III
La pensée ne t’a pas effleuré de tirer du déluge ta défroque à rayures pour en faire une relique pour les tiens. Tu l’as jetée aux flammes ou tu l’as mise en terre avec ses poux incalculables et les trous de ta maigreur. Trois ans avec Hadès ! Tu t’habilles, ce matin, de feuilles et de fleurs de sureau, de sable de rivière et d’air chargé de menthe. J’ai eu peur pour toi, mais une peur mobilisée. Bien que l’on ait construit en ton absence d’affreuses maisons en bordure des champs où tu chassais la caille (le mouvement de l’argent ne ralentissait pas durant ta diète...), tu n’es pas moins heureux qu’autrefois, ni plus amer, seulement plus averti, moins saisissable dans tes arrêts. Louis, ton père, embellit à nouveau tout ce qu’il touche. Il renaît à ta vue. Son platane le dit. Ne songeons pas aux couards d’hier, auxquels se join dront les nôtres ambitieux, qui s’accoutrent pour la tournée des commémorations et des anniversaires. Ren trons. Les clairons insupportables sonnent la diane revenue. Chaudon a été massacré par la GeStapo aidée de la Milice de Darnand, avec vingt de nos camarades, à Signes. Extraits de leur prison, conduits dans une clai rière, et cloués là au sol, dans la lumière épouvantable de l’été. Je reçus la nouvelle de sa capture le 22 juil let 1944 à Alger, où une décision saugrenue de l’État- Major interallié nous avait amenés, quelques-uns, pour coopérer au débarquement en France Sud, plus exacte ment pour permettre à certains gradés évanescents de l’armée de libération de s’assurer de nos unités du maquis dont ils redoutaient les vues hardies, les intuitions et les chimères. Chaudon nourrissait à l’égard des gens d’Alger — à l’exclusion de la France combattante et de l’espèce de Saint-Michel sans son prochain*, son chef — des sentiments de méfiance et d’incrédulité. Il pressentait leur impuissance à développer bientôt le prodige de notre relaxe, il devinait leurs faibles qualités politiques et humaines, à peine supérieures à celles des cancres de Vichy, cancres en côtoyant d’autres, ceux-là, criminels. Arthur t’apportera demain un sac de pommes de terre, un tonneau de vin, un jambon des Alpes et ton fusil de chasse que la graisse a préservé de la rouille. Dix cartouches de chevrotines te permettront de filer à tes affûts sans tarder. Lucienne, la veuve de Roger Bernard, eSt retournée à Pertuis avec son enfant. La courageuse a trouvé du travail dans une usine de feux d’artifice. Puissent les poudres monter aux nues la clarté de son beau visage en larmes ! Ah ! nous savions que tant qu’il y aurait une tige d’herbe et une bouchée de nuit dans le vivier, la truite n’y mourrait pas.
1946.
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