« « Chers camarades,
« La chambre syndicale des ouvriers cordonniers de Paris, en présence de
l’insuffisance et de la baisse continue des salaires, a pris les décisions
suivantes : « Reconnaissant qu’une grève est devenue urgente et
nécessaire, vu l’augmentation continuelle des prix de location et des premiers
besoins de la vie, convoque les ouvriers de la profession pour statuer sur
cette décision. « Quoique la grève ait été repoussée en principe dans le
Syndicat, elle est acceptée comme moyen transitoire ; acceptons-la pour
équilibrer nos façons, qui ne permettent plus à l’ouvrier cordonnier de vivre
honorablement. « Nous sommes en droit d’exiger la juste répartition de nos
salaires, c’est un droit que nul ne peut contester ; en conséquence, le devoir
nous impose de nous servir de l’arme que nous possédons pour alléger notre
triste situation… »
«9 avril 1869 Aux électeurs de
1869
Citoyens, Le moment est venu où
le parti démocratique et socialiste doit s’affirmer. L’époque des élections
approche ; nous allons être appelés de nouveau à élire les mandataires qui
doivent nous représenter. Ne suivons plus les errements d’autrefois. Au lieu de
se rallier à des candidats qui ne se recommandent à ses suffrages que par une
notoriété plus ou moins établie, le peuple souverain doit lui-même faire son
programme, dresser la liste des réformes dont il a besoin, et ensuite choisir
parmi les citoyens ceux qui lui paraissent le plus aptes à exprimer sa volonté.
En principe absolu, les mandataires devraient toujours être révocables, à tout
instant, dès qu’ils ne remplissent pas leurs engagements ; mais, en présence
des difficultés actuelles, nous devons demander, tout au moins, qu’ils se
tiennent constamment en relation avec leurs mandants, et que, chaque année, ils
viennent se retremper dans le suffrage universel. Il n’y a pas de temps à
perdre.
Il faut que tous les
groupes de socialistes formulent leur programme au plus vite, et qu’ils se
fassent les concessions nécessaires,
afin qu’une entente puisse s’établir pour arrêter un programme commun. Quant à
nous, voici les réformes que nous croyons urgentes :
1. Suppression des armées
permanentes : armement de tous les citoyens.
2. Suppression du budget des
cultes ; séparation de l’Église et de l’État : liberté de discussion
religieuse et philosophique.
3. Réforme générale de la
législation ; élection de la magistrature, temporairement et par le suffrage
universel ; établissement du jury pour les affaires civiles et criminelles.
4. Instruction laïque et
intégrale, obligatoire pour tous, et à la charge de la nation ; indemnité
alimentaire à tous les enfants pendant la durée des études.
5. Suppression des privilèges
attachés aux grades universitaires.
6. Liberté d’association.
7. Liberté de réunion sans
restriction.
8. Liberté de la presse, de
l’imprimerie et de la librairie ; abolition du timbre et du cautionnement.
9. La liberté individuelle garantie par la
responsabilité effective et permanente de tous les fonctionnaires, quel que
soit leur rang.
10. Établissement de l’impôt
progressif ; suppression de tous les impôts indirects, octrois ou autres.
11. Liquidation de la dette
publique.
12. Expropriation de toutes les
compagnies financières et appropriation par la nation, pour les transformer en
services publics, de la banque, des canaux, chemins de fer, roulages,
assurances, mines.
13. Les communes, les
départements et les colonies affranchis de toute tutelle pour ce qui concerne
leurs intérêts locaux et administrés par des mandataires librement élus. »
«5 mai 1869 Paris, le 5 mai 1869
Mon cher Cluseret, Je vous envoie en quelques mots la pensée des signataires du
programme sur la question de la liquidation de la dette publique et de
l’établissement de l’impôt progressif. Nous voulons la liquidation de la dette
; nous ne voulons pas transmettre aux générations futures des intérêts à payer
pour les uns et des rentes à recevoir pour les autres, c’est-à-dire l’inégalité
sociale. Quant au moyen, cela est secondaire pour nous ; nous aurions pu en
indiquer plusieurs, au besoin. Par exemple : on peut, en supprimant
l’héritage, rendre la rente viagère, la payer aux porteurs actuels de titre, de
cette façon on ne pour[r]ait pas nous reprocher de spolier les rares travailleurs
qui se sont privés pour s’assurer l’existence de leurs vieux jours, et la dette
s’éteindrait assez promptement. On peut encore, et c’est là le moyen auquel on
paraît se rallier, reconnaissant que l’intérêt du capital est injuste, déclarer
qu’à partir de ce jour, la rente sera considérée comme annuité de remboursement
; il nous faudrait dans ce cas 33 ans pour opérer la liquidation, c’est long.
