samedi 26 avril 2025

NOTE SUR LE MAQUIS de René Char

  


Montrer le côté hasardeux de l’entreprise, mais avec un art comme à dessein rétrospectif, dans sa nouveauté tirée de nos poitrines, dans sa vérité ou la sincère approximation de celle-ci. Ce sont les « fautes » de l’ennemi, sa consigne d’humilier avant d’exterminer, qui surtout nous favorisèrent. Sans le travail forcé en Allemagne, les persécutions, la contamination et les crimes, un petit nombre de jeunes gens seulement aurait pris le maquis et les armes. La France de 1940 ne croyait pas, che% elle, ni à la cruauté ni à l ’asservissement ; cette France livrée au râteau fantastique de Hitler par la pauvreté d’esprit des uns, la trahison très préparée des autres, la toute-puissante nocivité enfin d’intérêts adver saires. De plus, l’énigme des années 1939-1940 pesait sur son insouciance de la veille comme une chape de plomb. Dans la rapide succession des espoirs et des déceptions, des soudains en-avant suivis de déprimantes tromperies qui ont jalonné ces quarante dernières années, on peut discerner à bon droit la marque d’une fatalité maligne, la même dont on entrevoit périodiquement l’interven tion au cours des tranches excessives de l’Histoire, comme si elle avait pour mission d’interdire tout changement autre que superficiel de la condition profonde des hommes. Mais je dois chasser cette appréhension. L’année qui accourt a devant elle le champ libre... Contrairement à l’opinion avancée, le courage du désespoir fait peu d’adeptes. Une poignée d’hommes solitaires, jusqu’en 1942, tenta d’engager de près le combat. Le merveilleux eSt que cette cohorte disparate composée d’enfants trop choyés et mal aguerris, d’indi- vidualiStes à tous crins, d’ouvriers par tradition soulevés, de croyants généreux, de garçons ayant l’exil du sol natal en horreur, de paysans au patriotisme fort obscur, d’ima ginatifs instables, d’aventuriers précoces voisinant avec les vieux chevaux de retour de la Légion étrangère, les leurrés de la guerre d’Espagne; ce conglomérat fut sur le point de devenir entre les mains d’hommes intelligents et clairvoyants un extraordinaire verger comme la France n’en avait connu que quatre ou cinq fois au cours de son existence et sur son sol. Mais quelque chose, qui était hostile, ou simplement étranger à cette espérance, survint alors et la rejeta dans le néant. Par crainte d’un mal dont les pouvoirs devaient justement s’accroître du temps mort laissé par cet abandon ! Pour élargir, jusqu’à la lumière — qui sera toujours fugitive -—, la lueur sous laquelle nous nous agitons, entreprenons, souffrons et subsistons, il faut l’aborder sans préjugés, allégée d’archétypes qui subitement sans qu’on en soit averti, cessent d’avoir cours. Pour obtenir un résultat valable de quelque aftion que ce soit, il eSt nécessaire de la dépouiller de ses inquiètes apparences, des sortilèges et des légendes que l’imagination lui accorde déjà avant de l’avoir menée, de concert avec l’esprit et les circonstances, à bonne fin; de distinguer la vraie de la fausse ouverture par laquelle on va filer vers le futur. L’observer nue et la proue face au temps. L’évidence, qui n’eSt pas sensation mais regard que nous croisons au passage, s’offre souvent à nous, à demi dissi mulée. Nous désignerons la beauté partout où elle aura une chance de survivre à l’espèce d’intérim qu’elle paraît assurer au milieu de nos soucis. Faire longuement rêver ceux qui ordinairement n’ont pas de songes, et plonger dans l’aéfualité ceux dans l’esprit desquels pré valent les jeux perdus du sommeil. 


1944

BILLETS À FRANCIS CUREL de René Char

 IV 


Les mois qui ont suivi la Libération, j’ai essayé de mettre de l’ordre dans ma manière de voir et d’éprouver qu’un peu de sang avait tachée, à mon corps défendant, et je me suis efforcé de séparer les cendres du feu dans le foyer de mon cœur. Ascien, j’ai recherché l’ombre et rétabli la mémoire, celle qui m’était antérieure. Refus de siéger à la cour de justice, refus d’accabler autrui dans le dialogue quotidien retrouvé, décision tenue enfin d’opposer la lucidité au bien-être, l’état naturel aux honneurs, ces mauvais champignons qui prolifèrent dans les crevasses de la sécheresse et dans les lieux ava riés, après le premier grain de pluie. Qui a connu et échangé la mort violente hait l’agonie du prisonnier. Mieux vaut une certaine épaisseur de terre échue durant la fureur. L’aétion, ses préliminaires et ses conséquences, m’avaient appris que l’innocence peut affleurer mysté rieusement presque partout : l’innocence abusée, l’inno cence par définition ignorante. Je ne donne pas ces dispo sitions pour exemplaires. J’eus peur simplement de me tromper. Les enragés de la veille, ces auteurs du type nouveau de « meurtrier continuel », continuaient, eux, à m’écœurer au-delà de tout châtiment. Je n’entrevoyais pour la bombe atomique qu’un usage, celui de réduire à néant ceux, judicieusement rassemblés, qui avaient aidé à l’exercice de la terreur, à l’application du Nada. Au lieu de cela, un procès* et l’apparition dans les textes de répression d’un qualificatif inquiétant : génocide. Tu le sais, toi, qui demeuras deux ans derrière les bar belés de Linz, imaginant à longueur de journée la dissé mination de ton corps en poussière; toi qui, le soir de ton retour parmi nous, voulus marcher dans les prairies de ton pays, ton chien sur tes talons, plutôt que de répondre à la convocation du commissaire qui désirait mettre devant tes yeux la fiente qui t’avait dénoncé. Tu dis pour t’excuser ce mot étrange : « Puisque je ne suis pas mort, il n’exiSte pas. » En vérité, je ne connais qu’une loi qui convienne à la destination qu’elle s’assigne : la loi martiale, à l’inStant du malheur. Malgré ta maigreur et tes allures d’outre-tombe, tu voulus bien m’approuver. La générosité malgré soi, voilà ce qu’appelait secrètement notre souhait à l’horloge exaête de la conscience. Il eSt un engrenage qu’il faut rompre coûte que coûte, une clairvoyance maussade qu’il faut se décider à appli quer avant qu’elle devienne la conséquence sournoise d’alliances impures et de compromis. Si en 1944, on avait, en général, Striftement châtié, on ne rougirait pas de faire quotidiennement la rencontre, aujourd’hui, sans le moindre malaise de leur part, d’hommes déshonorés, de gredins ironiques, tandis qu’un personnel falot garnit les prisons. On objeûe que la nature du délit a changé, une frontière qui n’eSt que politique laissant toujours passer le mal. Mais on ne ranime point les morts dont le corps supplicié fut réduit à de la boue. Le fusillé, par l’occupant et ses aides, ne se réveillera pas dans le département limitrophe à celui qui vit sa tête partir en mor ceaux ! La vérité eSt que la compromission avec la dupli cité s’eSt considérablement renforcée parmi la classe des gouverneurs. Ces arapèdes engrangent*. L’énigme de demain commande-t-elle tant de précautions ? Nous ne le croyons pas. Mais, attention que les pardonnés, ceux qui avaient choisi le paru du crime, ne redeviennent nos tourmenteurs, à la faveur de notre légèreté et d’un oubli coupable. Ils trouveraient le moyen, avec le ponçage du temps, de glisser l’hitlérisme dans une tradition, de lui fournir une légitimité, une amabilité même ! Nous sommes partisans, après l’incendie, d’effacer les traces et de murer le labyrinthe. On ne prolonge pas un climat exceptionnel. Nous sommes partisans, après l’in cendie, d’effacer les traces, de murer le labyrinthe et de relever le civisme. Les Stratèges n’en sont pas partisans. Les Stratèges sont la plaie de ce monde et sa mauvaise haleine. Ils ont besoin, pour prévoir, agir et corriger, d’un arsenal qui, aligné, fasse plusieurs fois le tour de la terre. Le procès du passé et les pleins pouvoirs pour l’avenir sont leur unique préoccupation. Ce sont les médecins de l’agonie, les charançons de la naissance et de la mort. Ils désignent du nom de science de l’Histoire la conscience faussée qui leur fait décimer une forêt heureuse pour installer un bagne subtil, projeter les j ténèbres de leur chaos comme lumière de la Connais sance. Ils font sans cesse se lever devant eux des moissons nouvelles d’ennemis afin que leur faux ne se rouille pas, leur intelligence entreprenante ne se paralyse. Ils exagèrent à dessein la faute et sous-évaluent le crime. Ils mettent en pièces des préjugés anodins et les remplacent par des règles implacables. Ils accusent le cerveau d’autrui d’abriter un cancer analogue à celui qu’ils recèlent dans la vanité de leur cœur. Ce sont les blanchisseurs de la putréfaêtion. Tels sont les Stratèges qui veillent dans les camps et manœuvrent les leviers mystérieux de notre vie. Le spectacle d’une poignée de petits fauves réclamant la curée d’un gibier qu’ils n’avaient pas chassé, l’artifice jusqu’à l’usure d’une démagogie macabre; parfois la Copie par les nôtres de l’état d’esprit de l’ennemi aux heures de son confort, tout cela me portait à réfléchir. La préméditation se transmettait. Le salut, hélas pré caire, me semblait être dans le sentiment solitaire du bien supposé et du mal dépassé. J’ai alors gravi un degré pour bien marquer les différences. À mon peu d’enthousiasme pour la vengeance se substituait une sorte d’affolement chaleureux, celui de ne pas perdre un instant essentiel, de rendre sa valeur, en toute hâte, au prodige qu’eSt la vie humaine dans sa relativité. Oui, remettre sur la pente nécessaire les milliers de ruisseaux qui rafraîchissent et dissipent la fièvre des hommes. Je tournais inlassablement sur les bords de cette croyance, je redécouvrais peu à peu la durée, j’améliorais imperceptiblement mes saisons, je dominais mon juste fiel, je redevenais journalier. Je n’oubliais pas le visage écrasé des martyrs dont le regard me conduisait au Diéîateur et à son Conseil, à ses surgeons et à leur séquelle. Toujours Lui, toujours eux pressés dans leur mensonge et la cadence de leurs salves ! Des impardonnables venaient ensuite qu’il fallait résolument affliger dans l’exil, les chances honteuses du jeu leur ayant souri. La perte de justice, par conjoncture, eSt inévitable. Quand quelques esprits seftaires proclament leur infaillibilité, subjuguent le grand nombre et l’attellent à leur destin pour le mener à la perfeétion, la Pythie eSt condamnée à disparaître. Ainsi commencent les grands malheurs. Nos tissus tiennent à peine. Nous vivons au flanc d’une inversion mortelle, celle de la matière compli quée à l’infini au détriment d’un savoir-vivre, d’une conduite naturelle monstrueusement simplifiés. Le bois de l’arbuste contient peu de chaleur, et on abat l’arbuste. Combien une patience aâdve serait préférable ! Notre rôle à nous eSt d’influer afin que le fil de fraîcheur et de fertilité ne soit pas détourné de sa terre vers les abîmes définitifs. Il n’eSt pas incompatible au même moment de renouer avec la beauté, d’avoir mal soi-même et d’être frappé, de rendre les coups et de s’éclipser. Tout être qui jouit de quelque expérience humaine, qui a pris parti, à l’extrême, pour l’essentiel, au moins une fois dans sa vie, celui-là eSt enclin parfois à s’exprimer en termes empruntés à une consigne de légitime défense et de conservation. Sa diligence, sa méfiance se relâchent difficilement, même quand sa pudeur ou sa propre fai blesse lui font réprouver ce penchant déplaisant. Sait-on qu’au-delà de sa crainte et de son souci cet être aspire pour son âme à d’indécentes vacances ? 


BILLETS À FRANCIS CUREL de René Char

 III 


La pensée ne t’a pas effleuré de tirer du déluge ta défroque à rayures pour en faire une relique pour les tiens. Tu l’as jetée aux flammes ou tu l’as mise en terre avec ses poux incalculables et les trous de ta maigreur. Trois ans avec Hadès ! Tu t’habilles, ce matin, de feuilles et de fleurs de sureau, de sable de rivière et d’air chargé de menthe. J’ai eu peur pour toi, mais une peur mobilisée. Bien que l’on ait construit en ton absence d’affreuses maisons en bordure des champs où tu chassais la caille (le mouvement de l’argent ne ralentissait pas durant ta diète...), tu n’es pas moins heureux qu’autrefois, ni plus amer, seulement plus averti, moins saisissable dans tes arrêts. Louis, ton père, embellit à nouveau tout ce qu’il touche. Il renaît à ta vue. Son platane le dit. Ne songeons pas aux couards d’hier, auxquels se join dront les nôtres ambitieux, qui s’accoutrent pour la tournée des commémorations et des anniversaires. Ren trons. Les clairons insupportables sonnent la diane revenue. Chaudon a été massacré par la GeStapo aidée de la Milice de Darnand, avec vingt de nos camarades, à Signes. Extraits de leur prison, conduits dans une clai rière, et cloués là au sol, dans la lumière épouvantable de l’été. Je reçus la nouvelle de sa capture le 22 juil let 1944 à Alger, où une décision saugrenue de l’État- Major interallié nous avait amenés, quelques-uns, pour coopérer au débarquement en France Sud, plus exacte ment pour permettre à certains gradés évanescents de l’armée de libération de s’assurer de nos unités du maquis dont ils redoutaient les vues hardies, les intuitions et les chimères. Chaudon nourrissait à l’égard des gens d’Alger — à l’exclusion de la France combattante et de l’espèce de Saint-Michel sans son prochain*, son chef — des sentiments de méfiance et d’incrédulité. Il pressentait leur impuissance à développer bientôt le prodige de notre relaxe, il devinait leurs faibles qualités politiques et humaines, à peine supérieures à celles des cancres de Vichy, cancres en côtoyant d’autres, ceux-là, criminels. Arthur t’apportera demain un sac de pommes de terre, un tonneau de vin, un jambon des Alpes et ton fusil de chasse que la graisse a préservé de la rouille. Dix cartouches de chevrotines te permettront de filer à tes affûts sans tarder. Lucienne, la veuve de Roger Bernard, eSt retournée à Pertuis avec son enfant. La courageuse a trouvé du travail dans une usine de feux d’artifice. Puissent les poudres monter aux nues la clarté de son beau visage en larmes ! Ah ! nous savions que tant qu’il y aurait une tige d’herbe et une bouchée de nuit dans le vivier, la truite n’y mourrait pas. 

