jeudi 6 février 2020

Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte de Karl Marx


"Le 2 Décembre les surprit comme un coup de tonnerre dans un ciel serein, et les peuples qui, aux époques de dépression, laissent volontiers assourdir leur crainte secrète par les braillards les plus bruyants, se seront peut-être convaincus que les temps sont passés où le caquetage d’un troupeau d’oies pouvait sauver le Capitole."

" Le club de discussion au Parlement trouve son complément nécessaire dans les clubs de discussion des salons et des cabarets. Les représentants, donnent le droit de s’exprimer au moyen de pétitions. Le régime parlementaire remet tout à la décision des majorités, comment les grandes majorités en dehors du Parlement ne voudraient-elles pas décider, elles aussi ? Quand, au sommet de l’État, on –joue du violon, comment ne pas s’attendre que ceux qui sont en bas se mettent à danser ? 

Ainsi donc, en taxant d’hérésie « socialiste » ce qu’elle avait célébré autrefois comme « libéral », la bourgeoisie reconnaît que son propre intérêt lui commande de se soustraire aux dangers du self-government ; que, pour établir le calme dans le pays, il faut avant tout ramener au calme son Parlement bourgeois ; que, pour conserver intacte sa puissance sociale, il lui faut briser sa puissance politique ; que les bourgeois ne peuvent continuer à exploiter les autres classes et à jouir tranquillement de la propriété, de la famille, de la religion et de l’ordre qu’à la condition que leur classe soit condamnée au même néant politique que les autres classes ; que, pour sauver sa bourse, la bourgeoisie doit nécessairement perdre sa couronne et que le glaive qui doit la protéger est fatalement aussi une épée de Damoclès suspendue au-dessus de sa tête."

"Tandis que le ministère de Bonaparte prenait l’initiative de lois conçues dans l’esprit du parti de l’ordre, ou exagérait encore leur sévérité dans leur application et leur exécution, le président s’efforçait, de son côté, par des propositions d’une bêtise puérile, de conquérir de la popularité, de montrer son opposition à l’égard de l’Assemblée nationale et de laisser entendre par une secrète arrière-pensée que, seules, les circonstances l’empêchaient momentanément d’ouvrir au peuple français ses trésors cachés."

"L’Assemblée nationale s’indigna à différentes reprises de ces tentatives manifestes de se tailler une popularité à ses dépens, en présence du danger croissant d’un coup désespéré tenté par cet aventurier, aiguillonné par ses dettes, et que ne retenait aucune réputation acquise. "

"Le Parti social-démocrate, de son côté, ne semblait pressé que de trouver des prétextes pour remettre en question sa propre victoire et la diminuer. Vidal, l’un des députés de Paris nouvellement élus, avait été, en même temps, élu à Strasbourg. On le détermina à renoncer à son élection à Paris et à opter pour Strasbourg. Par conséquent, au lieu de donner à sa victoire électorale un caractère définitif et d’obliger ainsi le parti de l’ordre à la lui disputer immédiatement au Parlement, au lieu de forcer ainsi l’adversaire à la lutte au moment où le peuple était plein d’enthousiasme et où l’état d’esprit dans l’armée était favorable, le parti démocrate fatigua Paris pendant les mois de mars et d’avril par une nouvelle agitation électorale. Il laissa les passions populaires surexcitées se consumer ainsi dans ce nouvel intermède, l’énergie révolutionnaire se rassasier de succès constitutionnels et se dépenser en petites intrigues, en creuses déclamations et en une agitation illusoire. Il permit ainsi à la bourgeoisie de se regrouper et de prendre ses mesures. Enfin, il laissa fournir aux élections de mars un commentaire sentimental qui l’affaiblissait par l’élection complémentaire d’avril, celle d’Eugène Sue ! En un mot, il fi du 10 mars un poisson d’avril. "

"Nous avons vu comment, en mars et en avril, les chefs démocrates avaient tout fait pour embarquer le peuple de Paris dans une lutte illusoire, et comment, après le 8 mai, ils firent tout leur possible pour le détourner de la lutte véritable. Il ne faut pas oublier, en outre, que l’année 1850 fut l’une des plus brillantes au point de vue de la prospérité industrielle et commerciale, et que, par conséquent, le prolétariat parisien était complètement occupé. "

"En se laissant diriger, devant un tel événement, par des démocrates, et en allant jusqu’à oublier l’intérêt révolutionnaire de leur classe pour un bien-être passager, les ouvriers renonçaient à l’honneur d’être une classe conquérante, ils s’abandonnaient à leur sort, prouvant que la défaite de juin 1848 les avait rendus, pour des années, impropres à la lutte, et que le processus historique devait de nouveau se poursuivre par-dessus leurs têtes. Quant aux démocrates petits-bourgeois qui s’écriaient le 13 juin : « Mais qu’on essaye de toucher au suffrage universel, et nous verrons ! », ils se consolaient en pensant que le coup contre-révolutionnaire qui les avait frappés n’était pas un coup, et que la loi du 31 mai n’était pas une loi. Le 2 mai 1852, chaque Français ira aux urnes, tenant d’une main, le bulletin de vote et, de l’autre, le glaive. Cette prophétie suffit pour les contenter. L’armée, enfin, fut punie par ses supérieurs pour les élections de mars et d’avril 1850, comme elle l’avait été pour celles du 29 mars 1849. Mais, cette fois, elle pensa décidément : « La révolution ne nous dupera pas une troisième fois ! » "






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