"Portrait de l'intermittent du spectacle en supplétif de la domination". Partie II
3 il faut s'en expliquer encore, sans doute. L'été, les travailleurs intermittents du spectacle - du théâtre, de la danse, de la musique, du cinéma et de la télévision, que, par commodité polémique, nous appellerons dorénavant "les travailleurs intermittents de l'industrie du spectacle et du divertissement de masse" cessent d'étre des intermittents pour être des travailleurs à temps (presque) plein. C'est pourquoi ceux-ci ne se mettent en grève qu'à l'été, faute que l'été dure assez pour que cesse leur intermittence.
7. Pas du travail, à en juger par le fait qu'on n'avait pas entendu ces travailleurs intermittents de l'industrie du spectacle et du divertissement de masse parler, avant, "du travail en général" (des conditions des autres travailleurs, entre autres, de ceux avec lesquels les leurs présentaient pourtant plus d'un point commun - à l'intermittence près); pas davantage de la "valeur" travail en tant que telle, à laquelle, au contraire ils en appellent sans gêne (comme, on le verra bientôt, toute la gauche après eux). Et dès l'instant qu'on ne les entendra parler du travail "en général" que tardivement, et pour tenter d'administrer la preuve que leur conflit aurait été politique "aussi".
8. Or, le fait est qu'il n'y eût pas moins "politique" que le conflit des travailleurs intermittents de l'industrie du spectacle et du divertissement de masse, une preuve "a posteriori"? On n'a pas entendu ceux-ci dire depuis - c'est-à-dire depuis qu'un accord provisoire (ou lui-même intermittent?) est intervenu entre eux et leur "autorité de tutelle" comme ils consentent les premiers de dire - que serait, par exemple inacceptable le chantage aux moyens duquel le patronat privé a obtenu et obtient (en Allemagne, en France...) ce que le patronat public (l'état) n'a pas même encore obtenu d'eux: que les employés votent eux-mêmes l'aggravation des conditions de leur "employabilité".
9 Le "nouveau" capital montre en effet des raffinements dont l'"ancien" eût été incapable. Par exemple, il persuade ses salariés, c'est selon, qu'ils ne travaillent pas assez ou qu'ils gagnent trop (parfois les deux). Il les invite alors à voter eux-mêmes une augmentation de leur temps de travail ou une diminution de leur salaire (parfois les deux). Qu'il assortisse cette votation d'un ultimatum - délocalisation de l'activité ou fermeture de l'entreprise - n'affecte pas significativement un progrès qu'on tiendra bientôt pour décisif dans la voie vers la démocratie participative de marché.
10 La grève des travailleurs intermittents de l'industrie du spectacle et du divertissement de masse nous a donné l'occasion d'assister à des instants de la lutte de classes à tous égards inédits : ce sont, par exemple, des "travailleurs bénévoles" qui se sont faits contre les "travailleurs salariés", les défenseurs des prérogatives et des intérêts de l'industrie du spectacle et du divertissement de masse.
11 Par exemple: à Carhaix, en Bretagne, où des milices constituées de travailleurs bénévoles, mais participatifs, ont patrouillé pour empêcher que des travailleurs salariés, mais grévistes, perturbent le festival (dit "des vieilles charrues") dont aurait dépendu - c'est aussitôt ce qu'ils ont dit, sans qu'on s'en étonne outre mesure, encore moins qu'on s'en offusque - la santé économique de la région auquel leur bénévolat sacrifiait ses loisirs.
12 L'idée que des personnes déclarativement bénévoles fassent de leurs loisirs le moyen que le loisir des autres permette la prospérité de la région à laquelle ils se sacrifient ainsi, est une idée manifestement nouvelle, dont devraient utilement s'inspirer tous ceux qui ont la prospérité à cœur, quelle qu'elle soit, d'une région ou d'une entreprise.
19 Qu'il n'y a "nulle part" dont on ne puisse faire le lieu même qui, une fois animé, animera la région elle-même (ses politiques, ses commerçants et ses intermittents), le quotidien régional Ouedt France en fournit un exemple édifiant qu'il y a lieu de reproduire ici avec un scrupule extrême: "Bâtie sur un promontoire, la forteresse domine la Sèvre nantaise [...] Nous sommes à Tiffauges, chez le terrible Gilles de Rais. Seigneur de guerre, compagnon d'armes de Jeanne d'Arc, alchimistes et assassins de centaines d'enfants, le personnage n'a pas fini de fasciner les visiteurs[...] Plus grand site médiéval animé de la région, le château de Tiffauges recèle, en ses différentes salles et cours, plusieurs spectacles : expériences d'alchimie, théâtre d'ombres, récit de la vie de Gilles de Rais. Le spectateur devient acteur d'un spectacle mêlant histoire, humour et magie." (27/07/2003).