1946. 

BILLETS À FRANCIS CUREL de Ŕené Char

 II 


... Je veux n’oublier jamais que Ton m’a contraint à devenir — pour combien dé temps ? — un monstre de justice et d’intolérance, un simplificateur claquemuré, un personnage arftique qui se désintéresse du sort de quiconque ne se ligue pas avec lui pour abattre les chiens de l’enfer. Les rafles d’Israélites, les séances de scalp dans les commissariats, les raids terroristes des polices hitlé riennes sur les villages ahuris, me soulèvent de terre, plaquent sur les gerçures de mon visage une gifle de fonte rouge. Quel hiver ! Je patiente, quand je dors, dans un tombeau que des démons viennent fleurir de poi gnards et de bubons. L’humour n’eSt plus mon sauveur. Ce qui m’accable, puis m’arrache de mes gonds, c’eSt qu’à l’intérieur de la nation écrêtée pourtant par les courants discordants suivis de pouvoirs falots et relativement débonnaires, — la répression de l’agitation ouvrière et les cruelles expéditions coloniales mises à part, dague que la haine de classes et la cupidité éternelle poussent par intervalles dans quelque chair au préalable excommuniée — puissent se compter si nombreux les individus méditants qui se tendent gaillardement à l’appeau du tortionnaire et s’enrôlent parmi ses légions. Quelle entreprise d’exter- tnination dissimula moins ses buts que celle-ci? Je ne comprends pas, et si je comprends, ce que je touche eSt terrifiant. À cette échelle, notre globe ne serait plus, ce soir, que la boule d’un cri immense dans la gorge de l’infini écartelé. C’eSt possible et c’eSt impossible. *943

BILLETS À FRANCIS CUREL, de René Char

 


 I 

... Je ne désire pas publier dans une revue les poèmes que je t’envoie. Le recueil d’où ils sont extraits, et auquel en dépit de l’adversité je travaille, pourrait avoir pour titre Seuls demeurent. Mais je te répète qu’ils resteront longtemps inédits, aussi longtemps qu’il ne se sera pas produit quelque chose qui retournera entièrement l’innommable situation dans laquelle nous sommes plongés. Mes raisons me sont dictées en partie par d'assez incroyable et détestable exhibitionnisme dont font preuve depuis le mois de juin 1940 trop d’intellectuels parmi ceux dont le nom jadis était précédé ou suivi d’un prestige bienfaisant, d’une assurance de solidité quand viendrait l’épreuve qu’il n’était pas difficile de prévoir... On peut être un agité, un déprimé ou moralement un instable, et tenir à son honneur ! Faut-il les énumérer ? Ce serait trop pénible. Après le désastre, je n’ai pas eu le cœur de rentrer dans Paris. À peine si je puis m’appliquer ici, dans un lointain que j’ai choisi, mais que je trouve encore trop à proximité des allées et venues des visages résignés à eux-mêmes et aux choses. Certes, il faut écrire des poèmes, tracer avec de l’encre silencieuse la fureur et les sanglots de notre humeur mortelle, mais tout ne doit pas se borner là. Ce serait dérisoirement insuffisant. Je te recommande la prudence, la distance. Méfie-toi des fourmis satisfaites. Prends garde à ceux qui s’affirment rassurés parce qu’ils pactisent. Ce n’est pas toujours facile d’être intelligent et muet, contenu et révolté. Tu le sais mieux que personne. Regarde, en attendant, tourner les dernières roues sur la Sorgue. Mesure la longueur chantante de leur mousse. Calcule la résistance délabrée de leurs planches. Confie-toi à voix basse aux eaux sauvages que nous aimons. Ainsi tu seras préparé à la brutalité, notre brutalité qui va commencer à s’afficher hardiment. Est-ce la porte de notre fin obscure, demandais-tu ? Non. Nous sommes dans l’inconcevable, mais avec des repères éblouissants. 


1941

L EXCES, ET CETERA de Michel Surya

 Cinquième fois, cinquième...la dernière? oui cette fois, là, la dernière, à cet instant...

Pour longtemps, indéfiniment, définitivement, jamais...


Le sang coule dans mes veines toujours, ET CETERA, petite RITOURNELLE  du sang qui tourne encore encore et un peu en L EXCES?  oui, il faut l'excès de tout...puis de rien...M.S. tout puis rien mais diffusé passionnément...

"9

pourquoi ne pas t'être achevé comme Chamfort se tranchant

: la gorge & le reste au couteau

après qu'il ne s'est 

qu'éborgné - à l'arme à feu

mal visé

mal avisé comme toi

pour te finir

: mal armé

ni fait ni à faire

propre à rien pas même propre à ça

bon qu'à rater

arrêter les ratages

s'en remettre de mourir à qui sait tuer

seul tue qui tue d'une seule fois qui le sait

une seule fois : seule mesure du suicide

[et cetera]

samedi 19 avril 2025

PROFESSEUR n. m. encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure

 



