ASSISTANCE
n. f.
Aide,
secours de toute nature. Dans toute société où la pauvreté est de
rigueur pour le plus grand nombre, parce que la richesse est
l’apanage d’une faible partie de la population, l’Assistance
est appelée à tenir une place considérable et à jouer un rôle de
première importance. Qu’on y réfléchisse un instant : ils sont
là, surtout dans les fortes agglomérations urbaines, des milliers
et des milliers vivant de privations, angoissés par l’incertitude
du lendemain, dénués de tous moyens d’existence. Habitation,
vêtement, nourriture, rien ne leur est assuré. Ils vivent,
péniblement, au jour le jour, incessamment menacés de manquer du
strict nécessaire. Ils errent dans la rue, coudoyant le luxe
insolent des privilégiés, ce qui leur rend plus douloureux encore
et plus intolérable leur dénuement injustifié. Telle est leur
détresse matérielle et morale, qu’ils sont enclins - ô ironie !
- à bénir, avec reconnaissance et humilité, toute main secourable
qui se tend vers eux, cette main appartînt-elle à celui qui
constamment les dépouille et n’est riche que dans la mesure où
ces miséreux sont indigents.
Du
jour où il y eut des distinctions de situation et de fortune, du
jour surtout où ces distinctions amenèrent la graduelle formation
des classes opposées, l’Assistance s’imposa comme une
institution réclamée par les possédants eux-mêmes, parce que,
seule, elle était de nature à garantir leur tranquillité et à
protéger leurs biens et leurs personnes. Menacés par le perpétuel
danger que la misère fait courir à leurs richesses et à la
sécurité de leur existence, les possesseurs de la fortune ont
toujours considéré la pratique de l’Assistance comme le moyen le
plus élégant, le plus sûr et le moins onéreux de mettre leur peau
et leurs trésors à l’abri des entreprises dont le dénuement peut
être l’instigateur.
Privée
ou publique, individuelle ou collective, l’Assistance leur apparut
comme le calcul le plus adroit. Ils discernèrent, dans
l’organisation méthodique de l’Assistance, une soupape de
dégagement, destinée à éviter l’explosion de la machine. Naïfs,
et d’une impardonnable naïveté, seraient ceux qui attribueraient
à une idée d’équité, à un sentiment de solidarité ou
d’humanité, les secours et l’aide accordés à ceux qui sont
frappés de pauvreté, ou victimes de 1a maladie, de la vieillesse ou
de l’infirmité.
II
se peut que, dans la classe riche, il y ait quelques natures
généreuses dont le cœur demeure sensible aux souffrances des
pauvres. Mais c’est l’exception : l’exception qui confirme la
règle.
La
règle, c’est que : la fortune étant la récompense du travail et
le fruit de l’épargne, ceux qui en sont privés ne le doivent qu’à
leur paresse et à leur prodigalité. Je connais, par centaines, des
gens qui se disent convaincus - et peut-être le sont-ils ! - que 1e
paupérisme a pour origines la débauche, l’ivrognerie, la paresse,
toutes choses que, d’un mot synthétique, ils appellent « le vice
».
J’ai
tenté maintes fois de détruire cette conviction ; mes arguments,
les innombrables exemples dont j’illustrais ma démonstration, se
heurtaient à un mur de préjugés et d’incompréhension. La
famille, l’éducation, l’opinion publique portent les privilégiés
à se croire de race supérieure au vulgum pecus. Les délicatesses
et raffinements au sein desquels ils naissent et vivent suscitent et
développent graduellement chez eux le dégoût instinctif, le mépris
irraisonné et une inconsciente répulsion qui va, parfois, jusqu’à
la haine, de la pauvreté en haillons, du taudis qui pue et de la
main sale qui sollicite un secours.
Le
temps n’est plus - a-t-il véritablement existé ? - où l’opulente
châtelaine, payant de sa personne, apportait au chevet du malade la
grâce de son sourire, passait ses doigts fuselés dans les cheveux
embroussaillés de la marmaille, s’inclinait avec respect devant le
fauteuil où le vieillard indigent reposait ses membres rendus
infirmes par un demi-siècle de travail opiniâtre et ne quittait pas
l’humble chaumière ou le modeste logis, sans y oublier
discrètement sa bourse. Le temps n’est plus où ces générosités
matérielles s’accompagnaient d’un geste affectueux, d’une
parole sortie du cœur, d’un regard compatissant et tendre qui
faisaient aux secourus autant de bien que l’aide elle-même.
De
nos jours, l’Assistance a revêtu d’autres formes ; le cœur des
enrichis s’est lentement pétrifié : il y a trop de distance entre
ceux qui ont tout pris et ceux qui se sont laissé tout prendre, pour
qu’un contact s’établisse entre les uns et les autres.
L’Assistance
est devenue un service public ; son fonctionnement exige des rouages
de plus en plus nombreux et compliqués. Enfants abandonnés,
vieillards sans ressources, malades sans soins, femmes en couche,
justiciables sans défense, que sais-je encore ? Dans tous ces cas,
c’est l’Administration qui intervient. Rigide, sévère,
officielle, réglementée, parcimonieuse, méfiante, hautaine,
sournoise, paperassière, hiérarchique, chicanière, exigeante,
rapace, inquisitoriale, tatillonne, encombrante, l’Assistance a
tous les défauts de la bureaucratie ( voir ce mot ). Suit une étude
technique et d’ensemble sur l’Assistance. Les mots enfants
assistés, femmes en couches, hôpitaux, hospices, orphelinats, soins
médicaux gratuits, vieillards assistés à domicile ( voir ces mots
), nous fourniront l’occasion d’initier le lecteur au
fonctionnement pratique de ces divers services qui, tous, relèvent
de l’Assistance. (Voir aussi les mots Bienfaisance, Charité,
Philanthropie. »)
Pour
mettre fin à ces quelques considérations qui servent d’introduction
aux exposés documentaires qui, chacun à sa place, se suivront, je
crois utile d’insister sur le caractère véritable de l’Assistance
: un observateur superficiel pourrait croire que l’organisation de
l’Assistance part d’un généreux esprit de solidarité, d’un
sentiment élevé de bonté et d’une conception exacte de la
morale. Il n’en est rien, et celui qui se laisserait prendre à ce
point aux apparences, serait la victime d’un bluff grossier.
L’organisation sociale de l’Assistance est tout simplement le
fait d’un milieu social inhumain, dont elle a pour but de réparer,
dans une faible et insuffisante mesure, les cruelles et injustes
inégalités. L’idée même de faire assister - et combien mal et
si froidement ! - les déshérités par les privilégiés, ne peut
être que la conséquence d’une société comme la société
capitaliste où les uns regorgent de superflu, tandis que d’autres
sont privés de l’indispensable.Bien plus :l’Assistance est un
moyen incomparable de tenir en servitude et en résignation, les
infortunés qui, s’ils étaient inexorablement abandonnés à leur
sort lamentable, ne tarderaient pas à se réfugier dans la révolte.
Grâce à des secours illusoires et dérisoires, secours qui ne
transforment pas leur situation et ne font que la perpétuer, les
malheureux supportent passivement l’injustice de leur condition.
L’Assistance
est une aumône que la Société abandonne à ses victimes pour
éviter la restitution qui leur est due.
C’est
l’os qu’elle jette aux loups affamés dont les crocs pourraient
se montrer par trop menaçants.
Sébastien
FAURE.
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