Il m'a fallu ce temps.
Ce temps dans lequel j'ai tourné en boucle les propos, les accusations plus précisément d'Anouk Grinberg contre Bertrand Blier.
J'ai été estomaqué, bouleversé, scandalisé et choqué.
Loin de moi de mettre en doute ce que dit Anouk Grinberg. Ce qu'elle a subi à 7 ans; puis 12, puis cette relation toxique avec le réalisateur.
Loin de moi et hors de question.
Qu'elle parle, qu'elle raconte, qu'elle dénonce et qu'elle chasse d'elle la honte possible ou la souffrance d'elle vers ceux qui ont commis l'horrible.
Et il n'y a pas de "mais" à rajouter à la suite.
Par contre, un questionnement, une remise en perspective est nécessaire concernant le rapport que l'on a de sa filmographie et des sentiments que l'on a ressenti à l'époque. Et encore récemment aux rediffusions qui ont fait suite à son décès. Il existe dorénavant un filtre qui nous perturbe et nous oblige, dans un sens, vis à vis des accusations.
Pour ma part, j'ai adoré le cinéma de Blier pour l'avoir pris dans le sens de la dénonciation, de l'absurde, de la violence du monde dans lequel on vit.
Ma première rencontre a été avec le film "Buffet froid", qui reste pour moi, un de mes préférés, avec "Notre histoire", "trop belle pour moi", "un, deux, trois soleil". Les trois derniers ayant une part indéniable de poésie urbaine.
J'ai adoré le cinéma de Bertrand Blier...sans conteste, sans retenue...jusqu'à "Mon homme"...J'y reviendrai...
Alors, qu'est ce que cet amour de son cinéma fait de moi? Un voyeur? Un complice? Cela me met également en accusation pour ne pas avoir su voir? Ou voulu voir?
Ce que j'ai aimé de ce cinéma, c'est ce côté provocateur, accusateur, mettant en lumière non seulement la société dans toute son inhumanité dans la toxicité des relations homme/femme. J'ai cru y voir la dénonciation de tout cela avec la complicité de femmes qui étaient en accord avec lui.
En 1978, il sort "calmos". Une misogynie poussé à l'extrême, à l'absurde où il dénonce ce que serait un monde entre hommes, fait de luxure ou d'orgies culinaires et sexuelles. Mais "la grande bouffe" de Ferreri n'était il pas le film dans la même provocation et tout le monde a crié au chef d'oeuvre.
Si il était la dénonciation de la misogynie, peut on le voir dorénavant comme l'affirmation de la sienne?
La fin du film, si je me rappelle, finit dans le sexe d'une femme, c'est à dire, l'origine du monde, quoique l'on fasse, nous sommes issus d'une femme, donc la survie de l'homme dépend de la survie des femmes.
"Les valseuses" : film sur les dérives de deux délinquants qui n'ont du sexe, de l'acte d'amour, qu'une idée pervertie : une femme qui sort de prison qui met fin à ses jours parce qu'elle a perdu ses règles et donc qui ne se considère plus comme une femme complète, une jeune femme qui a déjà subi la domination des hommes, de son patron et qui ne croit plus en rien et surtout pas en l'amour mais qui le découvre véritablement pendant le film ce qui lui donne dans l'acte d'amour les orgasmes qu'elle n'avait jamais connu jusqu'alors. Et finalement, faute de ce qu'il recherche, dont ils n'ont en fait aucune véritable idée, ils auront une relation homosexuelle entre "potes".
Anouk Grinberg nous explique qu'il a construit le personnage pervers de Depardieu mais il ne s'est servi que de son côté délinquant qu'il avait bien avant puisque Depardieu a déjà été soupçonné ou accusé de viol à Angoulême.
L'idée qu'il pousse jusqu'à l'extrême dans "Tenue de soirée". Où là on trouve un homme perdu qui doit faire l'amour avec un autre home pour que sa femme ne le quitte pas. Jusqu'où aller pour l'amour? Il perd sa femme car il ne sait que dire son amour et non le prouver.
Là dessus, Miou-Miou nous fait une déclamation sur la condition de la femme qui est horrible et que finalement, l'amoureux va bientôt connaitre. Alors, dans cette scène, que nous dit-il? Que dénonce-t-il?
Dans "notre histoire", il parle d'une histoire d'amour qui se meure par lassitude, par tromperie. Alors quel homme malheureux comme une pierre pour que sa femme l'aime moins ou plus, n'a pas traité celle ci , l'imaginant couchant avec toute la gente masculine, l'avilissant au maximum? Mais quand l'amour revient, ce même homme jure par tous les diables qu'il n'a jamais dit cela et encore moins qu'il ne l'a pensé.
Dans "1, 2, 3 soleil", il y 3 choses :
1/ la dureté de la vie de l'être féminin dans les quartiers pauvres, les banlieues et qui cotoient une délinquance endémique qu'il tente de poétiser,
2/ la mélancolie, la détresse de celui qui vit dans un pays qui n'est pas le sien et qu'y rêve d'y retourner,
3/ le troisième notre relation avec les êtres chers qui disparaissent et les mécanismes que l'on met en place pour qu'ils soient toujours à nos côtés.
Bref, dans tous ces films, il dénonce quelque chose ou, pour le moins, le met en lumière afin de provoquer les sensations que l'on ressent.
Mais "Mon homme", pour ma part, a été la rupture avec son cinéma. La toxicité de sa relation, de sa faute, a perverti son oeuvre et à tué son originalité et sa créativité. Tous les films après n'ont eu aucun intérêt et si j'en ai vu quelques uns, je les ai vite oublié. Exemple: je ne suis jamais parvenu à voir en entier "le bruit des glaçons".
Je reviens sur "mon homme". Ce film est une agression directe contre Anouk Grinberg. Pas contre les femmes en général, ou indirectement, mais contre Anouk Grinberg. Il y a eut cette haine, cette volonté d'humilier, de détruire, d'abaisser, de dégrader la personne, dans le film mais également en dehors nous confie-t-elle avec des visites au psy et la prise de neuroleptiques. Et je comprends la souffrance de celle-ci, je l'ai ressenti à la vision du film comme une violence qu'il lui faisait subir mais qu'il faisait subir aux spectateurs. Il nous a mis dans la position du voyeur qui participe malgré lui à un viol. Il s'est agi, en nous faisant voir cela, de nous mettre dans la position d'un violeur qui participe à un viol collectif. Le film n'a servi qu'à mettre cela en scène pendant les très longues premières minutes du film. Le reste n'a été que du ficelage pour en faire un long métrage. Je ne l'ai vu qu'une fois et je n'ai eu jamais aucune volonté de le revoir.
C'est ce film qui a fait que j'ai pris mes distances avec Bertrand Blier.
Bertrand Blier est mort et je pense qu'il est dommage que le témoignage d'Anouk Grinberg ne sorte qu'après sa disparition car, pour le moins, peut-être aurait-il fallu son procès et sa condamnation pour se reconstruire en partie, et condamner un monstre qu'elle décrit comme tel.
Maintenant, si il était aussi violent qu'elle l'affirme, il est évident que mort il ne pourra plus rien lui faire...de plus.
Maintenant, il n'y a plus qu'à attendre les témoignages des autres femmes de sa vie, ou des actrices qui ont tourné avec lui.
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