La plupart des professeurs enseignent ce dont ils ne connaissent pas un traître mot. Plus ils sont ignorants, plus ils se croient savants. Cela porte à être modeste. En voyant ces faiseurs d’embarras, on se refuse à parler pour ne rien dire. Il faut vraiment être sûr de soi, ne pas avoir de sa personne une petite opinion pour se croire capable d’enseigner quelque chose à quelqu’un. Et en serait-on capable, de par un labeur acharné, des études spéciales, des recherches inlassablement poursuivies, un acquis scientifique véri certains énergumènes de réunion publique), que ce serait faire acte d’autorité que d’affirmer : « Ceci est vrai, ceci est faux. » Celui qui enseigne fait acte d’autorité, la plupart du temps. Ne pourrait-il pas plu nous pouvons écrire, par plus rien de ridicule. Cela est utile et contribue à annihiler l’œuvre nuisible du pseudo enseignement. Il y a des gens qui savent beaucoup de choses, mais sont incapables de les enseigner. C’est qu’ils manquent de cet enthousiasme, de cette sincérité, de cette foi qui communiquent de la vie aux études les plus arides et les font aimer des profanes. Celui qui enseigne doit créer : il ne saurait se contenter de répéter ce qui a été dit avant lui. Et il crée, s’il pense par lui-même et si ses auditeurs apprennent, à son contact, à penser par eux Sans suivre la méthode traditionnelle, sans s’astreindre à des règles factices, il fait entrer dans les cerveaux plus de vérités que les pédagogues avec leurs plans et leurs fiches. À quoi sert-il de prendre des notes si vous n’êtes pas capable d’en tirer parti ? Le professeur répète pendant vingt, trente ans la même leçon apprise par cœur, sans rien changer à sa manière, les mots se succédant dans le même ordre, accompagnés des mêmes gestes mécaniques. Le professeur ne vit pas et tue ceux qui l’écoutent. Son enseigne savant, mais mortel. Pendant des années, de vieux professeurs rabâchent les mêmes bana même ton insipide, et sans une erreur de mémoire. Ce sont d’excellents professeurs pour ceux qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez. Ces gens-là ne savent pas lire : comment appren auteur, ils ne voient que ses défauts. Ce qu’il y a d’original chez un écrivain, ils le passent sous silence. Ils expurgent les œuvres des penseurs et les mettent à la portée des esprits faibles. Ils en font des enfants bien sages, sans une idée, peu subversifs, ressemblant à tout le monde. Alors, « les familles » sont rassurées : Molière, Racine, Victor Hugo ne risquent point de corrompre la jeunesse. Le professeur « idéal » est un camarade dont la tâche consiste, en plus de la tâche quotidienne qu’il remplit pour vivre, à mettre à la portée de son audi humain, à faciliter aux intelligences l’accès de ses merveilles, sans rien leur demander en échange que leur attention. Le professeur qui agit uniquement pour instruire ses élèves est pareil au médecin qui soigne ses malades sans se faire payer et à l’avocat qui donne ses conseils sans recevoir d’honoraires. Le professeur ne voit pas dans ce qu’il ensei moyen d’enri des caractères. Laissons aux bourgeois leur conception de l’enseignement : qu’ils instruisent les gens en recevant d’eux un salaire, ou qu’ils mendient des applaudissements, cela les regarde. Si le professeur idéal est un être rare, par contre on trouve une infinité de « professeurs » qui ne se rendent pas compte de ce que c’est qu’enseigner. Instruire la jeunesse, pour eux, c’est former des âmes bourgeoises, prêtes à toutes les servitudes. Les professeurs forment au sein de la société une caste peu intéressante. Ils peuvent être très calés, mais ils n’ont pas d’idées personnelles. Tout ce qu’ils disent, ils l’ont emprunté aux autres. Leur science est purement livresque. Ils compilent, ils compilent... Compiler est l’unique tâche du professeur. Avouez qu’elle est absurde. Ils accumulent fiches sur fiches, écrivent de gros bou accouchent de lourdes thèses ; mais une fois qu’on a ôté les dates, les menus faits, les racontars et les potins, rien ne reste des recherches de ces savantissi cela est évi acquièrent leurs grades en se donnant beaucoup de mal : ils y arrivent à force d’étouffer le peu d’originalité qu’ils possèdent. Ils pas d’autodidactes leur sont supérieurs, qui n’ont ni titres, ni diplômes ! On peut être agrégé et n’être qu’un idiot. De cet enseignement amorphe, et combien neutre, il ne résulte aucun profit pour les individus. Tout lyrisme en est banni. Les coups d’aile sont proscrits. Être terne, plat et monotone pour parler à des élèves, tel est le mot d’ordre. Quand je vois certaines têtes de « professeurs », je m’enfuis. Certaines institutrices m’horripilent. Et dire que ces pauvres gens ont pour mission de faire l’éducation du peuple ! Le professeur idéal est celui qui n’a pas l’air d’un professeur. Il n’a rien du pédant ni du cuistre. Il est tolérant, conciliant. Et il ne croit pas qu’on est savant parce qu’on est ennuyeux. L’esprit d’un enseignement sincère est « a-dogmatique ». Il cherche dans tous les sens la vérité. Il utilise toutes les méthodes. Il n’est pas exclusif. La liberté de pensée est à la base de toute éducation vivante. L’éducateur doit être un initiateur. Il doit nous initier à ce qui rend la vie digne d’être vécue : l’art, la beauté, l’amour. Toute éducation vraiment digne de ce nom s’adresse à la fois à l’intelligence et à la sensibilité qu’elle se charge d’éveiller. Il existe une différence entre l’initiateur et l’être conventionnel connu sous le nom de professeur. L’ini eux-mêmes, mais des hommes qui, en toute circonstance, affirment leur personnalité. Le pédagogue dit : « Mes élèves », comme il dirait : « Mes poules, mes cochons. » C’est un mercanti qui possède l’âme d’un vieux propriétaire endurci. Il ne faut pas qu’on touche à son bien. Il considère ses élèves comme sa chose, dont il fait ce qu’il veut et dont il tire ce qu’il peut. L’« autorité » du maître sur ses élèves — ici, le mot autorité a un sens — ne peut résulter que de la confiance qu’il leur inspire, précisément parce qu’il ne fait pas sur eux acte d’autorité. Le véritable édu imitateurs. Le professeur suit un programme tracé d’avance, dont il ne s’écarte pas d’une semelle. Il le suit du commencement à la fin. L’initiateur n’a pas de pro enseignement est souple, vivant comme le vol de l’oiseau. À mesure qu’il avance dans ses recherches, il découvre de nouveaux horizons ! L’art des transitions est un art qu’il faut laisser aux pédagogues. Ils sont très forts dans l’art de ménager les transitions. Ils partagent ce genre d’ori qui n’ont entre eux aucun lien sont rattachés artificiellement. L’essentiel est de passer d’un paragraphe à l’autre sans qu’on s’en aperçoive. Les lecteurs ou auditeurs veulent être conduits par la main, comme des enfants. Ils sont incapables de marcher seuls. Le pédagogue leur tend la perche, si j’ose m’exprimer ainsi. Ce procédé est pratique quand on n’a rien à dire. Il donne l’illusion qu’on a beaucoup d’idées et qu’une idée centrale les relie. Ce subterfuge est inutile quand on parle pour dire quelque chose. Les idées s’enchaînent. Un lien invisible les rattache. Nous n’avons pas besoin de jeter un pont entre elles. Le fil des idées n’est pas perdu. En passant de l’une à l’autre, nous suivons la même idée, présentée sous mille faces. Tout enseignement comporte des redites. Ce n’est qu’à force de répéter les mêmes choses qu’on a des chances d’être compris. Ceux qui ne se répètent pas n’ont souvent rien à nous apprendre. On a vite fait le tour de leur pensée. Jamais ils n’insistent sur tel ou tel fait : la question une fois traitée, on n’y revient plus. Ils évitent les sujets scabreux. Ils les escamotent. Ils ont trop peur de se compromettre. Ne craignons pas de nous répéter, dussions-nous passer pour des « radoteurs ». La pensée est un va-et-vient incessant, une sorte de flux et de reflux, s’enrichissant à mesure qu’elle se dépense : quiconque creuse une idée ne fait que se répéter. Il emploie toujours les mêmes termes ; s’il les modifiait, sa pensée serait moins claire. Il sait qu’en procédant ainsi, il risque de mécontenter les pédagogues qui examinent chaque question à part, suivant un plan tracé d’avance, qu’ils suivent jusqu’au bout. Ils savent où ils vont et ne font jamais fausse route. En sontils plus clairs pour cela ? Nullement. Qu’ils se répètent ou non, ce qu’ils disent est sans intérêt. Il y a des gens qui n’hésitent pas à proclamer d’un ton tranchant et autoritaire que ce qu’ils disent est la vérité même. Ce sont de mauvais professeurs. Je sais bien que des camarades ont besoin d’être guidés, dirigés dans leurs études. Mais que cet appui n’aliène ni la liberté de l’enseignant ni celle de l’enseigné. Le professeur est un ami qui ne cherche qu’à faciliter votre tâche et auquel vous devez faciliter la sienne. Point de tyrans de part et d’autre. Le véri suis bien forcé d’utiliser, n’impose aucune doctrine ; il ne doit même pas en proposer une : qu’il se contente de l’exposer, c’est bien suffisant. Cependant, son impartialité ne va pas jusqu’à faire abstraction complète de sa personnalité. Il a le droit d’émettre un avis concernant telle ou telle question, mais cet avis n’engage que lui. L’autoritarisme n’a pas plus de raison d’être dans l’enseigne celui de la philosophie qui laisse à chacun, professeur ou élève, le droit de penser ce qu’il veut. « Vous détruisez tout enseignement, dira-t-on. Si l’élève n’ajoute pas foi aux paroles du maître, quel bénéfice retirera-t-il de son enseignement ? Il importe de contraindre des ignorants à croire tout ce que vous leur dites ! Nul n’a le droit de formuler une objection. Toute interruption doit être punie. Défense de poser des questions. L’enseignement sera accepté sans discussion, ou il ne sera pas ! » On va loin avec cette théorie ! Cette méthode peut être employée pour l’enseignement du catéchisme, mais non pour celui qui incite l’élève à solliciter une expli exprimer une idée, une opinion. Or, l’enseignement traditionnel ne vise qu’à étouffer l’esprit cri semble qu’entre l’obligation de croire tout ce qu’enseigne le profes aucun crédit, il y a un moyen terme. Mais ce moyen terme, qui est la sagesse même et non un compromis, exige que le professeur et ceux que nous désignons du nom d’élèves ne soient ni le professeur, ni les « étudiants » ordinaires que l’on rencontre partout, dans écoles et universités. Le « maître » a autant à apprendre de ses élèves que ceux-ci ont à apprendre de lui. Tout enseignement digne de ce nom est une collaboration. C’est aussi une création. Enseigner, c’est créer. Apprendre, ce n’est point répéter machinalement les paroles du maître. Le professeur doit s’appartenir, afin de mieux se donner. Maître de lui, il peut aider ses élèves à devenir maîtres d’eux-mêmes. La vraie éducation, ne craignons pas de le répéter, c’est l’induction qui « n’essaie pas de diriger les êtres, mais de leur faire trouver en eux cette direction ». Le professeur ne nous enrichit que dans la mesure où il s’est enrichi lui-même inté a médité, pensé, où il a renoncé à imiter ou à copier quelqu’un. L’induction permet à l’individu de se « ressaisir » sous les influences qui l’arrachent à lui-même. L’induction est une conquête ; elle s’accomplit du dedans au dehors ; l’éducation est une défaite, qui suit une marche inverse. Inducteur et éducateur ne poursuivent pas le même but. Plus je donne, plus je m’enrichis. C’est ce que ne comprendront jamais les impuissants qui, n’ayant rien à donner, s’enrichissent extérieurement. Leur « ensei S’ils en tirent profit, personne n’en tire profit. Un cerveau vide ne peut former que des cerveaux vides. Certains professeurs ont les élèves qu’ils méritent, comme certains élèves sont dignes de leurs professeurs. Ces gens-là tournent dans le même cercle vicieux. De même qu’en présence de l’œuvre d’art les indi dépourvus d’intelli leur véritable personnalité, toute œuvre d’art sincère leur révélant le sens de la vie, de même d’un enseignement rationnel chaque élève doit retirer un profit intérieur. C’est sa propre révélation qui lui est faite par un tel enseignement. Au fond, le seul enseignement, c’est l’enseignement esthétique, celui qui résulte de la contemplation des tableaux et des statues, de la lecture des poèmes, du contact avec toutes les manifestations de l’art. Toute autre éducation semble pâle à côté de l’éducation des esprits par l’art. C’est pourquoi tout enseignement doit s’efforcer d’être lui-même un art, afin de gagner les cœurs et de féconder les esprits. Si le maître doit avoir de l’autorité sur ses élèves, que celle-ci soit toute morale. Elle le sera, si son enseignement constitue pour eux un refuge contre la laideur et leur permet d’avancer avec plus d’assurance au sein des embûches tendues sur leur route par la société. Tout enseignement sera objectif et subjectif à la fois, c’est-à-dire que le lyrisme et l’imagination y auront leur place, autant que la science et l’observation. Tout enseignement qui n’est pas l’un et l’autre n’est qu’une caricature d’enseignement, ou un demi enseignement. Un enseignement qui ne consisterait qu’en hypothèses ne reposant sur rien, qu’en belles phrases et tirades, ne serait même pas lyrique, car le lyrisme suppose l’observation. Un enseignement qui se contenterait d’accumuler fiches sur fiches, d’aligner froidement ces chiffres, ne serait même pas scientifique, car la science seule ne peut rien. Il faut que dans le professeur coha savant, dans une étroite union. Vous ne pouvez demander au professeur plus qu’il ne peut donner ; demandez-lui seulement tout ce qu’il peut donner. Il est évident que le professeur ne peut tout tirer de son propre fonds, qu’il est obligé de consulter de nombreux documents et de lire une quantité d’ou diverses. La science infuse n’existe pour personne. Le professeur travaille sans cesse pour se mettre au courant des progrès de la science. Le peuple considère à tort les travailleurs intellectuels comme des paresseux. Celui qui pense est pour lui un être inutile. C’est que son travail ne se voit pas. Cependant, il n’en existe pas moins. Et il est plus pénible qu’on le croit. Il suppose une hygiène rigoureuse et toutes sortes de privations. Le professeur travaille pendant que les autres se soûlent ou vont au cinéma. Mais comme il ne tra jalouse et on le méprise. L’art du professeur consiste à extraire, comme l’abeille, le miel des fleurs les plus rares comme des plus humbles, à préparer, pour les cerveaux, la nourriture substantielle dont ils ont besoin et qu’ils absorberont sans trop de fatigue. Le professeur leur mâche la besogne, si je puis m’exprimer ainsi. Il les dispense de recherches fatigan apporte tout préparé le plat qu’il a composé avec toute sa science et tout son art. Ils n’ont plus qu’à se mettre à table. Cepen réfléchir et d’associer des idées ; autrement, si l’élève demeurait passif sans rien ajouter à ce qu’il a reçu, s’il ne donnait rien de son côté, l’enseignement le plus vivant serait mort-né. Il faut que l’élève fasse un effort pour porter à sa bouche les aliments qu’on lui sert et les transformer en sa propre substance. Quelque liberté que conserve l’élève de rejeter ou non l’enseignement du professeur, il est certain que son attitude vis-à-vis du maître, comme celle du maître vis savants qui ont travaillé toute leur vie sur le même sujet, doit cesser d’être le scepticisme, mais commande qu’on fasse confiance à autrui, qu’on accepte, sinon comme un dogme, du moins comme la meilleure des solutions celle qu’il propose, « dans l’état actuel des connaissances humaines ». Les « digressions » ou « hors-d’œuvre » dont le professeur parsème ses leçons sont pour lui des moyens d’obliger les cerveaux à penser et à réfléchir. Elles constituent, en même temps qu’une gymnastique pour l’esprit, une halte qui lui permet de méditer sur le chemin parcouru avant de reprendre sa route. Il s’élève sur les sommets d’où il contemple les réalités qui l’entourent pour en dégager une réalité plus haute. Ces digressions et hors-d’œuvre, loin d’être en dehors du sujet, sont au cœur même du sujet, elles en sont l’âme ; sans elles, tout enseignement ressemble à un squelette, la chair et le sang qui seuls constituent la vie faisant défaut. Dans tout enseignement, la théorie et la pratique doivent s’accompagner. Ne nous contentons pas d’écouter de belles théories ou de les exposer, mais mettons en pratique l’enseignement que nous recevons ou que nous donnons. Le philosophe, qui est l’amant de la sagesse, doit donner l’exemple de celle-ci dans toutes les circonstances de sa vie et partout où il se trouve en contact avec les hommes. Il doit prendre comme ligne de conduite de ne jamais participer aux erreurs de la foule et se tenir constamment au-dessus de la mêlée. Cependant, avant d’être un surhomme, le philosophe doit être un homme différent, par ses goûts, ses aspirations, sa conception de la vie, des âmes grégaires qui évoluent autour de lui. Au philo passions, de se réaliser « en beauté » au-dessus de la laideur, de mani circonstance, d’agir contre la bêtise et l’ignorance chaque fois que l’occasion s’en présente. Il faut mettre ses actes en harmonie avec ses théories. Autrement, la philosophie n’est qu’un bluff. Nous devons nous libérer d’une foule de mauvaises habitudes : habitudes de penser, habitudes de sentir, défectueuses à tous les points de vue. L’éducation de notre cœur comme celle de notre esprit commencent à peine. L’essentiel est surtout d’agir conformément à nos pensées, de façon à ce que notre exemple puisse être suivi. De quel droit parlerons-nous aux autres de justice et de fraternité, si nous sommes injustes et méchants ? Deux méthodes s’opposent dans l’enseignement : la compilation et la création. Seule la seconde a un sens. Seule la seconde constitue un véritable enseignement. À quoi sert-il de se documenter si l’on n’a pas le souffle qui fait vivre le document ? L’enseignement ne se conçoit que vivant ; autrement, c’est un pseudo ensei découverte, seules intéressantes, quelque chose qui s’ajoute à ce qui est, en le transformant et le dépas documentation, mais avec quelque chose en plus. Le document tout seul ne rend aucun service. Il ne nous apprend rien. Ce sont des matériaux épars, qui attendent qu’on les utilise pour une construction durable. La compilation sans ordre avec une apparence d’ordre ne produit que du désordre dans l’esprit, ne laisse qu’un souvenir vague et confus. Le compilateur, qui n’a rien appris lui-même, n’apprend rien aux autres. Tout autre est le créateur. Il vit. Il n’a pas besoin de faire étalage de sa science. Sans en avoir l’air, il nous apprend mille choses. Il ne suit pas un plan rigoureux et, cependant, s’il semble s’écarter de son sujet, toute sa personne instruit. Nous suivons les méandres de sa pensée, nous créons avec lui. Nous cherchons, nous trouvons avec lui. Le créateur ne s’attarde pas à ce qui est insignifiant : il passe outre et ne voit que l’essentiel. Sa vision est synthétique. D’un coup d’œil, il embrasse le détail et l’ensemble. Écoutons-le. Avec lui, nous apprendrons vraiment quelque chose. Nous n’aurons pas perdu notre temps. N’est pas créateur qui veut : si la compilation s’ac création est un don. Vous aurez beau faire, vous resterez un compilateur, un « non-créateur », si vous n’avez dans le cœur et l’esprit ce je ne sais quoi qui communique la vie. Ce qu’on ne tolère pas dans l’enseignement, c’est le lyrisme. La poésie est chassée de là comme de partout. Arrière, la spontanéité et l’enthousiasme ! Arrière, l’originalité et la vie ! La science doit être froide. Elle doit se préserver de toute émotion. L’émo professeur sérieux ne doit pas avoir d’idées personnelles. Ce serait un mauvais pro Ressembler à tout le monde, voilà la règle. Penser ce que tout le monde pense, ce qui équivaut à ne rien penser du tout. Dans le fond comme dans la forme, un professeur qui se respecte doit être banal et terne. On peut être une personnalité et ne pas avoir de personnalité : c’est même ce qui arrive la plupart du temps. Certains professeurs sont cotés, pontifient et attirent du monde à leurs cours qui, cependant, n’ont rien de bien transcendant. C’est une vogue qui passera comme tout le reste. Un professeur n’est bien vu que s’il est incolore, amorphe et quelconque. À lui tous les honneurs et un bon traitement. Il est vissé à sa chaire jusqu’à sa mort. Parler pour ne rien dire ou pour dire des banalités, ce qui revient au même, à cela se borne le rôle du professeur traditionnel, qui rabâche sempiternelle genre d’édu l’emportent sur les créateurs, et dont la mission consiste non à faire des hom mannequins. Cela dégoûte d’enseigner, quand on voit un peu partout tant de pédants qui enseignent mal, ou qui n’enseignent rien. Et puis, il y a pour le penseur libre quelque répugnance à affir haut d’une chaire des vérités passagères. C’est faire acte d’autorité que d’enseigner quoi que ce soit. Dans tout enseignement, il y a pression sur des élèves. L’enseignement est un apostolat qui exige des disciples. Comment résoudre cette délicate question d’en des cuistres ? Ils ne s’embarrassent pas de tant de scrupules. Enseigner, pour eux, est une forme de mégalomanie. C’est leur folie des grandeurs. Il entre dans tout enseignement une part de cabotinage qui répugnera toujours aux consciences droites. Le penseur libre, promu au grade de professeur, s’efforcera de faire oublier qu’il « pro groupe des hommes libres autour d’un homme libre, dans un local quelconque n’ayant rien d’officiel, ce professeur n’enseignant au nom d’aucun gouver administration. Que celui qui enseigne dans ces conditions exerce ailleurs un métier de professeur, ou un autre métier, il sera toujours heureux d’avoir devant lui un public intelligent, que les préjugés n’aveuglent pas. L’éducateur se dégagera de la mentalité professorale, étroite et bornée, qui ne souffre aucune objection et veut être crue sur parole. En somme, que l’on s’exprime en public, devant une nombreuse assemblée ou un cercle restreint, dans un livre, un article ou une simple conversation entre camarades, on n’impose pas une idée : on l’expose. L’orateur n’exerce d’influence heu sur ses auditeurs que s’il leur expose des idées, au lieu de leur imposer ses idées. En restant luimême, allégé de tout autoritarisme, mais ferme dans ses convictions, il donne aux autres un exemple qui n’est pas sans beauté. Il conserve son harmonie, afin que les autres découvrent leur harmonie. Il faut éviter dans tout enseignement ces verrues que sont l’autoritarisme, le pédantisme, la lourdeur, l’incohérence et autres défauts insupportables. La science est œuvre d’amour : pour attirer à elle les ignorants et les simples, il faut soi-même aimer la science. Et on ne l’aime profondément que si on l’aborde avec sagesse, sans aucun parti-pris, ni idée préconçue. « Ai-je le droit d’enseigner ? se demande l’homme libre. Est-ce que je ne fais point acte d’autorité en assu tous, et s’il répond au vœu des camarades qui sollicitent de lui cet enseigne se donner, et se donner sans arrière-pensée. Tout homme instruit a le devoir de communiquer son savoir à autrui, et cela sans faire de concession, sans émasculer sa pensée, sans la déformer ni la mutiler. Il faut donner toute la science ou ne rien donner du tout. Il y a une façon de la mettre à la portée de ses auditeurs, sans les diminuer ni se dimi la châtrer, à la caricaturer, à en faire la parodie : c’est la clarifier, la simplifier, l’humaniser sans l’appauvrir. C’est en extraire le parfum d’idéal que tous ont le droit de respirer. Pro ne consiste pas à faire de tous les hommes des savants, mais à faire d’eux des esprits libres, curieux, avides de connaître le monde qui les entoure. Cela consiste à éveiller dans les cerveaux l’esprit critique sans lequel l’individu n’est qu’une brute, étant incapable de socialiser l’art et la science, de les mettre à la portée de toutes les intelligences. On a vu comment notre pseudo démocratie a réalisé son programme : en faisant payer au peuple l’entrée dans les musées. L’art et la science sont devenus des entreprises commerciales, aux mains des mercantis. Notre époque divinise la science, la met au-dessus de tout et, quand il s’agit d’initier la foule à la science, il n’y a plus rien : plus d’argent pour les collections, pour tout ce qui concerne un enseignement pratique et rationnel ; la guerre absorbe tout, livre bataille à la science en utilisant ses découvertes pour le malheur des hommes. Le temple de la science est fermé aux individus. Quand, par hasard, il ouvre ses portes, c’est pour exhiber des charlatans et des pontifes qui débitent aux foules ahuries des boniments auxquels elles ne comprennent rien. Si le mouvement des uni lamentablement échoué, la faute en est aux « professeurs » qui n’ont pas su se mettre à la portée de leur auditoire, en leur parlant un lan scientifiques et de formules indigestes dont il n’avait que faire. Avant toute chose, le professeur doit s’efforcer de rendre la science compréhensible, attrayante même. Point n’est besoin pour cela de « saboter » son ensei peuvent s’enseigner au peuple, mais certain doigté est nécessaire pour cela. Il y a la manière, que n’ont ni les pédagogues ni les cuistres. —


