pense que jusqu ici jamais je n ai ressenti l essentialite de la littérature comme je la ressens avec ce génie, même si je pense qu il rejetterait avec haine cette appellation.

Appelons le alors, L "écrivain".


J’écrivais comme on regarde fixement. 


Alternativement, je me souviens, j’oublie. On dirait que quelque chose de central a sauté. À la place du centre, il y a un trou. Tantôt, ça tombe ; tantôt ça remonte. Et ma langue, je la renverse vainement pour lui faire toucher le bord de ma gorge. Maintenant, je n’écris plus Le château de Cène, et plus jamais je ne l’écrirai. Fini. Tombé là-bas, et ce n’est pas lui qui remonte, mais une exigence qu’il n’a pas comblée. On écrit à un moment précis. Et quelle duperie ! Que s’est-il passé ? On a rempli des pages, c’est devenu un livre. Et le titre de ce livre est une pierre sous laquelle repose ce qui s’est passé. Je ne peux pas soulever la pierre. Je creuse seulement autour.




La culture n’est pas quantifiable, ni réductible. La culture ne peut se ramener à un savoir. Elle est instable. Elle inclut même l’oubli. La culture dépense ; l’information capitalise, mais paradoxalement elle aboutit à un savoir vide, car elle est plate, et tout y est égal. L’important n’est pas de savoir, mais de relativiser. L’homme gavé d’information ne fait pas la différence, et bientôt il devient indifférent. Je crois que la généralisation de la torture est liée au culte de l’information. Quand il s’agit de savoir, rien que de savoir, qu’importe le moyen employé puisque la fin justifie d’avance le moyen. Le grave est que l’enseignement lui-même tourne à la simple information. La preuve : la machine à enseigner est en train de prendre la place de l’enseignant – ou du moins on prépare ce moment.




samedi 1 avril 2023

Éloge de la démotivation de Guillaume Paoli

 "Voici certainement le point le plus original du discours qui met en lumière un intérêt objectif à l'obéissance. Peu importe que l'on aime la tyrannie ou qu'on l'execre, on en retire des avantages, une position. De plus, elle permet à l' asservi d'assouvir sa libido dominatrice en toute sécurité, puisqu etant "couvert" par la hiérarchie. Plus on descend la pyramide, plus le gain positif est modeste, par conséquent plus la tentation est forte de porter son ressentiment sur ceux  d' en dessous. Milgram avait montré que, placer dans un dispositif d'autorité les déchargeant de leur responsabilité, deux tiers des individus sollicités étaient prêts à se faire tortionnaires, expérience que chaque guerre confirme. Dans un contexte plus banal : nul ne tient trop à savoir quel crime et injustice ses propres déplacements ou son propre commerce alimente dans quelques contrées lointaines.

Éloge de la démotivation de Guillaume Paoli

 "Viennent ensuite l'idéologie du bien et le recours au bon sentiment. "Avant de commettre leur crime les plus graves écrit La Boétie, (les tyrans d'aujourd'hui) les font toujours précéder de quelques jolis discours sur le bien public et le soulagement des malheureux". Il est superflu de citer ici des exemples récent pour convaincre que ce moyen là n'a rien perdu de son actualité. Bien au contraire : il est nourri par l evincement (fêté comme "fin des idéologies") de la raison politique et du jugement critique que celle-ci permettait encore. Que répliquer à des flots d humanitarisme, de dégoulinements compassionnels et de larmes de crocodile ? Mais ce qui a changé surtout, c'est que ce procédé n'a même plus besoin d'être cru pour être efficace. Les temps médiatiques ont porté à la perfection le déplacement pervers de la question du caractère mensonger ou véridique d'un discours vers celle de sa "communication" plus ou moins réussie. L'asservi volontaire d'aujourd'hui se délecte à "décrypter l'information", à jauger l'empaquetage des mensonges, à soupeser leurs chances de succès. Il s'imagine ainsi prendre part à l'analyse avertie. Pour sa part, la Boétie remarque : "on connaît la formule dont ils font suffisamment usage ; mais peut-on parler de finesse là où il y a tant d'impudence" ?

Éloge de la démotivation de Guillaume Paoli

"la deuxième raison donnée par la Boétie, c'est l'abrutissement provoqué par les distractions et passe-temps que tout tyran qui se respecte dispense généreusement à son peuple."

"Quoi qu'il en soit, ce phénomène s'est certainement aggravé avec le naufrage simultané de la culture populaire et de la culture bourgeoise, lesquels, sans vouloir trop les idéaliser pour elle-même, on fera encore des points de résistance possible à cette effarantes tyrannie de festivisme qui a englouti le temps de "cerveau disponible"."

Tocqueville à propos du système libéral démocratique

 "Il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plis, les dirige ; il force rarement d'agir, mais il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse ; il ne détruit point, il empêche de naître ; il ne tyrannise ; ils gêne, il comprime, il énerve, il hebete, et il réduit enfin chaque nation à n'être plus qu'un troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger."

Éloge de la démotivation de Guillaume Paoli

 Qui pourrait différencier les responsables des phrases suivantes de Christine Lagarde du Maréchal Pétain en a un discours on ne peut plus moralisateur :


"C'est au tour de l'idée du travail que doit s'opérer la réconciliation de tous les Français. Cessons d opposer les riches et les pauvres comme si la société était irrémédiablement divisée en deux clans. Le bon sens indique en effet, lorsqu'il n'est pas obscurci par la passion ou par la chimère, que l'intérêt primordial des patrons, techniciens et ouvriers, c'est la prospérité réelle de leur métier. Dans les rapports de travail, le plus fort communique de la force au plus faible. Partout où des hommes de bonne foi, même issu de milieux sociaux très divers, se rencontrent pour une explication loyale, les malentendus se dissipent pour faire place à la compréhension, puis à l'estime, puis à l'amitié. Certains, bien sûr, réussissent mieux que d'autres. Mais, et c'est la l'essentiel, personne n'y perd. Désormais, par dela les hiérarchies sociales, des équipes étroitement unies joueront ensemble, pour gagner, ensemble, la même partie. Et la France retrouvera l'équilibre et l'harmonie qui lui permettront de hater l'heure de son redressement."



C est un discours du général de Gaulle en date du 7 juin 1968


Éloge de la démotivation. De Guillaume Paoli

 Intermé tragi-comique : j'apprends que le tribunal correctionnel de Paris vient de condamner un pauvre bougre à 750 € d'amende pour avoir comparé Sarkozy à Pétain. Il n'est pourtant pas le seul à avoir été frappé par la ressemblance, badiou l'a écrit lui aussi. Et oui, force est de le constater : le sarkozyme est un pétainisme, mais -il faut s'adapter à la conjoncture- un pétainisme en string, strass et plume de paon au cul. Comment s'en étonner ? De nouveau, nous assistons à un grand show de remotivation populaire, de réconciliation avec l'occupant, d'identification avec l'agresseur, avec cette différence toutefois que tout cela ne peut plus être que citation, remake, série b.