Un moyen qui me paraîtrait pour quant à moi plus équitable, plus expéditif et
plus commode serait le remboursement immédiat au moyen de papier monnaie
ayant cours forcé ; les porteurs ne seraient nullement laisés [lésés]
puisqu’ils seraient payés de juste. On pourraît [pourrait] amortir ce papier en
un certain nombre d’années, ce qui reviendrait à peu près à la même chose, pour
nous que le précédent moyen, avec cet avantage que les porteurs n’auraient rien
à dire ; de plus cette mon[n] aie entre leurs mains serait une tentation
perpétuelle à la dépense, à moins qu’ils n’essayent de prêter, ce qui, sur la grande
abondance de monnaie ferait tomber à presque rien l’intérêt en même temps que
la tendance à la dépense ferait augmenter le prix du travail, ce qui produirait
pour les porteurs une véritable liquidation. Maintenant il est possible, il est
probable même, que si la liquidation se fait à la suite d’une commotion
violente, elle consistera en la suppression pure et simple du Grand Livre ;
dans ce cas quelques indemnités pourront être accordées aux porteurs âgés, qui
auraient réellement compté sur la rente pour vivre leurs derniers jours. Mais
avant d’en arriver là, il est bon de prévenir les bourgeois que le peuple ne
veut pas payer éternellement la rente, et qu’il y a lieu de liquider à
l’amiable si l’on veut éviter une banqueroute. Pour l’impôt progressif, nous
trouverions juste que chaque citoyen contribua [contribuât] pour une part égale
dans les charges de l’État, frais généraux de la nation, si chaque citoyen
possédait une part égale de la richesse naturelle ou de celles créées et
accumulées par les générations antérieures et qui doivent constituer une
propriété collective. Comme il n’en est point ainsi, nous devons tendre à
égaliser les positions en faisant peser l’impôt très lourdement sur les
citoyens trop bien partagés et en dégrevant ceux qui le sont mal. Voici par des
chiffres comment nous comprenons l’établissement de l’impôt progressif :
Je suppose que la population de
la France soit de 40 millions d’habitants, la richesse générale de 80
milliards et le budget à fournir chaque année de 2 milliards. L’impôt serait
d’un quarantième du capital soit 2 ½ % et chaque individu devrait posséder 2
000 frs. Selon nous, chaque individu possédant sa part, soit 2 000 frs, devrait
payer à raison de 2 ½ %. Tous ceux qui possèdent moins mais plus de 1 000
paieraient à raison de 1 % et ceux ayant moins de 1 000 frs ne paieraient
rien. Pour combler le déficit, ceux possédant plus paieraient en augmentant
progressivement, pour 10 000 fr, 3 %, 20 000 frs, 4 %, 50 000 frs, 5 %, 100 000
frs 6 % et ainsi de suite de telle sorte que tous les avantages des grosses
propriétés soient absorbés par l’impôt et même qu’à un certain chiffre l’impôt
dépasse le revenu fourni par la propriété et force le propriétaire à s’en
débarrasser.
Tout à vous E. Varlin »
« Une violente répression
par l’armée, le 16 juin, contre les mineurs du bassin de Saint-Étienne, a fait
à La Ricamarie 13 morts, dont deux femmes et un bébé. »
« Je dois vous dire que,
pour nous, la révolution politique et la révolution sociale s’enchaînent et ne
peuvent pas aller l’une sans l’autre. Seule, la révolution politique ne serait
rien ; mais nous sentons bien, par toutes les circonstances auxquelles
nous nous heurtons, qu’il nous sera impossible d’organiser la révolution
sociale tant que nous vivrons sous un gouvernement aussi arbitraire que celui
sous lequel nous vivons. »
« L’association
internationale soutient les grèves, parce que, actuellement, c’est le seul
moyen pratique pour les travailleurs de défendre leur pain quotidien.