Gérard de Lacaze-Duthiers.

PRODUIRE encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure

 



Produire ne se rapporte qu'à l'homme ; et celui-ci produit en raison de ses besoins, de ses aptitudes et de sa volonté : c'est-à-dire suivant son travail. On dit, assez souvent, et surtout chez les économistes bourgeois et matérialistes : « La terre produit, le capital produit, les machines produisent. » Rien n'est plus dangereux, socialement, qu'un pareil langage qui a, jusqu'ici, justifié l'exploitation des masses. C'est sur ce triste abus des mots qu'est fondée la science économique contemporaine. C'est en mettant sur un pied d'égalité le fonctionnement et le travail que les classes dirigeantes et possédantes acculent, par des stratagèmes spécieux, les prolétaires au paupérisme et à la mort par la misère, le suicide ou le crime. On ne produit que moralement, et non automatiquement, car la production, pour être telle, nécessite de l'intelligence et de l'instruction. Détruire est l'opposé de produire ou plus exactement, par rapport à l'homme, c'est produire dans un sens opposé, étant donné qu'il faut, dans certains cas, préalablement détruire pour produire réellement. Résumons-nous. Produire c'est être homme ; c'est faire usage de l'intelligence pour modifier soit le sol lui-même, soit des produits du travail, de l'intelligence, sur le sol. Mais l'organisation actuelle de la société, de la propriété générale, donne une production désordonnée qui ne profite qu'à une minorité, aux maîtres de l'heure. Une organisation rationnelle serait le contraire de celle de nos jours ; elle donnerait à chacun le fruit de son travail, le résultat de ses efforts. La production se ferait en accord avec la justice. -


Elie SOUBEYRAN.

PRODUCTION (COOPÉRATIVES DE) encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure

 