Où l'on voit enfin sans mal ce que serait un monde qu'on confierait aux appétits incontinents des politiques territoriales, des petits commerçants et des travailleurs intermittents de l'industrie du spectacle et du divertissement de masse : la "figure" par excellence de la pédophilie médiévale triomphante ainsi que son repère "s'animant" pour la plus grande satisfaction de la petite et moyenne bourgeoisies et de leurs enfants.
Étant donné l'accélération où tout est entraîné, la cave de Dutroux ne devrait pas attendre longtemps pour ouvrir la Belgique les délectations touristiques auxquelles elle n'a pas moins droit.
Le rédacteur ou la rédaction à sa place. ont titré, sans malice ni ironie selon toute droit vraisemblance : "Barbe bleue ravit les enfants"!
22 Le syndicalisme est toujours à la fin la trahison de la politique : qu'il s'agisse des travailleurs intermittents de l'industrie du spectacle et du divertissement de masse ou qu'il s'agisse de n'importe quels travailleurs - de ceux du textile, par exemple, encore que, à la différence de ceux-là, ceux-ci n'est pas à redouter les effets de quelque délocalisation que ce soit. La crainte n'a pas encore réellement percé, en effet, que des travailleurs de l'industrie du spectacle et du divertissement de masse "étrangers" puissent venir occuper les emplois des travailleurs de l'industrie du spectacle et du divertissement de masse "français" : nul doute, d'ailleurs, si cela devait se produire, qu'on en appellerait alors solennellement à "l'exception culturelle française".
24 parce que, bien sûr, il n'y a rien comme ce qu'on a appelé il y a longtemps "le théâtre" qui pourra survivre à l'économisme auquel on veut qu'il s'accommode. Lequel économisme n'est aucunement économique, au sens entendu du terme. On ne demande rien au théâtre en soi : pas même d'être rentable -surtout pas d'être rentable (on aurait tort de le prétendre). On veut bien que le théâtre continue de constituer la dépense qu'il a toujours été, une dépense somptuaire, mais à la condition qu'ils génèrent les bénéfices secondaires (nuitées, couverts, et cetera ) auxquelx il n'est désormais pas moins soumis que, par exemple, un parc d'attractions. De ce point de vue, une fête du cidre, une journée de la bourrée, un stage de rempaillage, une randonnée pédestre, un vide grenier, un concours de scrable, un son et lumière, une reconstitution historique, etc. sont en tout point identiques à : un concert de rock, un festival de jazz, une "folle journée musicale", un "marathon du livre". Ils constituent une économie sporadique intégrée à une économie durable, dont les succès nourriront ou non la prospérité générale.
(A un débat récent portant pour titre : "culture publique. La politique culturelle française" est invité un directeur adjoint "chargé de la culture, de l'environnement, de la jeunesse et des sports et du tourisme du conseil régional du..." . Ce titre pléthorique dit avec exactitude que c'est aujourd'hui la même chose du point de vue des administrations nationales et territoriales, que : la culture, l'environnement, la jeunesse, les sports et le tourisme. On ajoutera bientôt : le développement).
29 Le fait que les travailleurs de l'industrie du spectacle et du divertissement de masse n'aient jamais fait état de cette similitude, de nature et de condition, entre leur situation et celle (par exemple) des travailleurs transporteurs routiers, et qu'ils aient moins encore songé à se solidariser avec eux, tend à démontrer, c'est selon:
- qu'ils n'en ont eu aucune connaissance et qu'ils ont mené et mènent une lutte qui n'est rien moins que politique, contrairement à ce qu'ils affirment;
- qu'ils en ont eu connaissance, mais qu'ils ont cyniquement opté et continuent d'opter pour le principe d'une exception sociale qui tiendrait lieu d'exact équivalent de ce que les mêmes, pour quelques-uns et d'autres, pour le reste. ont théorisé sous le titre de "l'exception Culturelle".
30. Un soupçon confirme cette seconde éventualité : les travailleurs de l'industrie du spectacle et du divertissement de masse se sont précautionneusement tenus à l'écart de chacun des évènements politiques dominants survenus depuis le commencement de leur lutte :
- le non à l'adoption du projet référendaire de constitution européenne;
- le soulèvement des banlieues;
- la lutte sociale, syndicale et politique contre le loi et décret de loi visant à la généralisation de la précarisation des statuts du travail (CNE puis CPE);
- le surgissement sur le devait de la scène politique de la figure, éminente et emblématique, du travailleur immigré sans papiers.
On a vu, dans aucun de ces cas, ceux-ci montrer une solidarité de principe qui eût fait de l'exception à laquelle ils prétendent une exception qui dût valoir pour tous. On les a bien plutôt vu faire de leur exception la raison d'une différenciation de principe: le travail ne serait pas le même selon que celui-ci se place sous le signe de la règle ou qu'il s'en excepte."