L’association internationale n’a pas pour but d’organiser les travailleurs en
vue de soutenir une lutte permanente contre les détenteurs des capitaux. Elle
vise plus haut. Elle se propose de réaliser l’affranchissement complet du
travail, en amenant les travailleurs à la possession de l’outillage social et
des éléments naturels indispensables à la production. Loin de vouloir organiser
la guerre, elle a la prétention d’établir la fraternité entre les hommes sans
distinction de race, de couleur et de croyance ; et ce qui embête surtout nos
gouvernants c’est de voir chaque jour ces tendances prendre corps et de penser
que bientôt il ne leur sera plus possible de faire se ruer leurs peuples les
uns contre les autres pour la satisfaction de leur orgueil et de leurs intérêts
économiques. »
« À ceux qui seraient
désireux de quitter l’ancien monde, où les populations se sentent à l’étroit,
pour venir au-delà des mers dans ce pays où un homme est un homme s’il veut
travailler et où le plus pauvre peut jouir du fruit de son travail, je suis
chargé d’adresser une cordiale invitation. Je leur dirai : Vous trouverez
des frères prêts à vous tendre la main. Nous ne vous demandons qu’une
chose : de venir à nous en amis pour nous aider dans la revendication de
nos droits, et de ne pas vous associer aux projets de ces hommes qui, sous le spécieux
prétexte de servir vos intérêts, combattent de toutes leurs forces vos
meilleurs et vos plus vrais amis, les trade-unionistes d’Amérique.
L’établissement d’un bureau d’émigration sous le double contrôle de American
labor Union et de l’Association internationale des travailleurs, qui serait
chargé de donner constamment des renseignements authentiques, pourrait
produire, selon moi, le plus heureux résultat ; et je suis assuré que toute
proposition venant de vous à cet effet serait cordialement appuyée par notre
comité exécutif. » Le président Jung a remercié, au nom du Congrès, les
sociétés américaines et le citoyen Cameron en particulier, de leur demande
fraternelle et bienveillante, et leur a assuré qu’ils pouvaient compter
désormais sur le concours des travailleurs européens. »
« 14 octobre 1869 Les
délégués des Sociétés ouvrières, réunis pour conclure un pacte fédératif,
protestent de toute leur énergie contre les actes sanglants commis sur les
travailleurs des mines d’Aubin. En présence de pareils attentats contre la vie
et le droit du peuple, nous déclarons qu’il nous est impossible de vivre sous
un régime social où le capital répond à des manifestations parfois turbulentes,
mais toujours justes, par la fusillade. Les travailleurs savent ce qu’ils ont à
espérer de cette caste, qui n’a exterminé l’aristocratie que pour hériter de
ses injustes prétentions. Était-ce pour arriver à ce résultat que le peuple
scella de son sang la proclamation des droits de l’homme ? Les faits accomplis
nous autorisent à affirmer de nouveau que le peuple ne peut attendre que de ses
propres efforts le triomphe de la justice. »
« 31 octobre 1869 Grève et
résistance La grève, la résistance du travail contre le capital, est la grande
préoccupation du moment pour tous les travailleurs. De tous côtés, dans toutes
les professions, dans tous les pays, les grèves surgissent dans des propositions
démesurées. Que veut dire ce mouvement ? Où nous conduit-il ? Les travailleurs
qui, depuis quelques années, se sont groupés, ont créé des sociétés de
solidarité, de résistance, des chambres syndicales, et pour organiser la
revendication du prolétariat moderne, font de suprêmes efforts pour conseiller,
guider, et aider ceux qui actuellement se laissent entraîner comme par un
courant irrésistible, sans s’être préparés, sans avoir calculé les chances de
succès ni réfléchi aux conséquences de leur acte, parviendront-ils à maîtriser
cette situation ? En tout cas, les efforts qu’ils y consacrent, prouvent
l’importance qu’ils attachent à ce mouvement. Le peuple a soif d’une
répartition plus juste de la production générale ; il veut participer aux
avantages que la science ait [a] mis au service de l’industrie, et qu’une
minorité de la population a accaparé[s] et prétend conserver pour elle seule.