La production revêt divers aspects. Elle est individuelle ou collective. Nous envisagerons ici un des aspects de la production collective : celle qui, en matière de production industrielle ou de main-d'œuvre ou agricole, est coopérative. Les coopératives de production industrielle. - Ces coopératives sont des organisations dans lesquelles les producteurs-travailleurs sont eux-mêmes leurs propres entrepreneurs. La production a, de tout temps, été plus ou moins coopérative. C'est même dans la production, et spécifiquement la production ménagère ou semi-industrielle, qu'on a le plus pratiqué l'entraide : soit pour construire mutuellement des huttes ou des maisons, soit pour s'aider mutuellement dans les travaux de la terre, de la ferme, ou dans la pêche, etc. Mais pour trouver des coopératives industrielles de production systématiquement et juridiquement créées, il faut arriver au commencement du XIXe siècle. Fourier a été un des pères de la coopération, en ce qu'il a prédit la constitution des diverses formes coopératives, depuis les plus simples jusqu'aux plus compliquées, et parmi ces dernières les Phalanstères, qui étaient un amalgame des diverses modalités coopératives. Le type le plus parfait de cette dernière vision fouriériste existe au Familistère de Guise (Aisne) où elle a été créée par un disciple de Fourier : J.-B. Godin. Mais Fourier n'a été qu'un simple théoricien de la coopération. La première coopérative industrielle de production a été fondée en 1831 par Buchez qui, en vertu de ses idées saint-simoniennes, voulut prêcher le mouvement en marchant. A cet effet, il constitua d'abord une coopérative d'ébénisterie, qui échoua rapidement. Mais celle-ci morte Buchez en créa une autre, en 1834, ouvriers bijoutiers en doré, qui ne disparut qu'en 1873, à la suite de la guerre. Buchez voulait faire accéder tous les travailleurs à la propriété « sans toucher au bien des propriétaires actuels et sans avoir recours à aucune des institutions qu'a fondées la charité bâtarde de la philanthropie moderne ». Ce moyen était pour lui l'association dans le travail, un salaire convenable moyen étant réservé aux coopérateurs, l'accumulation des bénéfices des coopératives de production jusqu'à ce que, peu à peu, ces coopératives parviennent à s'emparer de toute la production. Les coopératives à tendances communistes de Buchez ne connurent pas le succès. Néanmoins, l'avènement de la IIe République détermina un mouvement favorable à ces organisations. Louis Blanc, en haine de la concurrence, fit de la propagande pour elles, et, après l'expérience des ateliers nationaux de 1848 (qui ne fut en rien coopérative), on en revint aux véritables idées de Louis Blanc. Malgré l'opposition de Thiers, qui se manifesta toujours hostile à toute nouveauté, une avance de trois millions fut votée pour permettre des prêts à ces associations. Ces avances furent si bien attribuées, et les travailleurs unis furent si consciencieux que, lorsqu'on fit le bilan de ces associations, on constata qu'elles avaient remboursé à l'Etat 2.500.000 francs, soit presque tout ce qu'on leur avait avancé ; contrairement à ce que disent les détracteurs de toute émancipation ouvrière, 150 associations avaient été fondées. Malheureusement, elles disparurent emportées par la réaction qui fut la conséquence du Coup d'Etat de 1851 ; car les coopérateurs étaient, dans l'immense majorité des cas, des hommes d'avant-garde. Si donc ces coopératives ont disparu, ce n'est point parce qu'elles avaient été mal gérées, c'est uniquement parce que le pouvoir central les a tuées. Elles étaient si peu décidées à disparaître, qu'en 1849 elles avaient constitué une Fédération nationale qui, 34 ans plus tard, devait s'appeler la Chambre consultative des associations (aujourd'hui : sociétés) ouvrières de production. Quand l'Empire devint « libéral » (1867), il se constitua un certain nombre d'associations coopératives de production. Mais la guerre de 1870 et la Commune emportèrent la plupart d'entre elles. Lorsque les proscrits de la Commune rentrèrent, en 1881, ils créèrent d'autres sociétés qui, unies à celles qui existaient encore, se réunirent en 1883 en un congrès national au nombre d'une trentaine et décidèrent la création de la Chambre consultative. En 1885, ces coopératives participèrent à l'Exposition du Travail, en y édifiant et y meublant un pavillon tout entier, qui impressionna vivement l'opinion publique et les Pouvoirs constitués. Le décret du 4 juin 1888, établi par Léon Bourgeois, avec la collaboration de Paul Doumer et Charles Floquet, dota les associations ouvrières de leur premier statut légal. Ce statut a été amélioré en 1920 et il est en instance devant le Conseil d'Etat pour des améliorations nouvelles. En pleine guerre, le 18 décembre 1915, vote de la loi organique de la coopération de production et des fonds de dotation pour ces associations. Elle a été incorporée en 1927 dans le Code du Travail. Les adversaires des sociétés coopératives de production les représentent comme des gouffres dans lesquels disparaîtraient les richesses du pays. En vérité, depuis l'arrêté ministériel du 15 novembre 1908 jusqu'au 31 décembre 1930, les coopératives de production ont bénéficié de 1.017 prêts ou avances s'élevant à 33.254.000 francs, sur lesquels 18.641.095 francs ont été remboursés. Les pertes ? 2,60 p. 100 de l'argent prêté. Actuellement, il existe en France 340 coopératives de production, d'industries diverses, adhérant à la Chambre consultative. Elles ont fait, en 1930, environ 210 millions de francs d'affaires. A côté, non adhérentes, 263. Ces 603 coopératives ouvrières groupaient, en 1930, environ 23.000 associés, ayant fait environ 400 P millions de francs d'affaires. (D'après les statistiques du ministère du Travail et de la Prévoyance sociale, il existerait 589 coopératives ouvrières de production, dont 564 ont répondu à l'enquête préfectorale permanente. D'après ces statistiques, ces coopératives se répartiraient de la manière suivante : pêcheurs et jardiniers, 11 ; mines et carrières, 9 ; alimentation, 8 ; bois, liège, vannerie, tabletterie, 55 ; industries chimiques, 3 ; industries textiles, vêtements et toilette, 31 ; métaux, 49 ; travaux publics et bâtiment, 250 ; travail des pierres, verrerie, 31 ; industries du livre et du papier, 69 ; cuirs et peaux, 10 ; transports et manutention, 26 ; divers, 12.) A côté de la Chambre consultative, et avec des Conseils d’administration distincts : 1° la Banque coopérative des Sociétés ouvrières de production, qui fait des avances aux sociétés et escompte leur papier ; 2° l'Orphelinat de la Coopération de production, qui aide les orphelins des sociétaires et possède une maison de vacances à Chalo-Saint-Mars, dans la grande banlieue parisienne; 3° la Maison de retraite de Chalo-Saint-Mars, pour les vieux coopérateurs sans famille ; 4° la Caisse de compensation qui attribue des allocations familiales. En outre, la Chambre consultative possède un service de contentieux et d'assurances et un journal bimensuel, l'Association ouvrière, qui défend les thèses du mouvement. La Chambre consultative s'attache à appliquer la formule fouriériste, grâce à quoi on établirait l'harmonie entre le Capital, le Travail et le Talent. Pour le surplus, les coopératives de production s'attachent à réaliser la formule proudhonienne de responsabilité et de liberté dans l'association : « Que le salaire soit proportionné à la nature de la fonction, à l'importance du talent, à l'étendue de la responsabilité. Que tout associé participe aux bénéfices comme aux charges de la compagnie, dans la proportion de ses services. Que chacun soit libre de quitter à volonté l'association, conséquemment de faire régler son compte et liquider ses droits, et réciproquement la compagnie est maîtresse de s'adjoindre toujours de nouveaux membres. » D'autre part, les associations ouvrières travaillent à l'abolition du salariat en réalisant la formule de Charles Gide : « L'abolition du salariat sera simplement la substitution de la démocratie industrielle au patronat et l'abolition du profit par la suppression de tout prélèvement parasitaire sur le produit du travail. » Programme ambitieux, objectera-t-on, mais pour quelles réalisations ! Il est vrai que les associations ouvrières de production n'ont pas encore pris dans l'Economie nationale, et dans l'Economie mondiale, la place éminente que ses protagonistes aspirent la lui voir s'attribuer. (Néanmoins, les coopératives industrielles de production, adhérentes à l'Alliance coopérative internationale, sont actuellement au nombre de 1.071 groupant 133.000 sociétaires, disposant d'un capital de 225.000.000 francs et ayant fait, en 1931, pour 950.000.000 francs d'affaires.) Mais il serait injuste de juger une méthode d'action aux simples résultats matériels du début. Et, en effet, si les coopératives de production n'ont pas encore, et il s'en faut, englobé dans leur activité toutes les entreprises, malgré tout, elles ont libéré un nombre respectable de salariés des inconvénients du salariat et, à ce titre, elles sont des facteurs éminents au point de vue social. Le lecteur curieux de l'histoire et de l'évolution de ces coopératives lira avec plaisir et profit, notamment : La Societa coopérative de produzione, d'Ago Rabbena et les Cours sur les Associations coopératives de production, au Collège de France, par Charles Gide (1922-1923). Dans leurs ouvrages, ces auteurs étudient ces coopératives sous leurs aspects les plus variés, leurs statuts, les formes diverses (depuis celles à forme autonome jusqu'à celles à forme semi-capitaliste, en passant par celles à forme socialiste et syndicaliste). Parmi les premières, une qui a mal tourné, celle des Lunetiers ; deux dans lesquelles le directeur a autant d'autorité sur les associés qu'un véritable patron : celles des Ferblantiers réunis et celle des Charpentiers de Paris. D'ailleurs, cela n'a pas empêché ces dernières de réussir supérieurement. Parmi les coopératives du type syndical, l’Association des Tapissiers de Paris ; celle des Fabricants de voitures et la vieille Verrerie ouvrière d'Albi qui, depuis 1930 est devenue une véritable association ouvrière, et non plus une Verrerie ouvrière, ainsi que l’avaient voulu Pelloutier, Hamelin et Yvetot. Parmi les sociétés à type socialiste (d'un socialisme économique), celles qui reçoivent des avances des coopératives de consommation, des communes, de l'Etat, pour fournir un travail déterminé. Mais nous en parlerons à propos des coopératives de main-d'œuvre. Parmi les coopératives ouvrières à caractère semi-capitaliste, la vieille maison Leclaire, fondée par Leclaire, en 1826. Cette société est très hiérarchisée, afin de sélectionner les associés qui parviendront au sociétariat et à la Direction dans la mesure où ils auront donné des gages de dévouement à l’œuvre commune. Leclaire était un patron fouriériste qui commença, en 1842, à instituer dans son entreprise, la participation du personnel aux bénéfices. Pour cela, il fut l'objet de la méfiance de ce personnel et faillit même être jeté en prison pour application d'idées « subversives ». Il s'en tira en affectant de donner à cette répartition des bénéfices un caractère philanthropique, et non point social, comme il le voulait. En 1869, la Société de secours mutuels de la maison Leclaire (aujourd'hui Laurent, Fournier et Cie) devint la propriétaire de tout l'avoir social et, de ce chef, aujourd'hui, tous frais payés, les bénéficiaires de l'entreprise sont les retraités de la maison. Leur retraite est fonction de l'âge et des années de présence dans la société. Le Familistère de Guise est devenu, de par la volonté de son fondateur, J.-B. Godin, une entreprise coopérative du même genre. Elle est très importante, puisqu'elle produit, bon an, mal an, pour 200 millions d'appareils de chauffage. Les obstacles au développement des coopératives de production résident dans la direction, dans les difficultés à trouver de la clientèle et du capital. Voilà pourquoi, barrées du côté du public qui ne les voit pas toujours avec sympathie, les coopératives ouvrières se sont retournées vers l'Etat pour lui demander des commandes, des prêts à faible intérêt. Ce n'est qu'au prix de grands efforts qu'elles ont pu obtenir tout cela. Un régime satisfaisant d'attribution de contrats gouvernementaux ne fonctionne en leur faveur que depuis octobre 1931. En Angleterre, les socialistes chrétiens, avec Hingsley, Maurice, Ludlow, Hughes et Vansittart-Neale se mirent à la tête du mouvement coopératif de production industrielle, à la suite d'un voyage de Ludlow en France, à Paris en 1848. Ils eurent à lutter énergiquement contre toutes les puissances établies pour faire adopter leurs idées, presque autant que Robert Owen pour ses entre communistes du commencement de ce même siècle. La caractéristique des coopératives ouvrières anglaises était de ne pas faire appel à l'Etat. En fait, ce mouvement n'a pas plus réussi (économiquement) en Angleterre qu'en France ; mais, moralement, il a aussi donné des avantages intéressants. Toutefois, il faut signaler une curieuse évolution que suit la coopération de production industrielle en Grande-Bretagne, et même en France. Il arrive assez souvent que ces coopératives disparaissent; mais non point sans laisser de traces. Elles sont absorbées par les magasins de gros des coopératives de consommation, dont elles deviennent, dans ce cas, des rouages internes, sans que, d'ailleurs, la condition des anciens associés soit diminuée matériellement. Leur liberté n'est pas davantage altérée ; tandis que leur sécurité est augmentée. A ce point de vue, le lecteur curieux des avantages comparés de la production autonome (par les coopératives ouvrières) et de la production fédéraliste (par les magasins de gros des coopératives de consommation) lira avec profit la thèse que notre regretté ami Claude Gignoux, mort directeur de la « Laborieuse », de Nîmes et président de l' « Union des coopérateurs du Gard », a soutenue dans l'Almanach de la Coopération française pour 1909. Elle peut se résumer en ceci : ces deux modalités de la production coopérative présentent, l'une et l'autre, des avantages incontestables. Mais la production autonome ne peut être utilement tentée que dans la petite industrie ou dans les professions où la main essentielle de l'exploitation (maçons, serruriers, charpentiers, peintres, imprimeurs, etc.). La production fédérale est surtout du ressort de la grande industrie, elle doit essentiellement viser la production des denrées de grosse consommation : minoteries, biscuiteries, savonneries, chaussures, vêtements, etc. Les services de production des magasins de gros anglais occupaient, en 1930, 34.466 personnes dans les usines de tissage, de chocolaterie, de boucherie, de charcuterie, de margarinerie, de savonnerie, de meunerie, de brasserie, de cycles, motos et autos, de poteries, de véneries, d'ameublement, dans la mine de charbon, sur les navires, etc., etc. La même année, tout le personnel administratif et productif comptait 41.205 employés ayant touché 690.385.320 francs de salaires. Le chiffre total du magasin de gros anglais avait été de plus de 10 milliards et demi et la plupart des marchandises vendues par le dit magasin de gros à ses sociétés provenait de ses usines de production. Ce sont là des chiffres impressionnants. Coopératives spéciales de production. - Il existe un certain nombre de coopératives spéciales, qui relèvent, certes, de la production, mais dont certaines n'ont rien d'ouvrier. La plus célèbre, sinon la plus âgée, la Comédie Française, date de 1643. Charles Gide cite des coopératives d'acteurs de café-concert, à Marseille ; d'auteurs de feuilletons pour journaux ; de coopératives artistiques. Ces années dernières, il s'est créé à Paris la coopérative des Comédiens associés. De ces coopératives artistiques, il convient de rapprocher celles de travail ou de main-d'œuvre. L'origine de ces sociétés paraît être en Italie, où elles sont appelées coopératives de « braccianti ». Les braccianti sont des ouvriers ne possédant que leurs bras et qui comprennent la nécessité de devenir leurs propres entrepreneurs. Elles remontent à près d'un demi-siècle. La première fut fondée à Ravenne, la patrie de Dante. Lorsque des Communes, des Provinces, ou même l'Etat, ou des particuliers veulent faire exécuter des travaux de desséchement de marais, d'irrigation, de drainage, construire des canaux, des voies ferrées, des routes, ou produire diverses marchandises, ces coopératives de main-d'œuvre ou de travail interviennent et se substituent à l'entrepreneur qui, auparavant, faisait suer la main-d'œuvre ouvrière à son profit. Le roi d'Italie souscrivit, à titre d'exemple, la plus grande partie du capital de la première coopérative de main-d'œuvre. Son succès a été complet, puisque, actuellement, il y a, en Italie, plus de 3.000 coopératives de braccianti, groupées en 65 fédérations régionales, groupées ellesmêmes en une fédération nationale. Avant la guerre, le ministre Luzzatti inaugura une ligne de chemin de fer