Robert Antelme a déclaré après la parution de son livre: "L'espèce humaine", nous aurions du tous nous suicider.
Il est vrai que la question de savoir si on a suffisamment réfléchi les camps de la mort et l'industrie du génocide et sommes-nous sur de l'avoir réfléchi de manière que cela ne puisse pas se répéter. Ce que nous ne sommes pas sûr dans l'ère actuel.
Une autre réflexion se développe dans "Défiguration" de Michel Surya. En effet, le "héros" développe sa pensée, à la veille de mourir, au fil des jours qui s'écoule difficilement. Je vais la retranscrire complètement.
"Aucun livre n'est assez anonyme. Aucun des miens. Aucun de tous ceux que j'ai lus, non plus. Il entre beaucoup trop de leurs auteurs dans tous les livres que j'ai lus. Beaucoup trop de moi dans les miens.
Il faudrait pouvoir se retirer de ce qu'(on écrit. Qu'écrire soit l'analogue d'un abandon. Qu'en ce sens, écrire ressemble à l'abandon par lequel on entre dans l'anonymat de la mort.
Comme nous y sommes nous-même entrés. Comme nous sommes nous-mêmes entrés en masse, anonymement, dans l'horreur. Pour ceux auxquels cette horreur a laissé un nom, à combien l'a-t-elle retiré? Et n'est-ce pas ce qu'elle cherchait: que nul n'eût plus de nom?
Ne pas trahir aurait demandé: être cet anonymat que l'horreur voulait. C'est-à-dire, être soi-même son nom perdu...Etre soi-même son nom insupportable. L'anonymat d'un livre serait: qu'il soit de telle sorte qu'il ne supporte aucun nom.
J'ai eu trop du mien pour écrire comme il l'aurait fallu. Trop de mon nom, trop de mes yeux. Quand il suffisait - mais comment n'en ai-je pas eu le courage? mais était-il possible de trahir davantage? - de demeurer jusqu'à la fin dans l'état auquel nous avions été réduits où nous n'avions ni nom ni figure.
C'est pourquoi il fallait détruire. Ces pages d'ébauche, ces notes, ces lettres...Tout. Elles trichaient. Elles empruntaient à mon nom retrouvé l'autorité d'une horreur qui avait voulu le lui retirer.
Tout ce que j'ai écrit depuis est tout au plus bon à faire pleurer. N'est-ce pas risible?
Ce n'est qu'aveugle que j'ai compris. Aveugle, l'anonymat me fut rendu, en même temps que je fus rendu à ma défiguration.
Il nous restait cependant une supériorité. Une seule: mourir. Morts, nous aurions échappé à ce que nous avions de commun avec ceux qui nous tuaient.
N'être pas mort avec ceux qui sont morts me fait être le même que ceux qui les ont tués.
A quoi sert de se défendre? Prétendre: la probabilité de la mort était la plus grande? ce n'est pas assez.
Seule notre mort, notre mort à tous, pouvait être de ce qu'ils faisaient la conséquence à laquelle eux-mêmes s'enorgueillissaient d'être jugés. Elle les aurait accusés mieux que ne l'ont fait ceux qui ont survécu.
Or c'était sûr: le premier mot que le premier d'entre les survivants en dirait réduirait cette horreur aux mots de sa survie. A rien de personnel. A rien qui soit assez anonyme pour ne pas trahir que c'est d'anonymes qu'était cherchée la mort. Que nul ne fut jamais assez anonyme pour que sa mort suffit. Pour que, mort, il ne dut pas, en plus, ne plus avoir figure humaine.
il y eut trop de morts pour que je ne puisse pas regretter qu'il n'y en eût pas plus. regretter qu'il n'y en eût pas assez pour que nous l'ayons tous été. Est-ce affreux? ce n'est pas affreux. Ne pas mourir a tenu à si peu et survivre nous a couté...
Sans pouvoir rien oublier. Oubliant cependant. Il n'y a rien ni personne dont on puisse se souvenir assez pour n'être pas accusable de lui avoir survécu. Que j'aie survécu m'accuse (que j'aie survécu assez pour que me souvenir n'ait plus la même force affreuse). Si intolérable qu'ait été ce qu'il a fallu tolérer, si difficile qu'il ait été de ne pas mourir quand même mourir n'était plus difficile - vivre a plus de réalité.
Se souvenir est impossible. N'atteint pas le pire. Trahit. Mieux vaudrait l'oubli. Un complet oubli. Mais oublier aussi est impossible. On n'oublie pas plus qu'on ne se souvient.
Se souvenir est impossible. Oublier l'est aussi. Seule la mort ne trahit pas.
On le comprendra mal: ils l'ont emporté. Survivre n'a servi à rien. Je n'ai pas pu. Je ne pourrai plus. Ni moi ni personne. Survivre ou mourir était indifférent. Survivre demandait la plus grande force. En vain.
Quand je dis: l'anonymat est la condition des oeuvres qui ne trahiraient pas, qui ne rendraient pas l'horreur sentimentale, je pense: anonyme, je consens à l'abandon du nom par lequel je pouvais opposer à l'horreur rien de vivant.
Quand je dis: toute œuvre triche qui prétend atteindre à la pensée que cette horreur appelait, je pense : seules les oeuvres les pouvaient et leur échec est une condamnation plus grande encore (qui n'en innocente aucune).
Quand je dis: seule la mort de tous, seule notre mort à tous n'aurait pas diminué cette horreur (ne l'aurait pas réduite à ce qu'inévitablement nous en raconterions), je pense: une mort qui n'aurait excepté aucun d'entre nous (qui serait demeurée sans témoins) aurait prémuni la leur contre l'accusation la plus grave: d'avoir fait de la mort quelque chose de pire que la mort, quelque chose à quoi même la peur n'atteint pas.
Quand je dis: avoir survécu m'accuse, je pense: mais était-ce survivre? Oublier ni se souvenir. Dire ni se taire.
De quelque côté que je me tourne, fait comme un rat.
La peur ne m'a plus quitté. Au point qu'il n'était plus même besoin qu'elle ait aucun motif pour que vivre fût une peur, et mourir la seule façon qui restât de se sauver. Mais même la mort avait été à ce point rabaissée qu'elle ne constituait plus un espoir. L'enfer: qu'on ne croie plus qu'il n'existe rien, pas même la mort, pour délivrer d'une peur aussi profonde.
Nos vies ont dépouillé les morts, leur empruntant le peu qui nous restait; c'était les tuer encore. cette logique est l'enfer. Elle effraie.
De tout l'oubli. Un oubli complet. Que disparaisse qui peut se souvenir. Que disparaisse qui le veut. Que disparaisse jusqu'à l'oubli. Rien. Qu'enfin, il n'y ait ni ne reste rien. C'est le mieux. Que savoir soit sans qu'on se souvienne. Qu'on abandonne à la mort l'oubli que le souvenir a été impuissant à empêcher. Que la mort achève l'oubli que même le souvenir a commencé."