En un mot, c’est la question sociale qui s’impose et qui veut être résolue.
Est-ce la grève qui doit la résoudre ? Non, tout au moins sous sa forme
actuelle. Plus tard nous verrons. Aujourd’hui, en présence de l’acharnement que
les détenteurs des capitaux mettent à défendre leurs privilèges, la grève n’est
qu’un cercle vicieux, dans lequel nos efforts semblent tourner indéfiniment. Le
travailleur demande une augmentation de salaires pour répondre à la cherté
créée par la spéculation ; les spéculateurs répondent à l’augmentation du prix
de la main-d’œuvre par une nouvelle élévation de la valeur des produits. Et
ainsi de suite, les salaires et les produits s’élèvent sans cesse. Pourquoi des
ouvriers dévoués, actifs et intelligents, consacrent-ils donc toute leur
énergie, toute l’influence qu’ils sont susceptibles d’avoir sur leurs camarades
à poursuivre ce mouvement qu’ils savent être sans issue ? C’est que pour eux la
question préalable à toute réforme sociale, c’est l’organisation des forces
révolutionnaires du travail. Ce n’est pas tant la légère augmentation de
salaires, la petite amélioration des conditions du travail qui nous préoccupent
dans toutes les grèves qui se produisent, tout cela n’est que secondaire :
ce sont des palliatifs bons à obtenir en attendant mieux ; mais le but suprême
de nos efforts, c’est le groupement, des travailleurs et leur solidarisation.
Jusqu’alors, nous avons été malmenés, exploités à merci parce que nous étions
divisés et sans force ; aujourd’hui, on commence à compter avec nous, nous
pouvons déjà nous défendre ; c’est l’époque de la résistance. Bientôt quand
nous serons tous unis, que nous pourrons nous appuyer les uns sur les autres,
alors, comme nous serons les plus nombreux et comme après tout la production
tout entière sera le résultat de notre labeur, nous pourrons exiger, en fait
comme en droit, la jouissance de la totalité du produit de notre travail, et ce
sera justice. Alors les parasites devront disparaître de la surface du
globe ; ils devront s’ils veulent vivre, se transformer en producteurs, en
hommes utiles… Ce qu’il importe avant tout et par-dessus tout, c’est que les
travailleurs soient organisés… Le mouvement est en bonne voie ; dans toutes les
branches de l’activité humaine on commence à s’unir. Les ouvriers industriels
ne sont plus les seuls à ressentir ce besoin d’organisation. Les employés de
commerce d’abord ont suivi notre exemple, que semblent vouloir suivre également
les employés, d’administration : télégraphe, postes, chemin de fer, etc.
Pour que nous puissions envisager sans crainte l’avenir gros d’orages, il faut
que tous les travailleurs se sentent solidaires. »
« 12 décembre 1869 Les
ouvriers mégissiers La grève des ouvriers mégissiers entre dans une nouvelle
phase. Après avoir été maintenue pendant six semaines avec autant d’héroïsme de
la part des grévistes que des sociétés ouvrières qui les ont soutenus, pour mettre
fin à cette lutte désastreuse pour tous, la chambre fédérale et la société des
ouvriers mégissiers ont décidé d’organiser un vaste atelier de production pour
faire travailler le plus grand nombre possible d’ouvriers en attendant qu’on
puisse les employer tous. Il n’est point rare d’entendre parler association
dans les corporations en grève, et cela se comprend. L’ouvrier habitué à
produire pour satisfaire à ses besoins, dès qu’il se trouve réduit à l’inaction
par le mauvais vouloir des détenteurs de l’outillage, se révolte moralement
contre cet interdit, qui pèse sur son courage et le rend impuissant. Alors, il
songe aux moyens de se passer du patron pour travailler, et l’idée de
l’association vient tout naturellement à son esprit. Les impossibilités
matérielles font que souvent cette idée n’a pas de suite, surtout quand la
grève se termine vite ; toutefois bien des associations ont pris leur germe
dans la grève et même quelques-unes en sont sorties spontanément. Mais ce qui
donne à l’association des ouvriers mégissiers toute l’importance d’un événement