d'une trentaine de kilomètres, de Ciano à Reggio-Emilia, entièrement équipée et exploitée par des coopératives de braccianti et sur laquelle les trains partaient et arrivaient à l'heure. En France, il existe aussi quelques coopératives de travail pour le chargement et le déchargement des navires, notamment dans les ports de La Pallice, de Saint-Nazaire, du Havre, et pour la manutention des colis dans les gares de Paris-Etat et à la gare maritime de Calais. De tout temps, ces coopératives ont été fort bien vues par les économistes orthodoxes, notamment par Yves Guyot (qui pourtant n'aimait guère les coopératives). Et certains gros magnats de l'industrie envisagent, comme Ford par exemple, de traiter avec elles pour des fournitures de pièces détachées qui seraient assemblées dans l'usine centrale. Il y aurait, grâce à la distribution à bas prix (coopérative) du courant électrique, la possibilité de décongestionner les grandes entreprises industrielles en les transportant partiellement vers les campagnes, qui seraient à nouveau animées. Au surplus, les regrettés Frédéric Brunet et Charles Gide ont soutenu qu'un jour viendrait où tous les rouages des communes, des départements et de l'Etat pourraient être confiés à des coopératives de travail, qui les géreraient sous leur propre responsabilité. Si ce système se généralisait - et il devrait l'être, ne serait-ce que pour rendre les fonctionnaires responsables - la coopération de travail prendrait en France (et ailleurs) une importance que peu de personnes ont soupçonnée jusqu'ici. D'ailleurs, le Journal Officiel est entré dans cette voie par le système de la commandite d'atelier, particulièrement étudiée par Yvetot. Parmi les populations ouvrières, il est une catégorie de travailleurs tout particulièrement exploitée : celle des marins pêcheurs, en raison de leur inorganisation. Les marins pêcheurs sont inorganisés, parce que trop sou ignorants et alcooliques. Depuis plusieurs années, le Crédit maritime a été organisé pour permettre à ces travailleurs de s'émanciper en s'outillant rationnellement pour la pêche. Malheureusement, une fois le poisson pêché, il reste à vendre. Les mareyeurs interviennent alors et le payent bon marché aux pêcheurs, quitte à le revendre cher aux consommateurs. C'est alors que des hommes dévoués sont intervenus et, grâce à la Direction des pêches maritimes, du Service scientifique des pêches, du Crédit maritime mutuel et des fonds de l'Outillage national, ils sont en train d'édifier dans les ports des Sables-d'Olonne, de La Rochelle, d'Arcachon et de Saint-Jean-de-Luz, des chambres froides et des magasins d'expédition dans lesquels les sardines fraîches congelées à 14° au-dessous de zéro, seront conservées en attendant d'être expédiées dans les centres de consommation, et notamment dans les coopératives de consommateurs. Dans ses cours au Collège de France, Charles Gide a exposé les résultats remarquables obtenus dans ce sens par les 50 « positos maritimos » espagnoles pour la pêche et la vente coopérative du poisson et par les 275 coopératives maritimes de pêcheurs italiens. Ces dernières collaborent avec les municipalités pour l'écoulement du produit de leur pêche. N'oublions pas, en terminant, les coopératives de travail qui, sous le nom d’artèles, existent en Russie, depuis un temps immémorial, pour la production coopérative des objets de la petite industrie familiale et dont le rôle n'est pas encore terminé, malgré les promesses du fameux Plan quinquennal, renforcé lui-même par un deuxième Plan quinquennal... Les coopératives agricoles de production. - Le paysan est, instinctivement, rebelle à l'association, parce qu'il considère que lorsqu'il s'associe avec d'autres, il n'est plus libre et, dès lors, sa liberté étant diminuée, il se sent amoindri. Il est fidèle au vieux proverbe : « Qui a un associé a un maître. » Néanmoins, dans une société compliquée comme l'est la société moderne, le paysan ne pouvait guère échapper à la pratique inéluctable de la solidarité. Car un autre proverbe : « Malheur à l'isolé » est toujours d'actualité. L'association, chez les agriculteurs, se manifeste sous trois formes essentielles : le syndicat, la mutuelle, la coopérative. (Voir notamment le cours de Charles Gide au Collège de France, sur les Associations coopératives agricoles, décembre 1924- mars 1925.) Le syndicat agricole, comme le syndicat ouvrier, a été, à l'origine, un groupement de défense professionnelle des agriculteurs. Les syndicats agricoles étaient déjà en puissance dans la loi des associations syndicales entre propriétaires voisins et chargées d'exécuter des travaux d'intérêt commun, et même d'intérêt général, tels que desséchements, irrigations, drainages, digues contre les inondations. Mais le véritable statut légal des syndicats agricoles professionnels fut établi par la loi du 21 mars 1884, qui légalise les syndicats chargés de la défense des intérêts économiques, industriels et commerciaux. Les agriculteurs allaient être oubliés lorsqu' un sénateur droitier du Doubs, M. Ondet, demanda qu'on ajoutât « et agricoles », et les agriculteurs purent bénéficier, eux aussi, des avantages de l'association syndicale professionnelle. Généralement, et notamment à l'origine, ces syndicats agricoles ont borné leur activité à des buts strictement professionnels, de défense et de propagande corporative. Ils ont publié des journaux à cet effet. Mais, peu à peu, ils ont compris que leur activité devait être organique. A cette époque, les agriculteurs étaient odieusement exploités par des mercantis qui, profitant des conseils que donnait la presse agricole d'utiliser les engrais pour améliorer le rendement des terres, abusaient de leur candeur pour leur vendre des engrais de mauvaise qualité à des prix excessifs. Mêmes procédés blâmables en ce qui concerne les semences et, en général, tous produits, matériaux et cheptels nécessaires à l'exercice de la production agricole. On peut affirmer, sans crainte de se tromper, que les excès du commerce privé ont été, pour une large part, les responsables du succès des syndicats agricoles. Depuis 1884 à nos jours, ce succès n'a fait que s'affirmer, et, maintenant, la plupart des agriculteurs sont groupés dans leurs organisations syndicales, qui deviennent de plus en plus complexes. En effet, à côté des services syndicaux proprement dits, il s'est greffé le plus souvent sur eux des organisations diverses, tendant à renforcer la position des syndiqués. Ce sont les Caisses agricoles mutuelles de crédit, qui avancent à bon compte des fonds aux agriculteurs désireux d'emprunter : soit pour acheter de la terre, soit pour faire bâtir, soit pour perfectionner l'outillage ou le cheptel de la ferme, soit pour acheter des engrais, soit même pour attendre le moment favorable de vendre les récoltes engrangées. D'autre part, le paysan est tenu, s'il est tant soit peu prévoyant, de s'assurer contre l'incendie de sa ferme, de ses récoltes, contre la mortalité du bétail, contre la grêle, contre les accidents à son personnel et à son cheptel, contre la maladie, la vieillesse (assurances sociales). Or, au début, les grandes compagnies capitalistes d'assurances et de crédit affectaient de mépriser cette clientèle « peu intéressante » qui, se voyant dédaignée par ces grandes puissances capitalistes, a dû faire ses affaires elle-même en créant des institutions ad hoc. (Voir l'article de M. Patier, dans la Correspondance coopérative de septembre 1931, sur les rouages de la Fédération nationale de la Mutualité et de la Coopération agricoles et leur fonctionnement.) Actuellement, cette Fédération groupe près de 600 organisations pour la plupart à cadre départemental ou régional, représentant elles-mêmes près de 20.000 associations locales, dépassant plus d'un million d'agriculteurs adhérents. Chose curieuse, les grandes puissances d'assurances et de crédit qui, à l'origine, se moquaient des agriculteurs assez audacieux pour vouloir participer à une vie solidariste, recherchent, maintenant que ces organisations agricoles mutuelles ont fait leurs preuves, la clientèle de ces organisations, ou en combattent sournoisement certaines, jusqu'au jour où, la preuve étant faite de leur vitalité, elles rechercheront - trop tard - leur clientèle ... Au début, lorsque les agriculteurs achetèrent des produits en gros (pour bénéficier d'avantages à l'achat et au transport), ils se répartirent ces produits en gare, « à la bonne arrivée », de manière à réduire les frais généraux au strict minimum. Mais, peu à peu, lorsque le nombre des acheteurs augmenta, et surtout des petits agriculteurs ne disposant parfois pas de la place nécessaire à l'entreposage de ces produits, les syndicats agricoles durent stocker les excédents des produits répartis « sur wagon », quitte à les majorer quelque peu, pour couvrir les frais de manutention et de stockage. Ils pensaient ne point mal faire en agissant ainsi. Les adversaires de l'émancipation paysanne les firent pour pour « abus de fonction ». Effectivement, l'entreposage et la manipulation des produits pour la ferme dépassaient le cadre de la loi du 21 mars 1884. Les agriculteurs contournèrent ces difficultés en constituant des coopératives agricoles qui, pour commencer, s'attachèrent le plus souvent à répartir les produits nécessaires à l'exercice de la profession agricole. Mais, logiquement, ayant acheté à leur coopérative agricole de la graisse pour les sabots des animaux, de la paille mélassée, des tourteaux pour les animaux de la ferme, ils en vinrent, par assimilation, à demander à cette coopérative du saindoux et de la margarine, du sucre, des légumes, du café, de l'épicerie pour le personnel de la ferme et ces coopératives, strictement agricoles au début, devinrent, par la force des circonstances, des coopératives générales de consommation, au grand dam des commerçants qui voyaient leur activité s'étendre. Mais ce n'est pas tout de s'approvisionner à bon compte, d'obtenir du crédit à bon compte, et de produire des denrées dans de meilleures conditions. De tout temps, entre le producteur paysan et le consommateur, des intermédiaires se sont glissés, dont la mission a été de payer les denrées agricoles le meilleur marché possible au producteur pour les transformer et pour les vendre le plus cher possible au consommateur, une fois transformées. Et, parmi les consommateurs, des mêmes producteurs de denrées agricoles qui, par là producteur et de consommateur. L'idée devait donc venir aux agriculteurs de vendre et de transformer eux-mêmes les denrées produites sur leurs fermes. Les coopératives de vente ont obtenu des résultats remarquables, là où les associés sont capables de se discipliner. Le principal obstacle qui se dresse devant eux est la déplorable habitude qu'ont certains agriculteurs de « farder » les colis de légumes et de fruits ; c'est-à-dire de placer à la surface des colis des légumes et des fruits irréprochables, tandis que ceux du dessous sont de mauvaise ou de deuxième ou de troisième qualité. Heureusement, bien des syndicats ou coopératives agricoles luttent délibérément contre ces tristes pratiques qui ruinent la confiance des acheteurs dans les expéditions non contrôlées de primeurs. Les primeurs en provenance notamment des coopératives agricoles de l'Afrique du Sud, de Californie, du Canada, d'Italie, etc., se font remarquer par la correction avec laquelle les qualités expédiées correspondent aux qualités promises. Ces organisations sont arrivées à ce louable résultat en pénalisant sévèrement et impitoyablement les producteurs qui se permettent de farder les colis. En Italie, tout colis fardé est culbuté ; son contenu livré aux gamins et le fraudeur puni. Dans la plupart de ces pays, l'expédition des primeurs appelle à son aide les entrepôts, les wagons et les navires frigorifiques. En outre, les colis sont munis d'étiquettes représentant exactement les primeurs qu'ils contiennent et portent, à côté du nom de la coopérative expéditrice, le nom de l'expéditeur-producteur. En plus des primeurs (fruits et légumes), les coopératives de vente expédient des fleurs, des oeufs, du lait, des lapins, de la volaille, de la laine, du coton, du tabac, des céréales, du bétail, des poissons (des Dombes ou des Mers). Les coopératives céréalières des Etats-Unis, du Canada, de l'Australie ont rendu de précieux services aux producteurs de blé de ces pays, malgré la crise grave qui, ces années dernières, a sévi, et sévit encore chez les céréaliers de tous pays. Les coopératives agricoles de production proprement dites ne datent pas d'hier. Elles sont, elles aussi, les filles de la nécessité. De temps immémorial, elles existent dans les montagnes du Jura et de la Savoie où, pour fabriquer les fromages de ces régions, il fallait, il faut mettre en œuvre de grandes quantités de lait. D'où nécessité de réunir, au même lieu et au même moment beaucoup de lait. Dans ces conditions, les vaches sont, certes, stabulées chez leurs propriétaires ; mais, durant les journées d'hiver et durant la bonne saison, elles sont confiées à des gardiens qui les rassemblent et qui travaillent leur lait pour la production du fameux fromage de gruyère et des tomes de Savoie, lesquels sont fabriqués dans des fruitières coopératives. Il est vrai que, dans certains cas, des fromagers capitalistes achètent le lait des vaches et les paysans qui se débarrassent du souci de le traiter expient cruellement leur manque d'initiative, en ne touchant de leur lait que des prix de famine. C'est par dizaines de milliers qu'on trouve dans le monde des beurrerieslaiteries coopératives, généralement appelées laiteries, du nom sans doute du produit qui y est traité. Les premières de ces laiteries datent du commencement du XIXe siècle, dans le canton de Vaud (Suisse). Puis, elles se développèrent en Italie et, de là, elles passèrent en 1880 au Danemark, où elles ont pris un essor vraiment remarquable. Mais, de 1870 à 1880, les vignobles des Charentes et du Poitou furent ravagés par le phylloxéra. Les paysans de cette région étaient ruinés. Ils remplacèrent leurs vignes par des prairies sur lesquelles les vaches vivaient, mais le lait de ces vaches était maigrement payé par les industriels qui daignaient acheter le lait des paysans pour le transformer en beurre. C'est alors qu'un modeste instituteur nommé Biraud eut l'idée géniale d'inviter ses compatriotes à constituer une laiterie coopérative qui a été un exemple fécond pour les agriculteurs non seulement de la région, mais encore pour ceux de la France entière. Ces laiteries coopératives se sont fédérées et, de nos jours, elles groupent environ 130 sociétés, comptant 75.000 membres, propriétaires de 200.000 vaches produisant environ 15 millions de kilos de beurre par an. L'exemple des agriculteurs des Charentes et du Poitou a été imité ailleurs, au point qu'aujourd'hui, il existe en France 300 laiteries coopératives qui rémunèrent convenablement l'effort de leurs sociétaires. Au point de vue technique, ces laiteries coopératives ont réalisé de grands progrès. D'abord, le lait est écrémé et travaillé tous les jours. De cette façon, la crème du lait fournit un beurre jamais rance, mais qui, au contraire, a un très agréable goût de noisette. Pour obtenir cet appréciable résultat, les laiteries coopératives ont discipliné leurs adhérents. Ces derniers payent une cotisation grâce à quoi ils assurent le salaire d'un agent qui se promène dans les champs des sociétaires et qui les met à l'amende s'il trouve dans ces champs des herbes qui, mangées par les vaches, pourraient communiquer un mauvais goût au lait fourni à la laiterie coopérative. L'ail est l'herbe la plus redoutable et la plus redoutée. Les laiteries coopératives possèdent des installations scientifiques remarquables. Le beurre fait, elles l'évacuent rapidement, en des wagons frigorifiques (appartenant à la Fédération) qui l'apporteront sur le marché de Paris ou anglais. Les laiteries coopératives sélectionnent le bétail qui produira le lait. Elles le font en agissant sur les taureaux d'une part et sur les vaches laitières d'autre part. Un autre avantage des laiteries coopératives consiste dans l'utilisation des sous-produits. Lorsqu'on a extrait la crème du lait pour en faire du beurre, il reste encore le petit-lait dans lequel il y a encore des matières grasses et azotées. Souvent, en Danemark notamment, ce petit-lait est rendu aux agriculteurs au prorata de leurs apports laitiers. Il sert à engraisser des porcs, mélangé notamment avec de la farine de soja, légume d'Extrême-Orient. Ces porcs sélectionnés, adaptés à la production du bacon, lard maigre très apprécié des Anglais, sont expédiés surtout en Grande-Bretagne qui fournit d'énormes débouchés à la production des abattoirs coopératifs danois. D'autres fois, le petit-lait dont l'écrémage n'a point été trop « poussé » sert à fabriquer du fromage plus ou moins maigre. D'autres fois encore, par des procédés spéciaux, il sert à produire de la caséine, qui fournit des produits alimentaires « reconstituants » ou qui sert à fabriquer des objets divers pour lesquels on se servait auparavant d'ivoire, d'écaille, de celluloïd. Les caves coopératives ont pris une importance vraiment inattendue, étant donné l'esprit férocement individualiste des producteurs de vin, et surtout des viticulteurs français. La première cave coopérative a été constituée en 1869, en Rhénanie et, en France, au commencement de ce siècle, à la suite de la mévente des vins, dans l’Hérault. Parce que le raisin des propriétaires est mis en commun et travaillé dans de bonnes conditions, il rend davantage de vin, qui est meilleur que celui produit par des procédés primitifs. D'autre part, les acheteurs étant certains de trouver dans les caves coopératives des vins de qualités constantes, « typisés », ces dernières le vendent mieux que ne le feraient de petits vignerons isolés, sans défense. Les caves coopératives se sont tellement développées dans les régions vinicoles de France, notamment des cinq départements gros producteurs de vin que, dans quelques années, le vin produit dans cette région ne le sera que coopérativement. Un jour viendra même où les caves coopératives, à la recherche de nouveaux débouchés pour les produits de la vigne, s'occuperont d'abord d'écouler les raisins de table de leurs adhérents, puis de fabriquer des jus de raisins pasteurisés, des sirops, des confitures, des gelées, des marmelades, des concentrés, des miels, des « saucissons », des « nougats » de raisins (simples et composés). Même, avec les marcs frais du pressurage des raisins, ils pourront fabriquer de délicieuses confitures stabilisées de raisins (procédé Monti) qui reviendront bon marché. En attendant, le marc du raisin des caves coopératives est « lavé » pour en extraire les dernières traces de vin qui, distillées, fournissent de l'alcool ; il est ensuite desséché et comprimé pour devenir tourteau pour la nourriture du bétail, ou encore engrais pour la vigne. Mais les caves coopératives ont réussi à séparer les pépins des raisins restant dans le marc et ces pépins, broyés et traités par le sulfure de carbone, fournissent 3 à 4 p. 100 du poids du raisin d'une huile excellente pour graisser les machines et les moteurs d'aviation. Mais comme le graissage des machines et moteurs n'absorberait point toute cette huile, une bonne partie est transformée en savon. Si bien qu'on peut dire de mes compatriotes à peu près ce qu'on dit des Napolitains qui, avec une pastèque, mangent, boivent et se débarbouillent : « les viticulteurs, avec leur raisin, mangent, boivent et se débarbouillent ». Mais ce n'est pas tout, pour des agriculteurs, de produire ; il faut écouler leurs denrées. Les intermédiaires les guettent pour les exploiter. Voilà pourquoi un certain nombre ont créé des meuneries coopératives pour transformer eux-mêmes leur blé en farine et la vendre. D'autres ont créé des sociétés d'élevage du bétail qui louent en bloc des montagnes entières, des « alpages », où ils mèneront paître leur bétail qui, ensuite sera abattu dans des abattoirs industriels. Il existe encore des formes très nombreuses de coopératives agricoles de production : des huileries coopératives, des coopératives pour la collecte, la préparation et la vente du tabac (tabacoops) d'Algérie, de Bulgarie, de Roumanie, etc.; des tomacoops (d'Algérie) pour la fabrication de conserves de tomates, de confitures, de sirop de raisin ; des distilleries coopératives de betteraves, de pommes de terre, de fleurs ; des confitureries et des conserveries coopératives. Lorsque les fruits et les légumes sont vendus à vil prix, les producteurs transforment les excédents en conserves ou en confitures, notamment à Perpignan (PyrénéesOrientales) et à Echevannes-Saint-Marcel (S.-et-L.). Dans le Var et les AlpesMaritimes, il existe plusieurs coopératives pour la fabrication des essences de fleurs de la région. D'autres coopératives se créent un peu partout, sur le type des sociétés d'intérêt collectif agricoles, préconisées par M. Alfred Nast, l'auteur du Code de la Coopération, pour produire et utiliser l'électricité à la campagne. Quelquefois, elles se bornent à l'acheter en gros et à la répartir. Elles sont alors des coopératives de consommation. D'autres la répartissent entre les sociétaires des coopératives d'outillage agricole, qui défoncent et labourent les terres de leurs associés. Dans son Cours d'Economie politique, Charles Gide évaluait, en 1929, à 5.000 environ le nombre des coopératives agricoles recensées en France. Parmi elles, 2.072 laiteries, beurreries, caséineries et fromageries, 628 caves et distilleries, 559 meuneries et boulangeries, 47 huileries, 1.069 coopératives de battage et d'utilisation de matériel agricole, 293 d'achat en commun et diverses. Dans la Correspondance coopérative de février 1932, M. Pierre Moreau, délégué technique de la Fédération nationale de la Mutualité et de la Coopération agricoles, estimait que, depuis, le nombre de ces coopératives n'a cessé d'augmenter et que lorsque la Caisse nationale de Crédit agricole aura mis à jour sa statistique détaillée des coopératives agricoles, ces dernières atteindront sans doute le nombre de 6.000. Et il en est des coopératives agricoles comme des assurances agricoles. Au début, le grand capitalisme des Intérêts économiques a affecté de les mépriser ; mais maintenant que ces coopératives tendent, par leur simple et rationnel développement, à se substituer aux transformateurs de denrées agricoles, ces mêmes grands Intérêts économiques s'attachent à leur mener la vie dure. Ils réussissent assez souvent à paralyser leur activité, sous divers prétextes ; ainsi, tandis que la Coopération agricole s'efforçait d'entrer en relations directes et organiques avec la Coopération de consommation, grâce à un statut de coopératives mixtes (proposition de loi Chanal), les adversaires de ces institutions ont réussi à « mettre en carafe » à la Chambre, cette proposition de loi votée par le Sénat. De même, ils ont réussi à « mettre en carafe » devant la Chambre le Statut légal des coopératives agricoles de production. L'Alliance coopérative internationale ne groupe malheureusement pas toutes les coopératives agricoles du monde. Néanmoins, elle réunissait dans son sein, au commencement de cette année, plus de 24.000 de ces sociétés, groupant 1.380.000 membres, avec un capital de 325 millions de francs et ayant fait, en 1931, 9.400 millions de francs d'affaires. A côté des coopératives agricoles de production proprement dites, il existe en Italie, nous l'avons vu, déjà, des coopératives de braccianti. Elles ont supérieurement aidé l'Italie à détruire et à exploiter les fameux latifundia (grosses propriétés non cultivées et qui ont, dès la Rome ancienne, « perdu l'Italie »). Mais si ces coopératives de travail s'occupent surtout d’équiper des terres et même d’édifier des fermes, lorsque ces dernières sont en état de produire, des coopératives d'affermage se substituent à elles, qui exploitent les terres équipées, et payent une redevance aux propriétaires individuels ou aux collectivités propriétaires. Il semble qu'il existe actuellement environ 100.000 hectares équipés et travaillés coopérativement en Italie. De grands espaces sont cultivés par des coopératives d'affermage d'anciens combattants qui, notamment, en Toscane, près de Pise, ont fait des travaux remarquables de desséchement et d'équipement. Mais si M. Mussolini a sérieusement encouragé ces coopératives, n'oublions pas que, pour asseoir son régime, il a détruit de nombreuses maisons du peuple, qui donnaient asile à beaucoup de ces sociétés. Les éléments les plus vivants parmi elles se sont réfugiés en France, à l'avènement du fascisme. Ces coopératives de braccianti se sont reconstituées et ont entrepris des travaux sur les voies ferrées et ont donné toute satisfaction aux compagnies et sociétés qui ont utilisé leurs services. Par ailleurs, en Europe centrale et orientale, de très nombreuses coopératives agricoles se sont créées pour permettre aux paysans à qui la terre a été donnée de l'exploiter : d'intensifier leur production (par l'adoption de procédés de culture perfectionnés), de mieux transformer, de mieux vendre et de mieux utiliser le produit de leurs récoltes. C'est là-bas, dans le désarroi total d'après-guerre, que les paysans ont pu apprécier les mérites de la coopération en agriculture. Les Coopératives mixtes de producteurs et de consommateurs. - Depuis qu'il existe des coopératives agricoles de production et des coopératives de consommation (avec leurs magasins de gros), il ne manque pas de militants pour déclarer que les premières doivent vendre directement les denrées qu'elles produisent aux organisations coopératives de consommateurs. Le champion principal de cette tactique a été, à travers le monde, le Docteur V. Totomiantz, ancien professeur à l'Université de Moscou, organisateur éminent des coopératives russes avant la guerre. Il a même parcouru le monde pour prêcher cet accord indispensable. Malheureusement, si des relations de cette sorte se sont établies entre les coopératives agricoles irlandaises, danoises et les anglaises, et en Allemagne aussi, malheureusement, en bien d'autres pays, il n'en a pas été de même. C'est alors que nous avons préconisé, dès après la guerre, la création de coopératives mixtes de producteurs et de consommateurs. Ces hommes groupés dans les mêmes coopératives, sentiraient, dès lors, qu'ils ont les mêmes intérêts et pourraient aisément mieux s'entendre. Malheureusement les juristes ont estimé que l'entente serait plus facile si une loi intervenait pour régler ces accords organiques. Nous avons vu que sous la pression des grands Intérêts économiques, la Chambre n'a même pas discuté la proposition de loi Chanal, votée par le Sénat, à la demande notamment de deux anciens ministres de l'Agriculture, MM. le Docteur Chauveau et Fernand David, et qui avait été préconisée comme base d'action pratique par la Fédération nationale de la Mutualité et de la Coopération agricoles et par la Fédération nationale des Coopératives de consommation. Cette proposition a été reprise par les grandes organisations coopératives internationales, notamment aux congrès de l'Alliance coopérative internationale de Bâle, de Stockholm, de Gand et de Vienne. Grâce à feu Albert Thomas, directeur du Bureau international du Travail, une commission consultative mixte composée de représentants de ce même Bureau et de l'Institut international d'Agriculture a été nommée, qui a préconisé la collaboration étroite des producteurs et des consommateurs en des coopératives mixtes, de manière à réduire les différences scandaleuses qui existent entre les prix à la production et ceux à la consommation, beaucoup sous l'influence d'intermédiaires onéreux et superflus. En septembre 1925, M. C. Chaumet, ministre de l'Agriculture, a cité le cas typique du blé « acheté à Bordeaux et vendu dans un département du centre, et qui est passé entre les mains de dix courtiers dont aucun n'a pris livraison, mais dont tous ont pris bénéfice ! » Dans son cours au Collège de France, Charles Gide a rappelé la parole du président Coolidge déclarant que « le prix payé par le consommateur est hors de proportion avec celui reçu par le producteur ». Pourquoi ? - Parce que, des statistiques officielles, aux Etats producteurs 7 milliards et demi de dollars étaient payées par les consommateurs 22 milliards de dollars : soit environ 3 fois plus à la consommation qu'à la production. Or, aux Etats-Unis, il y a un détaillant pour 80 consommateurs. Et les Américains trouvent ce nombre excessif. Que diraient-ils si, comme en France, il y avait un détaillant pour 33 clients ?... Les coopératives allemandes de consommation ont, depuis longtemps, essayé d'entrer en relations directes avec les agriculteurs. Mais elles ont souvent éprouvé, de ce côté, de sérieux mécomptes. Toutefois, elles ont eu de réelles satisfactions de leurs relations avec les coopératives d'utilisation et de vente de bétail qui sont au nombre d'un millier en Allemagne. En 1931, elles ont vendu 2.314.000 têtes de bétail pour une somme totale de 254 millions de marks. En 1930, le magasin de gros des coopératives allemandes de consommation leur a acheté pour près de 12 millions de marks. Le magasin de gros des coopératives autrichiennes de consommation est devenu l'agent direct des relations entre ses sociétés et celles de production de haricots et de semences. Le magasin de gros des coopératives françaises de consommation est l'agent des coopératives grecques et bulgares, pour l'écoulement en France de raisins de Corinthe et de tabacs produits et préparés par les coopératives de production de ces produits. Lorsque, il y a de cela quelques années, l'Union coopérative suédoise, « Kooperativa Forbandet », voulut relier sa fameuse minoterie des « Trois couronnes » au chemin de fer, elle dut acheter une usine de superphosphates. L'opération se légitimait en outre par le fait que 60.000 membres des coopératives suédoises de consommation sont des paysans. Mais, d'autre part, les coopératives agricoles suédoises comptent beaucoup de membres et ne possèdent pas d'usine de superphosphates et elles voulaient résister au cartel des phosphatiers suédois. Cette usine vient de devenir la co-propriété de deux organisations coopératives, qui peuvent désormais contrôler les prix des phosphatiers suédois. Depuis plusieurs années, les pools coopératifs canadiens du blé vendent d'importantes quantités de leur production aux Wholesales (magasins coopératifs de gros) de la Grande-Bretagne et, en échange, ils leur achètent bon nombre de produits fabriqués dans les usines des dits magasins de gros. En outre, les coopérateurs canadiens font une forte propagande coopérative auprès de leur population agricole, afin de réaliser le programme coopératif qui tend à mettre en relations directes les producteurs et les consommateurs. Charles Gide a écrit, en effet : « L'association coopérative supprime tous les rouages inutiles ; elle fera parvenir, par les voies les plus directes, la richesse des moins du producteur dans celles du consommateur, et l'argent, en retour, des mains du consommateur dans celles du producteur. » On comprend aisément que si toute l'activité économique était coopératisée, de très nombreux intermédiaires seraient fatalement éliminés, depuis les plus faibles jusqu'aux plus grands. Cela explique les oppositions, ouvertes ou sournoises que la Coopération sous toutes ses formes trouve devant elle, de la part des grands Intérêts économiques, appuyés par ses « utilités », les petits commerçants, et la lutte qui se poursuit entre la Coopération (sous toutes ses formes) et les dits grands Intérêts économiques, et leurs sportulaires (voir notamment la Correspondance coopérative de novembre, décembre 1931 et janvier et juin-juillet 1932). Les coopératives de la Nouvelle-Zélande ont créé, en 1921, une agence mixte chargée de faciliter l'écoulement des beurres et des fromages d’abord, et des viandes ensuite, des coopératives agricoles de production auprès des coopératives de consommation de Grande-Bretagne. La proportion des produits livrés par les sociétés agricoles à celles de consommation a été, en. 1929, de 50 à 65 p. 100 des expéditions totales des premières. En 1929, cette agence a atteint près de 2 millions de livres sterling : 940.000 pour le fromage, 535.000 pour le beurre, 500.000 pour la viande. D'autre part, les Wholesales de la Grande-Bretagne font des avances, à faible intérêt, aux coopératives céréalières d'Australie qui, à la récolte, ont besoin de fonds pour faire elles-mêmes, à la livraison, des avances aux producteurs associés, apporteurs de blé. En 1931, le Comité économique de la Société des Nations a consacré un rapport très documenté sur la crise agricole. Il a déclaré notamment qu'il ne faut pas « chercher par des mesures protectionnistes un remède au manque d'équilibre économique ». En revanche, devant le nombre excessif d'intermédiaires, il a souhaité « l'établissement de relations commerciales entre producteurs associés, unis par des organisations coopératives liées organiquement les unes aux autres et possédant même des institutions communes ». Comme on le voit, la Coopération, si elle tend à fortifier, c'est incontestable, la position des petits propriétaires, des ouvriers ou des artisans associés, tend, par contre, à éliminer les parasites, grands et petits, qui exploitent à la fois les producteurs et les consommateurs. A ce titre - et ses adversaires se chargent de le déclarer et de le faire publier par leurs plumitifs - elle est une puissance économique très révolutionnaire. Elle a le mérite, essentiel, à mes yeux, de créer de l'entraide, de la compétence intellectuelle et professionnelle et de la responsabilité dans un monde qui ne brille point précisément à ces points de vue. Et c'est là un motif qui me fait et doit faire apprécier les organisations coopératives sous toutes leurs formes, dans la mesure où elles tendent à émanciper, même pour leur propre succès, le TiersOublié, le Consommateur, sans lequel la vie économique ne peut se concevoir. -