social, c’est que, cette fois, il ne s’agit plus d’une association de quelques
personnes, comme dans toutes celles qui se sont produites jusqu’à ce jour,
cette fois, c’est la corporation tout entière qu’il s’agit de soustraire à
l’arbitraire du patronat. Et ce n’est plus par leurs seuls efforts et avec
leurs faibles ressources que les mégissiers s’associent, c’est avec le concours
de toutes les sociétés ouvrières. L’œuvre des mégissiers n’est pas leur œuvre
propre, c’est notre œuvre à tous, à tous les travailleurs. Nous les avons
soutenus dans leur grève, nous nous sommes engagés solidairement à ne pas les
laisser succomber ; aujourd’hui nous voulons les affranchir et nous les
affranchirons. La Chambre fédérale fait appel à tous les travailleurs pour qu’ils
souscrivent des petites obligations de un franc afin de réaliser le capital
nécessaire aux mégissiers. Nous sommes certains que tous répondront à cet appel
et que les fonds seront promptement réalisés. Assez de temps perdu et de
sacrifices improductifs ! Un atelier social pouvant contenir 150 ouvriers vient
d’être loué, l’installation est commencée, dans quelques jours on pourra y
travailler. Les clients visités par les délégués des mégissiers ont promis du
travail de suite. Le chômage des autres maisons ou la défectuosité de leurs
dernières livraisons assurent le succès de cette entreprise qui débute dans les
meilleures conditions. Une des grandes difficultés, pour toutes les
associations de production qui se fondent par l’initiative personnelle de quelques-uns,
c’est l’insuffisance du capital avec lequel elles commencent leurs opérations,
ou le taux exorbitant de l’intérêt qu’elles sont obligées de payer si elles ont
recours à l’emprunt. Obligées d’entrer en concurrence avec des maisons bien
outillées, bien achalandées, et jouissant d’un crédit sur la place, elles sont
forcées souvent de faire des rabais pour obtenir des travaux qu’elles exécutent
avec plus de peine, faute de posséder un outillage complet et perfectionné ; de
plus elles doivent passer par les fourches caudines des usuriers, pour
l’escompte de leurs effets. Ce n’est qu’à force d’énergie, de persévérance et
de privations que des associations peuvent réussir dans ces conditions ;
souvent, même, elles succombent, malgré tout le dévouement des associés. Ce
n’est point ainsi qu’il faut procéder désormais. L’association des mégissiers
est le premier jalon d’une voie nouvelle que nous ouvrons aujourd’hui ; que
tous nos camarades veuillent bien y réfléchir un peu. Par un effort collectif,
en nous privant de un, de deux, de cinq francs, chacun selon nos faibles
revenus, nous réalisons immédiatement un capital qui va permettre aux
mégissiers de produire dans des conditions supérieures à celles des autres
maisons ; outillage aussi complet et aussi perfectionné que possible, et, avec
cela, les meilleurs ouvriers de la profession. Et pour le capital, nous ne
demandons pas de part dans les bénéfices, de même que les travailleurs n’en
réclament pas non plus ; ils se contentent d’un salaire suffisamment
rémunérateur. Tous les bénéfices serviront à augmenter l’outillage social
jusqu’à ce que tous les membres de la corporation puissent travailler dans les
ateliers sociaux. Il est facile de l’entrevoir, c’est toute une révolution dans
le mouvement des associations ouvrières. Après les mégissiers, nous pourrons
affranchir du patronat, par le même procédé, d’autres corporations, en
commençant, bien entendu, par celles qui souffrent le plus de l’état économique
actuel. La grève des ouvriers mégissiers, qui nous a coûté de si durs sacrifices
aura, au moins, été féconde en résultats. Déjà, elle nous a forcés à constituer
cette fédération que nous rêvions depuis si longtemps, et que des réticences
mesquines nous avaient empêchés de réaliser jusqu’alors ; aujourd’hui, en
nous révélant notre puissance collective, elle ouvre à nos yeux une nouvelle
voie d’émancipation. Serrons les rangs ; plus nous serons unis, plus nous
serons forts. E. Varlin »