A. DAUDÉ-BANCEL.

PRODUCTION n. f encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure

 

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Appropriation par l'homme, pour son usage, de la matière, sous toutes ses formes, et des forces naturelles ; utilisation de ces dernières, par divers procédés, pour transformer la matière et subvenir, en principe, aux besoins de la consommation humaine. On distingue trois grandes sortes de production : a) La production agricole, par la culture du sol ; b) la production des matières premières, par voie d’extraction ; c) la production industrielle, par les moyens divers de transformation. En régime capitaliste, quel que soit le caractère de la production, trois agents interviennent : 1° L'ensemble des forces et moyens naturels ; 2° Le travail ; 3° Le capital. C'est ce dernier, en raison du rôle qui lui est assigné, qui domine les deux autres agents. Contrairement à ce qu'enseigne l'économie politique, le capital n'est pas seulement l'ensemble des réserves constituées par les « économies » en argent, en machines, en outils, etc., il est surtout, entre les mains d'un petit nombre d'hommes, l'ordonnateur, l'agent dirigeant de toute la production. C'est de lui, de son abondance ou de sa pénurie, de sa circulation intense ou lente, de son afflux ou de son reflux, de sa fixation ou de ses migrations, des tendances, des désirs et des buts poursuivis par ceux qui le possèdent, que le sort de toute la production dépend. Les deux autres facteurs, qui devraient être seuls déterminants, sont, en fait, actuellement, tout à fait secondaires et, en tout cas, sont absolument subordonnés au capital. Il en est ainsi pour plusieurs raisons : 1° Parce que l'appropriation est le privilège d'un nombre très restreint d'individus ; 2° Parce que le capital représenté par les « économies » en argent, en machines, en outils, placé entre les mains d'un nombre limité de possédants, constitue fatalement une force hégémonique qui donne naissance, à la fois, à la dictature économique et au pouvoir politique, conséquence directe et corollaire forcé de la possession des richesses de toutes sortes ; 3° Parce que, ainsi dirigée, la production n'a plus pour but exclusif de satisfaire les besoins réels de la consommation ; qu'elle ne vise qu'à augmenter le capital et à le concentrer entre les mains d'un nombre toujours décroissant d'individus, groupés, en général par affinités d'intérêts, dans des organismes de formes diverses, mais n'ayant qu'un seul but : consolider, développer et renforcer la puissance du capital et des privilèges qui découlent de sa possession ; 4° Parce que cette « réserve » d'argent, de machines, d'outils, qui permet, non seulement de diriger, de contrôler, de contingenter la production, mais encore « d'acquérir » la matière sous toutes ses formes n'est constituée, en réalité, que par des prélèvements opérés par la force sur le travail, facteur essentiel de toute production ; que cette réserve accumulée, qui prend, en régime capitaliste, le nom de plus-value, n'est que le résultat d'exploitations successives de l'effort humain, non rétribué à sa valeur, et de l'accaparement des sources et moyens vitaux de la production; 5° Parce que la circulation des produits n'est pas libre, que leur valeur marchande ne correspond pas à leur valeur réelle, en raison des méthodes industrielles, commerciales et surtout bancaires de l'ordre social capitaliste ; 6° Parce que, enfin, l'argent n'est plus, spécifiquement et exclusivement, un instrument d'échange et qu'il est devenu, au contraire, le seul moyen de possession et de rétention de la richesse ; que, par lui, celui qui le possède est, en réalité, le maître des gens et des choses. Le développement de toutes ces considérations dépasserait singulièrement le cadre de cette étude. Aussi, dois-je me limiter et me borner à les énoncer. Elles suffisent d'ailleurs amplement à caractériser la production en régime capitaliste; à démontrer que le troisième agent - qui ne serait rien sans l'existence des deux autres - est vraiment l'élément-force, déterminant, qui commande les deux facteurs essentiels de la production : la matière et le travail. C'est à ce paradoxe - auquel le capitalisme doit sa vie et sa perpétuation - que le système de production actuel a abouti. Il suffit d'en constater les résultats, pour être convaincu de la nécessité d'abolir un tel système, qui ne favorise qu'une infime minorité au détriment d'une immense majorité d'individus. Ce qui étonne le plus, c'est que tous les intéressés n'aient pas encore rétabli l'ordre naturel des facteurs qui concourent - et concourront de tout temps - à la production. Quelle évolution la production a-t-elle suivie ? Selon quel processus s'est-elle développée et transformée ? Tels sont les deux points qu'il est possible d'examiner succinctement ici. Constatons d'abord qu'il y a eu, à toutes les époques de l'histoire, un rapport très étroit entre la production et la vie des peuples. C'est ce qui donne au fait économique toute sa valeur, c'est ce qui en fait également, pour l'avenir, la base fondamentale de l'ordre social. Le bien-être matériel, tout relatif qu'il soit, a suivi, jusqu’à ces temps derniers - où le désordre capitaliste a atteint, au plus mauvais sens du mot, son maximum d'intensité - l'évolution de la production. Et il est tout à fait certain que si, demain, les moyens de production et d'échange, les richesses naturelles et le travail étaient libérés ; si la production était organisée rationnellement, suivant les besoins, et non en vue du plus grand profit, le bien-être matériel serait accru dans d'énormes proportions. De même, si cela était enfin réalisé, et si chacun produisait selon ses forces et consommait suivant ses besoins, ce bien-être matériel engendrerait spontanément un bien-être moral intellectuel et culturel équivalent. Rien ne prouve mieux que la vie, dans l'ensemble de ses manifestations dépend étroitement de la production : de son organisation, de sa répartition et de son échange. Qu'il s'agisse de la production agricole, de l'extraction des matières premières, de la production industrielle, l'évolution s'est poursuivie de façon identique, suivant le même processus, avec des alternatives diverses d'accélération ou de stagnation, selon que les découvertes scientifiques et leurs applications pratiques marchaient, elles-mêmes, à tel ou tel rythme et que le capital les permettait ou les interdisait, par intérêt. C'est ainsi qu'au début, à l'âge de pierre, par exemple, la production agricole était nulle ou à peu près, que l'extraction des richesses du sol était infime et la production industrielle inexistante. Avec le fer, toutes les productions se sont accrues et la population s'est augmentée, à peu près parallèlement. Lors de la découverte de la vapeur, l'industrie, toute artisanale qu’elle était à l'époque, a fait un pas énorme en avant. L'emploi des combustibles minéraux, la découverte du gaz, celle de l'électricité surtout, l'utilisation du pétrole, de l'essence, du mazout, l'application de procédés techniques sans cesse perfectionnés, ont précipité, à pas de géant, l'évolution de la production industrielle. Naturellement, l'industrie extractive, la production des matières premières a suivi ce rythme d'évolution. Bien que la production agricole ait été très longtemps stagnante, que les procédés et instruments de culture ne se soient modifiés que lentement, que la mécanique et l'électricité ne commencent qu'à peine à pénétrer dans les campagnes, dans de nombreux pays déjà fortement industrialisés, il n'en est pas moins certain que depuis un quart de siècle, la production agricole a subi, elle aussi, de profondes transformations et évolue à une vitesse toujours plus grande. Cette évolution générale de la production s'est d'ailleurs opérée sans plan, en dehors de toutes règles, sans souci des nécessités. Seul, l'égoïsme de chacun des possédants, le désir d'accroître sa propre « réserve » ont présidé à cette évolution désordonnée. Après guerre, une certaine tendance à l'économie dirigée, de caractère international et d'origine bancaire s'est manifestée. Des grands cartels ont été constitués. La production, bien que fortement contingentée, circulait cependant avec une très grande rapidité, à peine gênée par des barrières douanières relativement peu élevées. Ce fut, pendant quelques années, l'âge d'or. Puis, tout à coup, les difficultés se firent jour. Les conséquences de la guerre produisirent leurs effets, que le capitalisme développa encore, d'une façon désastreuse, par son incompétence et son égoïsme sans intelligence. La production industrielle, absolument déréglée : pléthorique ici, insuffisante là, cessa brusquement de circuler, en raison de la disparité des méthodes commerciales et bancaires. Un formidable conflit éclata entre l'industrie et la finance, la première voulant secouer le joug de la seconde. Elle y parvint dans nombre de pays et tout spécialement en Angleterre et en Allemagne et son système s'opposa bientôt à celui de la finance. C'est ainsi que, dans chaque pays, s'affirma bientôt une tendance à l'économie fermée, dirigée par les grands industriels. L'Angleterre instaura une politique d'Empire, l'Allemagne et les pays danubiens s'engagèrent dans la voie d'une économie limitée aux pays centraux de l'Europe, la Russie, isolée, constitua un Centre à part ; le Japon voulut instituer une économie purement asiatique, dirigée par lui et l'Amérique se vit fermer tous les marchés. Parallèlement à cette situation, aggravée par une série de mesures douanières outrancièrement protectionnistes, le grand patronat industriel adopta une politique de rationalisation des méthodes et moyens de production, faisant de l'homme l'esclave de la machine, alors qu'il aurait dû être libéré par elle. Toutes ces mesures : économie fermée, élévation des droits de douane, rationalisation irrationnelle, eurent pour conséquence de déclencher la grande crise mondiale, qui dure depuis tantôt dix ans et va constamment en s'aggravant, dont le terme et la solution n'apparaissent pas. Et, une fois de plus, le fait économique prouva sa valeur. En effet, la crise dont il s'agit a pris, très rapidement et partout, le caractère d'une crise de régime qui atteint le capitalisme jusque dans ses fondements. Ces méfaits sont l'œuvre du troisième agent de la production : le capital, sous toutes ses formes et, principalement, sous sa forme argent. Soit qu'il se cache, soit qu'il agisse, les résultats de son activité sont toujours néfastes. Pléthorique, il engendre la surproduction, le chômage, la misère, la ruine ; insuffisant, il limite, paralyse et conduit à la famine. Ceci prouve qu'il y a le plus grand intérêt à libérer de son emprise les deux autres agents : l'ensemble des forces et moyens de production et le travail. Ces deux agents suffisent d'ailleurs à assurer la production ; ils sont naturels, le troisième est artificiel ; l'humanité n'en a pas besoin, pour cultiver, extraire, transformer, constituer des réserves de machines et d'outils, échanger et répartir les produits de son effort, assurer la vie matérielle des individus et celle de la collectivité tout entière. Il faut donc se débarrasser au plus tôt de ce gêneur redoutable, de ce despote. Avec lui, disparaîtront : la propriété, le pouvoir et la contrainte qui assurent bien, eux, le perpétuel malheur des hommes. Ce sera l'œuvre d'une révolution sociale gigantesque, déjà virtuellement commencée, dont le syndrome est trop évident pour laisser le moindre doute. De son caractère, de son orientation dépendra l’organisation future de la production et, partant, la vie des générations de l'avenir. Plus que jamais, il appartient aux producteurs manuels et intellectuels, aux prolétaires des champs et de l'usine, aux travailleurs du bureau et de la mine, à tous ceux qui exercent une activité productrice de s'unir, de travailler sur leur plan de classe à la réalisation de ce destin. Si tous les travailleurs : manuels, techniciens et savants, tous exploités, quoique diversement, par le capital parasitaire, unissent leurs efforts au sein d'un mouvement synthétique de classe, s'ils savent, au préalable, préparer les cadres indispensables à la production ; s'ils sont capables, par un effort puissant et bien coordonné, de la libérer de la pieuvre qui la paralyse, la production assurera son rôle naturel, trouvera son équilibre dans tous les domaines, donnera naissance à la prospérité et au bonheur, permettra à l'homme de jouir pleinement de la vie, dans une société vraiment humaine, dont toute exploitation sera bannie. C'est aux syndicats ouvriers qu'il appartient de préparer et de réaliser cette tâche. De son succès dépend le salut de notre espèce. -


Pierre BESNARD